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La bibliothèque Nationale et son rôle international

1972

    La Bibliothèque Nationale et son rôle international

    Par Jacques Lethève, Conservateur en chef du Service des Echanges internationaux

    On connaît en général le rôle que joue la Bibliothèque nationale pour la conservation et la communication aux chercheurs des richesses intellectuelles de la France. Il apparaît de manière moins évidente qu'une telle mission ne s'accomplit pas seulement sur le plan national et qu'elle contribue aussi à mettre en valeur et à diffuser hors de France notre patrimoine culturel. C'est ce rôle international de la B.N. que le présent rapport voudrait souligner dans ses principaux aspects.

    Chaque pays possède une bibliothèque centrale, dite nationale parce qu'elle rassemble tout ce que ce pays produit dans le domaine du livre. L'ensemble de ces bibliothèques forme une sorte de communauté mondiale, dont l'existence assure la pérennité de la « civilisation écrite ». Naturellement dans cette communauté (1) , la B.N., par suite de son ancienneté et de ses trésors, tient une place particulièrement éminente.

    Il est donc normal qu'hors de nos frontières, on pense immédiatement à elle quand on veut étudier les richesses intellectuelles de notre pays et que du monde entier affluent vers la rue de Richelieu, étudiants, professeurs, chercheurs et spécialistes de nombreuses disciplines. Des statistiques datant des années 1952-1955 et un sondage comparatif établi en 1969, révélant une stabilité assez significative de cette proportion, permet de fixer à 40 % le nombre des étrangers figurant parmi les lecteurs régulièrement inscrits.

    On peut affirmer en effet que nul n'entreprend un travail de première main, concernant l'histoire ou la littérature françaises, sans consulter les fonds du département des manuscrits, que nul n'étudie sérieusement l'histoire de l'art sans examiner les collections du Cabinet des estampes et sans utiliser ses fonds documentaires ; et il en va de même pour les cartes et plans, la musique ou la numismatique. On sait encore mieux que les seuls exemplaires conservés de tel ouvrage français très rare ou très spécialisé se trouvent dans les fonds du département des imprimés. Bien plus, certains sujets concernant l'étranger requièrent la consultation de nos fonds. Pour ne prendre que deux exemples très différents, les manuscrits de Henri Heine sont au département des manuscrits, les vues anciennes de Rome du fonds des Estampes sont plus complètes que celles conservées dans la capitale italienne.

    A ces étudiants, dont certains font des séjours de plusieurs mois et dont d'autres reviennent chaque année de Boston ou de Munich sans épuiser le sujet de leurs travaux, il faut ajouter les visiteurs occasionnels, personnages de marque ou curieux plus modestes attirés par le prestige de la grande maison. Ainsi à titre anecdotique, peut-on citer les visites assidues que l'ex-roi Umberto d'Italie a rendues, ces dernières années, aux collections du Cabinet des estampes et du Cabinet des médailles. Si la B.N. ne figure plus dans les guides étrangers comme dans le guide anglais de 1805 qui la mettrait, avec le Louvre et le Jardin des Plantes, parmi trois merveilles sans rivales au monde, beaucoup de voyageurs de passage cherchent encore à la visiter. Ce souhait est exaucé dans la mesure du possible soit par des visites de groupes, soit par des visites individuelles, quand il s'agit de personnes dont la profession justifie amplement la curiosité, tels que bibliothécaires, professeurs ou conservateurs de musée.

    Le même prestige explique les demandes, parfois difficiles à satisfaire, que formulent de jeunes ou moins jeunes bibliothécaires étrangers, désireux d'accomplir un stage dans ses services et sous la direction de son personnel : 34 stagiaires étrangers, de 22 nationalités différentes, ont pu être néanmoins accueillis en 1968-1970. De même l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires, abritée actuellement dans les mêmes locaux, accepte, pour autant qu'elle le peut et à titre d'« élèves associés », de jeunes étrangers qui se destinent à la profession, 17 pour l'année scolaire 1970-1971, appartenant à 13 nations francophones comme l'Algérie, la Belgique et le Liban ou même non francophones comme la Grèce, la Corée et l'Iran.

    Tous ceux qui au loin ont besoin de la B.N. n'ont pas les possibilités de venir jusqu'à elle. Mais de partout convergent demandes de renseignements, de reproductions photographiques, de microfilms. C'est ainsi que le Service photographique doit faire face à des demandes toujours accrues. En 1970, la moitié des commandes de tirages d'épreuves en noir ou en couleurs (soit 2.538 demandes) provenaient de l'extérieur et pour les microfilms c'est aux 3/4 des commandes (soit 11.421) que s'est élevée la part de l'étranger. Ainsi pour les microfilms, La National Central Library de Londres a passé environ 500 commandes, la Bibliothèque nationale de Budapest et l'Université de Berkeley chacune 200 commandes, huit autres universités américaines ainsi que la Deutsche Staatsbibliothek de Berlin, chacune plus de 100 commandes.

    La situation prééminente de la B.N. parmi les bibliothèques du monde, comme parmi les bibliothèques françaises, donne aux travaux de ses conservateurs et à leurs publications une importance qui attire l'attention des spécialistes. Même en accomplissant une tâche d'apparence purement nationale comme la rédaction de la partie officielle de la Bibliographie de la France, le personnel de la B.N. satisfait en même temps des besoins internationaux. Les notices des ouvrages publiés en France intéressent tous ceux qui, dans le monde, suivent de près pour des raisons variées la production littéraire française. Peut-être la B.N. élargira-t-elle encore ce rôle si la Bibliographie de la France parvient, comme la question a été envisagée, à annoncer également les ouvrages en langue française publiés dans les pays francophones. Belges, Suisses, Canadiens se montrent d'accord avec les ressortissants des jeunes nations africaines de langue française pour participer à cette tâche. D'autres publications assurent un rôle analogue. Le Catalogue général des imprimés par exemple, avec ses 211 volumes parus et ses suppléments, parce qu'il contient principalement la description des ouvrages français figurant dans la seule bibliothèque française qui théoriquement les possède tous, constitue le grand répertoire du livre français depuis les origines. Les différents inventaires, par siècle, du fonds français du Cabinet des estampes représenteront aussi lors de leur achèvement, le catalogue unique de tout ce qui a été produit par les graveurs de notre pays depuis les origines de l'estampe. Les catalogues de périodiques en langues non européennes - arabe, malgache, langues asiatiques - représentent de leur côté une contribution considérée comme essentielle par les spécialistes.

    L'intérêt porté aux publications de la B.N. se traduit dans les statistiques de son service de vente. Elles montrent que 35 % environ des demandes parviennent de l'étranger. Encore cette proportion ne tient-elles pas compte des achats de libraires français pour expéditions hors de France.

    Le Bulletin des bibliothèques de France, dont l'édition est également assurée par la B.N., obtient un intérêt grandissant des pays étrangers. Près de 50 % des exemplaires sont en effet distribués en abonnements ou échanges : 574 exemplaires mensuels en 1968, 630 en 1969, 725 en 1970 (2) .

    Afin de favoriser un certain nombre d'organismes de caractère national ou international, mais qui tous, à des titres divers, participent à une action de diffusion internationale, la B.N. abrite leurs réunions et leurs activités.

    Le Comité national du livre illustré n'a pas seulement pour but d'aider les illustrateurs français ; grâce aux expositions dont nous reparlerons plus loin, il fait connaître hors de France les plus belles réalisations dans ce domaine. Il en va de même avec le Comité national de la gravure, qui soutient les meilleurs graveurs mais aide, lui aussi par des expositions, à la diffusion de leurs oeuvres.

    Dans de nombreux cas, si la B.N. assume la charge de patronner de tels organismes, c'est que ses fonctionnaires ont acquis dans leur spécialité une autorité qui déborde les frontières et qui fait que les étrangers euxmêmes souhaitent les y voir assumer des responsabilités importantes. L'Association internationale de bibliophilie a pour secrétaire général, depuis sa fondation, un conservateur en chef de la maison (M. Guignard). La Section internationale des bibliothèques-musées des arts du spectacle possède, grâce à M. Veinstein, son siège à l'Arsenal. L'Association internationale des bibliothèques musicales a trouvé son président au département de la musique (M. Fedorov) et celui-ci dirige la publication des Fontes artis musicoe. Pour des raisons identiques la direction de la Bibliographie cartographique internationale a été assurée jusqu'en 1969 au département des cartes et plans, et deux conservateurs de ce même département continuent à apporter une collaboration estimée à la Bibliographie géographique internationale. Le Cabinet des médailles et la Société française de numismatique qui y a son siège, ont assumé plusieurs fois et encore en 1953 à Paris l'organisation des Congrès internationaux de numismatique.

    Il est important de rappeler que depuis la création de l'UNESCO les deux Administrateurs généraux de la B.N., M. J. Cain et M. E. Dennery, ont été successivement désignés comme membres français du Conseil exécutif de l'UNESCO.

    Par ailleurs un certain nombre de membres du personnel scientifique de la B.N. se trouvent participer à des réunions de caractère international ou à des prises de contact avec des organismes étrangers.

    Les domaines spécialisés dans lesquels la plupart des conservateurs et conservateurs en chef de la B.N. possèdent une compétence reconnue se rattachent, soit à leurs fonctions quotidiennes, soit aux travaux de recherche qui prolongent ces dernières. C'est à ce double titre qu'ils sont amenés à accomplir à l'étranger différentes missions, généralement de courte durée et qui furent de l'ordre d'une quarantaine en 1970.

    Il est des cas où la personne envoyée en mission vient s'informer auprès de bibliothèques ou d'organismes plutôt qu'elle n'apporte ses connaissances à ses hôtes : même ainsi se produisent d'intéressants contacts et de fructueux échanges d'expérience. Ce fut le cas en 1970 pour des visites accomplies par M. Dennery auprès de la Bibliothèque nationale du Québec, de la Bibliothèque du Congrès, du British Museum, de la Bibliothèque Lenine et de la Bibliothèque Albert Ier, des missions accomplies par M. Seguin dans la perspective de la construction de la « Bibliothèque des Halles », auprès des bibliothèques de Newcastle, de Moscou et de Leningrad, ou encore de l'enquête de M. Guignard, spécialiste de la reliure ancienne, auprès du British Museum.

    Souvent ces missions s'inscrivent tout naturellement dans le cadre d'expositions que des conservateurs accompagnent et qu'ils aident les organisateurs locaux à présenter. Ainsi, à Rome, pour l'exposition Chateaubriand (M. Dennery), à Bruxelles pour l'exposition Clouet (M. Dennery et M. Adhémar), à Londres pour l'exposition Mansart (Mlle Jacquiot) et pour celle consacrée au Commerce indien avec l'Europe (M. Nortier), à Lisbonne pour l'exposition Gluck, à Cologne pour présenter des collections photographiques (M. Lemagny et M. Bouret), à Amsterdam pour l'exposition Goya (M. Bouret), à Florence et à Berne pour la présentation de l'art graphique français (Mlle Barbin, Mme Woimant).

    Mais, indépendamment de toute exposition, les missions peuvent mettre en jeu la compétence des conservateurs dans les domaines de leurs recherches et consister soit en conférences, soit en participation active à des congrès ou colloques de divers types. Ainsi M. Thomas, conservateur en chef du département des manuscrits, après avoir participé au symposium rattaché à l'exposition « 1200 » du Metropolitan Museum de New York, fit une série de conférences sur la Librairie de Charles V dans plusieurs villes américaines. D'autres conservateurs du même département apportèrent leurs contributions à divers congrès : sur l'histoire médiévale, M. Gasnault à Trèves, sur l'orientalisme, Mme Guignard à Canberra (3) . Des spécialistes d'autres départements participèrent à diverses réunions : pour la numismatique à Londres (M. Yvon, Mme Dumas), à Munich, à Trèves et à Prague (M. Lafaurie), à Udine (Mlle Jacquiot) ; pour l'histoire du papier à Mayence (Mme Basanoff). M. Pierrot, conservateur en chef du département des imprimés, assura de son côté une série de cours de bibliographie et d'histoire littéraires à l'Université de Jérusalem. M. Prinet, conservateur en chef du département des périodiques, a fait récemment une série de conférences aux Etats-Unis et au Canada.

    Le domaine des techniques de bibliothèques est tout naturellement de la compétence des fonctionnaires de la B.N., qu'il s'agisse de problèmes de conservation, de catalogage ou d'organisation. Ainsi a-t-on vu le conservateur en chef du Cabinet des médailles (M. Le Rider) collaborer à Berlin à des travaux sur le catalogage des médailles, celui des Echanges (M. Lethève) au congrès annuel de l'Association des bibliothécaires allemands à Augsbourg.

    La Fédération Internationale des Associations de Bibliothécaires (FIAB) a accueilli en 1970 à ses travaux annuels, à Moscou et à Leningrad, la participation de son Administrateur général et de huit conservateurs, qui sont intervenus dans les différentes commissions et ont également aidé à l'organisation des traductions simultanées. L'étude de la normalisation internationale des demandes d'ouvrages en échanges a été demandée au responsable des échanges internationaux de la B.N., M. Lethève. Une réunion spéciale de cette Fédération, organisée à Bruxelles pour l'étude des livres anciens, a profité de l'expérience du conservateur de la Réserve des imprimés, Mme Veyrin-Forrer. En outre, plusieurs conservateurs de la B.N. se sont vus confier au cours de ces dernières années la présidence ou le secrétariat de plusieurs des sections et commissions de la FIAB : commission des publications en série (Mlle Bossuat, Mlle Pelletier), des échanges (Mme Honoré), de la formation professionnelle (M. Lethève).

    Si la B.N. a par ailleurs abrité pendant deux jour les réunions consacrées à la normalisation des notices de livres, c'est qu'elle possède quelquesuns des experts qui, en cette matière, ont une autorité internationale (Mme Honoré, M. Pierrot, Mlle Pelletier). L'un d'eux a également collaboré à Stockholm puis à Londres, à la mise au point d'un projet commun aux éditeurs, aux libraires et aux bibliothécaires, l'International Standard Book Number. Il a été décidé, dans une telle perspective, d'installer à la B.N. le Bureau d'enregistrement des périodiques sur le plan international prévu par le projet UNISIST.

    Enfin les travaux exécutés dans nos ateliers ont, en matière de restauration et de protection des manuscrits et des livres précieux, une réputation qui s'étend hors de France. Ces travaux ont été soutenus par les recherches de Mme Flieder, qui, avec l'aide du C.N.R.S. et de la B.N., vient de publier une thèse de grande valeur. Mme Flieder a participé aux réunions de l'ICOM concernant l'ensemble de ces problèmes. L'atelier de restauration lui-même a été parfois sollicité de travailler pour l'étranger ou d'envoyer ses techniciens hors de France (mission de trois d'entre eux à Lisbonne, auprès de la Collection Gubelkian).

    Les missions des fonctionnaires de la B.N. restent naturellement exceptionnelles. En revanche c'est du travail quotidien que relèvent trois domaines pour lesquels le rôle de la B.N. constitue un apport primordial à la diffusion du livre français à l'étranger : les expositions, le prêt international, les échanges de publications.

    Nous avons déjà mentionné au passage la contribution de la B.N. dans les expositions à l'étranger. Leur nombre et leur importance s'expliquent par le désir qu'ont de multiples organismes d'emprunter des manuscrits, livres, estampes ou documents divers, en vue de compléter ceux qu'ils possèdent ou de corser l'intérêt de leurs expositions. Ces sollicitations sont si nombreuses qu'il faut beaucoup de sagesse à l'administration de la B.N. pour concilier des points de vue contradictoires : ne pas disperser aux quatre vents les richesses qu'elle possède et leur épargner les risques qu'entraînent les déplacements, mais faire connaître et admirer ses trésors ; ne pas priver non plus de pièces introuvables ailleurs des organismes généralement enclins à la réciprocité.

    Sur 104 expositions de toute nature auxquelles elle a participé dans la seule année 1970, 30 d'entre elles étaient situées à l'étranger : 7 en Belgique, 5 en Grande-Bretagne et 5 en Allemagne (et l'une d'elles a circulé dans plusieurs villes), 3 au Japon (dont une également circulante), 2 aux Etats-Unis et 2 au Brésil et 1 dans chacun des pays suivants : Canada, Danemark, Malte, Pays-Bas, Portugal.

    Certaines de ces expositions n'étaient d'ailleurs que la présentation hors de France d'expositions antérieurement organisées par le personnel de la B.N. dans ses locaux. Ce fut le cas de l'exposition « Architectes visionnaires » qui ne cesse, depuis près de sept ans, de circuler en divers pays, en particulier aux Etats-Unis et en Allemagne ; ce fut le cas aussi d'« Un siècle de vision nouvelle », exposition transférée au Stadtmuseum de Munich. Il en avait été de même lors des années précédentes pour certaines des expositions littéraires qui sont un des apanages de la B.N. : citons l'exposition Chateaubriand (1969), présentée ensuite à Rome, et l'exposition Racine (1967), transportée dans plusieurs villes du Québec.

    C'est encore à des célébrations d'écrivains ou d'artistes français, celles-ci organisées sur l'initiative de l'étranger, que nous avons accepté de collaborer, qu'il s'agît de Baudelaire à Tokyo, de Lili Boulanger à Bruxelles, de Mansart à Londres, de Delacroix à Ottawa, de Millet au Japon, de Picasso à Munich ou de Matisse au Danemark. De son côté l'art français sous ses aspects graphiques a trouvé dans nos collections les éléments de panoramas difficiles à établir en se tournant vers d'autres sources : ainsi les 107 gravures provenant du Cabinet des estampes et présentées au Palais Strozzi à Florence.

    De même les expositions des deux Comités cités plus haut, celui du livre illustré et celui de la gravure française, bien qu'accomplies avec des aides extérieures, doivent à l'apport des collections de la B.N., aux travaux de son personnel scientifique et technique et au parrainage qu'elle leur offre, une partie de leur prestige. Par les soins du premier, les meilleures illustrations françaises ont été présentées en 1968 à Mayence, à Côme et dans différentes villes du Maroc, en 1969 à Bruxelles et à Zurich, en 1970 à New York et dans plusieurs villes américaines. Le second a fait circuler des présentations de gravures françaises contemporaines en 1969 à Vienne et à Schiedam (près de Rotterdam) et en 1970 à Helsinki, Stockholm et Copenhague.

    Enfin il est fréquent que les étrangers fassent appel, pour évoquer des personnages ou des événements de leurs propres pays, aux documents inexistants chez eux et conservés ici : la Bibliothèque royale de Bruxelles a pu ainsi compléter par trois pièces en provenance de la B.N., son exposition des manuscrits néerlandais. L'exceptionnelle rareté de certaines gravures de Goya possédées par le Cabinet des estampes a poussé le Rijksmuseum d'Amsterdam, pour présenter l'oeuvre de cet artiste, à nous emprunter 32 gravures. De même les expositions de l'Ordre de Malte, à Malte, de Malatesta à Rimini, de Gluck à Lisbonne, des Ballets suédois à Londres, auraient été incomplètes sans la présence de manuscrits, de médailles, d'estampes, de maquettes, de décors appartenant à nos collections.

    -L'indispensable conciliation entre des nécessités contradictoires, déjà relevée à propos du prêt aux expositions, se retrouve quand il s'agit de prêter des livres ou des manuscrits. Les critères sont pourtant un peu différents puisqu'il ne s'agit plus de montrer des pièces d'un intérêt exceptionnel, mais de faciliter le travail de chercheurs étrangers dans les domaines de leurs études par l'intermédiaire des bibliothèques à qui les ouvrages sont confiés. Le Service central des prêts ne consent à prêter les livres de la B.N. que dans la seule mesure où elle les possède en double, puisque le Département des imprimés se doit avant tout d'assurer la permanence de ses fonds. Pour les manuscrits, uniques par nature, on ne peut appliquer la même règle. Mais la présentation même du manuscrit, la fragilité de sa reliure, de ses feuillets, de ses enluminures constituent les éléments importants pour accepter ou écarter le prêt. Les difficultés du voyage et l'éloignement du point de destination ajoutent d'autres critères, ce qui explique que les manuscrits sont expédiés plus facilement vers les pays voisins du nôtre. Mais les critères de rareté ou d'intérêt intellectuel demeurent en tout état de cause primordiaux.

    Il faut signaler en outre que le Service central des prêts déborde, dans son activité, le cadre de la B.N. et qu'il sert de relais entre les bibliothèques étrangères et les bibliothèques françaises faisant appel à ses soins. Ces dernières ont souvent de judicieuses raisons de ne pas appliquer à leurs collections des règles aussi strictes que les nôtres. C'est ce qui explique l'importance des prêts qui passent par le Service central. En ce qui concerne les livres, une partie d'ailleurs provient d'un fonds général de prêt en cours de constitution, toujours sous la responsabilité de la B.N.

    Pour les trois années 1967, 1968 et 1969, voici le bilan des prêts accordés - et l'on se doute bien que sur ce point comme sur d'autres l'année 1968 n'a pas été particulièrement favorable. Le nombre des bibliothèques ou organismes destinataires à l'étranger - parmi lesquels il faut compter à l'occasion les instituts français et nos ambassades - s'est élevé à 328 en 1967, 303 en 1968, 472 en 1969. Sur les trois années ces différentes institutions appartenaient à 49 pays parmi lesquels d'aussi lointains que l'Australie, la Tasmanie, le Brésil et Hong Kong. Les prêts, consentis habituellement pour une durée d'un mois, concernaient en 1967, 4.450 livres et 23 manuscrits ; en 1968, 4.242 livres et 59 manuscrits ; en 1969, 3.643 livres et 16 manuscrits.

    Reste enfin à parler du Service des échanges internationaux de publications dont le rôle en matière de diffusion du livre français est primordial et assez souvent méconnu.

    Dans son essence, l'échange de publications constitue une pratique remontant à plusieurs siècles. Mais il a vraiment été organisé au XIXe siècle par une série d'accords entre divers pays, depuis la convention de Marbourg établie en 1817 jusqu'aux conférences de Bruxelles en 1877 et 1883. Après la deuxième guerre mondiale l'intérêt porté par l'UNESCO à ces problèmes a provoqué les réunions de 1948, de 1956 et les nouvelles conventions de Bruxelles en 1958, conventions ratifiées en décembre de la même année.

    L'échange de publications rejoint le processus élémentaire du troc. Il a l'avantage de supprimer les intermédiaires et particulièrement ces instruments monétaires précieux et rares dans certains pays, les devises étrangères. On comprend donc qu'au lendemain de la dernière guerre la plupart des pays aient mis l'accent sur ce système et ses avantages continuent à séduire les pays à monnaie faible pour qui les voies commerciales sont particulièrement complexes. Mais cette pratique conserve son intérêt pour les autres pays et pour la France en particulier, parce qu'elle représente diverses commodités. Ainsi donne-t-elle des facilités pour se procurer à l'étranger des ouvrages de petits éditeurs échappant aux circuits commerciaux, pour obtenir des livres épuisés mais que les bibliothèques possèdent en double, pour entrer en relations avec les administrations publiques dont les publications échappent en général aux libraires.

    Mais surtout les échanges sont un instrument de diffusion culturelle tout à fait remarquable. Les conférences du XIXe siècle avaient mis l'accent sur la nécessité de faciliter par ce moyen la circulation de publications entre les corps savants, les sociétés littéraires, artistiques ou scientifiques de tous les pays. Celles de notre temps ont réaffirmé ce point de vue, en y voyant un moyen d'améliorer la compréhension entre les peuples.

    Le Service des échanges internationaux agit traditionnellement sur deux plans. Il est, d'une part, l'intermédiaire naturel entre les sociétés savantes françaises et celles des autres pays. Il assume ainsi les tâches ïadis confiées à la Commission des échanges, créée le 15 mai 1877, en application de la convention internationale du 12 août 1875. En second lieu, il assure la plus large part des échanges de livres entre les bibliothèques étrangères et les bibliothèques françaises et principalement la B.N.

    Dans le premier cas, son service de réexpédition est un organisme de retransmission purement matériel. Le privilège qui lui a été donné de recevoir en franchise les publications à lui adressées et le tarif réduit dont il bénéficie pour les expéditions à l'étranger, lui permet d'offrir aux organismes français une gratuité totale pour la diffusion de leurs ouvrages. Actuellement 61 organismes parisiens et 184 de province profitent de ces avantages pour diffuser à l'étranger leurs publications. On y trouve de grands corps savants, comme l'Académie des sciences et l'Observatoire de Paris, des sociétés savantps, plus riches en général de bonnes volontés que de ressources, qui vont de l'Académie des jeux floraux à la Société des Américanistes et aux sociétés archéologiques et historiques. Ce sont également les centres de recherche, les laboratoires, les organismes culturels dépendant du Ministère de l'Education nationale, mais aussi des autres ministères : Services d'archives départementales, Centre national de recherches agronomiques, Comité national français de géodésie, Service de documentation de la météorologie nationale, par exemple. L'activité de ce service se traduit par quelques chiffrps. En 1969 ont été reçus de France 90.830 paquets pour être envoyés à l'étraneer : 24.279 venus de l'extérieur - à quoi doit s'ajouter le contenu de 355 caisses - ont été distribués en France.

    Mais l'activité du Service des échanges n'est pas bornée, nous l'avons dit, à ce travail de réexpédition. Par ses relations avec les bibliothèques des autres pays, il procure dans une proportion importante des ouvrages étrangers à la B.N. On doit remarauer à ce propos que le système d'échange n'est pas seulement un procédé d'enrichissement pour la France. Du fait aue l'arrivée d'un livre ou d'un périodiaue étranger s'accompagne toujours d'un envoi équivalent d'ouvrages français, on peut dire aue chaque livre ou périodique entré par ce moyen correspond à l'expédition d'un livre ou d'un périodique français hors de nos frontières.

    En outre le processus des échanges oblige à des relations constantes avec les bibliothèques et autres organismes spécialisés et la B.N., grâce à la transmission continue des paquets, à la réception et à l'envoi de lettres, listes de demandes ou de propositions, de mises au point, se trouve plusieurs fois par mois, sinon quotidiennement, en contact direct avec la Library of Congress de Washington, la Bibliothèque Lénine de Moscou ou le Consejo de investigaciones cientificas de Madrid, pour ne citer que ces trois exemples.

    Enfin, si les échanges recherchent un juste équilibre entre les envois des partenaires, l'aspect proprement culturel n'est jamais oublié. Il arrive que la balance soit un peu trop favorable aux bibliothèques étrangères, mais nous pouvons nous consoler en songeant que nos envois permettent une large pénétration du livre français. Bien des lettres de bibliothèques roumaines, yougoslaves, brésiliennes prennent l'aspect de suppliques en faveur d'établissements dont les difficultés d'acquisition sont certaines et qui veulent pourtant procurer à leurs lecteurs les livres français que ceux-ci réclament. Il est difficile de toujours résister à des demandes aussi insistantes, mais aussi justifiées, même si de notre côté nous avons, souvent pour des raisons linguistiques, un désir moins vif de leurs propres ouvrages.

    Lorsqu'il s'agit de pays dont les bibliothèques ont bénéficié longtemps de l'aide officielle de la France, il est normal de continuer à les alimenter en livres français, bien que la contrepartie, provenant d'organismes d'éditions encore embryonnaires, reste habituellement un peu mince. A Rabat, à Abidjan, à Dakar, à Yaoundé, nous poursuivons des envois réguliers, pour permettre aux étudiants de ces pays de travailler dans nos manuels. Avec d'autres contrées francophones, comme l'Ile Maurice, nous pensons aider au maintien de la langue française, en envoyant des livres d'accès plus facile, moins demandés d'ailleurs par les autres pays. Avec le Québec, dont on sait qu'un accord, conclu en dehors de nous en 1968, prévoyait un échange intégral de la production des deux pays, la disproportion de l'échange envisagé est bientôt apparue. Nous n'avions d'ailleurs pas attendu cet accord pour favoriser les Canadiens francophones, même en dehors du Québec. Après un examen de la situation, il semble qu'on s'achemine vers une mise au point répondant aux voeux des parties. La plupart des accords d'échange sont des accords bilatéraux, conclus directement entre la B.N. et les institutions étrangères. Mais en matière de publications officielles, le processus est différent : il est engagé d'Etat à Etat et aboutit généralement à un échange de lettres diplomatiques signées de part et d'autre par les ministres des affaires étrangères et de l'éducation nationale. La France a conclu 6 accords de ce type : avec la Belgique dès 1891, avec les Etats-Unis en 1945, avec la Grande-Bretagne en 1953, avec l'Australie en 1955, avec Israël en 1959, avec l'Allemagne fédérale en 1964. D'autres accords ont été envisagés avec l'Italie, le Danemark, la Corée et le Japon, sans aboutir jusqu'ici.

    De tels accords permettent l'échange de toutes les publications - mais généralement un choix est effectué par les deux parties - issues des administrations publiques et des institutions officielles, publications échappant en général au secteur commercial. De ce fait, elles ne sont pas non plus comptabilisées et sont estimées lors de l'établissement des balances de façon plus large.

    L'étendue de l'action du Service des échanges peut se concrétiser par quelques chiffres (4) . Ses relations s'étendent à 97 pays et à environ 1.100 institutions. Dans un esprit de totale neutralité intellectuelle, il s'agit aussi bien de la Corée du Nord que de celle du Sud, de la Chine populaire que de Taiwan, des deux Viet-Nam, des deux Allemagne. 82 de ces pays ont été effectivement en relation pendant l'année 1970 avec le Service qui a mis au point 34 nouveaux accords.

    En ce qui concerne les livres, 11.718 volumes ont été envoyés en 1970 sur la demande des intéressés, sans compter 17 microfilms et 652 photocopies. A ces chiffres doivent être ajoutés ceux de 9.038 publications officielles et de 5.636 brevets. Les principaux bénéficiaires des envois de volumes ont été : l'U.R.S.S. (3.467 volumes), le Sénégal (495), les deux Allemagne (466), Madagascar (334), l'ensemble de l'Amérique du Sud (331), l'Autriche (322), Israël (174), la Roumanie (168), la Pologne (167), la Yougoslavie (101).

    Nous avons également envoyé au fur et à mesure de leur publication 2.321 titres de périodiques. Ainsi 178 titres sont adressés à la Deutsche Staatsbibliothek de Berlin-Est, 166 à la Bibliothèque de l'Académie des sciences de Leningrad. L'IFAN de Dakar reçoit 43 titres, la Bibliothèque universitaire d'Abidjan 36 et la Bibliothèque nationale de Côte d'Ivoire 18. Les deux bibliothèques de Tirana, nationale et universitaire, sont bénéficiaires de 27 titres et la Vaticane, de 6. Signalons que nous envoyons Le Monde à la Bibliothèque universitaire de Leningrad, à la Bibliothèque des littératures étrangères de Moscou, à la Bibliothèque d'Etat de Minsk, à la Bibliothèque nationale de Pyong-Yang, à la Bibliothèque générale de Rabat.

    La valeur globale de ces publications, livres et périodiques, à l'exception des publications officielles non comptabilisées, représentait en 1970 la somme de 436.728 F.

    On voit que par les services rendus aux chercheurs de tous pays, par les prêts qu'elle leur consent, par la présence de ses richesses dans les expositions, par la participation de ses conservateurs à des tâches d'intérêt général et aux congrès internationaux, par les livres et les périodiques qu'elle transmet et diffuse dans le monde entier, la B.N. joue un rôle important sur le plan international. Son action constitue une participation qu'on ne saurait négliger à la mission culturelle de notre pays.

    1. Communauté idéale mais qui se concrétise à différentes occasions. La B.N. participe aux travaux de la Commission des bibliothèques nationales de la Fédération Internationale des Associations de Bibliothécaires ; elle était présente en 1956 à Vienne au colloque organisé par l'UNESCO pour les bibliothèques nationales d'Europe et ces dernières viennent de créer une ligue internationale des bibliothèques de recherche (LIBER). retour au texte

    2. Contre 799 exemplaires en France pour 1970. retour au texte

    3. A l'occasion du Congrès des orientalistes à Canberra fut présentée avec succès une exposition des ouvrages français publiés au cours de ces dernières années dans les domaines étudiés par les congressistes. retour au texte

    4. Les envois mentionnés ici ne comprennent pas bien entendu ceux qui ont été cités plus haut au titre de la réexpédition de publications savantes. retour au texte