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Le iIIe Congrès international de bibliophilie

1964

    Le IIIe Congrès international de bibliophilie

    Par Erwana Brin

    En 1959 et en 1961, Munich et Paris avaient successivement accueilli les membres du Ier et IIe Congrès international de bibliophilie. C'est à Barcelone puis à Madrid que s'est tenu cette année, du 6 au 13 octobre, le IIIe Congrès, sous la présidence de S. Ex. M. Miguel Mateu Plà.

    Dès les premières heures de leur séjour, les quelques deux cents participants venus de France - la délégation française dirigée par M. Julien Cain comprenait quarante membres - d'Allemagne, de Grande-Bretagne, de Suisse, d'Italie, de Belgique, de Hollande et des Etats-Unis ont pu apprécier la cordialité de l'hospitalité espagnole. Reçus par le président du Congrès dans son domaine de Perelada, à quelques kilomètres de Figueras, ayant admiré, salle après salle, d'exquises verreries irisées, des faïences aux chauds coloris, d'austères ferronneries, une vaste bibliothèque où s'entassent jusqu'au plafond des ouvrages d'érudition, des éditions originales et des chartes anciennes, rêvé un instant devant l'éclat d'un Zurbaran et le masque douloureux d'un Christ de bois, ils surent goûter le réconfort d'une réception somptueuse offerte avec autant de faste que de bonne grâce naturelle.

    Il faut savoir gré au marquis de Mura, président de l'Asociaciôn de biblio-filos de Barcelona d'avoir su si bien choisir dans la capitale catalane les cadres où devaient se tenir les séances de travail. C'est, en effet, dans la belle salle des Ciento de l'Hôtel de Ville, toute pavoisée d'oriflammes, puis à la Real Academia de Medicina, dans un amphithéâtre de marbre couronné d'un balcon aux rampes ouvragées et dorées que les congressistes entendirent la plupart des communications. Ils écoutèrent entre autres, avec un intérêt tout particulier, M. Oriol Valls, retracer l'activité du moulin à papier de Capellades ; M. Ramon de Abadel, rappeler le rôle des moines de Ripoll qui enseignèrent le jeune Gerbert et firent sortir de leur scriptorium d'admirables manuscrits ; M. José Porter, décrire la première version du récit de la découverte de l'Amérique ; M. Jacques Guignard, lire le texte de Mme Serge Gauthier sur les reliures d'émail champlevé de Limoges conservées en Espagne : M. Tamaro de Marinis, reposer une fois encore la question de l'origine des premières reliures à décor doré ; M. Pedro Bodigas, évoquer la place de la bibliophilie en Catalogne.

    Des excursions et des expositions apportèrent aux congressistes la joie très vive des découvertes ou le plaisir très rare de retrouver ce que l'on a déjà beaucoup aimé. A Vich, ils eurent à peine le temps d'entrevoir les trésors des archives de l'évêché, son musée d'art roman, sa cathédrale aux étonnantes fresques de José Maria Sert, mais ils furent accueillis le plus courtoisement du monde dans une des maisons de cette petite ville aux rues étroites, au pavé inégal, aux hautes portes derrière lesquelles se cachent des jardins intérieurs. A Capellades, ils virent sortir des cuves d'eau glacée, dans le rythme assourdissant des lourds battoirs, ces belles feuilles de papier si douces au toucher. A Mont serrat, dans un site torturé de pierres grises, digne de l'imagination de Jérôme Bosch, les congressistes découvrirent le monastère et son étonnante pinacothèque où voisinent le sourire de La Fontaine vu par Rigaud, la grâce mélancolique d'une sainte Lucie et le charme lumineux de toiles de Guardi. Une exposition, préparée en l'honneur du Congrès, montrait quelques-unes des pièces les plus précieuses de la bibliothèque du monastère qui ne compte pas moins de trois cent-vingt-deux incunables. A côté de très beaux spécimens des presses de Pierre Levet, Guy Marchant ou Philippe Pigouchet,des ouvrages imprimés par Jean Luschner et Juan Rosembach retraçaient les débuts de l'imprimerie installée à Montserrat, grâce à l'initiative du prieur, le P. Garcia de Cisneros.

    L'exposition organisée pour les congressistes à la Bibliothèque centrale de Barcelone leur montra combien l'influence française dans les arts graphiques était prépondérante dans les oeuvres modernes du moins. Par contre, au cours des visites des expositions de la Bibliothèque du Palais Royal et de la Bibliothèque nationale de Madrid, c'est essentiellement l'Espagne qui était présente avec ses manuscrits du Cid, de Sainte Thérèse d'Avila, de Lope de Vega, de Gongora, de Calderon, ses éditions originales de la Célestine, de Cervantès, ses reliures « mudejar », ses gravures de Ribera et de Goya.

    C'est encore l'Espagne, celle de Charles-Quint et de Philippe II qu'ils retrouvèrent à l'Escolrial : granit gris-bleu de Guadarrama, marbre de Tolède, jaspe, bronze doré et porphyre sont comme une dure écorce qu'il faut écarter pour découvrir les jardins, les tapisseries de Bayeux et de Goya, les Greco et la vaste bibliothèque dont la charge incombe depuis 1885 à des religieux Augustins qui, depuis cette date, n'ont pas cessé d'inventorier et de cataloguer ces collections de manuscrits arabes, grecs, hébraïques, latins, romans, ces incunables, ces estampes et ces médailles.

    A l'issue de ces journées qui ont montré à chacun - bibliophiles, bibliothécaires, ou libraires - quel enrichissement pouvaient apporter de telles rencontres, M. Julien Cain a annoncé la création de l'Association internationale de bibliophilie dont l'idée, émise à Munich en 1959, avait été reprise à Paris en 1961. Cette Association constituera un lien permanent entre les bibliophiles des différents pays ; son siège est à Paris, à la Bibliothèque nationale et M. Julien Cain en a accepté la présidence. L'Association facilitera l'organisation d'expositions et de congrès internationaux ; elle publiera un annuaire, un bulletin et apportera son appui à l'édition d'ouvrages intéressant la bibliophilie.