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Une visite à l'American library association et à quelques bibliothèques américaines

1963

    Une visite à l'American library association et à quelques bibliothèques américaines

    Par Roger Pierrot, Conservateur Bibliothèque Nationale

    Sur l'initiative du Directeur des Bibliothèques de France le signataire de ces lignes eut l'occasion de faire, du 2 octobre au 12 novembre dernier, un voyage de six semaines aux Etats-Unis. Cette mission prenait place dans un programme du Commissariat général au plan. La plus grande partie du voyage a été faite en compagnie de M. J.-A. Sansen, conservateur de la Bibliothèque universitaire de Rennes, qui étudiait en particulier le fonctionnement des bibliothèques universitaires américaines en s'attachant aux solutions trouvées outre-Atlantique pour le fonctionnement de bibliothèques qui, tout en gardant une unité administrative, sont divisées en de nombreuses sections spécialisées parfois éloignées topographiquement les unes des autres.

    Le but de la mission était plus particulièrement l'étude « des méthodes de sélection automatique des documents appliquée à la recherche bibliographique dans les bibliothèques ». On s'est donc intéressé en particulier aux problèmes de mécanisation des bibliothèques surtout dans les domaines du catalogage (multiplication des fiches, utilisation des cartes perforées pour la sélection des notices ou la publication de listes bibliographiques, transformation des catalogues sur fiches traditionnelles en volumes reproduits en offset, etc...).

    Quatre grandes étapes avaient été prévues dans ce voyage : Washington, Chicago, Boston et son faubourg de Cambridge où se trouve Harvard University, New York enfin.

    Grâce à cet itinéraire une visite approfondie a été faite à la Library of Congress (huit jours pleins). A Washington ont été vues également deux autres bibliothèques nationales spécialisées : la National Library of Medicine et la National Library of Agriculture.

    Six grandes bibliothèques universitaires ont été également étudiées : University of Chicago, University of Illinois (branche de Chicago), Harvard University, Columbia University, Princeton University et Massachussets Institute of Technology.

    Pour les grandes bibliothèques publiques, il faut citer la Boston Public Library et la New York Public Library.

    Un certain nombre de bibliothèques spécialisées en dehors des Bibliothèques nationales de Médecine et d'Agriculture ont été également visitées : à Washington, la Folger Shakespeare Library spécialisée dans la littérature anglaise, à Chicago la Newberry Library, grande bibliothèque d'humanités et de géographie. A Chicago également, la John Crerar Library, bibliothèque scientifique qui venait de s'installer dans un nouveau bâtiment. A New York enfin, la Pierpont Morgan Library dont on connaît les richesses en livres enluminés, incunables et manuscrits littéraires. A New York aussi, la toute nouvelle bibliothèque des Nations Unies qui a pris récemment le nom de Bibliothèque Dag Hammarskjold et dont il est inutile de préciser la spécialisation.

    A ces bibliothèques spécialisées, il convient d'ajouter quelques grandes sections de bibliothèques universitaires : Law Library de l'Université de Chicago, bibliothèques d'ingénieurs d'Harward, de Princeton et de Columbia, bibliothèques de livres rares des Universités de Chicago et de Princeton, Houghton Library à Cambridge etc...

    En dehors des bibliothèques proprement dites, on peut citer une visite à M. Verner Clapp, directeur du Council on library resources, organisme de recherches dans le domaine des bibliothèques qui, grâce à la Fondation Ford, dispose d'énormes ressources financières. A Washington également, on a visité l'United States Book Exchange, organisme d'échange de doubles ou autres ouvrages entre les bibliothèques américaines.

    A Chicago enfin, une visite prolongée a été faite au siège de l'A.L.A. Dans ce pays fédéral décentralisé où les bibliothèques ont des statuts très divers, il n'y a pas de direction centrale, mais ce rôle est tenu en quelque sorte par l'association professionnelle qui, forte de plus de 25.000 membres, dispose d'un très beau building situé 50, East Huron Street.

    Fondée en 1876, l'A.L.A. est la plus ancienne association nationale de bibliothécaires, elle comprend 13 divisions, 55 sections territoriales et 10 associations affiliées.

    Parmi ses membres figurent à côté de bibliothécaires professionnels, des bibliothèques en tant que personnes morales, des administrateurs de bibliothèques (trustées) et des amis des bibliothèques. Ses membres élisent un conseil qui dirige l'Association par l'intermédiaire d'un comité exécutif assisté d'un état major à plein temps ayant à sa tête un directeur exécutif (1) . Les bibliothécaires travaillant au siège de l'A.L.A. étudient tous les problèmes concernant les bibliothèques dans divers services spécialisés. Parmi ces services, l'un des plus intéressants est le Library Technology Project (2) . Grâce à M. Frazer G. Poole, directeur de ce service et à son assistant M. Forrest F. Carhart, il a été possible aux deux visiteurs français d'obtenir des renseignements extrêmement précieux sur les derniers mots de la technique dans les domaines de la photocopie, de la multiplication des fiches, des techniques des catalogues offset, etc., sur tous ces points et bien d'autres le LTP a réuni une documentation technique considérable, et procédé à des essais comparatifs des matériels proposés par les firmes américaines et étrangères.

    Parmi les nombreuses activités de l'A.L.A. il faut signaler en particulier également ses publications périodiques : the Booklist, bulletin bi-mensuel, donne très rapidement de brefs compte rendus des nouveautés américaines et étrangères et guide la politique d'achats de nombreuses bibliothèques ; L'A.L.A. Bulletin mensuel, renseigne sur la vie de l'Association et tous les problèmes professionnels. En dehors de ces deux périodiques de très nombreux ouvrages ou brochures paraissent chaque année sous le sigle de l'A.L.A. (3) .

    L'A.L.A. reçoit de nombreux visiteurs et son service des relations internationales dirigé par M. Lester E. Asheim, assisté de M. Joseph F. Shubert, est particulièrement actif.

    Les deux visiteurs français ont trouvé auprès de MM. Asheim et Shubert l'accueil le plus charmant et l'aide la plus efficace dans l'organisation du voyage.

    Toutes les bibliothèques visitées sont très diverses par leurs fonctions, leurs buts et leur importance, mais on peut dégager semble-t-il un certain nombre de constantes. Partout règne un esprit évident de service public, les bibliothèques sont à la disposition de leurs usagers qui y trouvent les plus grandes facilités : heures d'ouverture très larges sans pour autant surcharger le personnel professionnel ; usuels très abondants et presque partout (sauf dans les sections de livres rares) libre accès aux rayons. Ce système a pour corollaire obligatoire le classement systématique des volumes sur les dits rayons. Sans insister sur le problème des classifications, on peut indiquer que le système de la Bibliothèque du Congrès est d'un usage aussi général que Dewey, ce dernier étant souvent amendé pour les nécessités d'une bibliothèque et parfois combiné avec Cutter. Nous n'avons vu la C.D.U. qu'à la Bibliothèque de l'O.N.U. et le classement sur les rayons par ordre d'entrée et par formats uniquement à la New York Public Library.

    Grâce à l'A.L.A. les bibliothèques américaines disposent depuis plus d'un demi-siècle de règles de catalogage suivie sur tout le continent. L'emploi de la carte de format international est absolument général et les quelques fiches anciennes rencontrées dans de rares dépôts ont pu être intercalées sans difficultés dans les fichiers récents car elles avaient la même largeur sur une hauteur moindre.

    L'uniformité des règles et des formats a permis aux bibliothèques américaines d'entreprendre la publication de ce qu'on appelle des « card catalogs », c'est-à-dire des catalogues basés sur la reproduction des fiches par photo-offset. La technique a été mise au point à la Bibliothèque du Congrès qui a pu publier, de 1942 à 1946, 167 volumes représentant les cartes publiées avant août 1942. Différents suppléments ont été publiés ensuite, puis un catalogue collectif a été entrepris the National Union Catalog publié pour la première fois en 1958, il comprend 28 volumes correspondants aux années 1953-1957.

    Les fiches de l'Union Catalog pour les ouvrages catalogués avant 1953 sont à la Bibliothèque du Congrès, c'est un énorme fichier groupant plus de 15.000.000 de cartes dont la publication en volumes sera entreprise dans les années à venir, toujours par photo-offset. Un peu partout les bibliothèques ont commencé ou projettent la publication de leurs catalogues par le même procédé ou par des systèmes analogues. Les progrès techniques permettent en effet de revenir au catalogue imprimé mais sans nouvelle composition typographique. Il y a là un curieux mouvement pendulaire dans le catalo-gage : le catalogue imprimé en volumes après avoir été abandonné (sauf dans les grandes bibliothèques nationales) au profit du fichier revient un peu partout à l'honneur.

    Mais de tels catalogues ne sont réalisables que si un certain nombre de conditions sont remplies : unicité du format des fiches, constance des règles de catalogage en particulier pour le choix des vedettes et qualité suffisante de la fiche à photographier. On remarquera toutefois que certaines bibliothèques américaines n'hésitent pas à publier leurs catalogues en dépit de l'imperfection de leurs cartes : par exemple la New York Public Library, le résultat n'est guère meilleur que celui des vieux catalogues photographiques de la Bibliothèque nationale, mais ces catalogues peuvent être diffusés à l'extérieur.

    Un mot sur la technique employée pour la réalisation de ces catalogues. Les fiches sont étalées sur de grandes pages de papier où un titre courant a été préalablement imprimé et sont maintenues par des bandes adhésives à double face. On peut les disposer de façon à photographier la totalité de la fiche y compris le rappel des vedettes ou bien les faire se chevaucher de façon à ne pas reproduire le rappel des vedettes ou d'autres indications jugées inutiles. Pour la confection de ces pages à photographier, les monteurs disposent de petites machines très simples de fabrication artisanale, le travail s'effectue très rapidement. Les pages ainsi préparées sont photographiées et ensuite (réduites ou non) tirées en offset. Une fois la photographie faite, les fiches sont facilement décollées (le ruban adhésif ne laissant pas de traces) remises dans des tiroirs où après de nouvelles intercalations elles resserviront pour la publication d'un catalogue cumulatif. Ces procédés sont donc simples mais ils conservent un caractère artisanal.

    Grâce à des subventions du Council on Library Resources, l'équipe du Dr Heiliger, directeur de la branche de Chicago de la Bibliothèque de l'Université d'Illinois a mis au point un projet de mécanisation beaucoup plus complète pour le catalogage et la publication en volumes. Sans entrer ici dans les détails, on peut indiquer que le procédé est en gros le suivant : la fiche dactylographiée traditionnelle, une fois rédigée, est traduite sur carte perforées ; celles-ci sont alors utilisées pour la fabrication de bandes magnétiques destinées à être lues par un ordinateur IBM 1401. Cette machine servira à imprimer des fiches aussi complètes que celles de la Bibliothèque du Congrès et à faire des listes bibliographiques alphabétiques hebdomadaires, mensuelles, trimestrielles, annuelles. La machine servira également à faire la liste quotidienne (par ordre des cotes) des livres en circulation.

    Certains problèmes ne sont pas résolus pour l'établissement des cartes perforées où il n'y a que 80 positions possibles, ce qui est suffisant pour l'anglais mais pose des problèmes pour les autres langues.

    En 1963 paraîtra le premier catalogue expérimental avec 1.000 titres. Le projet prévoit ensuite la mise sur cartes perforées d'une bibliothèque de 140.000 volumes, ce qui représente deux ans et demi de travail de perforation pour un seul opérateur. Ultérieurement toutes les cartes de la Bibliothèque de l'Université d'Illinois (14.000.000) pourront être soumises à cet ordinateur mais il faut 15 minutes à un spécialiste expérimenté pour transformer une carte de la Bibliothèque du Congrès en carte IBM.

    En résumé, cette expérience quand elle aura démarré, sera certainement très intéressante pour la publication de catalogues de nouvelles acquisitions, mais elle donne un peu le vertige quand on envisage de l'appliquer à de grandes bibliothèques et à l'ensemble de leurs fonds... le coût en temps, en personnel et en argent semble hors de portée pour la plupart des bibliothèques américaines (pour ne pas parler des autres). Toutefois, dans un dernier rapport annuel, M. Mumford, bibliothécaire du Congrès, indique qu'il a fait entreprendre des études préliminaires à l'utilisation des ordinateurs à la Library of Congress.

    1. Cf. ALA. Bulletin, December 1961 (n° spécial sur l'organisation de l'A.L.A.) . On y trouvera pp. 935-936 la longue liste du personnel du siège de l'A.L.A. retour au texte

    2. Cf. Library Technology Project, 1 st I- 3] Annual report (1960-1962). retour au texte

    3. Cf. American Library Association, Books and pamphlets (Catalogue annuel). retour au texte