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    Les Bibliothèques de Fontainebleau

    Communication présentée à la Sous-section des Bibliothèques administratives, parlementaires et juridiques à Fontainebleau, le 20 juin 1966.

    Par Annie Rabant

    Une résidence royale aussi fréquentée au cours des siècles que le fut le château de Fontainebleau se devait de renfermer une bibliothèque riche et précieuse. Aussi ne devons-nous pas nous étonner de voir les différents souverains s'intéresser à la constitution ou à l'enrichissement de son fonds. En fait, il y eut au château de Fontainebleau deux bibliothèques (1) , séparées dans le temps par un peu plus de deux siècles et placées l'une et l'autre dans des locaux différents. Il faut mentionner, en outre, les livres placés dans le cabinet du Roi et plus tard dans le cabinet de l'Empereur. Nous parlerons d'abord de ces bibliothèques privées avant de dire quelques mots de la première, et surtout de la deuxième bibliothèque.

    Dans son traité des bibliothèques, le Père Louis Jacob, après avoir fait l'histoire de la Librairie Royale, ajoute qu'il y a encore en ce château une autre petite bibliothèque « pour divertir nos rois quand ils y font leur séjour ». Il s'agit là sans doute des livres placés dans le cabinet du Roi dont un relevé aurait été fait en 1778 indiquant une quantité peu élevée de livres. A la même date, un manuscrit de la Bibliothèque nationale contient un état des livres de la bibliothèque du Roi à Versailles et des livres de Sa Majesté qui sont à Compiègne et à Fontainebleau (bibliothèque peu importante puisqu'elle ne comportait au total que 49 ouvrages en 267 volumes : on y relevait les oeuvres dramatiques des deux Corneille, de Molière, Racine, Regnard, Campistron, Crébillon, Voltaire, des ouvrages d'histoire et des mémoires.

    Le service du garde-meuble de la Couronne en 1786 avait fait établir des mémoires indiquant dans quels meubles étaient conservés ces livres à Versailles, Fontainebleau, Compiègne ou Rambouillet. Barbier, lui, nous précise que s'il n'y avait pas, au début de l'Empire à proprement parler de bibliothèque au château, il existait plusieurs cabinets renfermant un assez grand nombre de bons livres : tel le cabinet de l'Empereur. Dans le cabinet de travail de Napoléon se trouvait aussi une petite bibliothèque : mais surtout communiquait avec celui-ci par un escalier dérobé construit à cette époque, une autre petite bibliothèque particulière située au rez-de-chaussée, qui fut celle de l'Empereur après avoir été et avant d'être celle du Roi. C'est là, dit-on, que Napoléon passait la plus grande partie de son temps quand il venait à Fontainebleau. Il y couchait même parfois, paraît-il, sur son petit lit de fer. Au temps du règne de Louis-Philippe, un contemporain signale qu'elle contient 5 000 volumes choisis, qui sont à peu près les mêmes que ceux que Napoléon y avait fait placer, à l'exception des prélèvements faits par l'Empereur à son départ pour l'île d'Elbe, ou par d'autres utilisateurs plus ou moins scrupuleux. Cette bibliothèque existe toujours et les visiteurs peuvent y admirer de belles reliures provenant de bibliothèques des familles royales ou princières et y consulter les catalogues dressés par les différents bibliothécaires de Fontainebleau, comme celui que rédigea Charles Rémard (2) .

    Première bibliothèque. - Sur l'histoire de la Librairie royale et de la première bibliothèque du château de Fontainebleau, depuis sa création au XVIe siècle jusqu'à son transfert à Paris, en 1601, il est de nombreux ouvrages. Je citerai pour mémoire : La Bibliothèque du Roy, par l'abbé Jourdain ; La Bibliothèque et les bibliothécaires du château de Fontainebleau au temps passé, par Th. Lhuillier ; les écrits de Léopold Delisle ; La Bibliothèque de Fontainebleau et les livres des derniers Valois à la Bibliothèque nationale, par Quentin-Beauchart ; La Bibliothèque et les bibliothécaires du Palais de Fontainebleau, par Ernest Bourges. Si, dans cette énumération, je n'ai pas mentionné l'important « Discours au Roy sur le rétablissement de la Bibliothèque royale de Fontainebleau », par Abel de Sainte-Marthe, c'est qu'avant de parler de ce docte et consciencieux gardien d'une bibliothèque fantôme, je veux donner un instant la parole à Barbier qui, au début de sa lettre de remerciement à l'Empereur pour sa nomination à la Bibliothèque de Fontainebleau, fait ainsi l'historique de cette première Bibliothèque : « Vers le milieu du XIVe siècle, Charles V, surnommé Le Sage, plaça dans ce palais tous les ouvrages qui purent se trouver de son temps, et pour y avoir une Bibliothèque digne d'un roi de France, il fit traduire en français la Bible, le plus curieux de tous les livres, la Cité de Dieu de Saint Augustin, la Politique d'Aristote, l'Histoire romaine de Tite-Live et plusieurs autres productions de l'Antiquité. Environ 200 ans après, François Ie r, dont le nom sera à jamais cher aux lettres et aux arts, fit encore chercher pour la Bibliothèque de Fontainebleau dans toutes les parties du monde, les livres les plus rares et les manuscrits les plus précieux. Les savants qu'il avait honorés de sa confiance, secondèrent si bien le zèle du monarque que l'ancien local de de la Bibliothèque se trouva trop resserré pour contenir toutes les richesses qu'ils recueillirent. François Ie r en fit préparer un beaucoup plus vaste au-dessus de la galerie qui porte son nom et, tant qu'il exista, ce local fut considéré comme la plus belle pièce de ce magnifique palais.

    « Henri II ordonna qu'un exemplaire sur vélin de tous les ouvrages nouveaux serait déposé dans la Bibliothèque de Fontainebleau. Mais, ô déplorable destinée des plus beaux monuments, les malheurs qui accablèrent la France, dans les siècles suivants, n'épargnèrent pas le brillant asile qui avait été ouvert aux sciences et aux lettres... ». Sans remonter comme Barbier jusqu'à Charles V, créateur incontesté de la première Librairie royale, que ses successeurs, Louis XI et Louis XII en particulier, reconstituèrent soit à Fontainebleau, soit à Blois, c'est surtout à François Ie r que l'on doit l'établissement vers 1530 d'une bibliothèque, riche en manuscrits de langues anciennes et autres ouvrages d'importance. On sait ce qu'il en advint : le tumulte des guerres civiles ne permit pas de laisser ce précieux trésor en péril, exposé au brigandage des partisans et c'est en 1601 qu'Henri IV en ordonna le transfert à Paris, par les soins de Guillaume Budé.

    Au reste, le collège de Clermont, qui l'abrita d'abord, était plus à la portée des savants que le château de Fontainebleau. Des déménagements successifs firent passer ce fonds si riche, de l'Hôtel de Clermont à l'Hôtel de Nevers, en passant par la Maison des Cordeliers et par l'Hôtel Colbert. Louis XIII songea bien un instant à rétablir une bibliothèque à Fontainebleau, il se contenta seulement de faire revivre le titre de garde d'une bibliothèque qui n'existait plus. C'est ainsi que furent nommés : Abel de Sainte-Marthe, le père, en 1627 et Abel de Sainte-Marthe, le fils, en 1647, dont nous avons précédemment parlé.

    C'est lui qui adressa à Louis XIV ce fameux discours sur le rétablissement de la Bibliothèque de Fontainebleau, trouvant équivoque son titre de bibliothécaire sans fonction, et peut-être gêné du profit pécuniaire qu'il en tirait, comme en fait foi la gratification de 1 200 livres donnée en 1667 au « Sieur de Sainte-Marthe, bibliothécaire en titre de Fontainebleau ». Ce n'est qu'en 1720, nous dit Barbier, que furent confondus les titres de bibliothécaire de Fontainebleau et de bibliothécaire du Roi.

    Deuxième Bibliothèque. - Ainsi donc, en dehors des Cabinets royaux dont avait peut-être la garde l'Abbé Denina, cité comme bibliothécaire du château de 1804 à 1809, le château de Fontainebleau du début du XVIIIe au début du XIXe siècle, ne renfermait plus de grande bibliothèque. C'est alors qu'intervinrent Napoléon et Barbier, qui venait d'être choisi pour succéder à M. Ripault, comme bibliothécaire de l'Empereur. En 1807, trois jours après sa nomination comme administrateur des diverses bibliothèques du souverain, Barbier reçut de Rambouillet, par l'intermédiaire du maréchal Duroc, les premiers ordres de l'Empereur :

    « Sa Majesté, Monsieur, vous a nommé son bibliothécaire ; elle désire que vous preniez possession de ses bibliothèques le plus tôt possible. Comme Sa Majesté se rend incessamment à son Palais de Fontainebleau, il est plus pressant que vous preniez connaissance de cette bibliothèque. Outre la Bibliothèque du Cabinet de Sa Majesté, qui est pleine et complète, on a construit dans ce Palais, pour le service de Sa Majesté, de ses ministres et de sa maison, une grande bibliothèque. Sa Majesté y a destiné des livres de l'ancienne bibliothèque du Conseil d'Etat. Elle désire que vous la fassiez partir et accompagner de suite. Elle désire aussi que vous envoyiez au même endroit des livres de la Bibliothèque du Tribunat.

    Voyez, Monsieur, à mettre le plus d'activité pour remplir promptement les intentions de Sa Majesté.

    J'ai l'honneur de vous saluer,»

    Le grand Maréchal du Palais

    Signé : Duroc

    C'est en fait dès le 6 février 1806 que l'Empereur avait ordonné au comte Daru de faire transporter à Fontainebleau les livres de la Bibliothèque du Conseil d'Etat, ceux-ci étant entreposés depuis 1805 par suite de déménagement, dans la grande galerie allant du Louvre aux Tuileries. Le 7 mars 1806, Barbier fit un devis des frais de transport qui devaient s'élever à 2 054 francs, livres rendus à Fontainebleau (dépenses à la charge de la liste civile de l'Empereur). En septembre 1807, le déménagement était achevé, et en trois mois Barbier rangea les livres sur les rayons posés hâtivement. On chiffre à 25 000 environ les livres transportés dans 140 caisses de Paris à Fontainebleau. Le maréchal Duroc précisant que la Bibliothèque de Sa Majesté était pleine et complète, on avait fait construire une grande bibliothèque. Qu'en fut-il exactement ? Ce ne fut pas la galerie de la librairie créée par François Ie r pour cet usage qui fut choisie, mais en 1810. la chapelle haute de Saint Saturnin, construite également par François Ie r . L'inscription Henricus secundus, Dei gratia francorum rex christianissimus, attribue à ce roi la construction de la tribune de la chapelle.

    On ne lit plus au-dessus de la porte d'entrée les vers suivants écrits à la louange de Henri IV :

    « Riche en biens, en enfans, en royaume et en femmesAu milieu de la paix, un monarque indompté.Décore ce saint lieu dans l'ardeur qui l'enflammePour faire dans sa cour régner la piété ».

    Quoi qu'il en fût, cette chapelle fut transformée en bibliothèque et disposée dans sa hauteur de manière à former deux balcons se correspondant par deux escaliers intérieurs et se développant dans tout le pourtour de la pièce. Les transformations furent exécutées par Leroy, architecte du Palais. J.-F.-A. Robit, conducteur des travaux dans les bâtiments de la Couronne, a dressé des plans et dessins grâce auxquels nous connaissons ces installations : « Palais Impérial de Fontainebleau, chapelle bâtie sous François Ier par Serlio, sa nouvelle disposition comme bibliothèque de Sa Majesté l'Empereur Napoléon ». Les rayons des livres étaient placés dans les entre-colon nements. Trois ans plus tard, en octobre 1810, l'installation était achevée, les livres rangés et le catalogue terminé. Pendant les séjours de la Cour, la nouvelle bibliothèque était fréquentée par l'Empereur, les notabilités de l'Empire, ainsi que par divers savants français et étrangers.

    Aussi voyons-nous Barbier remercier en ces termes son souverain :

    Sire,

    « J ' a i l'honneur de remercier Votre Majesté du rétablissement de la bibliothèque de Fontainebleau, bibliothèque aussi remarquable par les ouvrages qui la composent que par le local qui les renferme.

    « Quelles idées grandes et nobles, douces et touchantes, ne rappelle pas ce mot de bibliothèque, considérée comme la réunion des plus beaux produits de l'esprit humain ! Quels hommages de reconnaissance la postérité n'a-t-elle pas décernés à la mémoire des souverains qui ont favorisé l'établissement des bibliothèques ! ... On pouvait craindre, Sire, de ne jamais revoir une bibliothèque, dans le Palais de Fontainebleau. Mais à peine Votre Majesté eut-elle préservé ce Palais de la ruine dont il avait été menacé... qu'elle donne des ordres pour l'arrangement d'un local destiné à recevoir une nombreuse bibliothèque.

    « Elle est organisée, cette bibliothèque, et elle excite l'admiration de ceux qui la visitent, elle procure d'agréables jouissances aux personnes de Votre Maison qui viennent y passer le temps que leurs emplois leur laissent libre. Elle rappellera à la postérité la plus reculée, le goût de Votre Majesté pour les lettres et les établissements littéraires, et ce qui est encore plus digne de Votre Majesté, les profondes connaissances que lui a procurées un commerce habituel avec les livres : que ne puis-je faire connaître ici les ouvrages que Votre Majesté affectionne le plus, c'est-à-dire ceux où l'histoire retrace aux souverains les exemples qu'ils ont à suivre ou à éviter. On verrait dans ce tableau que Votre Majesté n'a étudié les grandes actions des princes que pour les surpasser toutes ».

    Certes, si Barbier fut un excellent bibliothécaire, il nous montre par ces propos qu'il sut aussi être un excellent courtisan. Aussi ne put-il empêcher - et comment d'ailleurs l'aurait-il pu ? - Napoléon, pendant les neuf jours qu'il passa à Fontainebleau avant son départ pour l'île d'Elbe, de faire choix d'un nombre assez important d'ouvrages à emporter dans ses deux bibliothèques, peut-être principalement dans celle de son cabinet.

    Nous connaissons ces ouvrages par la liste qu'en a dressé, le 14 avril 1814, Ch. Rémard, conservateur-adjoint de Barbier à qui il écrit :

    « L'Empereur agit ici en maître absolu jusqu'au dernier moment et je me mets en règle en vous prévenant pour ce qui me regarde ».

    Soit 691 volumes (sans compter la collection des décrets et le Bulletin des lois) parmi lesquels on peut citer : Virgile, l'Arioste, Gassendi, César, Salluste, Thucydide, Plutarque, la collection du Moniteur, etc. De tous ces livres, les uns au retour de l'île d'Elbe, furent renvoyés au Louvre, d'autres allèrent peut-être à l'Elysée, ce que pourrait faire croire une lettre de Champollion- Figeac, sous le second Empire :

    « C'est la rentrée... des livres de Fontainebleau, qui avaient passé à l'Elysée où il n'y a plus de bibliothécaire ni de bibliothèque. Le nombre des volumes passés d'ici à l'Elysée est de 494 et pas un d'eux n'a été remplacé, de sorte que la lacune existe toujours dans le catalogue où le mot « absent à l'Elysée » rappelle cette grande calamité... Vite mes livres de l'Elysée avant que je prenne ma place dans ce lieu de délices où je me rendrai néanmoins le plus tard possible... ».

    D'autres « emprunts » sans retour furent faits à l'époque troublée de la fin du Premier Empire (Pie VII, le comte Bertrand, M. de Turenne, un général prussien, qui, emmenant le « Corinne » de Mme de Staël, justifiait son acte en donnant comme motif : «Souvenir de la campagne de 1815»). Rémard prit connaissance de ces «fuites» lorsqu'en 1815 il fit une révision totale de la principale bibliothèque et dressa le catalogue de celle du cabinet. Cependant l'histoire de la Bibliothèque ne s'arrête pas là, et je ne pourrais clore cet exposé sans avoir parlé de ceux qui y ont successivement attaché leur nom.

    Entre 1819 et 1830, l'abbé Chalanton, comme le bibliothécaire de Versailles, de Compiègne et autres résidences royales, dut être un subordonné du bibliothécaire chargé de la Conservation générale des diverses Bibliothèques du Roi. Il en fut de même pour Casimir Delavigne, dont le chef hiérarchique Vatout, conseiller d'Etat, publie en 1852 un volume sur le Palais de Fontainebleau. C'est au cours de cette période, vers 1840, que l'on retira de la bibliothèque tous les livres ayant trait à l'histoire de France pour en composer la Bibliothèque du Musée de Versailles.

    C'est sous l'administration d'un sous-bibliothécaire, Léon Laya, en 1848, que la bibliothèque du château de Fontainebleau, comme toutes ses soeurs de Versailles, Compiègne, du Louvre, de l'Elysée et de Meudon, fut rattachée au département de l'Instruction publique et des Cultes. Arrêtons-nous quelques instants encore, sur une personnalité importante, Jacques Joseph Champollion-Figeac, qui de 1846 à 1865 a entretenu avec Louis Barbier, bibliothécaire du Louvre et fils d'Antoine Alexandre Barbier, une correspondance fort intéressante. Ces lettres portent l'en-tête suivante :

    « Ministère de la Maison de l'EmpereurPalais Impérial de FontainebleauBibliothèques - Cabinet du conservateur »

    Nous avons laissé la bibliothèque installée dans la Chambre Haute Saint Saturnin depuis 1807, et en 1853, Champollion-Figeac nous laisse entrevoir un nouveau déménagement succédant à celui précédemment fait en 1851 sur l'ordre de Napoléon III, et plaçant les livres dans la Galerie de la Librairie, ancien local de la première bibliothèque de François Ier.

    «Je crois bien que j'aurai à recommencer mon établissement et que je me verrai bientôt dans la Galerie de Diane. Je profiterai de l'expérience de mon premier déménagement pour rendre le futur moins pénible que le passé : ce sera néanmoins une rude chose encore, car il est dit qu'il faut employer les tablettes actuelles dans la nouvelle galerie, donc les livres, empilés d'abord, puis transportés, puis remis en place et ce sont autant de sources de confusion au détriment du pauvre bibliothécaire dont on ne s'inquiète guère. Gardez tout ceci pour vous, afin que les bavards nouvellistes ne s'en emparent pas ».

    Six ans plus tard, c'est chose faite, et Champollion-Figeac peut dire : « Ma nouvelle galerie est en état, visible et praticable. C'est très beau, mais mon deuxième étage est encore dans les mains des ouvriers, et je pose un livre à mesure que le menuisier plante un clou, rude métier qui n'est pas près de finir ».

    Nous avons déjà vu précédemment comment Champollion-Figeac se préoccupait de récupérer les livres pris à Fontainebleau en faveur de la bibliothèque de l'Elysée. Celle-ci supprimée, certains livres allèrent aux Tuileries, d'autres furent peut-être ramenés à Fontainebleau par le général Rolin qui avait eu mission de le faire, d'autres enfin durent aller à la Bibliothèque du Louvre et avoir le triste sort que l'on sait, c'est-à-dire la destruction due à l'incendie de la Commune. C'est le 26 novembre 1856 que Champollion-Figeac achève le catalogue de sa bibliothèque. Il ne cesse d'avoir la préoccupation d'enrichir le fonds confié à sa garde. En 1860 il demande «surtout des images et des nouveautés» (faut-il voir déjà là le goût du public pour les livres illustrés ?) et le 31 juillet 1861, il peut se vanter d'avoir constitué ou complété à la bibliothèque du Palais de grandes collections comme le Recueil des historiens de la France, l'Histoire littéraire, les Mémoires de l'Académie des Inscriptions.

    Petit détail anecdotique : dans la même lettre, Champollion-Figeac relate une chute qui lui a fait le visage « polychrome », ce qui lui a valu les soins de Corvisart. Il semble bien que Champollion-Figeac conserva ses fonctions jusqu'à sa mort à 89 ans en 1867. Son successeur, Octave Feuillet, si l'on en croit les souvenirs de sa femme paraît plus occupé des réceptions de cour que de ses activités de bibliothécaire. Nous savons seulement qu'en dehors de 4 à 5 heures par jour passées à la Bibliothèque, il aimait les parties de chasse ou les conversations avec l'Empereur, sans parler du va et vient de sa servante au nom évocateur, Mme Cosinus, qui ne le dérangeait guère. Après lui vinrent Louis Ratisbonne, Adolphe Régnier, Auguste Molinier, à qui l'on doit le catalogue des 24 volumes manuscrits de la Bibliothèque du Palais. Jean-Jacques Weiss prit le poste à son tour, non sans difficulté, en raison de multiples intrigues. Il dit en particulier, dans une lettre où il demande que soient présentés au Ministre certains faits :

    « On parle d'une théorie à faire prévaloir en vertu de laquelle nul ne serait nommé à un emploi dans les bibliothèques qu'à condition d'appartenir à la hiérarchie dans les bibliothèques et d'en avoir parcouru tous les grades. Je ne discute pas cette théorie ; quand bien même on l'appliquerait aisément à l'ensemble des bibliothèques de Paris, qui peuvent former un tout, ayant une hiérarchie, il y a toutes sortes de hautes raisons, que vous devinerez sans peine, de tenir en dehors de cette règle des positions isolées, aussi spéciales que celles de bibliothécaire de Compiègne et Fontainebleau ».

    Il était docteur ès lettres et agrégé d'histoire et il fut le dernier à porter le titre de bibliothécaire de Fontainebleau. Depuis sa mort en 1891, l'emploi a été supprimé et c'est ainsi que la Bibliothèque que nous voyons encore aujourd'hui dans la « Galerie de Diane » est devenue une annexe de la Bibliothèque nationale. A la suite de l'inventaire fait sur fiches par la Bibliothèque nationale en 1889, les livres manquant rue de Richelieu ont été prélevés à Fontainebleau.

    Le chiffre maximum de volumes qu'aurait compté la Bibliothèque dont nous venons de parler serait entre 30 et 40 000 volumes. En 1902, 4 000 volumes de Fontainebleau remplacent partiellement à Compiègne les 30 000 pris dans ce palais pour être répartis entre la Bibliothèque nationale, l'Arsenal, la Mazarine et Sainte-Geneviève. Outre quelques livres reliés aux armes et chiffres de Marie Leczinska, Mme de Pompadour, Mme du Barry, que l'on peut voir encore, dans la Galerie de Diane, il y avait aussi un certain nombre de manuscrits, comme un « Office des Chevaliers du Saint Esprit du XVIIe siècle », ou encore un recueil de poésie satirique contre le cardinal de Richelieu dont l'une est « Sur l'enlèvement des reliques de saint Fiacre, apportées de la ville de Meaux à Paris pour guérir le derrière du Cardinal ».

    Je dirai seulement, pour terminer, qu'il fut question en 1888 de créer à Fontainebleau une succursale destinée à recevoir les collections de peu d'intérêt que la Bibliothèque nationale est obligée de conserver pour garantir la propriété littéraire. Je ne sais ce qu'il advint de ce projet... mais j ' a r r ê te ici mon propos, car maintenant l'histoire de la Bibliothèque du château de Fontainebleau, c'est l'histoire de la Bibliothèque nationale.

    Je n'aurai certes pas l'audace de dire, comme le faisait Regnault en 1853 dans sa notice sur la Bibliothèque du Conseil d'Etat consulaire et impérial : «La Bibliothèque de Fontainebleau, l'une des sources de la Bibliothèque... du Conseil d'Etat qui lui ouvrirait aujourd'hui son sanctuaire avec bonheur et reconnaissance ».

    Après tant de mutations et changements, que reste-t-il de ces sources ? Les juristes de la deuxième moitié du XXe siècle ont-ils encore le temps de s'intéresser longuement au passé ?

    1. Cf. M. Lecomte. - Mélanges historiques sur Fontainebleau,, p. 64 et suiv. retour au texte

    2. Cf. M. Riberette. - Ch. Rérnard, Association des bibliothécaires français, Bulletin d'informations, n° 53, pp. 233-239, n° 54, pp. 23-31, et n° 55 ci-contre. retour au texte