Index des revues

  • Index des revues

Un collaborateur bénévole de la Bibliothèque Nationale à la fin du XVIIIe siècle : Paul-Louis Roualle de Boisgelou 1734-1806

1958

    Un collaborateur bénévole de la Bibliothèque Nationale à la fin du XVIIIe siècle : Paul-Louis Roualle de Boisgelou 1734-1806

    Par Elisabeth Lebeau

    Les anciens catalogues manuscrits de nos bibliothèques sont émouvants à plus d'un titre : évocateur de temps, de traditions, de moeurs professionnelles révolus, ils font aussi revivre les hommes qui ont élaboré ces précieux témoignages de l'ancienneté de nos fonds, ces hommes dont, sans ces répertoire auxquels leur nom est resté attaché, le souvenir serait, pour beaucoup d'entre eux, à peine venu jusqu'à nous : par exemple à la Bibliothèque nationale, aurions-nous bien souvent l'occasion d'évoquer la mémoire de Nicolas Ri-gault, de Nicolas Clément - deux grands bibliothécaires cependant- si quelque nécessité de service, ou quelque curiosité gratuite, ne nous poussait de temps à autre à consulter leurs inventaires? Quant aux rédacteurs, souvent obscurs, des catalogues de fonds spéciaux, il est bien probable que - hormis les spécialistes, bibliothécaires ou lecteurs - à peu près personne aujourd'hui ne connait leur nom. C'est le cas sans doute de Paul-Louis Roualle de Bois-gelou, rédacteur non du premier inventaire coté des fonds musicaux de la Bibliothèque royale (qui est celui de l'abbé Martin (1) , mais du suivant, qui, dressé de 1785 à 1803 environ, est resté en service jusqu'au reclassement général de Léopold Delisle à la fin du XIXe siècle.

    Qui donc était ce Boisgelou? Lui-même, dans la «table biographique» de son catalogue, se présente en ces termes : « Boisgelou (Paul-Louis Roualle de) né à Paris le 27 juin 1734, a servi dans les mousquets noirs avec brevet de capitaine de cavallerie, jusqu'à la réforme de cette compagnie, chevalier de St Louis en 1775. Vivant... car c'est moi-même. » « ...Connue depuis le 1er tiers du XVIIe siècle dans la bourgeoisie de finance parisienne, anoblie en 1699 par charge de secrétaire » (2) , la famille Roualle, ou plutôt une de ses branches, prit le nom de la terre de Boisgelou qu'elle avait reçue par héritage, une autre branche s'appelant Roualle de Rouville.

    Sur P.L. Roualle de Boisgelou et la musique, consultons des musiciens qui ont pu le connaître, Choron et Fayolle : dans leur Dictionnaire historique des musiciens paru en 1810 et 1811, ceux-ci nous apprennent que notre personnage, qu'ils font naître par erreur en 1732, «étudia à Louis-le-Grand où il commença son éducation musicale » (3) . C'est de lui que parle Jean-Jacques dans l'Emile, en ces termes : « J'ai vu, chez un magistrat, son fils, petit bonhomme de huit ans, qu'on mettait sur la table au dessert, comme une statue au milieu des plateaux, jouer là d'un violon presqu'aussi grand que lui, et surprendre par son execution les artistes même» (Emile, 1. 2, t. 7, p. 337, Genève 1782). [Boisgelou] «se chargea, poursuivent Choron et Fayolle, par zèle pour l'art et d'une manière purement bénévole, de mettre en ordre toute la partie musicale de la Bibliothèque impériale. Il est mort à Paris le 16 mars 1806. « On peut ajouter que Rousseau dans les Confessions cite parmi les voisins qu'il fréquentait à Montmorency, le père de Boisgelou, François-Paul Roualle de Boisgel (4) ou dont il mentionne en outre les théories musicales à l'article Système de son Dictionnaire. Toutefois l'admiration de Jean-Jacques pour les dons musicaux des Boisgelou père et fils n'est pas une référence très sûre... Paul-Louis - le nôtre - était l'auteur d'une Sonate à deux violons sans basse (5) : « Mauvais », déclare-t-il lui-même dans sa table d'auteurs, et ce n'est que trop vrai. Quoi qu'il en soit, on aimait la musique et on fréquentait des musiciens dans cette famille de Boisgelou : n'en prenons pour témoignage que cette pièce de clavecin d'Armand-Louis Couperin, petit cousin de Couperin le Grand, intitulée « la de Boisgelou » (6) .

    D'autre part, une liste de Mousquetaires noirs, dressée en 1783 (7) , nous révèle que P.L. de Boisgelou avait comme compagnon d'armes Jean-François Espic de Lirou (8) , auteur assez connu d'une Explication du système de l'harmonie et d'une Marche des Mousquetaires du roi. La compagnie des Mousquetaires noirs était-elle un foyer de culture musicale? N'avait-elle pas compté parmi ses membres, à la fin du XVIIe siècle, un musicien, authentique celui-là, André-Cardinal Destouches? Et cet Henri-Charles de la Laurencie, dont nous trouvons le nom à côté de ceux de Boisgelou et de Lirou sur la liste de 1783, était-il comme son descendant, l'éminent et regretté musicologue Lionel de La Laurencie (peu tendre à vérité pour les jugements musicaux de Boisgelou), curieux déjà de choses musicales?

    C'est probablement après sa mise à la retraite en 1785 que Boisgelou a dû commencer à inventorier les ouvrages musicaux de la Bibliothèque royale.

    L'ensemble de ses catalogues, tous restés manuscrits, comprend essentiellement :

    • 1° Un « Catalogue des livres de la bibliothèque... qui traitent de la musique, 1787 » (9) . A la vérité cet inventaire dénombre surtout des ouvrages conservés au département des Imprimés.
    • 2° Un catalogue méthodique intitulé « Division du catalogue de la musique pratique, 1803» (10) . C'est «le Boisgelou » par excellence, liste numérique continue dont on a souvent l'occasion de se servir encore maintenant.
    • 3° Une table alphabétique d'auteurs, sans titres, avec renvoi aux cotes du catalogue méthodique (11) .
    • 4° Une « Table biographique des auteurs dont les ouvrages sont à la Bibliothèque nationale », celle-là même où a été prise la notice citée plus haut (12) .

    Dans deux des lettres que l'on va lire, nous voyons précisément Boisgelou occupé à la rédaction du catalogue méthodique. Le Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale conserve en effet quatre lettres de Boisgelou à Van Praet (13) écrites vraisemblablement en 1799 et en 1802, pendant les séjours qu'imposaient à l'ancien mousquetaire l'état de sa santé, dans la propriété familiale du Boisgelou, près de Gisors (14) .

    Au Citoyen Vanprat à la Bibliothèque nationnal à ParisMercredi au soir dans mon lit. (15) J'ay été bien faché, mon trèz aimable Van Prat de n'avoir pas eu le plaisir de vous voir l'autre jour à la Bibl. Mais vous m'etes echapé sans que j'ay pu m'appercevoir de votre départ, et le mien est irrévocablement fixé à demain même à 6 h. du m. (16) Il est absolument necessaire que j'aille prendre du repos à la campagne et des jus d'herbes pour guérir la cause principale de mon mal de jambes qui ne fait qu'augmenter chaque jour, l'enflure et l'humeur étant actuellement descendues dans la cheville du pied. Je ne peux presque pas me soutenir. Qand je serai parfaitement guéri je reviendray au plus vite vous voir et aranger le reste de la Bibl. musicale en vous remettant le catalogue en règle, mais avant de partir j'ay laissé sous la main et arangé tous les objets usuels qu'on peut vous demander de temps en temps et ay laissé sur votre bureau en bas un extrait du catalogue qui vous fera trouver sur le champ ce que vous demanderez. A la fin du volume relié en bazane bleue où j'ay mis le catalogue des théoriciens, qu'il faudra quand je reviendray que nous vérifions ensemble, à la fin dis-je de ce volume vous trouverez une liste chronologique de tous les opéras français qui sont à la Bibliothèque dans le 1er cabinet à gauche et rangez comme ils sont indiquez. La lere planche en bas contient le 1er âge Lulli jusqu'à Rameau, seulement les in-folio, la 2d planche au dessus le 2d âge : Rameau jusqu'à présent. La 4e planche, tous les opéras in 4° également par ordre. La 3eme planche contient les opéras comiques selon l'ordre d'un petit catalogue que j'ay laissé aussi sur votre bureau. Les opéras comiques traduits ou imitez de l'italien comme Theodore à Venise sont dans l'autre cabinet après les intermèdes italiens. Tous les opéras italiens, sérieux ou boufons, modernes, c'est à d. depuis Hasse, et Jomelli jusqu'à présent, qui sont les seuls qu'on demande, sont de suitte dans le 2d cabinet - les 1ers opéras qui ont plus de 150 ans ne sont pas placez encor mais on ne les lit plus d'ailleurs vous les trouveriez dans le 1er cabinet en face à droite de la porte. Dans ledit cabinet sur des petilles planches à gauche à côté de la lereporte, des Recueils Talleyrand (17) d'Ariettes, au dessous sont des oratorios, le Stabat de Pergolèse, un oratorio de Jomelli, un petit motet du meme, sa passion de J.Ch. en musique et une autre Passion d'un autre auteur - dans un carton verd fermé, le Poeme seculaire d'Horace en musique par Philidor (18) que je voudrais bien qu'il fut relié, car il est beau et bon. Après les opéras et intermèdes ital., quelques vol. manscr. extraits dedits opera buffa que je n'ay point porté sur l'extrait que je vous laisse du catalogue, ne les ayant pas entièrement véréfiez. Vous vous souviendrez que vous avez osté et mis autre par 2 opéra italiens de Gluck et la Serva padrona de Paesiello. Les cantates et cantatilles franç, sont rangées par ordre à droite de la porte qui communique d'un cabinet à l'autre. Il y a aussi quelques théoriciens qui seront par la suitte joints aux autres dans la galerie de la Bibl. - Tous les opéras et op. comiques qui sont parterre en entrant à droitte dans la galerie après le 2d cabinet musical sont ou des exempl, incomplets ou des triples et quadruples que je ne comprends point dans le catalogue et dont il faut débarasser le cabinet musical où il n'y a pas déjà trop de place. - Jay oté des carions Villeroy, Rochefoucault (19) etc. tout ce qui était necessaire pour compléter ce qui nous manquait, il n'y reste plus que des pièces détachées en feuilles dont je formeray par la suitte des suittes en cartons. Ce que j'ay mis tout en haut est ce qui ne se demande jamais, musique de vielle, musette, la basse de viole y sera aussi. Adieu mon tres cher, quand j'aurai 2 jambes je reviendrai, ce n'est pas qu'on puisse bien en faire au moins 4 de la mienne. Je vous embrasse et salue tous ces messieurs. Je pars.Boisgelou.

    Au citoyen Vanprat, Conservateur de la Bibliothèque nationaleRue de la Loy (ci devant Richelieu) à Paris.Au Boisgelou près Gisors dépar. de l' EureCe dimanche 17 juin vx st. au soir (1798) veille de la décade (20) Je me haste, aimable citoyen, de profiter de l'occasion de quelqu'un qui va à Paris pour vous renvoyer le catalogue des pièces d'orgue, de clavecin et des sonates de forte-piano qui sont étalées parterre dans la 3e salle, c'est à d. la-2d après les 2 cabinets de musique ; en attendant que je puisse vous remettre moi-même la suitte, ainsi que je l'espère bientôt, vous pourriez toujours faire remettre en place tout ce qui regarde le violon dont vous avez les catalogues. Les sonates sont dans le 2d cabinet, en bas à gauche, au dessous des opéras italiens de Gluck, etc., et les Duo à la suitte, les Trios dans la grande salle ensuitte au fond (par terre) les quatuors et quinque contre l'entrée, les symphonies à 4 et les gdes simfonies vers le milieu de cette salle; les concertos, en entrant sur la gauche et les symphonies concertantes sur de gros livres proche la 2d fenestre. Les catalogues vous instruiront extrêmement. Vous notterez que toutte la musique généralement est comprise dans les catalogues et collée à la place qu'elle doit y occuper - même celle dont vous ne m'avez fait voir que les cartes (21) et à laquelle je n'ay pas touché pour ne pas déranger votre ordre, mais tout est compris dans mes catalogues à l'exception de ce qui est sur la grande table du haut où à vüe de pays, il n'y aura pas grand chose à conserver, si ce n'est peut être des recueils gravez et reliez des Recueils (de la R.) (22) en maroquin (in-fol) qui ne sont pas tous complets, j'en ay mis aussi à part (avec les doubles) 2 ou 3 années en feuilles qui serviront à compléter ce qui manque a l'exemplaire en maroq. Je vais remettre au net la table alphabétique des auteurs avec le Renvoy à tous les numéros de leurs ouvrages (comme à votre catalogue mss. de la Bibl.) ce qui vous fera sur le champ trouver tout ce qu'on pourrait demander et renverra exactement à la page des catalogues particuliers de chaque matière. Le catalogue que je vous ay laissé des Trio de violon n'est qu'un petit memento que j'ay fait pour moy, extrait du catalogue que je n'avais pas mis encor au net, mais cet extrait vous servira également pour les ranger à la place où ils doivent être. J'ay aussi icy celui de Flûte, de Harpe, de Guitare et de luth, et la suitte de celui de fe p° [forte piano] que je vous ferai passer ou porteray incessament bien en ordre et au net. Il y a un ou 2 endroits que vous verrez où je n'ay pas mis de numéro (quiqu'ils en ont) comme à Schobert par exemple, je vous diray le pourquoi de cela, mais comme il est tard et qu'il faut que je me couche ayant à me lever demain de grand matin, je finis bien vite en vous assurant, mon très aimable conservateur, que je conserveray toute ma vie la plus tendre amitié et l'estime la plus parfaite pour vous, que je prie Dieu qu'il vous conserve en sa ste et digne garde, et vous conjure de conserver toujs une part dans votre amitié à votre concitoyen.R. Bo.Million de compliments au C. Capronier et autres chers confrères en bibliothèque.N.B. Quand vous voiez dans le catalogue un astérisque ainsi hors ligne par ex Mozar Une sonate dans le recueil mscrt c'est pour mémoire et avertir qu'outre les sonates de cet auteur qui sont rangées à leur place dans le catalogue, il s'en trouve une dans quelque autre recueil appartenant à une autre classe par exemple l'oeuvre 17 de sonate de fe p° de Sterckel se trouve relié dans un recueil d'ouvertures de Hayden.

    Au citoyen Vanprat Administrateur et garde des livres de la Bibliothèque nationale à la Bibliothèque nationale Rue de Richelieu ou de la Loy à ParisLa nuit du mercredi au jeudi 11 ou 12 aoust [1802]Mon trez aimable Van PraëtUn de mes voisins et amis va pour quelques jours à Paris et je profite de l'occasion pour vous dire un petit bonjour et vous renvoyer le volume de chansons anecdottes que vous avez eu la complaisance de me prester (23) . Depuis que je suis icy (il y a 4 semaines) j'en ay passé 3 sur le qrabat, sans quitter mon lit que pour me camper sur une chaise longue, au bout de ce temps, et muni de 2 médecines, j'ai cru pouvoir un peu faire usage de mes 2 jambes... et j'ay sorti 3 fois dont une pour aller dîner chez le citoyen qui vous remettra ma lettre. La lere fois même je n'étais nullement fatigué mais voilà qu'il est décidé que j'ay été trop vif et qu'il faut encor que je reprenne pour encore autres 3 semaines le régime de la chaise longue et du lit, ce qui est fort ennuyeux pour quelqu'un qui comme moi aime à faire usage de tous mes membres, surtout que je me porte bien d'ailleurs, et ayant de jolies voisines à visiter. Heureusement que je sçais m'occuper et qu'en lisant et écrivant beaucoup, le séjour du lit dans le jour ou de la chaise longue me parait plus supportable, mais comme il faut un peu varier celte monotone occupation et surtout calmer la douleur par quelque chose de moins appliquant, j'ay recours à vous pour vous prier d'avoir pitié de moy. C'est là le cas de s'amuser de mon recueil de pièces et chansons anec-dottes, dans le volume que vous m'avez presté il y en avait beaucoup que j'avais déjà, quelques unes que j'ai extraites et d'autres qui n'en valent pas la peine. Cependant si vous aviez la complaisance de m'en prester encor 1 ou 2 volumes cela m'aiderait à supporter l'ennuy de ma captivité forcée : et l'amy qui vous portera ma lettre, dont je suis sur comme de moi même me le rapporterait très exactement et par la même occasion ou par moi même, si je vais mieux, je pourais vous le raporter. Je vous demanderais donc les volumes d'avant celui-ci puisque c'est le dernier. Il y a bien dans le même sallon d'en bas des globes, un autre recueil mscrit in-4° en 1 seul vol. que j'ay parcouru une fois que j'estois avec vous, et qui m'a paru mieux choisi. Il va je crois depuis 1750 jusqu'à ces derniers tems et il y a une préface qui m'a paru bien faite ; je ne puis pas vous le désigner autrement ne l'ayant vû qu'un seul instant, il y a environ un an. S'il vous tombait sous la main j'en serais plus curieux que des autres, mais au défaut s'il vois plaisoit de confier pour moi à mon ami qui me le raporterait très exactement, un ou 2 vol. pareils à celui cy dont je vous rends grâce, cela m'aiderait à supporter l'ennuy de ne pouvoir jouir de la belle saison pour se promener. Je ne néglige point non plus de travailler pour la Bibliothèque, et je comptais même vous envoyer quelque chose par mon amy qui m'avoit d'abord dit devoir partir la semaine proch. mais il est venu ce soir m'avertir qu'il partait demain même, ce que je voulois vous envoeïr n'est pas tout à fait prêt et je n'ay que le tems de vous dire un petit mot à la haste, envelopper et vous renvoyer votre volume, vous prier de me rapeller au souvenir de vos aimables coopérateurs, les cit. Capperonier, Barbier, Levrier et autres dont les noms ne riment pas en ier, et je vous prie, mon très aimable Vanpraet, d'être persuadé de la parfaite eslime amitié et considération que vous a voué pour la vie votre etc. Boisgelou.

    Au citoyen Vanprat Administrateur de la Bibliothèque nationaleQue je vous ay d'obligation, mon très aimable Vanpraët, d'avoir bien voulu me procurer de quoi adoucir l'ennuy de mes douleurs ou plutot de ma situation, toujs couché dans un lit ou sur une chaise longue, ce n'est que dans la variété de petittes occupations peu applicantes que je puis trouver distraction à l'ennuy d'être si longtems malade sans maladie, car excepté mes jambes le reste va fort bien on dit aussi que les jambes guérissent mais qu'il ne faut pas marcher et je n'y ressens pas moins à tous momens des élancemens fort vifs, qui ne cesseront de me tourmenter que lorsque toute l'humeur qui est dedans sera expulsée, ce n'est pas faute de médecine si elle ne sort pas, car j'en ay pris 3 depuis que je ne suis plus à Paris, j'en avais pris autres 3 auparavant. Ce qui devroit contribuer à ma guérison c'est qu'une très aimable ci devant duchesse veuve du plus galant et du plus aimable des mareschaux de France, me comble de soins les plus obligeant et des attentions les plus délicates j'espère pourtant qu'enfin je recouvreray l'usage de mes jambes et que quelque jour je pourray vous aller voir et remercier de vos attentions, je vous renvoie par cette aimable maréchale dont voire rue porte ou portait le nom (24) , le livre que vous aviez eu la bonté de m'envoyer dont j'ay eû grand soin comme vous pourez vous en convaincre vous même. 2 seules pièces m'en estoient inconnues, la préface qui est assez bien faite, quoiqu'elle ne s'étende pas autant qu'elle le devrait me parait être de feu Monsieur de Querlon, je ne sais pas même si je ne l'ay pas vû imprimée quelque part je m'en suis servie et l'ay refondue pour en faire la préface de mes recueils. Les dattes de celui-ci ne sont pas exactes, il paroit même qu'il a été copié d'après un 1er recueil que j'avois qui étoit trez fautif pour les dattes et même, pour le texte que j'ay presté autrefois a plusieurs personnes et qui sera sans doute tombé dans les mains de la personne qui a fait faire celui ci, car on a copié jusqu'aux fautes d'orthographe dans mon 1er recueil, argumens pour agrémens - etc. etc. etc. -, c'est ce 1er recueil fautif qui m'a donné depuis l'idée d'en former un bien plus complet et exact pour les noms et les dattes, ce qui me forme à présent plusieurs volumes gd in-4° depuis 1571 jusqu'à présent, ce qui fait un espace de plus de 200 ans dont plus de 150 très complettes. Si vous voulez avoir la même complaisance de me procurer un ou 2 volumes de la collection dont j'ay eu l'honneur de vous ren-voier il y a quelque lems le tome 9 que vous m'aviez presté à Paris, je vous en aurais bien de l'obligation, mon domestique qui est à Paris et vous remettra ce billet, me feroit passer par voye très sûre, le ou les volumes que vous voudriez bien me prester de cette collection dont je n'ay vû encore que le tome 9, qui même n'est que la 2d partie du précédent que je n'ay point vû - ou tel autre qui vous plaira. Vous recevrez mon cher Vanpraet, la bénédiction du pauvre éclopé qui vous salue et embrasse ainsi que tous ces messieurs. Il est inutile de vous assurer que j'aurai très grand soin des dits livres.R. Boisgelou28 aout v. st

    Est-ce à dire que les lettres qu'on vient de lire, en dépit de leur bonhomie enjouée assez attachante, sont d'un écrivain vigoureux, voire d'un styliste simplement correct? Evidemment non. On a cru intéressant, cependant, de les faire connaître, pour l'évocation qui s'en dégage de la vie à la Bibliothèque nationale à cette époque, de la disposition des locaux, sur laquelle malheureusement Boisgelou est bien imprécis et dont les plans de l'époque ne permettent guère non plus de se faire une idée bien claire (25) . Enfin ces lettres, montrant la parfaite liberté de Boisgelou à l'égard de Van Praët (dont, par parenthèse, l'activité étrangement minutieuse nous surprend un peu) qui n'était manifestement pas son supérieur hiérarchique et de qui il n'était pas le « coopé-rateur » semblent bien apporter la preuve de la gratuité des services de l'ancien mousquetaire noir à la Bibliothèque nationale : il n'y a pas lieu de mettre en doute à cet égard, la parole de Choron et de Fayolle, reprise par Fétis et admise par la tradition orale, mais que n'étaie jusqu'alors aucun document d'archives ; on ne saurait donc négliger la valeur de ce témoignage.

    Musicien amateur, épistolier médiocre, que valait Boisgelou comme catalographe? Gageons qu'aujourd'hui il ne brillerait pas aux épreuves du D.S.B... En effet, son cadre de classement est un peu embroussaillé, ses notices bibliographiques sont souvent négligées, incomplètes, la présentation n'en est pas « normalisée » (le mot et la chose l'eussent bien surpris) ; enfin, ultime disgrâce - qui aurait pu être un mérite - certains ouvrages décrits font l'objet, dans le corps du catalogue, de notes et d'anecdotes quelquefois utiles, souvent inexactes, jamais accompagnées de références, ce qui devait attirer à l'infortuné Boisgelou la sévérité de Lionel de la Laurencie (26) .

    Pourtant, tel qu'il est, le catalogue de Boisgelou permet presque toujours l'identification des ouvrages décrits, ce qui est, après tout, d'une efficacité suffisante au moins pour un catalogue non destiné à l'impression. D'autre part, ne l'oublions pas, Boisgelou ayant eu à « éponger » l'immense accroissement du fonds musical dû aux confiscations révolutionnaires, c'est plus de 4.000 notices qu'il eut à rédiger alors que le catalogue de l'abbé Martin n'en comptait guère que 1.100. Dominant tant bien que mal cette masse énorme, notre catalographe bénévole eut l'intelligent souci d'adapter sa classification, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai, à l'évolution des formes, à l'apparition des genres musicaux nouveaux : et si finalement son classement « éclata » après plus de cent ans de bons et loyaux services, la faute en est moins à la classification elle-même qu'au principe de la série numérique unique, entraînant à la longue des complications astronomiques d'intercalation : or ce principe, ce n'est hélas pas Boisgelou qui l'avait inventé...

    Autant, et plus encore peut-être que son travail lui-même, ce sont les circonstances dans lesquelles il l'a accompli qui méritent à Paul-Louis Roualle de Boisgelou notre reconnaissance et notre estime : ancien officier ayant gardé sans doute dans la retraite, sous des dehors un peu légers et touche-à-tout, une âme de soldat, il a choisi d'employer une partie de ses loisirs à continuer à «servir». N'est-ce pas là une forme de mécénat particulièrement élevée?

    1. Conservé au Dt de la Musique de la B.N. sous la cote Rés. Vm 8 27. retour au texte

    2. J.F. Bluche, L'Origine des magistrats du Parlement de Paris au XVII e siècle, dans Paris et Ile de France, Mémoires... V-VI, 1956, article Roualle de Boisgelou, mentionnant les principaux documents originaux sur cette famille conservés à la B.N. (Chérin, P.O., etc.), aux A.N. et dans divers répertoires. retour au texte

    3. Dupont-Ferrier ne nous apprend rien sur les études musicales à Louis-le-Grand : il cite toutefois P.L, Roualle de Boisgelou parmi les élèves qui, en 1749, eurent un rôle dans le ballet Les Héros de romans dansé au Collège le 6 août. retour au texte

    4. Conseiller au Grand Conseil (1697-1764) (article Boisgelou de la Biographie universelle des musiciens de FÉTIS) retour au texte

    5. Conservé au Dt de la Musique de la B.N. sous la cote Vm7 881 (date manuscrite : 1761). retour au texte

    6. Pièces de clavecin. Paris (s.d.) p. 16. Vm7 1918. retour au texte

    7. A.N. O.1 3678. Je remercie M. de Prat, archiviste, d'avoir bien voulu faire cette recherche. retour au texte

    8. 1740-1806 (article Lirou du Dictionnaire de musique de H. Riemann, édition française de 1931). retour au texte

    9. Rés. Vm8 26. retour au texte

    10. Rés. Vm8 23. retour au texte

    11. Rés. Vm8 24. retour au texte

    12. Rés. Vm8 22. On conserve en outre de la main de Boisgelou deux petits catalogues accessoires : « Ariettes, italiennes par ordre alphabétique des auteurs » et « Table alphabétique des opéras, opéras comiques, intermèdes français, an X-1801 ». (Rés. Vma. ms 855 et 856). retour au texte

    13. N. a. fr. 831, fol. 339-345. retour au texte

    14. D'après Charpillon et Caresme {Dictionnaire historique de toutes les communes du Département de l'Eure, Les Andelys, 1863-1869, t. II, article Gisors), le hameau de Boisgelou ou Boisgeloup faisait partie sous l'ancien régime, malgré sa proximité de Gisors (2 km) du baillage de Chaumont et de la commune de Senlis, mais s'est trouvé englobé dans le département de l'Eure et non dans celui de l'Oise. Toujours d'après les mêmes auteurs, le château du Boisgelou appartenait en 1789 à Marie-Anne-Suzanne Roualle, veuve de Louis-René de Girangy : notre personnage en avait-il hérité lorsqu'il écrivait les lettres publiées ici? M. Jean Vinot-Préfontaine, Président de la Société académique de l'Oise - qu'il veuille bien trouver ici mes remerciements les plus vifs - a eu la bonté de m'adresser des renseignements inédits sur cette propriété que son grand père maternel, Théophile Jacquelin du Buisson, avait achetée en 1866. Le château actuel date du XVIII e siècle, mais sa chapelle, édifiée au xvI e siècle par Pierre Le Gendre, trésorier de France, atteste l'ancienneté de ce domaine seigneurial qui aujourd'hui appartient (ou appartenait) au peintre Picasso. retour au texte

    15. Deux de ces lettres étant impossibles à dater, je ne suis pas sûre de les présenter dans l'ordre chronologique. retour au texte

    16. P.L.R.. de Boisgelou habitait Paris : une feuille d'enveloppe, conservée dans son catalogue Rés. Vm8 23, nous donne son adresse « quai de la République n° 10, Isle St Louis ». retour au texte

    17. Il s'agit evidemment de musique entrée à la B.N. par suite des confiscations révolutionnaires. Le Talleyrand dont il s'agit ici n'est pas le célèbre ministre, mais un de ses parents ayant émigré, peut-être le Cardinal Alexandre de Talleyrand? Les recherches dans les archives des Dépôts littéraires conservés à l'Arsenal permettraient sans doute de le préciser. retour au texte

    18. L'exemplaire de ce Carmen seculare semble manquer à la B.N. La Bibliothèque du Conservatoire en possède 3 exemplaires ; on veut espérer que l'un d'eux provient de la rue de Richelieu... retour au texte

    19. Là encore il s'agit de confiscations révolutionnaires. retour au texte

    20. Cette précision permet de dater cette lettre de 1798. retour au texte

    21. Ce qui prouve l'existence à cette époque d'un fichier pour la musique. retour au texte

    22. La Bibliothèque de la Reine, avec celle de Madame Elisabeth, a été une des premières séquestrées et transférées rue de Richelieu en 1793 (Le Prince, n.a. fr. 479, p. 173) retour au texte

    23. Le registre de prêt pour cette période ne semble pas conservé. Jusqu'à présent rien ne parait subsister des collections de «chansons, anecdotes » recueillies par Boisgelou, si ce n'est quelques notes au brouillon dans un recueil de références, autographe, de la Bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles. Je remercie vivement notre collègue, M. A. Van der Linden, de m'avoir signalé et communiqué, non seulement ce document, mais aussi un autre, également autographe (Litt. T.T. n° 24347), qui est, non pas comme le croyait le bibliothécaire bruxellois qui l'a inventorié, une ébauche du catalogue de la B.N., mais le catalogue de la bibliothèque privée de Boisgelou lui-même : collection fort belle composée de musique et d'ouvrages sur la musique. Fétis (Bibliographie des musiciens... article Boisgelou, P.L. Roualle de) dit que cette bibliothèque a été vendue après la mort de son possesseur, et que lui, Fétis, aurait acquis deux volumes de notes manuscrites. D'autre part, E. Thonan, dans : Antoine de Cousu et les singulières destinées de son livre rarissime. 1866, p. 19, prétend que des manuscrits de Boisgelou auraient été volés à la B.N. en 1866, mais seraient revenus... retour au texte

    24. Il s'agit évidemment de Madame de Rooth, veuve d'un gentilhomme hollandais, que le Maréchal de Richelieu avait épousée en troisièmes noces. (Article Richelieu, Biographie Hoefer-Didot). retour au texte

    25. Le plan conservé au Dt des Estampes sous la cote V a 237 (fol) pièce II6, est assez instructif bien que trop peu détaillé. retour au texte

    26. En particulier dans L'Ecole française du violon, Paris, 1922, 2 vol. (passim). retour au texte