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Réorganisation de la bibliographie française

1972

    Réorganisation de la bibliographie française

    Par N. Droiffe, Chef du Service Biblio

    L'ANNEE internationale du livre a été marquée, dès le 1er janvier 1972, par la fusion depuis longtemps souhaitée des deux bibliographies nationales françaises, Biblio et la Bibliographie de la France.

    On sait qu'une bibliographie nationale annonce tous les ouvrages parus dans un pays donné et (ou) dans une langue donnée : elle est « courante » si elle répertorie les ouvrages au fur et à mesure de leur parution, « rétrospective » si elle recense la production d'une période passée.

    Biblio, depuis sa création en 1933, était l'oeuvre du Service bibliographique de la Librairie Hachette, qui l'avait considéré comme l'aboutissement logique d'un fichier commencé une dizaine d'années plus tôt pour les besoins de la Société, en particulier pour permettre à son service de commission de compléter les bons de commande des clients. La méthode adoptée pour cette nouvelle bibliographie était directement inspirée du « dictionary catalog » des Américains qui publiaient depuis 1900 sous cette forme (classement en une liste alphabétique unique par auteurs, titres et sujets) l'American Catalog of books, devenu le Cumulative book index de la puissante firme Wilson (1) .

    La Bibliographie de la France, fondée en 1811 et éditée par le Cercle de la Librairie, en coopération avec la Bibliothèque nationale pour sa « partie officielle » (où sont réunies dans un classement méthodique les notices des ouvrages entrés au service du Dépôt légal), comporte essentiellement chaque semaine, outre sa partie « Chronique » ou journal de la librairie, les annonces publicitaires d'éditeurs qui désirent attirer l'attention sur des ouvrages parus récemment ou non, ou parfois à paraître. Ces annonces sont reprises dans des tables hebdomadaires et mensuelles, les Livres de la semaine et les Livres du mois, classées par grandes divisions (numérotées de 0 à 9) issues de la classification décimale, tout comme d'ailleurs les notices de la partie officielle. Jusqu'à la fin de 1971, le Cercle de la Librairie a publié également des Livres du trimestre et des Livres du semestre, tables des Livres de la semaine et du mois classées cette fois par ordre alphabétique d'auteurs avec index des titres.

    Ces deux dernières cumulations sont désormais remplacées par Biblio trimestriel, qui recense suivant sa méthode du catalogue-dictionnaire les ouvrages annoncés dans trois Livres du mois précédents, ceux qui n'ont pas fait l'objet d'annonces et ceux qui ont paru en français à l'étranger (Belgique, Suisse, Canada et tous autres pays). En outre, il n'y aura plus qu'une cumulation annuelle après celle de 1971 (à paraître en mai 1972), les « Livres de l'année-Bïblio », suivant toujours la même méthode de Biblio.

    Les classifications des livres par sujets

    Le choix du « catalogue-dictionnaire » (*) fait par les fondateurs de Bibllo implique obligatoirement celui du catalogue alphabétique de matières, où le classement de chaque ouvrage se fait sous une rubrique particulière (appelée vedette-matière, vedette de sujet, ou mot-matière) correspondant aussi exactement que possible au(x) sujet(s) précis du livre.

    Dans ce système, les vedettes de sujets sont établies au fur et à mesure des besoins et le fichier qui les réunit s'enrichit de jour en jour, avec des mots du dictionnaire certes, mais suivant un certain choix ; il faut savoir si l'on a employé précédemment pour cataloguer un livre nouveau traitant de ces sujets, Gastropathies ou Estomac - Maladies, par exemple ; Cheval (Anatomie - Physiologie - Maladies, etc.) ou Hippologie ; Relations publiques ou Public-relations, etc. : il faut de même que l'utilisateur sache, s'il cherche des ouvrages sur les maladies de l'appareil digestif (sous Digestif, Appareil - Maladies) qu'il y a aussi des livres qui l'intéressent sous Estomac - Maladies, sous Intestins - Maladies ou sous Hémorragie digestive. C'est ainsi que s'expliquent les renvois - généraux, d'orientation ou de synonymes (Voir, ou Voir aussi) - qui figurent dans Biblio et rendent caduc le reproche d'une certaine dispersion des notions connexes ou voisines qu'on a parfois fait aux vedettes analytiques par rapport aux classifications systématiques.

    La Bibliographie de la France, elle, réunit tous les ouvrages évoqués plus haut sur les maladies de l'appareil digestif sous l'indice 6 : Sciences appliquées - 61 : Sciences médicales, qui sera donc également celui des ouvrages d'anatomie, thérapeutique, pharmacologie, chirurgie, etc. On conçoit aisément qu'un tel regroupement est valable, et même commode (pour les commandes aux éditeurs notamment), lorsqu'il s'agit d'un petit nombre de livres, donc au niveau d'une bibliographie hebdomadaire ou à la rigueur mensuelle, mais que cette classification n'est pas assez fine lorsqu'on recense un grand nombre d'ouvrages ; la bibliographie trimestrielle et annuelle conserve donc les vedettes-matière de Biblio.

    La coexistence des deux systèmes dans la nouvelle bibliographie française illustre leur égale utilité suivant les cas, et explique qu'ils aient chacun leurs défenseurs. Replaçons-les très rapidement dans l'histoire de l'évolution des classifications.

    On a tout d'abord cherché à classer les ouvrages d'une façon logique sur les rayons d'une bibliothèque d'après les classifications (philosophiques) des connaissances, depuis le « trivium » et le « quadrivium » de l'Antiquité jusqu'au système d'Auguste Comte, basé sur l'astrait et le concret. Brunet, pour son célèbre Manuel du libraire et de l'amateur de livres (1810) a, lui, élaboré une véritable classification bibliologique (comportant 5 grandes classes désignées par les lettres A à E et subdivisées chacune en 6 à 10 sections numérotées), qui pouvait également servir pour les livres eux-mêmes et les fiches les représentant dans un catalogue de bibliothèque, comme celle qu'imagina l'Américain Dewey (1876) sous la pression d'une production toujours accrue et par souci de simplification et d'universalité. Classification uniquement numérique, celle-ci, en 10 classes (0 à 9) subdivisées chacune 10 fois et ainsi de suite, et dite pour cela « décimale », en vigueur surtout dans les pays anglo-saxons, mais aussi dans les bibliothèques de lecture publique françaises, elle fut bientôt concurrencée par la C.D.U., classification décimale universelle de l'Institut international de bibliographie de Bruxelles (fondé en 1895), utilisée, en France, dans les bibliothèques universitaires. Pour donner un exemple, dans ces deux derniers systèmes, les maladies de l'estomac citées plus haut portent l'indice 616.33 ; 616.3 est l'indice de toutes les affections de l'appareil digestif ; 616, celui de la médecine, ou de la pathologie (C.D.U.) ; 61, ou 610, celui des sciences médicales en général, comme nous l'avons vu pour les Livres de la semaine et la bibliographie officielle.

    Ces diverses classifications préétablies sont tout à fait valables, tant qu'elles n'ont pas trop vieilli et qu'on peut y trouver la place des sciences nouvelles, pour le classement des livres, des fiches de catalogues et des notices de bibliographies, mais elles ne peuvent servir à la recherche des ouvrages parus sur un sujet précis que si elles sont complétées par des index alphabétiques extrêmement développés. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'on ait pensé à utiliser tout simplement les mots du langage courant classés alphabétiquement pour désigner les concepts dégagés de l'analyse d'un livre, et nous aboutissons ainsi à notre liste encyclopédique de vedettes-matière qui laisse aux classifications systématiques les catalogues « topographiques » et le classement matériel des ouvrages pour faciliter avant tout la sélection des documents et débouche tout naturellement sur la liste (ou thesaurus) de mots-clés ou de descripteurs nécessaire aux techniques nouvelles de recherche documentaire automatique.

    La liste des vedettes-matière de Biblio

    C'est donc pour rassembler les vedettes de sujets et les renvois établis au fur et à mesure du catalogage des livres parus depuis 1933, et pour aider les bibliothécaires de la francophonie à faire leurs catalogues par sujets, que Biblio a publié depuis 1954 quatre éditions de son fichier de mots-matière, sous le titre de Liste des vedettes-matière de Biblio. Ce n'pst ni une démarcation ni une traduction des « Subject headings » de la Bibliothèque du Congrès à Washington, mais elle est élaborée suivant les mêmes principes. C'est, en tout état de cause, la seule liste encyclopédique de vedettes qui existe en France et ait fait ses preuves. Elle a été citée dans une bibliographie de thesauri et répertoires de descripteurs (2) , ce qui confirme son actualité, et il est question de l'adopter encore plus largement en France dans un proche avenir. Dans sa 4e édition (1971), Biblio s'est efforcé de concrétiser un lien entre les deux principes de classification en indiquant pour chaque vedette-matière l'indice correspondant de la classification décimale de Dewey, et l'a rendue ainsi très précieuse pour les nombreuses bibliothèques qui établissent les deux catalogues. De plus, en associant un indice numérique à une notion plus qu'à un mot, on rend le thesaurus indépendant de la langue ou de la mode verbale et l'on fait encore un pas vers la recherche documentaire automatique. En bref, la liste représente la quintessence du travail de Biblio depuis presque 40 ans, et nul ne peut s'en servir pour publier une bibliographie analogue, ses droits étant réservés.

    Sa difficulté d'élaboration et d'arpplication nécessite évidemment des bibliothécaires-catalographes très spécialisés et expérimentés. Des deux écoles qui préparent en France à ces fonctions, l'E.N.S.B. (Ecole nationale supérieure des bibliothécaires) recrute ses élèves parmi les étudiants déjà titulaires d'une licence qui, seuls, pourront ainsi obtenir le diplôme après un an d'études, et l'Ecole de bibliothécaires de l'Institut catholique dispense ses années d'enseignement au niveau des bacheliers. Sur les 13 personnes de l'équipe Biblio, 8 sont titulaires de l'un ou l'autre de ces diplômes, les autres ont passé des examens professionnels et comptent de longues années d'expérience.

    La fusion qui vient d'intervenir, simplification périodiquement préconisée (3) , est assurément très rationnelle. Procéder deux fois au même travail, long, délicat - et ingrat - d'enregistrement de la production en langue française, même si la mise en oeuvre ultérieure est différente, avec un personnel nécessairement très spécialisé, nous l'avons vu, et relativement nombreux, et des abonnés en quantité limitée, était illogique et peu rentable. Une entreprise privée, si importante fût-elle, ne pouvait assumer sa part de ce travail qu'en consacrant le maximum de ses possibilités commerciales à la diffusion de cet élément de prestige, et en exploitant à fond, comme service de documentation, la richesse des informations sur le livre ainsi rassemblées (4) . En revanche, un organisme professionnel, qui ne commercialise pas systématiquement toutes ses prestations, est mieux placé pour accueillir tout ce qui, directement ou indirectement, sert le livre.

    Au moment où la France va prendre rang dans la compétition internationale pour l'automatisation de la documentation et où les banques de données sont à l'ordre du jour, le Cercle de la Librairie et la Librairie Hachette ont mesuré l'importance du regroupement des efforts sous une même exploitation et leur apport à la cause du livre méritait d'être signalé.

    1. Avant le Service bibliographique Hachette, Le Soudier avait publié des volumes bibliographiques d'après ce classement en 1908 et 1911, de même que Rasmussen. Hachette l'avait adopté également avant Biblio, pour le Catalogue de ses exclusivités sous la direction d'E. de Grolier. C'est aussi la méthode suivie pour les volumes-matières du Catalogue, général de la librairie française, 1840-1925, commencé par O. Lorenz et repris à Champion par Hachette en 1937. retour au texte

    *. Liste alphabétique unique pour les auteurs, pseudonymes, collaborateurs, préfaciers, traducteurs, éditeurs intellectuels, illustrateurs, premiers mots des titres, sujets, renvois aux mots choisis comme sujets, etc. retour au texte

    2. Bull, des bibliothèques de France, mai 1969. retour au texte

    3. Cf. entre autres, les comptes-rendus des Journées d'étude des bibliothèques de France de 1958 in Bull. des bibliothèques de France, janv. 1959. retour au texte

    4. Biblio possède un fichier de près de 3 millions de fiches, véritable « banque de données » avant la lettre, regroupant toute la production en français par auteurs, titres et sujets depuis 1925. retour au texte