Le 13 avril 1763, M. Camus de Pontcarré, prévôt des marchands de Paris, accompagné des membres du Bureau de Ville, se rendait à l'hôtel de Lamoignon, rue Pavée, pour y procéder à l'inauguration de la première bibliothèque publique de la capitale. L'un de ses prédécesseurs, Michel-Etienne Turgot, avait conçu le projet de cette institution. La générosité d'un autre magistrat municipal, le procureur Antoine Moriau, permettait de le réaliser : les collections personnelles de Moriau, 14.000 volumes imprimés, 2.000 manuscrits, 500 portefeuilles de pièces diverses, installées dans l'hôtel de Lamoignon à partir de 1753 et léguées à la Ville en 1760, formaient, en effet, le noyau du nouvel établissement.
Augmentée des apports de plusieurs donations successives, la Bibliothèque de la Ville était fort prospère quand s'ouvrirent les temps difficiles de la Révolution; mal défendue par la Commune, elle survécut, mais échappa à la Ville de Paris : assez considérable, en effet, pour éveiller des appétits, elle fut jugée digne de constituer, en vertu d'un arrêté du Directoire, la bibliothèque de l'Institut.
Un arrêté de 1804, signé de Frochot, premier Préfet de la Seine, eut pour effet de reconstituer, à partir des bibliothèques des écoles centrales supprimées par le gouvernement consulaire, la Bibliothèque de la Ville. Transféré en 1817 dans les bâtiments de l'Hôtel de Ville, ce deuxième établissement connut un sort plus tragique que le premier : il périt dans l'incendie de 1871.
Dès 1872, l'érudit conservateur du dépôt qui venait de disparaître, Jules Cousin, renouvelant le geste du procureur Moriau, mettait à la disposition de la Ville ses collections personnelles : 6.000 volumes et 10.000 estampes, le tout (sans parler des objets qui devaient former l'embryon du Musée Carnavalet) consacré à l'histoire de Paris. Ainsi naquit la troisième bibliothèque municipale ; ainsi, également, prit-elle dès l'origine un caractère qui la distingue des précédentes ; bibliothèque spécialisée, et non plus universelle, elle a trouvé dans cette spécialisation même sa véritable raison d'être : après plus de trois quarts de siècle, elle demeure essentiellement consacrée à l'histoire de Paris.
Que ce domaine soit assez vaste, l'oeuvre du fondateur et de ses successeurs le démontre. Lorsqu'il cessa ses fonctions, en 1893, Jules Cousin laissait à la Ville, après vingt ans d'efforts, une bibliothèque de 100.000 volumes. Son principal accroissement lui était venu de la donation du marquis de Lies-ville : 7.000 livres et brochures de cette période de la Révolution française pendant laquelle l'histoire de Paris se confondit presque chaque jour avec celle de toute la nation ; depuis lors, la Bibliothèque a pu, sans s'écarter de son programme, se faire de l'histoire de la Révolution de 1789 comme une spécialité secondaire qui lui donne rang, dans ce domaine, aussitôt après la Bibliothèque nationale.
Ainsi enrichies, les collections de la Bibliothèque historique, d'abord installées à l'hôtel Carnavalet, durent émigrer, pour y vivre plus au large, dans une maison voisine : elles furent transférées en 1898 au 29 de la rue de Sévigné, dans le bel hôtel construit à la fin du XVIIe siècle par Bullet pour un membre de la famille Le Peletier et connu sous le nom d'hôtel Le Peletier de Saint Fargeau. C'est là qu'elle a continué de prospérer au point d'y être aujourd'hui à l'étroit.
Son fonds d'imprimés compte maintenant à lui seul plus de 400.000 volumes ou brochures. Si tous ont été acquis comme des instruments de travail, beaucoup sont, de surcroît, des pièces rares : la « Réserve » peut s'enorgueillir de 120 incunables, de plusieurs milliers d'impressions du XVIe siècle, d'une collection de reliures ornées comprenant de précieux spécimens de l'art parisien du XVIe siècle et, pour les deux siècles suivants, quelques centaines de beaux exemplaires, souvent décorés des armoiries d'amateurs parisiens.
Aux chercheurs qu'attire le passé de Paris - érudits, professeurs, étudiants ou simples curieux - cet ensemble procure des ressources qu'on s'efforce d'accroître chaque jour : le service des acquisitions s'applique, en effet, à une double tâche : d'une part, combler les lacunes du fonds ancien ; d'autre part, choisir dans la production contemporaine soit les travaux qui contribuent à éclairer le passé de la capitale, soit les témoignages sur les activités parisiennes d'aujourd'hui qui fourniront des matériaux à l'historien de demain. Mais si l'histoire de Paris, celle d'hier comme celle d'aujourd'hui, présente assez d'aspects divers pour requérir l'attention des spécialistes de disciplines distinctes - histoire politique, économique, sociale, littéraire, artistique, etc. - elle ne peut jamais, d'autre part, s'étudier isolément ; c'est pourquoi les ressources même qu'elle destine aux spécialistes lui permettent - l'expérience le prouve - de satisfaire aux curiosités d'un public plus large.
Le fonds général des imprimés l'emportant par le nombre, il s'en faut, cependant, qu'il soit la seule ressource de la maison ; tout un ensemble de richesses diverses s'y ajoute : une suite de plans gravés et manuscrits unique pour l'histoire topographique de la capitale ; des séries de photographies essentielles pour la connaissance du Paris du XIXe siècle, de ses rues, de ses moeurs, de sa vie quotidienne ; des centaines de dossiers dits d' « Actualités » où voisinent coupures de presse, catalogues, programmes et pièces de circonstances qui, groupés méthodiquement, acquièrent une précieuse valeur documentaire ; providence des journalistes, des chroniqueurs, des historiens, cette très originale collection l'est aussi des organisateurs d'expositions. Celle des affiches offre des ressources du même ordre, qu'il s'agisse, par exemple, de la Révolution de 1848 ou des sombres années de l'occupation allemande. La collection de périodiques s'alimente régulièrement de quelques 200 revues, bulletins ou journaux. Enfin, une mention spéciale doit être réservée au Cabinet des manuscrits : une politique d'acquisition poursuivie depuis l'origine avec persévérance a permis de rassembler ici 2.000 volumes et plus de 100.000 pièces : papiers d'érudits, comme les inestimables notes prises par Théodore Vacquer au cours des fouilles faites au XIXe siècle dans le sous-sol parisien ou les dossiers constitués pour ses publications sur l'histoire de Paris par Marcel Poëte, conservateur de la Bibliothèque pendant plus de vingt ans, mais aussi documents originaux de toutes sortes (titres, correspondances, nouvelles à la main, manuscrits d'oeuvres littéraires ou théâtrales, etc.) qui complètent les ressources documentaires des grands dépôts d'archives et de la Bibliothèque nationale. Ici encore, c'est à l'histoire de Paris sous tous ses aspects que les recueils et les cartons de la rue de Sévigné apportent leurs matériaux. Si tous les documents du Moyen Age et du XVIe siècle y sont assez rares, le XVIIe siècle y est bien représenté, et plus encore le xVIIIe (avec, notamment, un choix exceptionnel de lettres de Voltaire), la Révolution française (près d'une centaine de cartons) et le xIxe siècle (papiers de Ledru-Rollin, de Michelet, original des procès-verbaux de la Commune de 1871, etc).
Tâche essentielle, l'accroissement des collections est loin de représenter à elle seule l'activité du personnel scientifique de la Bibliothèque - modeste équipe de six personnes aujourd'hui, contre huit en des temps meilleurs. Pour l'exploitation de ses diverses richesses, la Bibliothèque met en effet à la disposition de ses lecteurs de nombreux instruments de recherche qu'elle s'applique, au prix d'efforts quotidiens, à tenir à jour, à perfectionner, à multiplier : son catalogue général est conçu comme une sorte de bibliographie parisienne ; son « Fichier central de documentation parisienne », en cours de constitution, si incomplet qu'il soit encore, donne accès dès maintenant à nombre de travaux de détail qu'aucune bibliographie ne permettrait de déceler ; grâce à tel autre fichier on peut explorer, pour les recherches de topographie ancienne notamment, certaines séries parmi les plus riches des Archives nationales ; tel autre encore fournit des réponses aux questions d'iconographie.
Oeuvre collective des bibliothécaires, ces instruments de travail, des plus anciens au plus récents, procèdent tous d'une même pensée, du même désir de servir l'histoire de Paris. Ils attestent que la Bibliothèque, à travers des vicissitudes passagères, est demeurée fidèle à l'esprit de son fondateur. Mais encore n'a-t-on pas tout dit si l'on n'ajoute qu'elle se rattache aussi à une tradition beaucoup plus ancienne, à celle du grand prévôt des marchands du début du xVIIIe siècle, Michel-Etienne Turgot.
Si, en effet, l'honneur est revenu à Moriau de constituer la bibliothèque parisienne dont le prévôt des marchands avait conçu le projet, c'est, en revanche, à Turgot lui-même qu'avait été due la désignation d'un « historiographe de la Ville ». Or, c'est en renouant avec cette tradition que le baron Haussmann créait, en 1865, l'organisme qui survit aujourd'hui sous le nom de « Service des travaux historiques de la Ville de Paris ». Intimement lié à la Bibliothèque, ne comptant d'autre personnel que celui de cet établissement, il a la charge des publications que fait entreprendre la Ville de Paris sous le contrôle d'une commission où voisinent les représentants du Conseil municipal, de l'Administration et des grands corps savants. Ce n'est pas ici le lieu de dresser le bilan de l'oeuvre considérable accomplie dans ce domaine ; qu'il suffise d'évoquer les principaux travaux en cours : continuation des Registres des délibérations du Bureau de la Ville, des Comptes du domaine de la Ville, de l'Epitaphier du Vieux Paris, du Sommier des biens nationaux; de la Ville de Paris, du Terrier de la censure de l'archevêché dans Paris ; publication nouvellement entreprise de l' Inventaire général des antiquités gallo-romaines de Paris ; recherches d'histoire municipale contemporaine, préparation des monographies des anciennes communes d'Auteuil, Passy, Batignolles-Monceau, Montmartre et Belleville, annexées à Paris au 1er janvier 1860. C'est à la Bibliothèque historique, siège du Service des travaux historiques, que se coordonnent ces activités érudites et qu'aboutissent leurs résultats. Enfin, par suite d'un accord récemment intervenu entre la Direction des Bibliothèques de France et la Direction des Beaux-Arts de la Ville de Paris, c'est encore à ce Service que va revenir l'honneur de procurer l'impression de la Bibliographie des impressions parisiennes du XVIe siècle préparée à la Bibliothèque nationale d'après les manuscrits de Philippe Renouard.
Ainsi héritière à la fois de la pensée de Jules Cousin et des desseins de Turgot et de Moriau, la Bibliothèque historique ne pouvait rêver, pour son extension nouvelle, de cadre plus approprié que celui qui se prépare pour elle rue Pavée : au berceau même de la première bibliothèque de la Ville, un hôtel de Lamoignon rénové et considérablement agrandi. Dans le vénérable bâtiment dont la restauration s'achève seront installés la grande salle de lecture, les bureaux de l'administration et du personnel, ainsi que plusieurs salles propres au Service des travaux historiques. Une deuxième étape de travaux procurera les locaux destinés à la consultation des plans et des photographies et surtout une vaste construction à usage de magasins qui, à elle seule, abritera, sur six étages et dix-huit kilomètres de rayonnages (près du double de ce dont on dispose rue de Sévigné) la quasi-totalité des collections.
Revenant à ses plus lointaines origines, la Bibliothèque historique ne pourra manquer d'être plus que jamais, selon le mot de Marcel Poëte, «la maison commune de l'histoire de Paris ».