Index des revues

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    Le R.P. Louis Jacob de St-Charles (1608-1670)

    Fondateur de la bibliographie nationale en France

    Par Louise-Noëlle Malclès
    Par Guillaume Colletet
    Par François Colletet

    Au milieu du XVIIe siècle, en France comme dans les pays voisins, la recherche bibliographique est un travail complémentaire de la recherche historique. Ceux qui s'y complaisent sont des hommes cultivés, parfois des savants de renom, qui lisent, analysent et commentent les textes anciens relevant de préférence d'une discipline où ils sont plus ou moins passés maîtres ; ils s'intéressent d'abord aux auteurs de ces textes dont ils aiment à retracer la vie ; le livre en lui-même, en tant que support de la pensée, les laisse assez indifférents. Par ailleurs, ils ne sont pas attirés par les toutes dernières manifestations du savoir ou n'ont pas les moyens de les atteindre ; il faudra la création du Journal pour que naisse et se développe cette nouvelle forme de curiosité. (Le Journal des sçavans ne sera fondé qu'en 1665).

    L'histoire littéraire est alors, de toutes les sciences, celle qui suscite le plus de recherches et l'on a voulu voir, dans les innombrables Bibliothèques qui lui sont alors consacrées, les ébauches de nos actuelles bibliographies nationales. Cette analogie n'est qu'apparente ou mieux symbolique, car les Bibliothèques - nationales il est vrai, par la langue des auteurs dont elles rendent témoignages - ne reflètent que l'activité des écrivains de telle ou telle nation et des écrivains seulement, ce qui ne permet d'établir aucune similitude réelle entre ces premiers essais et la bibliographie nationale de conception moderne ; les deux genres diffèrent autant et plus par l'esprit que par la forme. Tout le XVIIe siècle et le XVIIIe sont jalonnés de Bibliothèques littéraires ou dictionnaires bio-bibliographiques d'écrivains qui ont servi de sources d'informations pendant plus de deux siècles.

    Cependant, dans le même temps où s'acharnent ceux que l'on a pu appeler des « remueurs » de documents, se constitue une nouvelle catégorie de bibliographes qui se fraye péniblement sa place. Ces derniers venus découvrent le livre nouveau et pressentent tout ce qu'il renferme de stimulant pour les esprits ; ils le recherchent d'une façon désintéressée, sans tenir compte de leurs préférences (ainsi que l'avait déjà fait C. Gesner en 1545) et vont au-devant des besoins de ceux qui désirent connaître ce qui s'imprime jour après jour. Ainsi naît la bibliographie de métier.

    La Grande-Bretagne avait eu, en 1595, A. Maunsel, créateur des premiers inventaires de livres anglais, puis, au siècle suivant, W. London et R. Clavel ; au XVIIe siècle également, l'Allemagne avait eu G. Draud - qui étayait ses compilations sur les catalogues de foires de livres de Francfort et de Leipzig - et les anciens Pays-Bas, Broer Janz, libraire d'Amsterdam et Cl. Doresmieulx, de Bruxelles ; la France a le P. Jacob qui, pendant dix années sera à l'affût de la production des imprimeurs et la consignera dans deux répertoires annuels dont, au dire de ses contemporains, il est, en France, l'« inventeur ».

    Qui donc était le P. Jacob et comment a-t-il pu trancher sur les autres chercheurs de livres de son temps, jusqu'à mériter aujourd'hui le titre de fondateur de la bibliographie nationale moderne ?

    On sait malheureusement très peu sur ce novateur et l'unique source de renseignements que l'on possède sur lui, est un mémoire écrit par le Carme Cosme De Villiers de Saint-Etienne (né en 1683) dont le Barnabite Jean-Pierre Niceron s'est largement servi en 1739, dans les Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres et qui a été reproduit en latin, en 1752, par le même Cosme De Villiers, dans la Bibliotheca Carmelitana. Les Mémoires de Niceron ont été largement mis à contribution par la suite et jusqu'à la fin du XIXe siècle, par tous les biographes. On cherche en vain une étude originale éclairant mieux la personnalité du P. Jacob ou précisant les étapes de son activité, ainsi que les conditions où celle-ci s'est exercée.

    Le P. Jacob naît en 1608 à Châlon-sur-Saône et meurt en 1670 à Paris. Il entre dans l'Ordre des Carmes en 1625. Il est à Lyon en 1643 et à Paris à partir de 1644 et se dit lui-même Conseiller et Aumônier du roi puis, en 1652, Bibliothécaire de Jean-François-Paul de Gondi, le coadjuteur de l'Archevêque de Paris, Cardinal en 1651 et Archevêque en 1654. C'est entre 1645 et 1654 que 1e P. Jacob déploie sa grande activité de bibliographe et il semble bien que ce soit ses nouvelles fonctions chez l'Archevêque de Paris, à partir de 1652, qui l'aient brusquement interrompue. Il meurt chez Achille de Harlay, Premier président du Parlement, dont il est devenu Bibliothécaire, vraisemblablement en 1662, lorsque le Cardinal de Retz s'est démis de sa charge.

    Tous les biographes s'accordent pour faire du P. Jacob un travailleur acharné et fécond. Sa curiosité d'historien, les nombreux voyages qu'elle entraine, notamment à Rome, sa fréquentation des bibliothèques, ainsi que ses relations avec de nombreux savants, lui permettent de laisser après lui, vingt-sept oeuvres publiées et plus de soixante à l'état de manuscrits ; les unes et les autres sont soigneusement décrites dans la Bibliotheca Carmelitana.

    C'est cet infatigable érudit, ce « déchiffreur » de manuscrits, d'inscriptions et d'épitaphes, auteur en 1643 de la Bibliotheca Ponlificia, en 1644 du Traité des plus belles bibliothèques et en 1652 de De claris scriptoribus Cabilonensibus qui se tourne résolument vers les livres nouvellement publiés en France et fait paraître, par ses seuls moyens, pendant dix années consécutives, la Biblio-graphia Parisina et la Bibliographia Gallica.

    Sous ces deux titres, se présentent neuf minces volumes de format petit in-4°, sortant visiblement de la même imprimerie non désignée ; leurs caractères élégants - italiques pour les feuillets liminaires, romains pour le texte, - les lettres ornées, les bandeaux désignent le même atelier. Les libraires éditeurs à qui le P. Jacob a cédé son privilège, sont d'abord Rolet Le Duc, ensuite Jean Camusat et Pierre Le Petit, puis Sébastien Cramoisy, le directeur de l'imprimerie royale fondée en 1640.

    Chacun des volumes est dédié par Jacob à un personnage éminent et les épitres dédicatoires en latin sont suivies, dès le second volume et selon l'usage du temps, de nombreuses pièces de vers, odes, sonnets, quatrains, distiques et épigrammes adressées en hommage à l'auteur et à la bibliographie et dont les thuriféraires se disent théologien, docteur en médecine, avocat au Parlement, académicien, poètes et religieux. Dans les inventaires qui leur font suite, les livres imprimés à Paris sont séparés de ceux imprimés dans les autres villes de France ; mais à partir de 1651, la distinction d'origine n'est plus maintenue et les livres de Paris sont mélangés avec ceux de la Province. L'ensemble des deux bibliographies se décompose de la façon suivante :

    • 1 - Bibliographia Parisina 1643 et 1644. Rolet Le Duc, 1645, 7 ff.n.ch., 108 p. Epître à Gabriel Naudé. Epître au lecteur.
    • 2 - Bibliographia Parisina 1645. Rolet Le Duc, 1646, 11 ff.n.ch., 52 p. Epître à Gui Patin. Epître au lecteur. Le libraire au lecteur.
    • 3 - Bibliographia Gallica universalis 1643, 1644 et 1645. Rolet Le Duc, 1646, 3 ff.n.ch., 26 p. Epître à Jacques Mantel. Epître au lecteur.
    • 4 - Bibliographia Gallica universalis 1646. Jean Camusat et Pierre Le Petit, 1647, 5 ff.n.ch., 64 p. Epître à Guillaume Colletet. Ce volume contient Bibliographia Parisina, pp. 1-50 et Bibliographia Gallica, pp. 51-64.
    • 5 - Bibliographia Parisina 1647 et 1648. Sébastien Cramoisy, 1649, 5 ff.n.ch., 52 p. Epître à Pierre et Jacques Dupuy.
    • 6 - Bibliographia Parisina 1649. Sébastien Cramoisy, 1650, 2 ff.n.ch., 29 p. Epître à Achille de Harlay.
    • 7 - Bibliographia Parisina 1650. Sébastien Cramoisy, 1651, 5 ff.n.ch., 32 p. Epître à Sébastien Cramoisy.
    • 8- Bibliographia Gallica universalis 1651. Sébastien Cramoisy, 1652, 3 ff.n.ch., 47 p. Epître à Gilles Ménage. Ce volume contient les livres de Paris et des villes de France.
    • 9 - Bibliographia Gallica universalis 1652 et 1653. Sébastien Cramoisy, 1654, 3 ff.n.ch., 92 p. Epître à Abraham de Wickfort. Ce volume contient les livres de Paris et des villes de France.

    En résumé, la Bibliographia Parisina a été produite pour les années 1643 à 1653 comprise, tandis que la Bibliographia Gallica ne l'a été que pour les années 1643 à 1646 comprise et 1651 à 1653 comprise.

    Le P. Jacob distribue les ouvrages sous neuf rubriques de sciences dont certaines sont à leur tour subdivisées, ce qui donne au total, avec quelques changements d'une année à l'autre, 28 à 30 sections : 12 pour la théologie, 2 pour la jurisprudence, 3 pour l'histoire, 2 pour la philosophie, 1 pour les mathématiques (qui englobent avec l'astronomie, toutes les sciences physiques et les arts), 1 pour la médecine (qui absorbe avec la chimie, toutes les sciences de la nature), 5 pour la philologie, 1 pour la bibliologie et 1 pour les hétérodoxes. L'ordre de présentation dans chaque section n'est pas distinct, ce qui permet de supposer que les titres de livres étaient juxtaposés sur des feuillets au fur et à mesure où Jacob en prenait connaissance et les notait pour l'impression. Ces titres sont toujours transcrits intégralement sans coupures ni abréviations et sont suivis de l'adresse bibliographique complète, à l'exception du nombre de pages et du prix. Les index font défaut, mais Jacob, dans son épître à Sébastien Cramoisy, au volume cinquième, exprime le souhait que son éditeur en assume la charge, ce qui prouve que leur utilité ne lui avait pas échappé.

    Dans son épître au lecteur, au volume premier, le P. Jacob expose les moyens qu'il croit pouvoir utiliser pour réaliser son oeuvre et ses explications sont renouvelées en français, au volume deuxième, dans l'épître au lecteur du libraire Rolet Le Duc. Il en ressort que Jacob n'attendait une aide indispensable que de la bonne volonté des imprimeurs et libraires, ainsi que de tous les amis et amateurs de livres. Au volume troisième, il remercie ses collaborateurs bénévoles et ce sont, en effet, avec les libraires, ses confrères, prêtres et religieux, qui, de Lyon, Dijon, Toulouse, etc., lui envoient leurs informations.

    Quels enseignements peut-on tirer aujourd'hui de l'examen des bibliographies du P. Jacob ? Comment son initiative a-t-elle été accueillie par ses contemporains ? Et jugée par les générations suivantes ?

    Il est incontestable que les neuf petits volumes constituent des sources de renseignements importants sur le livre au XVIIe siècle, c'est-à-dire, sur l'histoire de l'imprimerie et de la librairie et, d'une façon plus générale, sur l'état des connaissances à cette époque ; ils nous apprennent quels étaient alors les livres préférés, autrement dit les disciplines les plus cultivées et donnent un aperçu du niveau moyen des sciences. Quelques chiffres fournissent d'utiles indications sur ces sujets. Ainsi, le nombre de livres imprimés à Paris s'élève à 329 en 1645, 217 en 1649, 228 en 1650 et celui des livres imprimés en France en 1651, à 383. Pour cette dernière année, la répartition des livres par sciences est la suivante : Théologie : 138, Jurisprudence : 21 ; Histoire : 72 ; Philosophie : 14 ; Médecine (y compris chimie et sciences de la nature) : 25 ; Mathématiques (y compris sciences physiques et arts) : 5 ; Philologie : 48 ; Biblio-logie : 5 ; Hétérodoxes : 12 ; Appendix : 43.

    Quant au système de classification adopté par le P. Jacob, il est très significatif des idées que pouvait avoir sur la question un religieux du XVIIe siècle, puisqu'il accorde, ainsi qu'on l'a vu déjà, 12 divisions à la théologie, 2 à la jurisprudence, 3 à l'histoire, 2 à la philosophie, 5 à la philologie et 2 seulement à toutes les sciences exactes et appliquées, y compris les arts.

    Les contemporains du P. Jacob semblent avoir eu conscience de l'intérêt de son travail. Tous les morceaux de circonstance qu'il inspire à des personnages très divers témoignent - compte tenu de la part de flatterie qui entre dans tout éloge trop direct - d'un véritable sens de la bibliographie nationale. Cette constatation est surprenante si l'on songe au recul de celle-ci, en France, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Il faudra, en effet, attendre 1763 pour que se renouvellent d'autres tentatives du genre de celle de Jacob.

    Un siècle environ après le P. Jacob, les jugements énoncés sur lui sont plus réticents et démontrent que l'utilité de ses répertoires échappe totalement. Niceron, déjà nommé, commence en 1739 par écrire au sujet du P. Jacob et de ses bibliographies (et ses réflexions seront reprises textuellement jusqu'à la fin du XIXe siècle) : « Sa connaissance des livres était superficielle et se terminait à ce qu'ils avaient d'extérieur », et encore : « Les livres sont rangés suivant l'ordre des Facultés ; comme le P. Jacob n'a rien ajouté aux titres qu'il s'est contenté de copier, il n'y a rien de lui dans ces recueils qui peuvent cependant avoir leur utilité ». Niceron ne trace-t-il pas ainsi, sans le vouloir, ni le savoir, les traits mêmes de toute bibliographie dite, de nos jours, nationale ? Et de le faire avec un si parfait naturel n'est-ce pas, décerner à l'oeuvre incomprise un brevet d'authenticité ?

    En 1752, le Dictionnaire de Trévoux affirme de son côté, et contre toute clairvoyance, en parlant des compilations de Jacob : « Les journaux rendent maintenant une pareille bibliographie inutile». F. Hoefer, en 1861, en reprenant cette appréciation ne se montre pas plus intuitif dans sa Biographie universelle et cependant la Bibliographie de la France vivait alors et prospérait depuis 1810 et avait été précédée de plusieurs essais depuis 1763.

    Du moins, notre pionnier n'a-t-il pas manqué, pendant qu'il travaillait, de motifs de satisfaction, ne serait-ce qu'en recevant les encouragements des hommes de son temps d'une pénétration beaucoup plus fine. On ne peut résister au plaisir de rappeler ceux de l'Académicien Guillaume Colletet et de son fils François, parmi les plus savoureux et aussi les plus perspicaces.

    EPIGRAMMES

    Au Révérend Père Louys JacobReligieux Carmesur sa Bibliographiede l'an 1645

    Puisque ce livre seul en faict voir plus de mille,Nostre siècle a-t-il fait un livre plus utileN'y plus digne des yeux de la postérité ?Jacob, fameux autheur de ce fameux ouvrage,Si la France défère à mon juste suffrageTu recevras l'honneur que mille ont mérité.

    Lorsque je voy dans ton ouvrageCes chef d'oeuvres d'esprit des scavans de nostre âge,J'admire les thrésors que ton soin nous départJacob, dont les escrits ont des charmes supresmes.Tu ranges dans les tiens les leurs avec tant d'artQu'ils paraissent plus beaux chez toy que chez eux-mesmes.

    (1). Cet article est le résumé d'une étude plus développée qui doit paraître dans les Mélanges offerts à M. Franz Calot. retour au texte