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La lecture de l'ouvrage documentaire dans les bibliothèques à rôle éducatif

1960

    La lecture de l'ouvrage documentaire dans les bibliothèques à rôle éducatif

    Compte-rendu d'une enquête effectuée par la section des petites et moyennes bibliothèques à rôle éducatif

    Par Jean Hassenforder, Documentaliste attaché au Service de la recherche de l'Institut pédagogique national

    Dans les bibliothèques de prêt à rôle éducatif, on distingue généralement deux catégories d'ouvrages : les romans et les ouvrages classés en fonction de la classification décimale dont la plupart ont un caractère documentaire (1) .

    Le rapport entre le prêt de romans et celui d'ouvrages documentaires est un indice précieux sur le niveau culturel de la lecture dans une bibliothèque. Un pourcentage très faible de prêts d'ouvrages documentaires indique souvent que le souci d'évasion l'emporte de loin sur le souci de documentation et d'instruction. Dans ce cas la lecture risque d'être de faible qualité. Bref, la diversité des intérêts est la marque d'un milieu évolué (2) .

    Les résultats de cette enquête permettent de mieux connaître ce que le public demande actuellement, en quoi ses intérêts évoluent et quelle doit être l'action éducative du bibliothécaire face aux différents publics dont certains sont réticents, voire hostiles. Les suggestions des bibliothécaires aux éditeurs permettront une meilleure adaptation de la production de livres aux besoins. Enfin, ce travail permet de dégager des perspectives d'action, telles qu'elles résultent d'une réflexion commune de bibliothécaires attachés à leur métier.

    I. - VISAGE DE L'ENQUÊTE

    Un questionnaire sur la lecture de l'ouvrage documentaire a donc été envoyé à 150 bibliothécaires. Nous avons reçu 36 réponses en provenance de différentes catégories de bibliothèques. La composition est la suivante :

    13 bibliothèques municipales, 11 bibliothèques d'entreprises, 6 bibliothèques de l'enseignement secondaire ou technique, 2 « bibliothèques pour tous » (y compris une réponse générale de la Fédération), 4 bibliothèques diverses.

    La plupart des réponses proviennent de la Région parisienne ou de la périphérie, 8 seulement proviennent de province. Cet échantillon n'est pas scientifiquement représentatif, mais la diversité des réponses garantit néanmoins que les résultats obtenus reflètent certaines tendances et certains problèmes qu'on peut observer dans les bibliothèques à rôle éducatif. Certains faits apparaissent clairement.

    II. - LE PUBLIC

    Quelles sont les attitudes des différentes catégories de lecteurs par rapport à l'ouvrage documentaire ?

    Le fait majeur est l'opposition entre les comportements masculins et féminins. Dans 16 réponses, on mentionne que ce sont les hommes qui lisent le plus d'ouvrages documentaires tandis que dans 21 questionnaires, on indique que ce sont les femmes, ou certaines catégories féminines qui en lisent le moins (66 % des réponses valables). Ces chiffres sont extrêmement significatifs, les tendances propres aux groupes d'âge et aux milieux sociaux étant moins nettement marqués. Il y a, chez beaucoup de femmes, un désir d'évasion, de détente. L'ouvrage documentaire est jugé difficile et l'on préfère la forme plus agréable du roman. Le roman sentimental est très goûté, car il alimente une forte sensibilité.

    Les attitudes varient selon les âges. - Les hommes adultes semblent être les plus enclins à lire des documentaires (fait mentionné dans 7 réponses). Chez les femmes, l'âge influe également. Dans les lycées de filles, certaines classes sont particulièrement rebelles aux documentaires ; ainsi les classes de 4e et de 3e, dont les ressortissantes traversent la crise de l'adolescence, se tournent vers le roman qui peut nourrir leur sensibilité. La bibliothécaire du collège Edgar-Quinet, Mme Gourgand, note ainsi : « Les élèves de troisième sont, dans tous les domaines, les lectrices les mois assidues. Elles se trouvent trop grandes pour les ouvrage du Premier Cycle, en général. » « Ce sont les élèves de sixième et celles de quatrième qui lisent le moins de documentaires », note Mme Dalimier, bibliothécaire au lycée La Fontaine. « Les Sixièmes connaissent mal les documentaires qui leur apparaissent comme des ouvrages ennuyeux et difficiles. Les Quatrièmes, en pleine crise romanesque, sont rétives par principe». On lit davantage, semble-t-il, dans les classes terminales. Chez les femmes qui n'ont pas fait d'études particulières, il semble que ce soient les adultes qui lisent le plus d'ouvrages documentaires. Certaines jeunes femmes ne peuvent se détacher du roman d'amour. Les personnes âgées lisent souvent peu de documentaires, fait mentionné dans une dizaine de réponses.

    Le niveau culturel explique également les comportements. - « Les femmes s'intéressent peu aux documentaires», note Mlle R. de Pèchebrun, bibliothécaire aux Forges de Moyeuvre. « Moins elles ont fait d'études et moins elles en lisent...» Les hommes peu cultivés se détournent également de cette lecture.

    Les attitudes varient en fonction des milieux sociaux, mais nous ne disposons pas d'un nombre suffisant de réponses pour tirer des conclusions définitives. L'ouvrier semble souvent un bon lecteur d'ouvrages documentaires alors que, parfois, l'employé de bureau paraît plus réticent. Certains témoignages sont particulièrement intéressants. A la bibliothèque de la Régie Renault, à Flins, la bibliothécaire, Mme Guillet, note que les ouvrages documentaires sont particulièrement lus par les ouvriers entre 30 et 40 ans ; « ils sont très peu lus par les jeunes, très peu par les employés, assez peu par les cadres et pas du tout par les femmes ». Dans une bibliothèque d'entreprise du Calvados, les ouvrages documentaires sont lus particulièrement par les ingénieurs et les ouvriers, en général par ceux qui travaillent à l'usine même. Le personnel des bureaux est celui qui manifeste le moins d'intérêt. Les employés «donnent l'impression de tout savoir» et «ne s'intéresser qu'à l'ouvrage dont tout le monde parle ». Quelle part de vérité contient cette boutade ? Il serait intéressant d'interroger à ce sujet l'ensemble des bibliothécaires d'entreprises.

    Bien entendu les ouvrages documentaires demandés en prêt varient selon les catégories de lecteurs. Il serait souhaitable d'entreprendre des recherches sur ce problème fondamental, les éléments recueillis au cours de cette enquête ne permettant pas de répondre d une façon scientifique. Plusieurs réponses mentionnent par exemple que les femmes intéressées par le romanesque empruntent aussi parfois quelques documentaires sur les voyages. Peut-on, à partir de cet intérêt, élargir leurs préoccupations ? Plus généralement, à partir de quelles catégories d ouvrages peut-on intéresser les différents milieux aux documentaires ? Quelles sont les raisons profondes de l'opposition à l'ouvrage documentaire manifestée par certaines catégories de lecteurs et comment peut-on y remédier ? Telles sont quelques-unes des questions qui se dégagent de cette recherche.

    III. - ANALYSE DE LA DEMANDE

    Le pourcentage des ouvrages documentaires dans les prêts à domicile.

    35 bibliothèques ont répondu à cette question.

    Le pourcentage est inférieur à 20 % dans 6 bibliothèques ; compris entre 20 et 29 % dans 15 (43 % des réponses) ; compris entre 30 et 39 % dans 9 ; égal ou supérieur à 40 % dans 5.

    11 y a autant de bibliothèques prêtant moins de 25 % que davantage. Parmi les 8 bibliothèques prêtant plus de 35 %, on compte 4 bibliothèques municipales parisiennes où empruntent un nombre important d'étudiants et de lycéens, deux bibliothèques d'entreprises (Radiotechnique et Renault à Flins), la bibliothèque du cours professionnel de la Régie Renault, la bibliothèque d'un centre social (La Croix Saint-Simon). Les causes d'un prêt élevé apparaissent ainsi comme diverses : présence d'un public réceptif, mais aussi présence d'un bibliothécaire efficient.

    Dans l'échantillon étudié, le pourcentage du prêt d'ouvrages documentaires est, depuis cinq ans, en augmentation dans 55 % des réponses, station-naire dans 34,5 %, en régression dans 10,5 %. Il semble donc y avoir une tendance à l'augmentation.

    Comment se répartissent les prêts en fonction des rubriques de la classification décimale ?

    Deux tiers des correspondants ont répondu à cette question statistique.

    Pour chaque réponse, nous avons pu affecter un rang à chaque catégorie, en fonction du nombre d'ouvrages prêtés et en récapitulant, nous avons pu constater que les ouvrages portant sur certaines disciplines sont très demandés, et qu'à l'inverse d'autres rubriques sont délaissées. C'est ainsi que la géographie occupe occupe une des trois premières places dans 17 bibliothèques (71 % de celles qui ont répondu) ; l'histoire dans 16 (67 %) ; la littérature dans 12 (50 %), les biographies dans 12 et puis, bien loin derrière, les sciences appliquées (classe 600), dans 4, les sciences (classe 500) dans 3, les beaux-arts et la philosophie dans 2. En fait, si l'on calcule pour chaque catégorie le rang moyen, on constate que les rubriques les plus demandées sont d'abord l'histoire et la géographie, puis la littérature et les biographies. Les deux catégories scientifiques, 50 et 600 et les beaux-arts, occupent un rang intermédiaire. La philosophie et les sciences sociales viennent ensuite, les rubriques les moins demandées étant la religion et en dernière place la linguistique (400).

    Bien entendu il est difficile d'interpréter ces témoignages généraux, les grandes catégories de la classification décimale recouvrant souvent des réalités fort différentes. On s'intéresse, par exemple, aux événements politiques et sociaux du proche passé, ou aux récils des deux guerres sans, pour cela, aimer l'histoire d'autrefois. On peut lire des ouvrages de psychologie sans jamais consulter l'oeuvre des grands philosophes. Il serait utile également de comparer la répartition des fonds et celle des prêts. S'il y a, par exemple, très peu d'ouvrages religieux sur les rayons, il est peu probable que cette catégorie donne lieu à un prêt important.

    Comment expliquer l'intérêt suscité par les catégories les plus demandées ?

    Dans 11 réponses (un tiers des réponses valables), on mentionne le désir de se tenir au courant de l'actualité. Cette motivation, très importante, semble conditionner le choix de nombreux ouvrages : biographies de personnalités contemporaines, livres sur les événements politiques récents ou sur les recherches scientifiques à l'ordre du jour... Quelques réponses (6), mentionnent l'influence des grands mass-media : presse, cinéma, télévision.

    « Histoire, voyages, biographies rencontrent beaucoup de succès. Ces trois genres sont ceux qui s'adressent le plus à tous les âges et à toutes les cultures. » Cette réflexion de Mme Ph. Dupont (Bibliothèque pour tous, Douai) exprime parfaitement la réalité. Le grand choix en ce domaine, la présentation attrayante de beaucoup d'ouvrages figurent parmi les raisons du succès.

    En histoire, l'intérêt particulier de l'archéologie semble avoir été suscité par la publication de quelques très bons ouvrages. Les récits de la dernière guerre sont également particulièrement mentionnés. Les événements contemporains suscitent une demande importante.

    Il est facile de comprendre pourquoi les ouvrages de voyages rencontrent une grande faveur. Les vacances prennent actuellement une si grande importance, les agences se multiplient, les sports d'hiver exercent un réel attrait et on connaît le succès des films en couleur sur certains pays exotiques.

    La littérature (classe 800) n'est pas généralement appréciée. L'attitude devant la littérature apparaît comme très différente selon les bibliothèques. Ces livres sont, semble-t-il, surtout lus par les étudiants et par les lycéens. La littérature n'occupe un rang satisfaisant que grâce aux bibliothèques municipales et aux bibliothèques de lycées.

    Les ouvrages de vulgarisation scientifique et technique sont de plus en plus lus, mais les catégories 500 et 600 occupent encore un rang intermédiaire comme les beaux-arts.

    Certaines rubriques enfin exercent peu d'attrait. Pourquoi ?

    Elles apparaissent comme étant trop ardues et les ouvrages classés dans cette catégorie semblent trop sévères.

    « Les lecteurs, en général, viennent chercher de quoi se distraire plus que de quoi réfléchir ou s'instruire», note Mlle R. de Pèchebrun (Bibliothèque des Forges de Moyeuvre), « il faudrait dans les catégories 100, 200, 300, 400, 800, trouver des ouvrages qui les « cultivent » tout en restant attrayants et ne réclamant pas un effort d'attention trop soutenu...»

    Mme de Grolier (Bibliothèque municipale de Boulogne-Billancourt) fournit une autre raison : « Les catégories délaissées » sont celles qui ne peuvent être choisies ni pour le loisir, ni pour une nécessité d'étude précise (200-400). »

    La philosophie comme la littérature est demandée par les étudiants, mais ignorée par une vaste fraction du public. Les sciences sociales paraissent assez délaissées et ce fait est particulièrement regrettable si l'on considère, la nécessité actuelle de l'éducation civique.

    Les ouvrages sur la religion sont généralement peu demandés. Cette défaveur est relative. Dans les « Bibliothèques pour tous », dépendant de l'Action Catholique Générale Féminine, considérons les statistiques de prêt : la rubrique religieuse occupe la quatrième place, après les biographies, les voyages, l'histoire. Le pourcentage est néanmoins relativement faible : environ 10 % du prêt d'ouvrages classés, alors que les fonds en ce domaine sont importants. « Il est certain, note-t-on dans la réponse du service « Culture et Bibliothèque » de l'A.C.G.F., que beaucoup de lecteurs lisent encore pour se distraire plus que pour se cultiver et pour trouver une réponse à des problèmes. » On retrouve la nuance apportée par Mme Libarelli (Bibliothèque centrale du 14e arrondissement) à propos de la faible demande des ouvrages de la catégorie 200 : « Cela ne veut pas dire baisse du sentiment religieux. On lit. plutôt des ouvrages de philosophie, moins purement confessionnels...»

    La catégorie 400 n'intéresse que les spécialistes.

    Il y a des variations importantes dans la structure des prêts selon le type de bibliothèque.

    Voici, à titre d'exemple, les statistiques de prêt à domicile communiquées par plusieurs bibliothèques (nombre de volumes prêtés durant l'année 1958) :

    Bibliothèques municipales

    Bibliothèque Municipale, Paris 5e arrondissement :

    En plein quartier latin avec beaucoup de lecteurs étudiants ou lycéens.

    • Philosophie____ 3 642 ( 7,74 %)
    • Religion ...... 1 255 ( 2,66 %)
    • Sociologie ___ 2 923 ( 6,21 %)
    • Linguistique... 945(2,00%)
    • Sciences ...... 3 539 ( 7,52 %)
    • Beaux-Arts ... 4 577 ( 9,73 %)
    • Littérature____ 16 946 (36,03 %)
    • Histoire-Géogr. 13 206(28,06%)

    Bibliothèque Municipale, Boulogne-Billancourt :

    Bibliothèque très active dans une agglomération à dominante industrielle.

    • 000 (3) ...... 1 731 ( 5,88 %)
    • 100 ......... 704(2,39%)
    • 200 ......... 444(1,5 %)
    • 300 ......... 990 ( 3,36 %)
    • 400 ......... 91(0,3 %)
    • 500 ......... 2 381 ( 8,09 %)
    • 600 .......... 2 866 ( 9,74 %)
    • 700 .......... 2 786(9,46%)
    • 800 .......... 6 837(23,23%)
    • 900 .......... 6 347 (21,57 %)
    • 910 .......... 3 712(12,61%)
    • O.L. (oeuvr. libr.) 535 ( 1,81 %)

    (La catégorie 000 contient la collection Que sais-je ?)

    Bibliothèques d'entreprise

    Bibliothèque. Régie Renault. Usine Pierre-Lefaucheux, Flins :

    • 100-200 ...... 56 ( 0,87 %)
    • 300 ......... 350(5,47%)
    • 400 ......... 83 ( 1,29 %)
    • 500 ......... 668 (10,44 %')
    • 600 ......... 1260(19,7 %)
    • 700 .......... 571 ( 8,93 %)
    • 800 .......... 113(1,76%)
    • 910 .......... 1 420 (22,21 %
    • 920 .......... 509 ( 7,96 %)
    • 940 .......... 1363(21,32%)

    Catégorie d'ouvrages documentaires les plus demandés :

    • - « Ouvrages sur la guerre de 1939-1945, surtout ce qui a trait à l'aviation et à la marine (lus par les hommes de 30 à 50 ans) et ouvrages sur l'histoire contemporaine ;
    • - Ouvrages portant sur la technique surtout automobile, évidemment, mais aussi sur les mathématiques, l'électricité (beaucoup suivent des cours du soir pour améliorer leur situation) ;
    • - Ouvrages sur les voyages, les vacances étant préparées longtemps à l'avance par des lectures sur la région choisie ;
    • - Ouvrages sur le jardinage, la pêche, la vie des animaux ;
    • - Ouvrages ayant trait à la construction et à l'installation des maisons (beaucoup s'installent et construisent eux-mêmes leur maison» (4) .

    Cette énumération reflète bien le goût d'un milieu ouvrier.

    Bibliothèque Radiotechnique, Suresnes :

    • 100................... 6 %
    • 200................... 1,2 %
    • 300................... 4 %
    • 400................... 0 %
    • 500-600 .............. 10 %
    • 700..................... 12 %
    • 800..................... 8 %
    • 900 et 930 ............. 26 %
    • 910..................... 24 %
    • 920..................... 9 %

    (Chiffres communiqués en pourcentage.)

    Bibliothèques de lycées

    Bibliothèque du lycée La Fontaine (lycée de jeunes filles), Paris (5) :

    • 100............ 565 (16,65 %)
    • 200............. 91 ( 2,68 %)
    • 300............. 41(1,2 %)
    • 400............. 2(0,005%
    • 500............. 167 ( 4,92 %)
    • 600 ........... 34 ( 1,00 %)
    • 700 ........... 91 ( 2,68 %)
    • 800 ........... 1231(36,28%)
    • 900 ........... 508(14,97%)
    • Biographies ___ 662 (19,51 %)

    On observe des variations appréciables selon les bibliothèques, notamment en ce qui concerne la philosophie et la littérature. Ainsi, si l'on compare le prêt des ouvrages de littérature dans les 8 bibliothèques municipales et dans les 8 bibliothèques d'entreprises nous ayant fourni des statistiques précises, on découvre que dans le premier cas, cette rubrique occupe quatre fois le premier rang et quatre fois le second ; que, dans le second cas, les rangs obtenus s'échelonnent du quatrième au neuvième rang. La littérature occupe également une place de choix dans les bibliothèques de lycée. De même, la philosophie est, semble-t-il, lue principalement par les étudiants et les lycéens.

    Evolution du prêt

    Depuis cinq ans, on enregistre un intérêt accru pour certaines catégories d'ouvrages documentaires. 27 bibliothèques ont répondu à cette question. 18 (67 %) mentionnent un intérêt accru pour la vulgarisation scientifique ou technique ; deux autres indiquant le goût actuel pour les problèmes de l'astronautique. Cette tendance, dont on se réjouira, apparaît donc comme extrêmement nette. 9 bibliothèques (33 %) indiquent une progression de la géographie et des voyages, 6 de l'histoire, 4 des biographies et 4 des sciences sociales. 3 bibliothèques municipales parisiennes mentionnent un intérêt accru pour la philosophie.

    Les auteurs préférés

    Y a-t-il des auteurs d'ouvrages documentaires particulièrement appréciés ? On a peu répondu à cette question (64 % de non-réponses). Il semble, en effet, que le lecteur s'intéresse surtout au sujet et à la collection.

    45 noms différents ont été cités dans 13 réponses. 5 seulement recueillent plus de 3 suffrages : Benoist-Méchin, les Gosset, Daniel-Rops, P. Rousseau, Teilhard de Chardin (4 mentions chacun).

    En résumé, le prêt d'ouvrages classés dans une bibliothèque moyenne est de l'ordre du quart du prêt global. Certaines rubriques semblent universellement demandées : histoire, voyages, biographies, l'actualité influençant le choix. La littérature est surtout choisie par les étudiants, les lycéens, les intellectuels. La vulgarisation scientifique suscite un intérêt de plus en plus grand.

    IV. - LES PROBLÈMES DE L'ÉDITION

    La présentation agréable d'un ouvrage incite le lecteur à choisir celui-ci. Comment l'édition répond-elle aux besoins actuels ?

    Les lacunes constatées (6)

    Dans trois réponses, on note un manque de documentaires adaptés aux goûts des adolescents. C'est ainsi que Mlle Altmayer (Cours professionnel Renault) souhaiterait la production d'ouvrages de vulgarisation scientifique intermédiaire entre le livre d'enfant et l'ouvrage destiné au grand public adulte. Elle précise : « un genre de « Que sais-je ? » un peu plus facile et plus illustré et attrayant comme présentation. »

    La question de la présentation apparaît en effet comme primordiale : «il faudrait trouver des ouvrages des catégories 100, 200, 300, 400, 800 qui « cultivent » tout en restant attrayants et ne réclamant pas un effort d'attenlion trop soutenu» (7) . Cet effort de présentation s'impose tout spécialement pour les ouvrages de philosophie et de littérature, actuellement peu favorisés : absence d'illustrations, de couvertures en couleur, textes peu aérés (8) . Les catégories 100 et 800 figurent en effet parmi les classes où l'on souhaite voir des améliorations (respectivement 3 et 6 mentions). On souhaite la réédition de grands textes classiques souvent épuisés (3 mentions), les autres réponses étant consacrées au problème de la présentation. Mme d'Eudeville (Bibliothèque de la Croix-Saint-Simon) note ainsi : « Ne pourrait-on pas éditer les oeuvres de Montaigne ou des pièces de Molière sous une forme plaisante à l'oeil, avec beaucoup d'illustrations et des explications mettant les textes à la portée d'un public peu cultivé ? » En ce domaine, beaucoup a été fait pour le public scolaire, mais les produits de cet effort ne conviennent pas nécessairement aux autres publics. On remarque également un manque d'ouvrages sur les métiers (2 mentions). Les sciences sociales surtout apparaissent comme défavorisées (4 mentions). Il serait urgent en ce domaine de réaliser une bonne vulgarisation. Pour les ouvrages de caractère géographique, on insiste sur la nécessité de cartes bien faites (2 mentions). Les autres catégories ne sont mentionnées qu'occasionnellement et ne semblent pas poser de problèmes.

    Réalisations originales et intéressantes

    Pouvez-vous citer dans le domaine de l'ouvrage documentaire des réalisations originales ou intéressantes ? On observe une dispersion assez grande dans les réponses à cette question (9) . Certaines maisons d'édition recueillent néanmoins un nombre important de suffrages grâce à certaines de leurs réalisations. Les éditions du Seuil sont ainsi mentionnées dans 14 réponses (54 % des réponses positives) grâce aux collections « Microcosme » très appréciées. Il y a là un réel succès. Pion recueille 8 suffrages grâce à la collection « D'un monde à l'autre » (7 mentions). Hachette, Les Presses Universitaires de France sont mentionnés chacun dans 5 réponses ; Skira et les éditions France-Empire, dans 4. Ces résultats confirment l'intérêt porté à la présentation des ouvrages.

    Rôle des ouvrages de jeunesse.

    21 personnes répondent affirmativement à la question : « Pensez-vous que l'effort réalisé en vue d'offrir à la jeunesse des documentaires bien présentés et illustrés puisse bénéficier à des adultes peu cultivés ?» (10) . Deux seulement répondent négativement. « Les adultes peu cultivés tirent un excellent profit des oeuvres documentaires pour la jeunesse. Les livres sont pris par les enfants, mais lus par les parents. Des sujets nouveaux leur sont ainsi révélés d'une façon moins rébarbative que. dans une édition pour adultes», note Mme de Grolier, bibliothécaire à Boulogne-Billancourt. Et le service « Culture et bibliothèque» (11) de l'Action catholique générale féminine répond, ainsi : « L'effort des éditeurs pour présenter parfaitement des documentaires est « payant ». Le besoin de livres documentaires qui conviennent à la fois aux jeunes et aux adultes peu cultivés commence à être compris des éditeurs. La maison G. P. sort la collection à bon marché « Spirale » qui a ce double but. Les diverses séries de la collection « Marabout » ou de la « Bibliothèque verte » semblent déjà avoir réussi dans ce sens. »

    Quelques-unes des réponses positives comportent des réserves. La présentation, notamment, ne doit pas paraître trop enfantine, ce qui rebuterait le lecteur adulte. On note ainsi : « Il me semble que l'emploi de ces ouvrages est délicat. Ils sont souvent trop difficiles pour les enfants et d'aspect trop enfantin pour les adultes auxquels cependant ils conviendraient parfois beaucoup mieux. » (12) .

    V - ACTION DES BIBLIOTHÉCAIRES

    Quels sont les moyens actuels employés en vue de développer chez les lecteurs le goût du documentaire ?

    Le moyen le plus utilisé et considéré comme le plus efficace est l'exposition. Cette exposition peut revêtir une certaine ampleur. Elle peut également consister en un simple étalage de livres sur un sujet donné. Ce procédé est mentionné dans 16 réponses (57 % des réponses à la question). On recommande également d'afficher les « jaquettes » des livres (3 mentions) et d'installer des panneaux qui comporteraient des photographies en rapport avec l'actualité et attireraient l'attention sur tel ou tel ouvrage (2 mentions).

    L'aide au lecteur est également largement mentionnée (dans 32 % des réponses). Les autres suggestions ne recueillent que quelques suffrages : disposer d'un fonds important d'ouvrages documentaires (5 mentions), veiller à trouver un emplacement favorable dans la bibliothèque (4 mentions), instaurer l'accès direct aux rayons (3 mentions), limiter le prêt de romans et favoriser le prêt de documentaires (3 mentions)... On retiendra certaines idées : inscrire à la suite d'un livre la liste des ouvrages portant sur un thème analogue ; établir un lien entre les différentes manifestations culturelles et la lecture de l'ouvrage documentaire. « Actuellement le livre est au service du spectacle», note M. Lemaire (Bibliothèque Municipale de Beauvais). En résumé, on porte beaucoup l'accent sur l'exposition et l'aide au lecteur. Ce sont les deux secteurs prioritaires quant à l'élaboration de techniques bibliothé-conomiques nouvelles.

    Cette étude permet d'avoir une vue d'ensemble sur la lecture de l'ouvrage documentaire dans les bibliothèques à rôle éducatif. Menée grâce au concours de tous les bibliothécaires qui ont bien voulu répondre au questionnaire, cette étude est nécessairement limitée, car les lecteurs eux-mêmes n'ont pu être interrogés. Les données recueillies permettent néanmoins de poser une problématique, de déterminer les principales questions qui méritent d'être approfondies. Il faudrait notamment analyser les motivations qui conditionnent l'hostilité de certaines catégories de lecteurs à l'ouvrage documentaire et étudier les moyens par lesquels le bibliothécaire peut améliorer la situation. La structure actuelle de la demande reflète les préoccupations présentes du public ; elle évolue et continuera d'évoluer. Il serait intéressant de poursuivre une étude plus détaillée qui essaierait de déterminer les tendances prévisibles en recourant à la comparaison internationale. Enfin le travail accompli par l'édition en vue d'améliorer la présentation des ouvrages est capital. Cette étude permet d'apercevoir certaines lacunes qui méritent d'être comblées. Bref, si cette étude apporte des données immédiatement exploitables, elle apparaît surtout comme un point de départ.

    ANNEXE

    Les bibliothèques suivantes ont participé à l'enquête : Bibliothèques municipales : Paris (5e), Paris (7e), Paris (10e), Paris (14e), Paris (18e) ; Boulogne-Billancourt, Colombes, Montreuil, Nanterre, Autun, Beauvais, Perpignan, Troyes.

    Bibliothèques d'entreprises : Banque de l'Union Parisienne (Paris), Hachette (Paris). Ferodo (Saint-Ouen), Optique et Précision (Levallois), Radiotechnique (Suresnes), Renault (Flins), Theraplix (Montrouge), De Wendel (Hayange), De Wendel (Moyeuvre), Mines domaniales d'Alsace (Mulhouse).

    Bibliothèques d'établissements scolaires : Collège O. Gréard, Collège Edgar-Quinet ; Lycée Marie-Curie, Lycée La Fontaine, Cours Professionnel Renault.

    Bibliothèques pour tous : Action catholique générale féminine ; Service Culture et Bibliothèques, Bibliothèque pour tous (Douai).

    Divers : Bibliothèque du Dauphin (Clamart), Bibliothèque de la Croix-Saint-Simon (Paris), Bibliothèque du Sanatorium des Cheminots (Ris-Orangis), trois bibliothèques anonymes dont une d'entreprise et une de lycée.

    1. La catégorie 800 : littérature, étant la grande exception à cette identification entre ouvrages classés et ouvrages documentaires. retour au texte

    2. Cf. Hassenforder (Jean). Réflexions sur l'évolution du réseau documentaire français. Lecture publique et documentation. Bulletin de l'U.F.O.D., janvier-février 1956, p. 48-54. retour au texte

    3. Rubriques de la classification décimale. retour au texte

    4. Observation de la bibliothécaire Mme Guillet. retour au texte

    5. Nombre de prêts pendant l'année scolaire 1958-1959 retour au texte

    6. 56 % de réponses à cette question. retour au texte

    7. Mlle de Pèchebrun (Forges de Moyeuvre). retour au texte

    8. Remarque de Mlle Dupaquier (Mines domaniales de potasse d'Alsace). retour au texte

    9. 26 réponses. retour au texte

    10. 23 réponses. retour au texte

    11. Mlles Grandamy et Pillet. retour au texte

    12. Réponse de Mlle Dupaquier (Bibliothèque Mines domaniales de potasse d'Alsace). retour au texte