Deux facteurs essentiels, déjà signalés, distinguent foncièrement l'organisation de la formation professionnelle en Allemagne de celle que nous connaissons en France.
Seule l'Ecole de Cologne assure la formation de toutes les catégories du personnel scientifique et technique, les trois niveaux des bibliothèques d'étude comme les bibliothécaires des bibliothèques publiques ; elle organise, de plus, des cycles de perfectionnement pour les bibliothécaires en fonction. Toutes ces écoles, d'esprit parfois assez différent - l'Ecole de Munich est nettement plus traditionnaliste que celles de Cologne et surtout de Berlin - ont des traits communs :
On notera la proportion élevée des hommes (quatre sur cinq au moins) pour le niveau supérieur (à Munich, la première étudiante s'est inscrite à ce niveau en 1961) et, en revanche, la proportion très élevée des étudiantes pour le niveau intermédiaire (plus des deux tiers à Cologne, 95 % à Munich) et pour les bibliothèques publiques (95 % à Cologne) ; les responsables des écoles déplorent le caractère temporaire - bien plus sensible qu'en France - de nombreuses vocations féminines de bibliothécaire.
Les cycles de formation sont très distincts selon les niveaux et l'orientation préalable (qui peut être révisée après les trois mois d'initiation) ; il existe toutefois dans certaines écoles quelques enseignements communs aux candidats aux Diplômes de bibliothécaire des bibliothèques d'étude et des bibliothèques publiques.
La formation des cadres supérieurs des bibliothèques d'étude est assurée à Cologne et à Munich. Les élèves, tous docteurs (actuellement, du moins), ne passent pas de concours d'entrée et ne signent pas d'engagement.
Après leur année de stage, ils suivent deux «semestres» (mai-juillet, octobre-février) d'enseignement ; les horaires comportent environ 440 h (Cologne), plus 300 h (18 h par semaine) d'applications pratiques à la Bibliothèque universitaire de Cologne, soit 740 h sur 28 semaines, donc plus de 25 h de séances obligatoires par semaine ; les élèves rédigent, de plus, un mémoire.
On note dans le programme des enseignements proprement dits : 90 h d'histoire et technique du livre, 40 h de bibliographe, 70 h de catalogage, 73 h d'organisation des bibliothèques, 42 h d'histoire des bibliothèques : soit une répartition assez voisine - sauf sur ce dernier point - de celle que nous connaissons.
Les enseignements de la paléographie et de l'étude des manuscrits (60 h) et d'introduction à la documentation (20 h) font l'objet d'une option.
Ces enseignements sont sanctionnés par un examen de sortie assurant un classement, mais non forcément une affectation immédiate.
La formation des cadres intermédiaires des bibliothèques d'étude est assurée à Cologne, Munich, Francfort, Hambourg et Berlin. Les élèves titulaires de l'Abitur (et souvent de titres plus élevés, ce qui entraîne parfois l'organisation d'une section particulière) ou diplômés des professions voisines (librairie, édition, documentation) passent, le plus souvent, un examen d'entrée. Cet examen à Munich comporte : une dissertation sur un sujet général, une épreuve-test (correction d'un texte comportant des erreurs, définition et regroupement de mots sous une rubrique générale, classement alphabétique), une interrogation orale sur un sujet d'actualité.
Les trois ans de formation (Cologne) comprennent : un « semestre » d'été (mai-juillet) d'introduction générale ; un an de stage dans une bibliothèque d'étude (plus trois mois dans une bibliothèque spécialisée ou administrative et trois mois dans une bibliothèque publique) ; trois « semestres » et demi d'enseignement.
Les programmes prévoient : des enseignements généraux (75 h consacrées à la littérature allemande et étrangère ; 20 à 40 h à des exposés sur les diverses disciplines scientifiques ; 75 à 140 h à l'étude des langues : anglais, français, latin - surtout à Munich - et russe à Cologne) et des cours et exercices plus strictement professionnels : 60 h consacrées au droit administratif et constitutionnel, à la comptabilité, à l'administration des bibliothèques ; 50 h à l'histoire et aux techniques du livre ; 36 h à l'édition et à la librairie ; 160 à 200 h à la bibliographie ; 100 h (Cologne) à 250 h (Munich) au cata-logage ; 25 h à l'histoire des bibliothèques ; 60 h (Munich) à 150 h (Cologne) à l'organisation des bibliothèques ; enfin, il faut ajouter 70 h de visites à ces programmes - dont les différences s'expliquent surtout parce qu'ils tiennent plus ou moins compte des applications pratiques. Nous sommes bien loin des horaires d'enseignement de la préparation au concours de sous-bibliothécaires et même de l'Ecole.
A Cologne, deux fois par semaine, les élèves participent à deux séries au moins de séances de travail (études ou discussions du type « étude des cas ») sur des sujets particuliers tels que : les bibliothèques publiques aux Etats-Unis, la presse contemporaine, l'étude de l'oeuvre de quelques grands écrivains, les critères du choix des livres d'art, l'utilisation des cartes perforées, les problèmes de classement dans les bibliothèques en libre accès.
L'examen de sortie et de classement, conférant le Diplôme de bibliothécaire, comporte une dissertation générale, une composition sur l'acquisition et le traitement des livres, une composition sur la bibliographie, une épreuve de catalogage et deux épreuves de langue : anglais obligatoire et deuxième langue (latin, français ou russe). Il ressemble donc plus à l'examen de sortie de l'Ecole qu'au concours de sous-bibliothécaires.
La formation des bibliothécaires des bibliothèques publiques est assurée à Cologne, Stuttgart et Berlin ; elle comporte, après un examen d'entrée, trois ans d'exercices professionnels sous le contrôle indirect ou direct des Ecoles : trois mois d'initiation générale, un an de stage dans une bibliothèque publique, deux mois de stage dans une bibliothèque d'étude (les élèves bibliothécaires allemands se familiarisent toujours avec des bibliothèques différentes de celles auxquelles ils se destinent) et enfin un an et deux mois d'enseignement.
On note dans les programmes (Ecole de Cologne) l'importance des cours généraux : 300 h consacrées à l'étude des grandes disciplines (dont 110 à la littérature, 50 aux sciences) et 120 h à la « bibliographie des belles lettres » (Bücherkunde Schöneliteratur) : 25 h sont réservées au livre, à l'édition et à la librairie, 56 h à la psycho-pédagogie (sociologie du livre, psychologie des lecteurs, éducation des adultes), 50 h aux problèmes particuliers des bibliothèques d'enfants. La place des enseignements strictement professionnels est relativement faible (mais il faut tenir compte des trois mois d'initiation et des stages) : 33 h de bibliographie générale, 30 h d'administration, 100 h d'organisation des bibliothèques, 90 h de catalogage, plus des visites et des séances de travail comme pour les cadres moyens des bibliothèques d'étude ; enfin cette formation est complétée par la rédaction d'un mémoire et par un voyage d'étude annuel en Allemagne ou à l'étranger. Elle est sanctionnée par le Diplôme de bibliothécaire des bibliothèques publiques.
Quels enseignements peut-on tirer de cette étude un peu schématique de la formation professionnelle en Allemagne, plus conforme à celle des autres pays que la nôtre ? Il faut d'abord souligner l'importance - deux ans et le plus souvent trois ans d'études - accordée en Allemagne à la formation des cadres moyens des bibliothèques d'étude : il est évident que pour consacrer le bibliothécaire à des tâches vraiment scientifiques, il faut assurer au personnel technique la formation lui permettant d'assumer pleinement ses fonctions. D'autre part, il semble qu'il y ait lieu de réfléchir sur l'importance des cours généraux, et plus spécialement des enseignements de la littérature nationale et étrangère suivis en Allemagne par les bibliothécaires appelés à diriger les bibliothèques publiques de moyenne importance. Enfin l'étude de la formation des bibliothécaires en Allemagne et dans d'autres pays étrangers suggère de ne pas exclure a priori, parmi les solutions que rendraient possibles - et aussi, qui rendraient possibles - les deux ans de formation professionnelle souhaités par tous, celle d'une année de stage précédant et non suivant l'enseignement de l'Ecole : stages successifs dans une bibliothèque municipale (conjointement avec un cycle d'une centaine de séances théoriques et pratiques d'initiation, tel qu'il en existe déjà à Paris, Lyon, Clermont-Fer-rand, Montpellier pour la préparation au C.A.F.B. et au concours de sous-bibliothécaires) et dans les sections d'une bibliothèque universitaire ; les élèves suivraient ensuite, la deuxième année, du 15 septembre ou du 1er octobre au 30 juin, les enseignements de l'Ecole. Cette solution enlèverait à l'enseignement son caractère théorique, accéléré et un peu gratuit, et laisserait à l'Ecole, déchargée d'un rôle d'initiation qu'il lui est difficile d'assumer, le soin de couronner la formation professionnelle, d'assurer les spécialisations éventuelles et de présenter aux élèves, devenus plus aptes à les comprendre, les méthodes nouvelles de la profession et aussi les divers aspects de leurs responsabilités de cadres et de futurs chefs d'établissement. Mais il s'agit là d'une solution parmi bien d'autres, d'une hypothèse à ne pas exclure et, si l'on veut, d'un sujet de réflexion.
Voilà les remarques personnelles que nous inspire la visite des Ecoles de bibliothécaires de Cologne, Munich et Berlin.