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    Une nouvelle association professionnelle ?

    Par Suzanne Honoré

    Nos collègues bibliothécaires municipaux ont certainement reçu le numéro 1 du Bulletin de l'Association nationale des bibliothécaires municipaux, dont le projet de constitution est issu de la réunion des bibliothécaires du Sud-Est du 1er décembre dernier. Nul doute que pour beaucoup la première réaction ne soit favorable : enfin on pense à nous ! Nous le savons, les bibliothécaires municipaux se sentent écartelés : entre les deux ministères dont dépendent leur activité, l'Education nationale sur le plan technique, l'Intérieur sur le plan des carrières ; et aussi entre leurs deux vocations, bibliothèques d'étude de par la tradition, leurs fonds anciens, leurs richesses ; bibliothèques de lecture publique de par l'orientation nouvelle et indispensable que doivent prendre les bbliothèques pour répondre aux besoins qui se manifestent déjà, et se manifesteront avec plus de force encore dans l'avenir, en raison de l'élévation constante du niveau d'instruction du public.

    On comprend donc que cette nouvelle association leur paraisse exactement répondre à leur attente. Elle déclare d'autre part ne se vouloir en concurrence avec aucune autre, et il faut bien noter que son comité d'initiative compte, sur 8 membres, 6 adhérents de notre association. C'est donc qu'ils n'ont pas jugé l'appartenance à ce nouveau groupement incompatible avec d'autres affiliations auxquels nous savons qu'ils sont attachés.

    Et pourtant, nous ne pouvons pas nous réjouir de voir se créer une nouvelle association professionnelle. Pourquoi ? Nous regrettions, dans le dernier numéro de notre Bulletin, l'existence de trop nombreux syndicats dans le monde des bibliothèques. Du moins avions-nous la chance d'avoir une seule organisation professionnelle, regroupant toutes les catégories de bibliothécaires et d'amis des bibliothèques pour des débats et des réflexions en commun, portant la parole au sein des organisations internationales. Puis est née l'Association de l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires, qui a pris la suite de l'A.T.D.B.S. ; mais il s'agit essentiellement pour les anciens élèves de se regrouper autour de leur Ecole encore jeune et d'en étendre le rayonnement. Voici maintenant une association de bibliothécaires municipaux. A quand une association de bibliothécaires universitaires, de B.C.P., d'entreprise, de recherches, etc... ? Qui ne voit, qui ne sent à quel gaspillage d'efforts, de bonne volontés, nous allons aboutir ? Nous avons déjà du mal à faire vivre l'A.B.F. qui groupe cependant 1.700 membres environ. Nous sommes peu nombreux, peu écoutés, dénués de ressources financières. Allons-nous nous donner le luxe d'entretenir plusieurs associations, au moment même où nos collègues allemands, par exemple, déplorent l'existence chez eux de plusieurs groupements ?

    La nouvelle association, en page 4 de son bulletin, veut bien rendre hommage à notre section des Bibliothèques publiques et à son bulletin, qui est « intéressant, vivant, utile ». Pourquoi donc les bibliothécaires municipaux ne s'y sentent-ils pas à l'aise ? « Les B.M. ne sont pas seulement des services de lecture publique ».

    Il me semble y avoir là une confusion extrêmement fâcheuse sur la conception de « bibliothèque publique ». Si nous avons adopté ce terme - dont nous savons combien en français il est amphibologique - c'est qu'il est le terme adopté sur le plan international, et notamment par l'U.N.E.S.C.O. pour les statistiques de bibliothèques. Les bibliothèques publiques sont celles qui « servent gratuitement ou contre une cotisation de principe une collectivité, et notamment une collectivité locale ou régionale» (1) .

    Les bibliothèques municipales sont donc le type même de la bibliothèque publique. Mais cela ne veut pas dire pour autant que leur fonction de bibliothèque d'étude soit négligée. Qui ne sait qu'en Grande-Bretagne, au Canada, aux Etats-Unis, les bibliothèques publiques sont d'énormes établissements (la New York Public Library a plus de 6 millions de volumes) aux collections très riches, pourvues d'annexes souvent très spécialisées, par exemple sur la musique ou le théâtre ? Que ces bibliothèques comportent des réserves de fonds anciens, des collections locales d'une valeur inestimable ? C'est en France et dans certains autres pays latins que, pour des raisons historiques, trop de bibliothèques municipales, traditionnellement et quasi exclusivement bibliothèques d'études, ayant hérité leurs riches fonds anciens des confiscations révolutionnaires et des legs des érudits locaux, se sont tardivement et comme à regret flanquées d'une petite « section de prêt » où figurent quelques centaines d'ouvrages, de vulgarisation ou romans. Et si notre section des bibliothèques publiques s'est attachée plus particulièrement au développement d'une « lecture publique » sainement et largement conçue, c'est précisément parce que ce rôle des B.M. lui paraissait trop négligé chez nous, ce qu'a confirmé le Comité interministériel dans son rapport, alors que nos grands bibliothécaires municipaux - dont la plupart ont d'ailleurs su, quand leur municipalité le leur a permis, créer des annexes et développer leurs fonds de prêt - n'avaient besoin d'aucun encouragement pour penser à leurs fonds d'étude. Si cependant les bibliothécaires municipaux éprouvent le besoin de se regrouper pour l'étude de leurs problèmes spécifiques, il leur est toujours possible de constituer un groupe de travail ou une sous-section au sein de notre Section des bibliothèques publiques. De tels groupes ont existé ou existent déjà : il suffit de quelques bonnes volontés pour les constituer et les faire fonctionner.

    Mais il est un rôle que la nouvelle Association nationale des bibliothécaires municipaux semble également vouloir jouer, c'est la défense des personnels auprès des municipalités. S'il en est ainsi, c'est-à-dire si elle entend assumer des responsabilités de caractère syndical, c'est là un rôle que l'A.B.F. ne lui disputera pas. Nous n'entendons pas nous priver de réfléchir et d'émettre des avis sur la formation, le recrutement et la carrière des bibliothécaires municipaux, comme l'ont bien prouvé les débats de notre dernier congrès de Clermont-Ferrand ; mais nous ne pouvons ni ne voulons nous lancer dans des démarches de caractère revendicatif ou individuel.

    Mais dans ce domaine comme dans bien d'autres, si des démarches peuvent à court terme ne pas être inutiles, la solution, à long terme, est dans cette loi sur les bibliothèques souhaitée par les Assises, qui fixerait des normes, de local, de nombre de livres, de nombre et de qualification de personnel, en fonction du nombre d'habitants à desservir, et imposerait le dégagement des crédits nécessaires à leur application, comme plusieurs pays européens en ont déjà. Pourrons-nous obtenir cet indispensable instrument de développement des bibliothèques sans un effort persévérant, coordonné, de toutes les bonnes volontés ? Faut-il encourager le particularisme dans une profession qui est une et qui entend le rester ? Avons-nous quelque chance de réussir si nous n'offrons pas un front uni ?

    1. (1) Le projet de recommandation en cours d'élaboration par les soins de l'I.S.O. et de la F.I.A.B. distingue cinq grandes catégories de bibliothèques : Bibliothèques nationales et autres bibliothèques de caractère national ; Bibliothèques des universités et autres établissements d'enseignement supérieur ; Bibliothèques d'enseignement (pratiquement inexistantes en France, comme nous ne le savons que trop) ; Bibliothèques spécialisées ; Bibliothèques publques. Et voici la définition de ces dernières : « Bibliothèques qui servent gratuitement ou contre une cotisation de principe une collectivité locale ou régionale. On distinguera : a) les bibliothèques fonctionnant comme organismes publics (municipales ou régionales) et financées en totalité ou pour la plus grande partie sur les fonds publics : 1) s'adressant à tout public ; 2) s'adressant à certaines catégories du public, telles que les enfants, les membres des forces armées, les malades des hôpitaux, les prisonniers, les ouvriers et les employés ; b) les bibliothèques fonctionnant comme organismes privés remplissant des fonctions analogues à celles mentionnées ci-dessus en 1) et a 2) ». retour au texte