Index des revues

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    La Bibliothèque Tourguenev

    Par Tatiana Ossorguine

    Le but de ces quelques lignes est d'informer les bibliothécaires de l'existence à Paris, au quartier latin, d'une bibliothèque russe.

    Actuellement, elle ne dépasse pas 20.000 volumes, mais son histoire est longue. Elle a été fondée en 1875 par quelques étudiants russes, qui faisaient à l'époque leurs études à Paris, et par des émigrés politiques. Tous ceux qui avaient été arrachés de leur pays et voulaient entretenir avec lui des liens spirituels, ressentaient la nécessité impérieuse de se réunir quelque part et de consulter des ouvrages et des journaux de leur pays. Ivan Tourguenev a pris une part très active à la fondation de cette bibliothèque, de même qu'auparavant il s'était intéressé et avait participé aux frais des bibliothèques russes se trouvant à Heidelberg et à Zurich. A Paris aussi il organisa une matinée musicale et littéraire et fit don de ses oeuvres ; en outre il commanda à Saint-Pétersbourg une très importante revue. Et plus tard, chaque fois que la bibliothèque éprouvait de grandes difficultés, Tourguenev lui venait en aide. Cette nouvelle bibliothèque a pris le nom de l'écrivain après sa mort.

    Presque toujours très pauvre, vivant souvent de l'aide bénévole d'un bibliothécaire, sans la moindre subvention, la bibliothèque a changé plusieurs fois de local (le premier était sis au n° 4 de la rue Victor-Cousin) ; elle a toujours été installée dans le quartier latin ou dans les environs proches. La guerre de 1914-18 et la Révolution russe, qui a provoqué une affluence de nouveaux émigrés a trouvé la bibliothèque au 9, rue du Val-de-Grâce. Le petit local ne pouvait contenir tous les lecteurs qui venaient pour échanger leurs livres et la queue très souvent allait jusque dans la rue.

    Dans les années 30, les collections de la Bibliothèque Tourguenev atteignaient 100.000 volumes, parmi lesquelles les plus précieux étaient des publications périodiques au complet. Il suffit de feuilleter le Catalogue des périodiques slaves (1) pour s'assurer de la place importante que la Bibliothèque Tourguenev occupait parmi les bibliothèques spécialisées de Paris.

    En 1937, la Préfecture de la Seine, allant au devant des nécessités de la Bibliothèque, qui n'avait plus de place pour s'agrandir (tout ce petit local était rempli de livres, y compris la cuisine), a attribué un grand et beau local au n" 13, rue de la Bûcherie. Il semblait que la Bibliothèque entrait dans une période de prospérité. L'inauguration de la Bibliothèque dans ce nouveau local, qui a coïncidé avec le 25e anniversaire du travail de ses deux bibliothécaires, a été marqué par une importante réunion de ses fidèles amis, aussi bien français que russes. La Bibliothèque nationale a été représentée par M. Jean Porcher.

    Cette prospérité ne fut pas de longue durée. En septembre 1940, la Bibliothèque Tourguenev a été spoliée par les autorités allemandes, sur l'ordre de Rosenberg. Ses livres ont été expédiés dans une destination inconnue. Les traces de ses collections apparurent tantôt dans les dépôts de la gare d'Austerlitz, tantôt dans certaines villes d'Allemagne. Le destin de la totalité de ces collections est encore aujourd'hui inconnu.

    En 1959 seulement, après plusieurs années de démarches administratives, on a pu finalement reconstituer la bibliothèque dans un petit local au 11, rue de Valence, prévu pour 30.000 volumes.

    Un petit fonds de livres de lecture courante, quelques caisses de livres, reçus de la Récupération artistique, les dons des particuliers et ensuite l'acquisition régulière de livres d'occasion et récents ont constitué un fonds de 20.000 volumes en trois ans.

    Allant au devant des demandes des lecteurs, les sections de lecture courante, c'est-à-dire la littérature russe (3.276 vol.) et les traductions en langue russe des auteurs des autres pays (1.068 vol.) sont au premier plan. On complète aussi régulièrement que possible les sections d'histoire (888 vol.), d'histoire littéraire (1.500), de philosophie, de sociologie et de droit (1.598 vol.), d'art (683 vol.), les usuels (312 vol.).

    Parallèlement aux livres en langue russe, a été fondée une petite section de livres en français, traitant les questions de la littérature et de l'histoire de Russie et de l'U.R.S.S. (800 vol.).

    La Bibliothèque est étrangère à toute tendance politique : elle veut seulement fournir une documentation. Les étudiants y trouveront les textes et les ouvrages indiqués dans les programmes des examens ; les chercheurs auront la documentation nécessaire. Et en effet parmi les lecteurs, on voit déjà ceux qui étudient la langue russe et aussi, depuis quelque temps, certains jeunes savants slavisants.

    Suivant la tradition de l'ancienne Bibliothèque, la nouvelle est administrée par un conseil régulièrement constitué et renouvelé tous les ans dans une réunion plénière des membres de l'Association de la Bibliothèque Tourguenev. Le conseil mène avec un désintéressement total toutes les affaires administratives et techniques de la Bibliothèque.

    Pendant la période entre les deux guerres, en présence de la très nombreuse colonie russe à Paris, la Bibliothèque Tourguenev jouait très souvent le rôle d'une institution culturelle, en organisant des conférences, des concerts, des réunions. Toutes ces entreprises rapportaient un petit pécule, mais étaient importantes surtout parce que se réunissaient autour de la Bibliothèque des personnes aux occupations les plus diverses. La Bibliothèque d'après-guerre, gardant ses anciennes traditions a dirigé son activité culturelle vers l'organisation de groupes d'études de langue russe dans le local de la Bibliothèque.

    Le Conseil d'administration se trouve devant ce problème : comment arriver à pourvoir à l'avenir de la Bibliothèque ? Elle pourrait parvenir à ses besoins matériels seulement si elle avait beaucoup de lecteurs. Et cependant le public russe qui fréquente la Bibliothèque diminue ; on peut donc compter uniquement sur l'affluence des slavisants français.

    La Bibliothèque est ouverte mardi, jeudi et samedi, de 15 à 19 heures. Le prêt des livres se fait contre une caution et un abonnement mensuel. Les dictionnaires et les usuels sont à la disposition des lecteurs dans la salle de travail, spécialement organisée dans ce but.

    Les périodiques dont la Bibliothèque dispose sont signalés dans la dernière édition de 1T.P.P.E.C. et dans le Catalogue collectif des périodiques en caractères cyrilliques (supplément 1951-1960).

    Vignette de l'image.Illustration
    La Bibliothèque vers la fin du XIXe siècle

    1. Catalogue des périodiques slaves et relatifs aux études slaves des bibliothèques de Paris, par Boris Unbegaun. Paris, 1929. retour au texte