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    Georges Collon : (1898 - 1961)

    Par Marguerite Gruny

    Ce n'est pas sans émotion qu'à la demande du Comité de l'A.B.F. j'évoque mes souvenirs relatifs à Georges COLLON, qui ne rappelleront malheureusement qu'une partie de son oeuvre.

    Ceci me reporte à l'année 1931, où, jeune bibliothécaire, je fus élue membre du Comité de l'A.B.F. dont il faisait partie ainsi qu'Henri VENDEL. Ni l'un ni l'autre ne m'étaient inconnus - tous deux avaient visité l'Heure Joyeuse - mais très vite j'appris à les apprécier et un même banc nous accueillait souvent à l'Ecole des Chartes.

    A cette époque, l'A.B.F. ne ressemblait guère à ce qu'elle est aujourd'hui. Les femmes n'y figuraient qu'en petit nombre. Les hommes, pour la plupart chartistes, administraient les grandes bibliothèques publiques ou privées, et beaucoup parmi eux concentraient une part de leurs efforts sur ces travaux de recherches conformes à leur option de jeunesse et qui ont toujours honoré la profession. Mais ce qu'on a appelé par la suite « la lecture publique «n'entrait que fort peu dans leurs préoccupations.

    Parmi les jeunes conservateurs de bibliothèques, Georges COLLON et Henri VENDEL tout en restant fidèles au haut enseignement de l'Ecole des Chartes, faisaient alors figure d'exception. Les grandes voix d'Eugène MOREL et d'Ernest COYECQUE troublaient leur conscience. Ils entendaient Henri LEMAITRE décrire les réalisations américaines et anglaises, et Gabriel HENRIOT évoquer la transformation des «populaires» parisiennes amorcée par son prédécesseur. Ils voyaient à Soissons Victorine VERINE expérimenter avec succès la fusion d'une riche bibliothèque traditionnelle et d'un jeune organisme de type anglo-saxon.

    Au long de flâneries rue de la Sorbonne et boulevard Saint-Michel, mes deux collègues du comité exprimaient leur conviction qui devait bientôt se transformer en actes : « Non, les bibliothécaires de province ne devaient pas se borner à préserver des collections anciennes et à les enrichir des grandes oeuvres modernes ; leur rôle ne consistait pas seulement à accueillir les intellectuels de la ville, les retraités curieux et les élèves des classes supérieures de lycées ; ils avaient le devoir d'ouvrir toutes grandes leurs portes, d'aller chercher l'ouvrier à l'usine, l'artisan à son établi, le commerçant dans sa boutique. » Je disais ma pensée : « S'ils voulaient vraiment attirer un vaste public, il fallait l'accueillir jeune ; ce n'est pas à vingt ans, ni moins encore après, qu'on acquiert le goût de la culture, mais dans l'enfance ; c'est tout jeune qu'on apprend à aimer les beaux livres et à puiser aux meilleures sources ».

    Comment des esprits si ouverts seraient-ils restés insensibles à l'évidence même ? Mais alors les mots, bien souvent entendus depuis, surgissaient : «La place... le personnel... les crédits...».

    Cependant, en mai 1933, Georges COLLON constituait dans la salle de travail de Tours une petite collection pour les enfants. Elle se composait de 200 volumes minutieusement choisis, avec un catalogue de 400 fiches, et une table était mise à la disposition des enfants. «C'est un commencement...» écrivait-il. Oui, si modeste que fut cette réalisation, c'était un commencement en effet, non seulement pour Tours, mais pour toute la France, car à l'exception des créations américaines c'était la première fois - si ma mémoire et mes notes sont exactes - que des enfants trouvaient place dans une bibliothèque municipale de province.

    Une de nos communes stagiaires, la très regrettée Jacqueline DREYFUS - qui devait mourir plus tard à Auschwitz - l'avait aidé dans cette tâche, tout en se préparant au diplôme technique de bibliothécaires.

    Avec quelle reconnaissance elle parlait de ce stage ! On y apprenait beaucoup sous une direction ferme et compréhensive, et l'atmosphère en était très vivante. COLLON ne comptait ni son temps, ni sa peine. Arrivé à 9 heures à la bibliothèque pour n'en repartir bien souvent qu'à 9 heures du soir, il allait infatigable, des lecteurs aux stagiaires, des stagiaires aux bons de commande, aux fiches et au registre d'entrée, à la fois professeur, administrateur, bibliothécaire, conseiller de lecture, voire appariteur - car le manque de personnel l'obligeait parfois aux plus modestes tâches. Il était tout cela, en attendant d'ajouter à tous ces titres - et les plus humbles n'étaient peut-être pas les moins glorieux - celui de conseiller des enfants.

    Le petit « children's corner » de 1933 en effet, n'était bien qu'un commencement. Son organisateur, au milieu de réformes d'un autre ordre, rêvait d'une grande bibliothèque pour enfants disposant de plusieurs salles. Mais « navré de voir retarder l'exécution de ce beau projet, (il en avait) mis sur pied un autre, moins séduisant certes, mais immédiatement réalisable avec un minimum de frais, et extensible». Et en octobre 1937 il m'écrivait : « L'Heure Joyeuse de Tours est née hier... Avec le concours d'une équipe de stagiaires enthousiastes, j'ai pu débarrasser (en un jour et demi !) la première travée de notre salle de dépôt, répartir ailleurs son contenu, régler les rayons à hauteur d'enfant, les garnir de la sélection déjà préparée, meubler la salle ainsi obtenue de tables provisoires... et envoyer un communiqué à la presse : le tout n'a pas demandé une semaine, mais je voulais aboutir, et au bon moment de l'année ». Et Jacqueline DREYFUS, de passage à Tours quelques mois plus tard, m'envoyait une description de la salle : « Elle est très jolie... éclairage superbe en plein jour... pas encore d'électricité, mais la salle est ouverte le jeudi, le samedi et le dimanche toute la journée... Mobilier clair, fleurs sur les tables... C'est COLLON lui-même ou son vieil adjoint, M. ROUGE, qui surveillent la salle... Tout est organisé avec l'ordre, la méthode et une perspective de progrès ainsi qu'on peut s'y attendre de COLLON ».

    Qu'on mesure l'effort harassant que représentait cette charge nouvelle, sans personnel supplémentaire, au milieu d'autres initiatives et transformations. Car la salle, «bien garnie le jeudi et le dimanche, était absolument comble le samedi avec les vingt internes de 11 à 16 ans envoyés par le proviseur du Lycée de garçons ». Elle devint vite insuffisante ; il fallut en doubler la superficie, la tripler, toujours sans personnel spécial...

    Puis la guerre vint, la bibliothèque de Tours fut détruite, et de ce coup il semble bien que notre collègue ne se soit jamais tout à fait remis quoiqu'il eut sauvé les plus beaux manuscrits de sa collection.

    Qui des membres présents de notre association ne se rappelle l'émouvante réunion au cours de laquelle il raconta d'une voix blanche le drame de la bibliothèque de Tours et exposa le plan de reconstruction qu'il lui avait inspiré ? Les bibliothèques, préconisait-il, devraient être reconstruites sous terre. Sombre perspective qui traduisait bien son profond chagrin !

    Pourtant il repartit, organisa une bibliothèque provisoire à l'hôtel de ville de Tours, puis il fut appelé à d'autres fonctions où les enfants n'avaient pas de place.

    Les conversations et la correspondance avec Georges COLLON sur les lecteurs, le choix des livres et les expositions dans les bibliothèques pour enfants étaient terminées. Mais je conserve l'image d'un collègue profondément modeste et désintéressé, animé d'un vif souci de progrès et de perfectionnement et dont l'esprit pénétrant, assorti d'un certain sens de l'humour, se dissimulait sous une grande bienveillance.

    (1). Né en 1898, élève de l'Ecole des Chartes, Bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Municipale de Tours, Administrateur de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg, Conservateur en chef, chargé de la préparation de la future bibliothèque centrale de prêt. Mort à Tours en janvier 1961. Ancien vice-président de l'A.B.F. retour au texte