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Quelques notes sur les bibliothèques d'étude en Allemagne

1966

    Quelques notes sur les bibliothèques d'étude en Allemagne

    Par H. F. Baux

    Au cours de notre voyage en Allemagne, nous avons visité en détail huit grandes bibliothèques d'étude. Ce bref article ne cherche pas à présenter dans leur ensemble ces bibliothèques - il y faudrait un volume - mais à donner quelques impressions, un peu au hasard des notes de voyage. L'essentiel étant supposé connu, ces notes portent souvent sur des points de détail et, du fait que leur rédacteur travaillait à l'époque aux plans d'une nouvelle bibliothèque, elles attestent un intérêt sans doute excessif pour les problèmes de construction et d'aménagement, au détriment de bien d'autres aspects.

    Première étape : Bonn, la Bibliothèque de l' Université.

    Dans cette petite ville agréable, devenue capitale « provisoire » d'un grand Etat, 14 000 étudiants environ, une bibliothèque toute neuve, achevée en 1960. Un bâtiment harmonieux, moderne sans provocation, situé au bord du Rhin, entouré de jardins, des aménagements intérieurs assez exceptionnels. Tout révèle ici, au delà du fonctionnel, un souci de beauté et de confort non exclusif même d'un certain luxe. Grand hall d'entrée revêtu de marbre et de mosaïque, salle de lecture aux meubles de teck, au sol couvert d'une moquette de perlon et, entrant dans la salle par les immenses baies vitrées de la façade, le paysage du Rhin. Au centre de la salle, un jardin intérieur dont la présence contribue à faire perdre à cet immense espace (1 800 mètres carrés au total) ce caractère inhumain qui frappe souvent dans les trop grandes salles de nos bibliothèques modernes.

    Presque tout le rez-de-chaussée est occupé par l'ensemble de lecture, articulé autour du jardin en cinq unités séparées les unes des autres par des épis bas de livres ou par des cloisons de glace : la grande salle de lecture, de 168 places (tables à deux places), un espace de 60 tables individuelles pour les lecteurs privilégiés, une salle pour les professeurs (douze bureaux), la salle des périodiques, et enfin, merveille des merveilles, un salon d'une centaine de mètres carrés, accessible à tous, où les étudiants peuvent se détendre dans de grands fauteuils clubs et lire en fumant. Sur le front du Rhin, une rangée de fauteuils face au paysage permet aussi la lecture détendue, mais sans tabac.

    Aucune surveillance visible - un seul contrôle d'entrée pour la salle de lecture ; la salle des catalogues et le bureau de prêt extérieur sont directement accessibles à tous les visiteurs sans aucune formalité. Cette absence de surveillance dans les salles, cette confiance faite aux étudiants, nous la retrouverons d'ailleurs dans toutes les bibliothèques, et tous nos collègues nous ont assuré que les étudiants s'en montraient dignes.

    L'ensemble des services publics du rez-de-chaussée nous a paru être la plus belle réussite dans ce domaine. Les magasins occupent trois niveaux en sous-sol partiel. Ils peuvent accueillir un million et demi de volumes et en contiennent déjà 800 000 ; ils sont desservis à chaque étage par un ensemble de bandes transporteuses en arêtes de poisson ou encore, en bassin fluvial, fleuve principal et affluents, qui aboutissent tous au bureau de prêt extérieur, très important ici comme dans toutes les bibliothèques universitaires allemandes, où le nombre de volumes prêtés au dehors dépasse, souvent de très loin les communications dans les salles.

    La façade sur le Rhin n'a pas d'étage au-dessus de la salle de lecture, les bureaux se trouvent au premier étage sur la façade arrière et sont donc privés de la vue directe sur le fleuve. Au 2e étage ont trouvé place les salles spécialisées (Département des Manuscrits, qui accueille aussi les Incunables et les Rara ; c'est, en fait, une Réserve), les collections de disques avec quatre cabines d'écoute, huit petits bureaux fermés pour les professeurs de passage, des cellules de lecture de microfilms et des cabines insonorisées pour les lecteurs voulant taper à la machine. Enfin, une cafeteria pour le personnel - environ 100 personnes, dont 13 bibliothécaires «scientifiques» et 45 sous-bibliothécaires.

    Voici donc comme première impression, une bibliothèque fonctionnelle où l'on doit pouvoir très bien travailler, mais qui reste très humaine en tous ses détails.

    Le bâtiment de la Bibliothèque de l'Université avait été détruit en 1944 par un bombardement aérien, mais ses collections, évacuées, avaient été presque entièrement sauvées. Il n'en est pas de même pour la Bibliothèque du Parlement, toujours à Bonn, qui a dû se créer à partir de rien, la Bibliothèque du Reichstag ayant été entièrement détruite. Constituée à partir de 1949 et logée dans les locaux même de l'Assemblée, elle est un des éléments du très important Service de documentation du Parlement qui emploie 135 personnes et suffit, nous a-t-il été dit, pour rendre le Parlement tout à fait indépendant de l'Exécutif du point de vue de l'information, ce qui, là-bas, apparaît capital.

    La bibliothèque compte 350 000 volumes, s'accroît de 25 000 par an, reçoit 9 000 périodiques courants, dont la moitié sont des périodiques officiels. Mais elle est surtout intéressante par ses collections spéciales :

    • - des Archives sonores très importantes, toutes les séances du Parlement et des Commissions étant enregistrées - environ 1 000 km de bandes magnétiques, dont des copies peuvent être fournies à tous les députés.
    • - des Archives photographiques, en cours de constitution : portraits des parlementaires depuis 1848, et toute image jugée utile pour le travail du Parlement.
    • - des Archives biographiques et bibliographiques des parlementaires, qui vont être mises sur cartes perforées.
    • - les Archives de la propagande électorale, tracts, etc., en cours de reproduction sur diapositives en couleurs, pour éviter la communication des originaux.
    • - et enfin une collection de coupures de presse, chaque jour enrichie par le découpage des journaux du jour et qui compte déjà plus de deux millions de coupures.

    A Francfort, la Bibliothèque de l' Université, nouvelle aussi, est plus sévère comme bâtiment que celle de Bonn. Elle est d'importance comparable puisque devant desservir environ 14 000 étudiants. Elle dispose de 1 000 places de lecteurs, dont 150 carrels.

    C'est la seule parmi les bibliothèques visitées qui ait adopté le principe des salles spécialisées par disciplines, auquel nos collègues allemands se montrent assez généralement hostiles, craignant toujours un éclatement de l'Uni-versitas litterarum. Autre originalité : elle est en train de constituer une section spéciale de manuels, en accès direct (2 à 20 exemplaires), avec prêt possible pour trois semaines, et elle possède un Handmagazin (1) très important, actuellement 160 000 volumes.

    La plupart des salles de lecture sont à éclairage zénithal. Deux détails techniques remarquables au passage : la façade sud est protégée par des pare-soleil mobiles, tournant autour d'un axe vertical et se fermant plus ou moins selon l'intensité de la lumière extérieure, de façon entièrement automatique - solution qui paraît idéale, mais est probablement coûteuse et peut-être fragile.

    Enfin, pour le Catalogue collectif régional Hesse-Rhénanie-Westphalie-Palatinat, dont la Bibliothèque assume la charge et qui compte quatre millions et demi de fiches, elle emploie des armoires-fichiers avec translation automatique des tiroirs, chaque meuble contenant 300 000 fiches qui viennent se présenter elles-mêmes au bibliothécaire confortablement assis devant un pupitre.

    A Francfort encore, la Deutsche Bibliothek -- qui est actuellement le centre bibliographique pour l'Allemagne de l'Ouest, a été fondée en 1946 et ses collections de Dépôt légal commencent au 8 mai 1945. Elle prépare la bibliographie nationale, avec ses cumulatifs semestriels, annuels et quinquennaux - au total, chaque année, 13 000 pages de bibliographie. Elle étudie en ce moment, en liaison avec l'Institut central de documentation, l'emploi à partir de 1966 ou 1967 d'ordinateurs surtout pour éviter la composition nouvelle et les corrections à chaque stade des volumes cumulatifs.

    Le bâtiment de la Deutsche Bibliothek est, paraît-il, le plus petit et le plus économique de tous ceux construits depuis la guerre pour de grandes bibliothèques - bien qu'il s'agisse en fait de la Bibliothèque nationale - mais elle est considérée, elle aussi, comme provisoire. Les bureaux ont été prévus pour 100 collaborateurs - il y en a déjà 200 - et l'accroissement est de 70 000 unités bibliographiques par an, le plus important de la République fédérale.

    Parmi les fonds particuliers, la très précieuse collection des publications des émigrés, parues à l'étranger entre 1933 et 1945, environ 9 000 volumes ; les plus intéressants étaient présentés en juin dans une fort belle exposition dont nous avons eu la primeur.

    La Deutsche Bibliothek a une section d'information bibliographique très importante qui, avec quinze collaborateurs, fournit chaque mois de 40 000 à 50 000 renseignements.

    L'obtention des exemplaires de dépôt légal pose bien des problèmes, puisqu'il n'y a pas, en Allemagne, de loi fédérale de dépôt légal, chaque Land ayant la sienne propre. La Deutsche Bibliothek essaie d'obtenir le vote d'une loi fédérale, mais se heurte à certaines réticences de la part des Länder, auxquels le domaine culturel est en principe réservé. Pratiquement, les éditeurs font un dépôt volontaire pour que leurs livres soient annoncées dans les Bibliographies.

    A Munich, nous sommes arrivés trop tôt - huit mois trop tôt - pour voir terminée la reconstruction de la Bayerische Staatsbibliothek (la deuxième bibliothèque allemande après Berlin), qui a perdu dans la dernière guerre les six septièmes de ses bâtiments et plus de 500 000 volumes sur trois millions. Les installations sont encore provisoires, dans une partie reconstruite de l'ancien bâtiment, et beaucoup de livres sont entreposés dans un village voisin, avec liaison par camionnettes. L'aile nouvelle, dont la conception apparaît très intéressante, devait être terminée à l'automne 1965. Nous avons visité les chantiers et remarqué les solutions adoptées pour les salles de lecture, réparties tout autour d'un magasin central élevé et en liaison directe avec lui, les trois niveaux du magasin, correspondant à la salle de lecture, étant prévus comme Handmagazin.

    Il y aura au total 400 places de lecteurs, avec tous les aménagements spéciaux qui paraissent de règle dans toutes ces nouvelles bibliothèques, et un service de prêt très important. Une particularité surprenante dans ce domaine du prêt : la BSB envoie directement aux particuliers résidant dans des localités privées de bibliothèques, et qui lui en font la demande par une simple carte postale, les ouvrages nécessaires à leurs études (5 000 volumes prêtés ainsi en 1964 !).

    La BSB est l'une des trois ou quatre bibliothèques allemandes dont le fonctionnement a été étudié en détail par des conseillers en organisation, qui devaient apporter les vues neuves d'un spécialiste non-bibliothécaire sur les possibilités d'améliorer les modalités du travail et - j'ose à peine écrire ce mot dans ce contexte, mais nos collègues l'ont prononcé -la productivité. Les études ont duré cinq semaines, les résultats ne sont pas encore connus.

    Par ailleurs, les bibliothécaires se livrent, en liaison avec IBM, à des études d'automatisation de certains processus, études prises très au sérieux et qui ont déjà abouti à des résultats concrets en ce qui concerne le contrôle du Prêt.

    L'organisation de la BSB avec ses départements spécialisés, ses 272 collaborateurs, est celle d'une grande bibliothèque nationale dont elle joue, en liaison avec la Direction générale des Bibliothèques de Bavière (liaison garantie par une union personnelle), le rôle coordinateur et exemplaire.

    Capitale d'un pays de très ancienne culture, riche en couvents célèbres, Munich possède un grand nombre de magnifiques manuscrits. Nos collègues ont eu la gentillesse de sortir pour nous leurs trésors les plus fameux et nous avons passé au Cabinet des Manuscrits une matinée que nous ne sommes pas près d'oublier.

    La Bibliothèque de l'Institut fédéral de la propriété industrielle, à Munich aussi, nous ramène à des préoccupations plus terre à terre. La construction de l'Institut a été achevée en 1957 ; sa bibliothèque est en même temps juridique et technique et est utilisée à la fois par l'administration et par le public. Les brevets d'invention ne constituent qu'un tiers des fonds (440 000 volumes). C'est une bibliothèque sans prêt extérieur, qui assure plus de 3 000 communications par jour dans ses deux salles principales réservées l'une au public, l'autre aux fonctionnaires de l'Institut. Les brevets allemands et étrangers sont directement accessibles à tous, ce qui est indispensable, car les lecteurs qui croient avoir fait une invention nouvelle tiennent beaucoup au secret. Les catalogues sont conçus selon le système dictionnaire, cas à peu près unique en Allemagne.

    Les fascicules de périodiques sont à la disposition du public le jour même de leur arrivée ; chaque fascicule reçoit un cachet indiquant la date de son entrée à la Bibliothèque et c'est cette date qui fait foi en cas de contestation sur l'antériorité d'un article.

    La circulation intérieure des livres est assurée par la combinaison de bandes transporteuses horizontales et d'un pater-noster, avec passage automatique de l'un à l'autre. C'est un système que nous avons trouvé à peu près dans toutes les bibliothèques nouvelles et qui, à l'Office des brevets, fonctionne à la totale satisfaction des utilisateurs depuis 1957. Les livres sont placés dans des bacs en plastique, ouverts, qui acceptent jusqu'au format in-4°, à plat, et les protègent parfaitement de tout choc ; la charge maximum de chaque bac est 10 kg. Des contacteurs fixés sur les bacs assurent l'aiguillage automatique vers des directions multiples et le retour des volumes en magasin se fait par le même réseau.

    La Bibliothèque de l'Université libre de Berlin a été la première très grande bibliothèque construite en Allemagne depuis 1914 (date de construction de la Preussische Staatsbibliolhek).

    L'Université a été fondée en 1949, l'ancienne Université de Berlin se trouvant en zone Est, mais la Bibliothèque n'a été terminée qu'en 1957, grâce à un crédit de la Fondation Ford. Les Instituts de l'Université avaient déjà, à cette époque, constitué leurs bibliothèques et la première tâche de la nouvelle centrale a été d'établir un Catalogue collectif des fonds des Instituts. Cette situation particulière a fait naître des habitudes de coopération entre Bibliothèque centrale et Instituts, habitudes qui subsistent à la satisfaction de tous : les quelque 60 000 fiches des livres achetés chaque année par les Instituts continuent à être intercalés dans le Catalogue général, et il existe même une certaine coordination des achats.

    La Bibliothèque dessert environ 16 000 étudiants (elle est d'ailleurs accessible aussi au public) mais ne possède encore que 360 000 volumes ; elle a place pour le double. Elle reçoit un millier de lecteurs par jour dans ses salles, qui offrent, au total, 350 places. Là non plus, pas de salles spécialisées par disciplines, mais une grande abondance d'usuels dans la salle de lecture, de l'ordre de 40 000 volumes.

    Un des agréments de cette bibliothèque est d'être au centre même du complexe universitaire, dans le quartier résidentiel de Dahlem. Une de ses particularités est de pouvoir accepter des subventions privées - par exemple ces dernières années des fonds importants de la firme Volkswagen et de la Loterie berlinoise. Elle reçoit aussi, en vertu d'une convention amicale avec les éditeurs, un exemplaire de tous les ouvrages publiés à Berlin-Ouest.

    Ces quelques notes sont si fragmentaires qu'il serait illogique de vouloir leur donner une conclusion. Disons simplement que nous avons vu des bibliothèques en pleine prospérité, à l'image de l'Allemagne actuelle, qui ont surmonté la terrible crise de la guerre et de l'après-guerre et sont maintenant parfaitement outillées pour assumer leur rôle intellectuel.

    Partout nous avons été accueillis - et ce ne fut pas le moindre agrément du voyage - par des collègues passionnés de leur travail, très légitimement fiers de l'effort énorme accompli depuis 1946 et des fruits qu'il a portés, et qui semblent concilier sans difficultés un attachement profond aux valeurs traditionnelles de notre profession et une grande ouverture aux nouveautés techniques qui peuvent bouleverser demain l'exercice quotidien de celle-ci.

    1. Il est assez difficile de donner de ce terme une traduction exacte. Il s'agit d'un magasin situé à proximité immédiate de la salle de lecture principale et dont les volumes sont communiqués sans aucun délai. Les lecteurs n'y ont en principe pas accès, mais certaines biblothèques nouvellement construites ont prévu la mise éventuelle en accès direct de ce magasin. retour au texte