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    Alfred Péreire (1879-1957)

    Par Jacques Guignard

    C'est un grand ami des livres et des bibliothèques que notre Association a perdu en la personne d'Alfred Péreire. Il s'est défini lui-même, au soir de sa vie, quand il a écrit : Je suis dilettante (1955), voulant dire par là qu'il savait se montrer - au sens où on l'entendait jadis - un amateur.

    Il aurait pu, suivant l'exemple des siens, être d'abord un homme d'affaires et, de fait, il dirigea pendant plus de quarante ans une société d'assurances fondée par sa famille. Mais il avait derrière lui d'autres traditions. Un de ses ancêtres, Jacob-Rodrigue Pereira (1715-1780), venu d'Espagne à Bordeaux, avait été le premier en France, avant l'Abbé de l'Epée, à s'occuper de l'instruction des sourds-muets ; il avait reçu le titre d'interprète du Roi pour les langues étrangères, en même temps qu'il était nommé agent de la nation portugaise juive à Paris et qu'il rendait les plus grands services à ses coreligionnaires. Son grand-père et son grand-oncle, les fameux banquiers - tous deux députés au Corps législatif - qui prirent une si large part à l'établissement des compagnies de chef de fer du Nord et du Midi, et qui créèrent la Compagnie transatlantique comme le Crédit Immobilier et la Société Immobilière, étaient de fervents adeptes du saint-simonisme et fondèrent plusieurs institutions charitables. L'un et l;autre ont écrit sur des questions de sociologie des oeuvres qui ne sont pas négligeables. Alfred Péreire fut à son tour président d'honneur de l'Institution nationale des Sourds-Muets, membre du Conseil d'administration des fondations qui portent le nom de sa famille à l'hôpital de Levallois et à l'hôpital de Tournonen- Brie. Et à son tour, il écrivit. Dans sa jeunesse, la poésie parut d'abord l'attirer (Jeannine, 1900 ; Hommage à Cervantes, 1905) ; mais c'est vers l'histoire - celle des idées et du temps qu'avaient vécus les Péreire - qu'il se tourna bientôt, et il donna coup sur coup deux gros volumes consacrés l'un à l'histoire du saint-simonisme, Autour de Saint-Simon, documents originaux (1912), l'autre à celle du Journal des débats politiques et littéraires (1914), puis différentes éditions critiques et des morceaux choisis de l'oeuvre de Henri de Saint-Simon. Sa conversion au catholicisme allait l'incliner vers d'autres études, dont témoignent les éditions critiques qu'il publia par la suite, ayant su s'attirer la discrète collaboration de Louis Thuasne, de l'Internelle consolacion (1926), du Testament de saint François d'Assise (1928) et de l'Imilation de Jésus-Christ (1928), avant d'écrire une Vie de Pie XI (1939).

    C'était cependant un trait du caractère de cet humaniste qu'il ne lui suffisait pas d'étudier les livres : il voulait les avoir à portée de la main et vivre en leur compagnie. Ainsi réunit-il successivement deux grandes collections, l'une des oeuvres des saint-simoniens, l'autre d'éditions anciennes. Vers 1940, il avait fait don de la première à la Bibliothèque nationale ; les Allemands pillèrent la seconde. Du moins, grâce aux matériaux qu'il avait assemblés, put-il entreprendre, avec le concours de Mlle S. Brunet, une Bibliographie des oeuvres de Ronsard (Bulletin du bibliophile et du libraire, 1936 et 1938), malheureusement interrompue par la guerre. D'autres articles (Un exemplaire unique de Ronsard : l'Avant-entrée du roi Henri II à Paris, dans les Trésors des Bibliothèques de France, 1926, l'Exposition à Paris des livres du roi Manuel II de Portugal, dans le Bulletin du Bibliophile, 1934) attestent les mêmes goûts.

    Déjà, il avait donné une preuve éclatante de son attachement à notre profession, en fondant, dès 1913, la Société des Amis de la Bibliothèque nationale et des grandes bibliothèques de France. Il devait être le secrétaire général de cette association jusqu'en 1950, date à laquelle il en fut nommé président d'honneur. Tous ceux qui l'ont vu à l'oeuvre se rappellent avec quel sérieux il considéra sa tâche, la part qu'il prit au recrutement de nouveaux membres, avec quel intérêt - lors des grandes ventes de l'Hôtel Drouot ou chez les libraires parisiens - il envisageait les acquisitions destinées à la Bibliothèque nationale. A son tour, l'Association des Bibliothécaires Français le choisit pour secrétaire général, de 1921 à 1923. Il entendait d'abord y servir la cause de la bibliophilie et il est significatif que le seul article qu'il ait publié dans le Bulletin de notre Association soit précisément consacré à la mémoire d'Edouard Rahir (1924).

    Mais il n'était pas de ces bibliophiles qui vivent égoïstement enfermés parmi leurs livres et il avait de larges vues. Dès 1922, il avait fait paraître un essai De la Réorganisation de la Société européenne et il publia par la suite un essai sur l'Universalité de l'Art (1949). Dans ses dernières années, il rêvait même - car rêver ne lui déplaisait point - d'une sorte d'Académie internationale dont il aurait été l'animateur. La Bibliothèque nationale conservait pourtant la plus grande place dans son coeur. Il aimait y faire de fréquentes visites, à raconter aux uns et aux autres ses souvenirs d'une époque qui, déjà, s'estompait. Volontiers alors il devenait intarissable ; mais il pensait s'excuser en avouant qu'il considérait la maison de la rue de Richelieu comme sa « Maison » et qu'il s'y croyait parmi ses livres.