Index des revues

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    Tribune libre

    Le Futur des bibliothèques publiques ?

    Par G. Herzhaft

    B.M. de Châlons-sur-Marne

    LE développement spectaculaire de la lecture publique en France ces dernières années commence à faire réfléchir ceux pour qui, - et parmi eux des bibliothécaires masochistes - une fois pour toutes, « le Français ne lit pas ». Où aurait-il lu le malheureux Français dans l'état de délabrement où se trouvaient nos bibliothèques et de sous-développement de l'édition et de la librairie que nous connaissons ?

    En fait, la politique actuelle de développement de la lecture publique rencontre un vif succès parce qu'elle recoupe un besoin considérable de documentation de la part d'un public beaucoup plus large qu'il y a 10 ou 15 ans.

    J'emploie le mot documentation à dessein. Il faut bien se dire que ce ne sont ni l'école ni, à fortiori, le livre, qui ont déterminé ce besoin du public, mais le développement continu et en profondeur des moyens de culture et d'information de masse, notamment la télévision qui a exercé une influence « palpable » en quelques années. Une partie du public - et même du très grand public - veut s'informer davantage, sur ce qu'il a fugitivement aperçu au hasard d'une émission, approfondir un sujet dont la radio, la T.V. et même la presse martèlent l'essentiel sans l'expliquer davantage.

    Pour ce public, qualitativement neuf, tout support culturel est valable. Le livre n'est pas privilégié. Bien sûr, il reste des relents de « sacré », « On ne jette pas de livre » comme « on ne jette pas de pain », ce qui dans une société suralimentée est cocasse, mais on peut espérer qu'ils disparaissent peu à peu.

    Les bibliothèques de diffusion connaissent un succès d'autant plus grand qu'elles ne se limitent pas à la diffusion du seul livre, mais abordent le domaine des revues, du disque, de la cassette sonore, ici des diapositives, là des reproductions de tableaux. Elles recoupent ainsi les désirs du public contemporain de trouver non pas uniquement des livres, matériau culturel doué de nombreuses qualités et aussi affligé d'insuffisances graves, mais également tous les autres documents possibles sur les sujets recherchés.

    Acceptée avec enthousiasme ou avec réticence, l'idée d'une bibliothèque qui, malgré son étymologie, prêterait toutes les catégories de documents, va s'imposer de plus en plus, notamment avec l'apparition et la commercialisation dans les dix années qui viennent, de la vidéo-cassette qui sera à la T.V. et au cinéma ce que ceux-ci étaient à la photographie. Le problème du choix, principal objet de critique formulé à l'encontre des supports audio-visuels, disparaîtra avec l'apparition de l'image sur bande magnétique que l'on pourra passer, repasser, arrêter comme on le fait d'un livre. Dès lors, qui désirant connaître la Grèce par exemple, ne voudra pas au moins adjoindre au livre une vidéo-cassette sur ce sujet ?

    Pour les bibliothèques, les conséquences seront considérables et il faut dès maintenant s'y préparer. Actuellement, nous pratiquons la ségrégation des lieux de prêt des différents documents. Il faut une bibliothèque et, dans une autre salle, une discothèque. L'idée de supprimer ces frontières tout-àfait artificielles, suscite aussitôt de sérieuses réserves bâties, comme d'habitude, sur de fausses raisons matérielles : ni la différence des rayonnages, ni les systèmes de prêt ne constituent des difficultés sérieuses ; il semblerait absurde aux mêmes critiques de séparer les services de prêt des livres, en prêt des grands formats et prêt des petits formats.

    J'aurais tendance, au vu des expériences que nous poursuivons, à supprimer cette fragmentation du prêt. Comme il paraît incroyable dans une bibliothèque publique, à l'heure actuelle, de séparer les livres dits d'étude des livres dits de lecture publique, les étudiants des non-étudiants, il semble illogique d'envoyer les lecteurs à tel endroit emprunter un disque, à tel autre un périodique, à tel autre encore un livre, etc... La multiplication des documents prêtés dans les années qui viennent amènerait à créer un labyrinthe.

    J'irai même plus loin : il me semble souhaitable de coter de la même manière des documents de nature différente qui traitent cependant du même sujet et de les mettre ensemble sur les rayons. On trouverait ainsi actuellement, sous la même cote et à des places voisines, les livres, les disques, les diapositives, demain les vidéo-cassettes traitant d'un sujet commun. Là aussi, l'objection des difficultés matérielles qu'on ne manquera pas d'adresser, ne constitue pas un argument convaincant : encore une fois, il n'est pas plus difficile de faire coexister ensemble des livres, des disques, des diapositives que des livres de formats différents.

    Cela, évidemment, modifierait sensiblement le rôle des bibliothèques publiques qui deviendraient ainsi, davantage encore, des centres de diffusion des documents de toutes natures, où peu à peu le livre ne serait plus forcément privilégié.

    Mais n'est-ce pas ce que le public attend d'elles ?