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Enquêtes sur les bibliothèques municipales dans la Région parisienne (1968-1969)

1970

    Enquêtes sur les bibliothèques municipales dans la Région parisienne (1968-1969)

    Réflexions en guise de conclusion

    Par Guy Baudin

    Tels sont les faits sous l'éclairage brutal des statistiques. Chacun pourra naturellement en tirer ses propres conclusions. Qu'il me soit permis, à titre personnel (1) de consigner ici les quelques réflexions que m'inspirent ces deux enquêtes.

    Ces réponses à des questionnaires reflètent la réalité. Malgré la méfiance instinctive de beaucoup de bons esprits à rencontre des statistiques - justifiée parfois, il est vrai, par les « traitements » qu'on leur fait volontiers subir (2) - la documentation recueillie ici, sauf erreurs de détail, est rigoureusement exacte, a été contrôlée dans un certain nombre de cas (40 environ) et peut constituer une base sérieuse pour la connaissance des bibliothèques municipales autour de Paris. S'ils sont objectifs dans leur intention, ces questionnaires ne sont pas « neutres ». En ce sens que leurs auteurs se réfèrent évidemment à une certaine idée de la bibliothèque publique qui apparaît en filigrane.

    La philosophie et les grands principes de cette institution ont été définis maintes fois. Au dix-neuvième siècle par les pères de la bibliothèque publique anglo-saxonne, en France par le grand et méconnu Eugène Morel (1869-1934). Ils ont été ensuite repensés et complétés par d'autres à la lumière des progrès réalisés dans un petit nombre de pays : Grande- Bretagne, U.S.A., Pays Scandinaves.

    Cette doctrine est aussi implicitement contenue dans le Rapport du Groupe d'études interministériel : « La Lecture publique en France », 1966 ou R.G.E. et de façon beaucoup plus nette et précise dans le Rapport final de la Commission des Bibliothèques publiques des Assises nationales des bibliothèques de juillet 1968 ou A.N.

    Quels sont les objectifs de cette institution ?

    Pour rester sur le plan pratique nous n'évoquerons pas la finalité intellectuelle qu'on pourrait résumer par l'expression d'éducation permanente, sous réserve que ce terme d'éducation soit compris dans un sens très libéral... Concrètement, le but de la B.P. est de permettre au plus grand nombre l'accès le plus large aux livres, périodiques, journaux et autres documents (disques, diapositives, bandes magnétiques, films, reproductions, etc...) sélectionnés et classés par un personnel dûment qualifié et suffisamment nombreux pour accomplir cette tâche.

    Cette activité a trois aspects principaux :

    • - la consultation sur place d'usuels ou d'ouvrages spécialement destinés à l'information et à l'étude (« reference and information service ») ;
    • - le prêt à domicile d'une collection suffisamment riche, diversifiée et équilibrée de livres et autres documents ;
    • - l'accès indirect à d'autres fonds de livres ou documents, plus riches ou plus spécialisés au moyen d'une coopération efficace inter-bibliothèques.

    Dans tous les cas, la B.P. devra comporter un service spécial en faveur des enfants et faire tout son possible pour les encourager à la lecture.

    A l'égard des écoliers, des lycéens, des étudiants, la B.P. exerce une fonction complémentaire (et non substitutive) à celle des bibliothèques des établissements d'enseignements respectifs.

    La B.P. a un rôle spécial à remplir envers certains groupes particuliers tels que les personnes âgées, les malades, les prisonniers, les soldats, les marins, etc... inaptes à fréquenter régulièrement ses locaux (3) .

    Enfin, d'une manière générale, la B.P. a été investie récemment d'une responsabilité majeure dans le développement des activités culturelles de la cité.

    Telle est la définition du « Basic library service » selon les auteurs des « Standards of public library service in England and Wales » publiés en 1961 après une enquête à l'échelle nationale.

    Ce service minimum doit être assuré par toute bibliothèque publique en milieu urbain (2) .

    Pour être atteints, ces objectifs impliquent la réalisation et l'application de normes minimales quant au personnel, aux fonds de livres, aux locaux, au matériel, à l'organisation, c'est-à-dire, finalement à la dépense que consent la collectivité intéressée pour son service de lecture.

    Si ces normes ne sont pas atteintes, il est parfaitement vain et quelque peu scandaleux d'attendre du dévouement et de l'abnégation du personnel le plein accomplissement des objectifs de la bibliothèque publique définis plus haut.

    A la lumière de ce qui précède, examinons la situation actuelle sous quelques angles choisis des bibliothèques publiques de l'Ile-de-France.

    Situation générale de la bibliothèque publique

    Les B.M. de l'Ile-de-France sont, en général, considérées comme bien situées. C'est souvent parce qu'elles ont été logées à l'origine à l'intérieur de locaux administratifs placés par tradition ou nécessité au centre géographique de la commune. Des zones périphériques non desservies sont signalées dans plus de la moitié des villes.

    18,6 % des B.M. seulement sont logées dans un bâtiment indépendant. C'est pourtant de loin la solution la meilleure. La B.P. a certainement plus à perdre qu'à gagner à être associée à la Sécurité sociale, à la perception, au poste de police et même au siège de l'administration municipale. Dans la mesure où son rôle intellectuel et social n'est pas reconnu, le partage des locaux risque de lui être défavorable.

    Je ne pense pas davantage que la B.P. doive être liée à un foyer des vieillards, à une maison des jeunes ni même à l'école primaire. Il est parfaitement légitime d'y placer des dépôts ou à la rigueur des annexes mais la bibliothèque centrale n'y a pas sa place.

    En ce qui concerne spécialement l'école, il est clair que le risque est de voir la bibliothèque considérée par le public comme une sorte d'institution péri ou post-scolaire vouée trop étroitement à des activités éducatives, peut-être même réservée aux seuls enfants de la commune.

    Les maisons de la culture, musées, conservatoires de musique ou centres culturels présentent eux-aussi bien des inconvénients. Dans l'état actuel des esprits, il est à craindre que la bibliothèque n'obtienne en partage que des locaux insuffisants et inadaptés. L'argument qu'on invoque en faveur de cette association apparemment logique est qu'elle permet le partage et le plein-emploi au sein d'un établissement polyvalent, des salles, des installations et du matériel. Je répondrai que cet usage commun effectivement économique et rationnel peut tout aussi bien se concevoir entre institutions occupant des locaux voisins mais physiquement séparés (5) .

    L'aménagement en bibliothèques de locaux d'habitation anciens ou neufs est une opération à condamner définitivement. Sauf exceptions rarissimes le résultat est aussi peu fonctionnel que possible. Il est franchement aberrant qu'on ait pu songer (et qu'on songe encore...) à installer une bibliothèque dans un appartement, voire un pavillon d'habitation. Les seuls locaux qui se prêtent à cette opération me semblent être pour des raisons évidentes les banques, les magasins, les garages... sans doute aussi les rez-de-chaussée d'H.L.M. dans la mesure où il est possible de supprimer les cloisons prévues entre les boutiques pour obtenir une surface raisonnable.

    En bref, les locaux de la B.P. doivent répondre à certaines exigences qui ne sont vraiment satisfaites que lorsque le bâtiment qui l'abrite a été « pensé » dès sa conception en fonction de son utilisation particulière. Pour cela rien ne remplace le local indépendant. C'est aussi une question de statut social que L.R. Mc Colvin souligne avec force : « Pour que la bibliothèque ait dans une communauté la place qui lui revient, il est nécessaire qu'elle dispose de son propre bâtiment » (6) .

    Annexes ou Bibliobus ?

    C'est là une question controversée sur laquelle d'ailleurs le R.G.E. est peu précis :

    • « Selon l'importance de la ville et selon ses ressources il doit être envisagé d'ouvrir des salles annexes affectées par exemple aux jeunes. »
    • « A l'intérieur des grandes villes, il importe que les annexes de la B.M. dont celle-ci renouvelle régulièrement les collections soient aussi nombreuses que possible. Elles peuvent se présenter sous la forme très simple, mais en même temps très abordable de boutiques, avec éventuellement une salle de discussion ou de conférences à l'arrière-boutique. »
    • « L'efficacité de la B.M. sera dans certains cas notablement accrue par l'emploi d'un bibliobus urbain, utilisé surtout dans les quartiers périphériques ».

    Les trois départements limitrophes de Paris comptent actuellement 31 annexes et 11 bibliobus urbains. Certaines municipalités envisagent d'acquérir un bibliobus, d'autres se préparent à ouvrir des annexes.

    Constatons que dans ces départements, de plus en plus, le tissu urbain est dense et continu (7) ; la notion de quartier périphérique n'a de sens que par référence au découpage administratif existant. Le bibliobus urbain ne saurait être ici qu'« un moyen transitoire à caractère publicitaire devant susciter la création rapide de bibliothèques fixes » (Assises nationales des bibliothèques, Commission de Paris, Bibliothèques publiques).

    La population n'y est ni numériquement faible ni dispersée, alors que le bibliobus le meilleur ne peut dispenser à la population la plénitude des services qu'elle est en droit d'attendre de la bibliothèque fixe. Sans doute actuellement, dans bien des cas, le bibliobus est supérieur à l'annexe existante mais c'est parce qu'on a confondu ce qui reste distinct en Grande-Bretagne : l'annexe d'une part ou « branch library » et le dépôt d'autre part ou « centre ». Par leurs dimensions, leurs fonds de livres, la qualité du service fourni, presque toutes les annexes considérées sont en fait des dépôts (8) . En ne faisant pas cette distinction fondamentale, le R.G.E. nous paraît ouvrir la voie à l'erreur car il n'est pas vrai que de véritables annexes de quartier puissent être logées dans des « boutiques » même généreusement assorties d'arrière-boutiques - salles de conférences !

    Si le bibliobus, dans un tissu urbain dense et continu, n'a à notre avis qu'une fonction transitoire, il nous semble, en revanche qu'il peut rendre des services irremplaçables à l'intention de cette partie de la population qui, pour des motifs psychologiques, économiques, sociologiques maintenant bien connus ne fréquente pas ou fréquente peu les bibliothèques publiques : les ouvriers d'usine. L'expérience de la Bibliothèque « Loisirs et culture » de la Régie Renault est à cet égard exemplaire et convaincante, Il apparaît en effet que le seul moyen de gagner présentement les travailleurs à la lecture consiste à leur apporter le livre sur le lieu même de leur travail. Je suis persuadé que les méthodes de distribution de livres et d'animation culturelle mises au point par nos collègues de la Bibliothèque « Loisirs et culture » pourraient être largement appliquées par les B.M. au moyen de bibliobus et en coopération avec les bibliothèques d'entreprises existantes.

    Certains collègues éminents se sont fait les avocats de la desserte des écoles primaires par le bibliobus. Cela est parfaitement valable pour les écoles de campagne ou de très petites villes qui ne comptent que quelques classes. Pour la région parisienne où les groupes scolaires sont importants, il me semble que le bibliobus ne peut apporter de solution définitive et ne remplace absolument pas la bibliothèque fixe d'établissement. Cela serait de nature « à encourager les autorités responsables à éluder leur devoir qui est de créer une bibliothèque scolaire permanente » (C.R. Eastwood in Mobile Libraries and other public lïbrary transport, London, Ass. of Assistant Librarians, 1967).

    Bien entendu, en aucun cas, le bibliobus urbain ne saurait remplacer la B.M. centrale... On peut trouver cependant deux cas dans la région parisienne de municipalités (9) qui se sont dotées très récemment de bibliobus tandis que leur bibliothèque centrale ou ce qui en tient lieu végète misérablement. Aucune de ces deux villes n'a signalé de projets sérieux concernant sa bibliothèque centrale. Nous touchons du doigt ici, un des aspects négatifs de la « politique des bibliobus » : combien d'années se passeront avant que ces édiles qui viennent de réaliser, à n'en pas douter, une opération électoralement rentable aient la volonté et les moyens de doter leurs concitoyens d'une vraie bibliothèque publique ? Les dons de bibliobus par l'Etat ne devraient être accordés qu'aux municipalités résolues à faire un effort important en faveur de leur service de lecture. D'autres formules plus souples et moins coûteuses pourraient d'ailleurs être envisagées : pourquoi pas un prêt de bibliobus pour cinq ou dix ans ? Pendant ce délai une véritable bibliothèque pourrait être aménagée éventuellement avec les annexes indispensables. Après quoi le même bibliobus urbain après révision pourrait être attribué à une autre commune (10) .

    Il reste cependant, dans la région qui nous intéresse, un certain nombre de petites communes à l'est et au sud-est du Val-de-Marne qui ensemble pourraient bien constituer le secteur d'élection d'une bibliothèque centrale de prêt. Elle rendrait d'importants services tant que l'urbanisation n'est pas complète. Son réseau comporterait quelques annexes fixes à Villiers-sur-Marne (15 800 h.), Limeil-Brévannes (11400 h.), Valenton (10 500 h.), Le Plessis-Trévise (8 400 h.) et Ormesson (8 300 h.). Elle ferait des dépôts dans les B.M. de Bonneuil (12 400 h.) et Sucy-en-Brie (17 400 h.) et desservirait par bibliobus les communes d'Ablon, Boissy-Saint-Léger, Mandres, Marolles, Noiseau, Périgny, La Queue-en-Brie, Santeny et Villecresnes (ensemble: 22 000 h.). Les 116 000 habitants de ce secteur ne disposent actuellement que d'un service de bibliothèque insuffisant ou nul.

    Superficies et fonds de livres Nonnes françaises et étrangères

    POUR apprécier valablement la B.P. du point de vue de sa superficie et de son fonds de livres, il est indispensable de se référer aux normes établies par les meilleurs spécialistes français ou étrangers.

    D'après les « Normes pour les bibliothèques publiques » de la F.I.A.B. (Fédération Internationale des Associations de Bibliothécaires) établies en 1959, il faut compter pour :

    • - 10 à 20 000 habitants 42 m2 pour 1 000 habitants
    • - 20 à 35 000 » 39 »
    • - 35 à 60 000 » 35 »
    • - 60 à 100 000 » 31 »

    Ces indications sont trop générales pour être vraiment utiles. Le Service technique de la D.B.L.P. (Direction des bibliothèques et de lecture publique) du Ministère de l'Education nationale, de son côté, met au point des normes révisées de temps à autre pour tenir compte de l'évolution des besoins et de la « doctrine ».

    Connues naguère sous le nom de « programmes pédagogiques » elles s'intitulent présentement « programmes de constructions ».

    Dans leur dernier état (1969), ces normes se présentent comme suit (en regard des normes précédentes afin de marquer l'évolution) :

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    Normes des "Programmes de constructions" élaborées par le Service technique de la Direction des bibliothèques et de lecture pub.lique du Ministère de l'Éducation nationale (1969)

    Il est précisé que des annexes doivent être créées dans les villes comptant au moins 30 000 h. à raison d'une annexe par tranche de 15 000 h. supplémentaires. Ainsi une ville de 60 000 h. sera normalement desservie par une centrale de 2 200 m2 et deux annexes de 500 m2

    Le R.G.E. p. 11 avait clairement indiqué la direction à suivre : « A l'intérieur de la bibliothèque, l'accès direct aux rayons est une exigence primordiale de la lecture publique. C'est dire que la bibliothèque traditionnelle avec un vaste magasin et une petite salle de lecture doit céder la place à une conception exactement inverse ».

    Il n'est pas question de prôner la suppression complète des magasins de livres. Leur existence est nécessaire partout où il existe des fonds anciens, précieux, spéciaux, etc.. et même simplement à titre de surfaces de dégagement. Nous pensons qu'à l'intérieur des normes ils doivent être ramenés au minimum indispensable, étant entendu que là où des collections spéciales existent, il y a lieu de prévoir une allocation d'espace supplémentaire hors-normes. Ainsi nous serait épargné l'attristant spectacle de certaines B.M., réussies sur le plan esthétique, mais dont les magasins sont immenses et aux trois-quarts vides (1).

    Le dernier état des normes préparées par la D.B.L.P. marque un incontestable progrès dans le sens indiqué déjà par Eugène Morel en 1913 : « les nouveaux bâtiments ont beaucoup plus à se préoccuper de salles commodes que de magasins géants... la richesse est obtenue par le renouvellement non par l'entassement. Elle est accrue par les communications des «librairies» entre elles...» (La Librairie Publique p. 253).

    Ainsi, pour les villes de 20 à 30 000 h. très nombreuses dans notre pays, la comparaison entre des normes anciennes et récentes fait ressortir plusieurs tendances :

    • - diminution des surfaces de magasins ;
    • - augmentation du nombre des livres en libre-accès ;
    • - mise en place de services nouveaux (discothèques, bibliobus urbains, salles polyvalentes d'activités, etc.).

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    Normes pour la B.M. d'une ville de 20 à 30 000 h.

    L'évolution est donc indiscutable. Cependant, on ne peut que s'étonner, compte tenu de la note de la page précédente, de voir subsister encore d'importants magasins à livres inaccessibles au public dans les programmes de constructions concernant les villes de plus de 30 000 h.

    «Dépôt» anonyme de 20 m2 (commune de 5/6 000 h.), de 30 m2 (commune de 6/10 000 h.), « dépôt de livres » de 40 m2 (ville de 10/20 000 h.), ce local à la vie dure, sort de la clandestinité et devient « magasins » de 60 m2 (villes de 20/30 000 h.). Jusque là, rien d'excessif. Mais il grandit, passe à 120 m2 (20 000 volumes) pour les villes de 30 à 45 000 h. puis 180 m2 (30 000 volumes) pour les villes de 45 à 60 000 h., enfin 210 m2 (35 000 volumes) pour les villes de 60 à 75 000 h.

    Persistance de la conception traditionnelle de la bibliothèque française, ce local est pratiquement absent des normes établies par les spécialistes étrangers.

    A titre d'exemple de normes étrangères faites à l'intention de la bibliothèque publique je citerai celles établies par les spécialistes allemands de l'« Arbeitstelle fur das Büchereiwesen » en 1968.

    Tous les éléments constitutifs de la bibliothèque publique y ont été minutieusement étudiés (architecture, aménagement interne, capacités en livres, fonctionnement, personnel, etc..) attestés à partir de situations concrètes. Je ne puis en donner ici qu'un résumé sommaire (1) :

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    Résumé sommaire des normes élaborées par l'"Arbeitstelle für das Büchereiwesen" en 1968

    Vignette de l'image.Illustration
    Détail du calcul de la surface totale nécessaire pour une bibliothèque pub.lique d'une ville de 30 000 habitants en Allemagne

    Des normes de fonctionnement complètent ces normes de surfaces. Cette même bibliothèque disposera de 30 000 volumes: Usuels: 700 (2), Prêt adultes : 19 300, Prêt enfants : 10 000. Elle recevra 75 périodiques et 30 journaux. Elle prêtera normalement 105 000 livres par an (3,5 prêts par habitant). Elle sera ouverte 50 heures par semaine (2 500 heures par an). Elle prêtera en moyenne 42 volumes à l'heure, 168 aux heures de pointe. L'effectif du personnel sera de 10,5 agents dont 3,5 professionnels qualifiés (1 agent pour 10 000 prêts ou pour 3 000 habitants)...

    L'Annexe de quartier

    UNE annexe administrativement et techniquement reliée à un établissement central est tout autre chose qu'une bibliothèque unique desservant la même population. La plus grande partie du travail interne (acquisitions, catalogage, traitement matériel des volumes) peut être accomplie à la centrale et les surfaces destinées aux services intérieurs peuvent être réduits d'autant. Hasardons un chiffre : il semble qu'une surface minimum de 350/400 m2 soit suffisante dans le cas d'une annexe urbaine faisant partie d'un réseau organisé (3). Une telle superficie autorise un service de bibliothèque minimum acceptable (adultes - enfants - discothèque - référence) et correspond au niveau d'implantation du quartier (2 500 à 5 000 logements, environ 10 à 20 000 habitants selon la densité urbaine).

    Le fond du problème

    En regard de ces normes, nos B.M. et leurs « annexes » font piètre figure (cf. tableaux 13 et 15). Nous touchons là le fond du problème.

    Les deux enquêtes du Groupe de l'Ile-de-France ont mis en évidence bien des déficiences dans les domaines les plus variés :

    • - l'insuffisance numérique des fonds de livres (11) ,
    • - l'insuffisance et l'inadaptation de l'équipement mobilier et matériel,
    • - l'insuffisance numérique du personnel (12) , l'insuffisance de sa qualification (13) , la médiocrité de sa situation administrative et partant de sa rétribution.

    Ces carences graves je n'entends pas les minimiser. Elles exigent un effort sérieux au plan des budgets de fonctionnement. Cependant c'est peu de chose face à la dramatique pénurie de locaux du point de vue de la quantité comme du point de vue de la qualité.

    Pour doter la population de la Région parisienne de bibliothèques publiques comparables à celles dont bénéficient Anglais, Américains, Scandinaves et de plus en plus Allemands, sans parler des pays de l'Est, Etat et collectivités locales devront nécessairement consentir un effort d'investissement colossal.

    Problèmes financiers

    Tout naturellement nous en arrivons aux problèmes financiers. Rappelons que l'argent dépensé directement ou indirectement en faveur des bibliothèques provient des sources suivantes :

    • - les crédits municipaux,
    • - les subventions (département ou Etat),
    • - les revenus propres de la bibliothèque (bien qu'ils soient en principe reversés au receveur municipal).

    Partisan résolu de la gratuité absolue de l'usage de la bibliothèque publique (sauf pénalisation des retards), je n'insisterai pas sur ce dernier point sauf pour signaler que dans la Région parisienne (Paris excepté), plus de la moitié des bibliothèques exigent sous une forme ou une autre une contribution en argent de la part de leurs lecteurs. Généralement symbolique elle atteint cependant parfois des taux prohibitifs à Meudon ou à Mantes-la-Jolie par exemple...

    Les 80 communes de ce qui formait alors le département de la Seine (avec Paris) ont dépensé ensemble en 1967 : 5 769 344 F, ce qui correspond à une dépense de 1,80 F par habitant (14) . Ce chiffre moyen recouvre une grande disparité :

    • - 2 communes ont dépensé plus de 5 F par habitant (Choisy-le-Roi 5,71 et Bagnolet 5,30),
    • - 2 communes ont dépensé entre 4 et 5 F (Saint-Maur, Sceaux),
    • - 3 communes ont dépensé entre 3 et 4 F (Dugny, Malakoff, St-Ouen),
    • - 23 communes ont dépensé entre 2 et 3 F,
    • - 23 communes ont dépensé entre 1 et 2 F,
    • - 14 communes ont dépensé entre 0,50 et 1 F,
    • - 12 communes ont dépensé moins de 0,50 F (Créteil, Rosny-sous-Bois, Le Bourget, Bourg-la-Reine, Epinay-sur-Seine, Bry-sur-Marne, L'Ile- Saint-Denis, Fontenay-aux-Roses, Asnières, Bondy, Bonneuil, Chevilly- Larue).

    Les chiffres manquent pour Orly qui était en travaux.

    Ces données qui remontent à deux ans peuvent avoir subi des modifications depuis.

    Ces chiffres sont tous très au-dessous du minimum acceptable et ce n'est pas par hasard que les rares B.M. qui par leur action culturelle donnent une idée de ce que pourrait être une vraie bibliothèque publique sont précisément celles de Bagnolet et de Choisy-le-Roi (15) .

    Les subventions du Conseil général de la Seine étaient distribuées (en 1967) indistinctement (ou suivant des critères qui m'échappent...) à toutes les communes du département. Selon les cas elles s'élevaient à des sommes allant de 1300 F à 2 700 F. Les B.M. les plus crottées et les moins efficaces recevaient un petit quelque chose. Ce saupoudrage ne saurait être confondu avec une véritable politique de subvention. Les nouveaux départements ont pris la succession en distribuant à leur tour des subventions un peu plus importantes semble-t-il. Faisant preuve d'un peu plus d'imagination, la générosité départementale pourrait s'orienter dans d'autres directions : vers la constitution et le soutien d'organismes centraux effectuant l'achat centralisé, le catalogage et le traitement des livres pour les B.M. par exemple à l'image des « processing centers » qui se multiplient aux U.S.A. Cela soulagerait la tâche des bibliothécaires municipaux et permettrait une certaine rationalisation.

    Les subventions de l'Etat sont de trois sortes.

    • a) Les subventions de construction portées de 35 à 50 % suivant les recommandations du R.G.E. C'est un indiscutable progrès mais c'est encore tout à fait insuffisant, est-il besoin de le souligner ? D'autres équipements connaissent des taux de subvention plus élevés en théorie au moins (16) . M. Fillet estime pour sa part que la construction d'une bibliothèque constitue pour les petites villes (de moins de 20 000 habitants) une charge excessive et qu'il serait souhaitable de porter la « subvention » dans leur cas à 100 %. Ce n'est peut-être pas tellement une question purement démographique. Il faudrait prendre en considération l'importance des ressources locales, le poids des impôts locaux, etc..., rapportés à la population. Nul n'ignore en effet les disparités et inégalités entre « communes-dortoirs », communes résidentielles, communes industrielles, etc... La péréquation des ressources n'étant que faiblement réalisée, il faudrait introduire dans la pratique administrative la notion de subvention différenciée. Ajoutons que tout retard dans la mise en oeuvre d'une politique de subvention assortie de moyens financiers importants engendrera fatalement des suppléments de dépense : « des coûts de rattrapage ultérieurs hors de proportion avec le supplément de dépense qu'il aurait fallu consentir au départ » (17) .
    • b) Les subventions de fonctionnement proportionnelles à l'effort propre de la collectivité locale prévues par le R.G.E. et appliquées pour la première fois en 1968, et qui comportent trois paliers (2 à 4 F par habitant de dépense locale, 4 à 6 F, plus de 6 F). Comme les précédentes, ces subventions sont accordées « dans la limite des crédits ouverts au budget de l'Education nationale ». En période de « vaches maigres » on peut craindre que ces crédits ne subissent des réductions sensibles (18) . Destinés en principe à « contribuer au développement de la lecture », ces fonds devront être affectés « particulièrement (19) à l'accroissement des collections ». Etant donné la situation des locaux, il est vraisemblable qu'ils serviront plutôt à renouveler lesdites collections, ce qui est d'ailleurs extrêmement souhaitable. Il est regrettable qu'un taux n'ait pas été fixé pour ces subventions en pourcentage fixe des dépenses municipales, ce que prévoyait le R.G.E. Craignait-on vraiment d'avoir trop à subventionner ? Quoi qu'il en soit c'est là une addition substantielle aux maigres ressources des B.M., du moins pour celles qui ont déjà (ou enfin !) atteint un certain niveau.
    • c) Les subventions en forme de dotation de livres accordées aux municipalités dont l'effort se traduit par une réalisation particulière (lancement d'un bibliobus, aménagement d'un nouveau local, etc...). Enfin les dons de bibliobus qui appellent certaines réserves, nous l'avons vu plus haut.

    Dans les trois départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, une quarantaine de communes ont bénéficié en 1969 de ces subventions de fonctionnement.

    Dans l'ensemble, qu'elles soient de construction ou de fonctionnement, les subventions de l'Etat ne correspondent absolument pas aux besoins que n'importe quelle enquête honnête met en évidence. Au mieux elles ne constituent qu'un palliatif. L'effort financier consenti par l'Etat danois, toutes proportions gardées, est notablement plus important (20) . Aux U.S.A. où pourtant on est en général réservé à l'égard des subventions, se développe depuis quelques années une aide fédérale considérable (21) .

    Pour nous résumer, la situation des B.M. dans notre région (Paris mis à part, car il nécessite une étude spéciale) les rend totalement inaptes à accomplir la mission qu'ailleurs on assigne à la bibliothèque publique, mission dont le public, les élus et même une fraction des milieux professionnels ne se font guère idée. « La vérité est que nulle part en France on ne se doute de l'utilité d'une « librairie » publique » écrivait déjà E. Morel.

    Naturellement ces réflexions auraient pu prendre un autre cours : à partir de points de comparaison choisis dans le passé il eut été possible de marquer les progrès (lents mais réels) de l'institution au fil des ans, et de s'en féliciter. Le nombre des prêts a à peu près doublé depuis 10 ans (mais il n'atteint pas encore 1 livre par habitant en moyenne pour l'ancienne Seine en 1967). Les crédits municipaux ont été multipliés par cinq dans le même temps (mais c'est à partir de si peu de choses...). On ne manquera pas de m'objecter ces chiffres.

    Une fois de plus c'est à Eugène Morel que j'emprunterai une réponse : « Ne décourageons aucun effort, il y a tant de mérite, en France, à faire avec si peu d'argent le peu que l'on fait ! Mais des éloges qui ont l'air de condoléances, des bons points aux impuissances méritantes ne nous donneront pas des librairies publiques... »

    1. Les opinions formulées ici n'engagent ni l'A.B.F. ni aucun de ses groupes ou sections. retour au texte

    2. Cf. M. BOUVY : Une enquête pour rien, in : Lecture et Bibliothèques, n° 7-8, juillet-décembre 19 retour au texte

    3. Le cas des ouvriers d'usine sera évoqué plus loin. retour au texte

    4. « sauf là où la population est trop faible numériquement ou trop dispersée, auquel cas on aura recours au bibliobus ou à l'annexe de petite dimension ». retour au texte

    5. Le R.G.E. dit justement : «au voisinage » ou «juxtaposée »... retour au texte

    6. In «The Chance to read », London, Phoenix House. 1954. retour au texte

    7. Sauf à la périphérie des départements de Seine-Saint-Denis ou du Val-de- Marne, mais l'urbanisation s'accélère... retour au texte

    8. Il y a bien sûr quelques exceptions (à Nanterre, Montreuil, Saint-Ouen, entre autres)... retour au texte

    9. dont le chef-lieu d'un nouveau département... retour au texte

    10. Cela suppose, bien entendu, une nouvelle disposition législative ou réglementaire. retour au texte

    11. Cela n'est pas sans rapport avec la pénurie des locaux. retour au texte

    12. Il faudrait au moins dans l'immédiat 1 agent pour 5 000 habitants ce qui nous placerait à mi-chemin (!) des bibliothèques anglaises (1 agent non-manuel pour 2 500 h.). retour au texte

    13. Cela pose le problème de la nécessaire réforme du C.A.F.B. qui semble assez mal adapté à la formation des bibliothécaires appelés à diriger d'authentiques bibliothèques publiques. retour au texte

    14. Population calculée en 1968. retour au texte

    15. M. Fillet estimait en 1965 qu'une dépense de 11,75 F par habitant serait nécessaire pour que la B.M. de Tours puisse remplir sa mission sans préjudice d'une subvention d'Etat de 25 %... Depuis, il y a eu la hausse de prix, la dévaluation... retour au texte

    16. Cf. Roger Aubin : Communes et démocratie. Paris, Editions Ouvrières (1965) pp. 135 et suivantes. retour au texte

    17. Rapport général de la Commission de l'équipement urbain du 5e plan. retour au texte

    18. N'est-ce pas le cas précisément en 1969 ? retour au texte

    19. Mais non exclusivement, donc l'équipement pourra en bénéficier ? retour au texte

    20. Cf. « Lecture et bibliothèques », n° 7-8, juillet-décembre 1968. retour au texte

    21. Cf. les articles de Franck L. Schick et de Paxton P. Price dans : Bulletin de l'Unesco à l'intention des Bibliothèques, vol. XXI, n° 3, mai-juin 1967, et XXIII, n° 3, mai-juin 1968. retour au texte