Index des revues

  • Index des revues

Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle (1850-1914)

1968
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓
    Par Jacques Letheve
    Jean Hassenforder

    Développement comparé des bibliothèques publiques en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXe siècle (1850-1914)

    Paris, Cercle de la librairie, 1967. - 24 cm, 211 p.

    Connu comme théoricien du développement de la lecture publique, M, Hassenforder vient d'établir, en une thèse de troisième cycle, une étude d'une importance et d'un intérêt beaucoup plus considérables que ses travaux précédents. Analysant les raisons qui expliquent la place tenue aux Etats-Unis et en Angleterre par les bibliothèques publiques, il a eu l'idée de chercher l'origine de cette disparité avec la France dans les conditions différentes faites à ce type de bibliothèque par chacun des pays entre 1850 et 1913. Son étude est comparative, par cela même d'un genre original, mais elle était difficile à mener, faute d'avoir toujours des éléments identiques à confronter.

    Au départ, la France possédait les meilleures conditions, puisque dès le début du siècle avaient été créées de nombreuses bibliothèques municipales, que l'Anglais Edwards, en 1850, pouvait citer en modèles pour son pays. L'essor anglais et surtout américain sont pourtant ensuite sans commune mesure avec notre propre développement : les chiffres et documents cités par M. Hassenforder permettent de souligner que souvent, ces deux pays avaient dépassé le niveau actuel de la France dès 1912 !

    Sur un point, je voudrais faire le reproche à l'auteur de n'avoir pas toujours tenu compte de certains éléments. Il cite les attaques formulées contre la Bibliothèque nationale en 1849 - il y en a eu, en fait, tout au long du siècle et ce serait aussi une longue histoire intéressante à raconter - mais il oublie de dire que jusqu'en 1868, la Bibliothèque nationale était une bibliothèque ouverte à tous sans restriction et que, par sa « salle pu-blique » précisément, elle l'est restée jusqu'après la guerre de 1914.

    Mais il est bien évident que l'existence d'une grande bibliothèque « publique » parisienne, qui fait encore défaut à l'heure actuelle, ne justifiait pas à elle seule l'absence de bibliothèques vraiment destinées à tous les publics dans toute la France. Parmi les raisons qui expliquent cet état de fait, il en est qu'on connaissait mal et que M. Hassenforder met très heureusement en valeur : le peu de goût montré en France pour les associations de lecture, si florissantes dans les pays anglo-saxons (chez nous l'Association Franklin n'a été qu'une heureuse exception) ; le peu d'empressement des mécènes ou des philanthropes envers les bibliothèques, contrairement à l'Amérique ; la croyance que l'on sait tout après avoir été à l'école, alors qu'ailleurs on reconnaît la valeur du self-made-man et de l'éducation permanente (en France l'éducation des adultes et les Universités populaires ont été entraînées dans le même courant de dépréciation) ; enfin un esprit de classe, bien résumé par la formule qu'employait, en 1910, un de nos éminents prédécesseurs : « Il faudra encore aux diverses classes livres différents et locaux séparés ».

    Tous les bibliothécaires de grands établissements n'ont pas, heureusement, montré aussi peu de compréhension à l'égard de la lecture pour tous, et outre que l'A.B.F. a joué son rôle à partir de 1906, un homme comme Eugène Morel a su, malgré ses fonctions à la Bibliolhèque nationale, plaider avec dynamisme la cause des bibliothèques publiques.

    M. Hassenforder montre tout cela fort bien ; il est dommage que son propos ne l'ait pas conduit à établir si les causes du retard français sont bien toujours les mêmes. En réalité, les conditions ont certainement évolué, et pour cette raison l'étude de M. Hassenforder a surtout un intérêt sur le plan historique. Mais elle n'éclaire que très indirectement le fait que, malgré des améliorations qu'on ne saurait nier, l'utilité d'un réseau bien organisé de bibliothèques publiques dans toute la France ne soit pas encore une évidence pour l'opinion.