Rares sont les « anciens » de la Bibliothèque nationale qui peuvent se souvenir d'avoir vu Jean Cordey, vêtu de son habituel costume sombre, le cou serré dans un haut faux-col, un affable sourire aux lèvres, traverser le grand hall du pas allègre et un peu dansant qui lui était alors familier. Il venait de son bureau du Service des Acquisitions, une table disposée parmi des rayonnages de bois fort vétustes et fort chargés, près d'une fenêtre ouverte au rez-de-chaussée de la Cour d'honneur. C'était vers 1930.
Jean Cordey naquit le 16 octobre 1880, à Moudon, dans le pays de Vaud, en Suisse, où son père était pasteur. Dès 1883, ce dernier, dont la femme était française, vint s'établir à Paris. Il y avait été appelé par le grand Edmond de Pressensé, connu par son action en faveur du Protestantisme libéral autant que par son activité politique. Edmond de Pressensé était pasteur de la chapelle Taitbout, rue de Provence, au local maintenant occupé par l'Armée du Salut, et ce fut à la chapelle Taitbout que le pasteur Henri Cordey exerça son ministère. Bien plus tard, il consacrera un volumineux ouvrage à Edmond de Pressensé (1916).
Ce fut ainsi à Paris, au Lycée Condorcet, que Jean Cordey fit ses études. Il obtint fort tôt son baccalauréat et effectua des séjours prolongés en Allemagne, en Italie ainsi qu'en Angleterre.
Ayant opté pour la nationalité française, Jean Cordey suivit les cours de l'Ecole des Chartes. Il devint archiviste-paléographe, en 1906, avec une thèse sur le Comte Vert (Amédée VI de Savoie) : sa politique extérieure au nord des Alpes. Son ami Pierre Bernus, petit-fils d'Edmond de Pressensé, dont les articles de politique étrangère donnés au Journal des Débats, devaient être longtemps suivis et Roger Martin du Gard, figuraient dans la même promotion que lui.
Entré à la Bibliothèque nationale, dès 1906, Jean Cordey publia en 1908, un Inventaire des Archives des ducs de Crillon. Il devait déjà travailler à sa thèse de doctorat ès-lettres soutenue en 1911. Elle avait pour objet les Comtes de Savoie et les rois de France pendant la guerre de Cent Ans. La thèse complémentaire était consacrée à la Correspondance de Louis Victor de Rochechouart et de Vivonne, général des galères de France pour l'année 1671. Le sujet ne pouvait laisser indifférent un fils de pasteur, intéressé par les témoignages des persécutions subies par ses coréligionnaires.
Pour l'exercice 1910 de la Société de l'Histoire de France était parue la Correspondance du Maréchal de Vivonne relative à l'expédition de Candie (1669) ; elle fut suivie en 1914 par la Correspondance du Maréchal de Vivonne relative à l'expédition de Messine. Le tome 2 ne devait voir le jour qu'en 1920 (exercice 1919).
Entre temps, rappelé sous les drapeaux, en août 1914 comme infirmier brancardier, puis caporal en juin 1916, Jean Cordey avait été fait prisonnier le 11 juillet 1916, à Fleury (Meuse) et détenu au camp de Stendahl (Saxe). En décembre 1917, le jour de Noël, la Croix-Rouge suisse obtint de le faire rapatrier comme grand malade. Ce fut alors que débuta une surdité qui devait s'accroître plus tard. Durant sa captivité, Jean Cordey avait créé une bibliothèque bien garnie, dont il ne manqua pas de dresser un catalogue minutieux ; il faisait des conférences illustrées par les projections d'une lanterne que ses camarades et lui étaient parvenus à se procurer.
Démobilisé, Jean Cordey reprit son poste de bibliothécaire à la Bibliothèque nationale, en attendant de devenir conservateur adjoint. Ce fut en 1924 que parut, avec une préface de Pierre de Nolhac, son important ouvrage sur Vaux-le-Vicomte, demeure du fastueux Fouquet, Vaux-le-Vicomte, où Louis Le Vau, André Le Nôtre, Charles Le Brun et même François Girardon, se préparèrent à la tâche capitale qu'ils devaient assumer à Versailles.
En 1920, Jean Cordey avait présenté à la Société de l'Histoire de l'art français, dont il sera ensuite le dévoué secrétaire, une importante communication consacrée à Jean-Baptiste Oudry, portraitiste. Elève de Largillierre, Oudry, avant de devenir peintre animalier, avait été longtemps portraitiste, ce que l'on avait en partie oublié. Aussi l'inventaire de ses deux albums, répertoire selon les propres termes du peintre de « tou ce que gé peint ou designé », conservés au Château de Vaux, après avoir figuré dans les collections du baron Pichon, furent-ils une véritable révélation. Jean Cordey devait publier les dessins de ces deux albums pour la Société des Bibliophiles français, en 1929. La même Société, où il occupait le 31e fauteuil, celui du vicomte d'Harcourt, publia également, avec une préface de Jean Cordey, le manuscrit de l'Adonis de Jean de La Fontaine et l'Inventaire des biens de Madame de Pompadour, accompagné de pertinentes notices (1939).
Détaché durant quelques mois à la Bibliothèque Mazarine, puis, vers 1937, au Département de la Musique, Jean Cordey s'en occupa avec son activité habituelle, de même que de la Bibliothèque du Conservatoire et de la Bibliothèque de l'Opéra. En 1938, il organisa à la Bibliothèque de l'Opéra, avec le même soin qu'il avait organisé en 1935 à la Bibliothèque nationale une exposition Calvin et la Réforme (en collaboration avec le pasteur J. Pannier), une exposition Bizet.
Jean Cordey eut paraillement à s'occuper de la Bibliothèque Smith- Lesoueff, à Nogent-sur-Marne. Après sa mise à la retraite, les circonstances le remirent durant quelques années à la tête du département de la Musique et des Bibliothèques de l'Opéra et du Conservatoire.
Parmi les publications de Jean Cordey, figurent, en outre, des articles à la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, à la Revue d'art ancien et moderne, au Bulletin de la Société de l'Histoire de l'art français, au Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme français - il était membre du comité de cette Société - une étude sur la Société des Concerts du Conservatoire (1941), une autre sur le Musée de l'Opéra (1945).
Jean Cordey mourut le 27 juillet 1964. Il avait eu la douleur de perdre sa femme en 1953, mais demeurait entouré de l'affection de sa fille unique et de ses trois petits enfants.
Décoré de la Croix de guerre 1914-1918, avec étoile de bronze, puis avec palmes (1915), cité à l'ordre de l'Armée le 8 juin 1915, puis à l'ordre de la Brigade, Jean Cordey avait été nommé chevalier de la Légion d'Honneur (1937), officier de l'Instruction publique et chevalier de la Couronne d'Italie (1911).