Index des revues

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    L'avenir des bibliothèques publiques

    Par Edmond Guérin, Président de la section des bibliothèques publiques de l'A.B.F.

    De plus en plus, on parle de Lecture publique et même de Bibliothèques publiques, c'est un fait, et notre section peut légitimement s'énorgueillir d'avoir contribué dans une large mesure à l'emploi, devenu courant, de ce dernier terme. Mais en parler ne suffit pas et si les responsables de ces bibliothèques sont maintenant quelquefois reconnus comme des interlocuteurs valables par des secteurs professionnels voisins du leur, ils désirent aussi que le terme de Bibliothèque publique recouvre une réalité pius importante.

    Or qu'en est-il actuellement ? Et surtout que peut-on espérer ? Dans le cadre de cet article, il ne saurait être question de dresser le bilan des Bibliothèques publiques, nous ne le connaissons que trop. Et sans vouloir nier les efforts qui ont été accomplis ici et là, nous sommes bien obligés de constater que le « poids » des Bibliothèques publiques dans notre pays est encore bien léger. Pourtant, leur nécessité est évoquée bien souvent, les techniques sont au point, des expériences dont la réussite ne fait aucun doute sont en place. Que manque-t-il donc pour que nos bibliothèques deviennent ces institutions importantes et puissantes que nous appelons de nos voeux ?

    Il vient tout de suite à l'esprit que, avant tout, il s'agit d'un problème de moyens. Inlassablement, en toutes occasions, nous demandons davantage de locaux, davantage de personnel, davantage de crédits de fonctionnement. Bien sûr, nous constatons globalement une augmentation, mais si faible ! Et nous savons bien que obtenir la multiplication par 2 ou 3 des crédits que l'Etat et les collectivités locales consacrent aux Bibliothèques publiques, au lieu de les augmenter de quelques millions de francs tous les ans n'est pas une mince affaire. C'est pourtant l'objectif que nous devons nous fixer en cette année 1973. En attendant, ne vaudrait-il pas mieux, pour reprendre une idée chère à notre ami Hassenforder, consacrer une partie des crédits actuels à quelques actions expérimentales de grande envergure qui démontreraient toute l'importance du rôle de la Bibliothèque publique, plutôt que de procéder à un saupoudrage dont l'efficacité est souvent illusoire ? Ce serait peut-être la meilleure manière d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur la situation des bibliothèques de ce pays.

    Mais une augmentation substantielle des crédits alloués aux Bibliothèques publiques suffirait-elle à résoudre le problème ?

    Il convient en effet de se demander si, d'une part, nos structures actuelles et d'autre part la formation du personnel affecté aux Bibliothèques publiques permettraient d'utiliser cette manne providentielle avec le maximum d'efficacité. En d'autres termes, il est absolument indispensable, si nous voulons être considérés comme des gens sérieux, de parler de rentabilité de nos établissements. Il ne saurait évidemment s'agit de chiffrer l'impact culturel que les Bibliothèques publiques ont ou pourraient avoir sur l'ensemble de la population. Mais on pourrait s'en tenir à l'estimation de cette donnée qu'est le coût moyen d'un prêt. Il y a des difficultés dans ce calcul, nous le savons bien, mais des premières constatations effectuées, il ressort de telles disparités qu'il paraît certainement nécessaire de se poser des questions...

    Or les structures actuelles permettraient-elles une efficacité satisfaisante, si l'on se contentait de les développer ? La Section des Bibliothèques publiques a répondu non à cette question et je n'apprendrai rien aux lecteurs de cette revue en préconisant en son nom le remplacement de l'organisation actuelle par l'institution des bibliothèques de secteur. La dualité actuelle - Bibliothèques municipales, Bibliothèques centrales de prêt - nous semble en effet préjudiciable à un fonctionnement harmonieux des Bibliothèques publiques. Compte tenu des transferts de population qui s'opèrent dans ce pays et de la mouvance qu'ils entraînent, il paraît sage de prévoir dès maintenant un système unique pour l'ensemble du pays. Je n'insiste pas sur cette proposition, nos travaux antérieurs, notamment ceux du Congrès de Colmar, ont suffisamment développé nos positions.

    Cependant, il est peut-être un aspect du problème qui demanderait à être précisé. En effet, il semblerait que certains de nos collègues discernent dans l'institution même des bibliothèques de secteur un danger qui résiderait dans le fait qu'ils y perdraient une partie de leurs libertés notamment dans le domaine du choix des livres. De même, ces collègues paraissent espérer beaucoup plus dans les collectivités locales que dans l'Etat pour développer les Bibliothèques publiques. Il ne saurait être question dans le cadre de cet article de conclure le débat. Qu'il soit toutefois permis au Président de la Section de préciser, à titre personnel, quelques-unes de ses réflexions pour l'alimenter.

    Tout d'abord, il semble évident que chaque bibliothèque de secteur aurait sa propre physionomie. Et il ne saurait être question de concevoir l'ensemble des bibliothèques de secteur d'après un modèle préalablement donné et supposé idéal. Chacune devrait obligatoirement adapter son fonctionnement et ses structures internes aux conditions de son implantation. Cela n'empêcherait nullement une certaine unité dans les techniques de fonctionnement.

    Ensuite, il apparaît que pour obéir au principe énoncé ci-dessus, chaque bibliothèque de secteur devrait bénéficier d'une certaine autonomie. Ouverte sur le monde extérieur et en prise directe avec les autres organismes et institutions, culturels ou non, du secteur public comme du secteur privé, elle devrait pouvoir elle-même engager son action selon des formules et des techniques s'apparentant davantage à une activité de type commercial qu'à une gestion administrative classique.

    Enfin, si l'on accepte ces idées, il faut en déduire que notre bibliothèque de secteur pourrait trouver elle-même une partie de ses ressources. Bien sûr, l'Etat devrait en toute hypothèse permettre à cette bibliothèque d'assurer le service minimum que tout citoyen est en droit d'attendre, quelles que soient sa localisation géographique et sa position sociale. Mais pourquoi la bibliothèque n'essaierait-elle pas de faire rétribuer par d'autres collectivités publiques ou privées les services qu'elle leur rend ? A condition toutefois que le prêt aux particuliers reste gratuit.

    Il est certain que les structures actuelles des Bibliothèques publiques, qu'elles soient municipales ou centrales de prêt, ne peuvent permettre une telle évolution. Et il faudrait trouver de nouvelles formules peut-être en axant cet effort de recherches vers la possibilité de créer des établissements publics jouissant de l'autonomie financière. Ces propositions, je ne me le dissimule pas, renferment une bonne part de rêve... mais il n'est quand même pas interdit aux bibliothécaires de rêver.

    Rien n'empêche d'ailleurs de procéder par paliers et il ne viendrait à l'idée de personne de remplacer brutalement les structures actuelles par de nouvelles qui n'existent aujourd'hui que sur le papier. C'est en ce sens que nous demandons le lancement d'expériences qui, nous en sommes certains, démontreraient le bien fondé de notre thèse. Il est évident que ces expériences seraient placées dans le cadre des structures actuelles : la bibliothèque de secteur ne repose sur aucune division administrative existante. Le point de départ d'une de ces expériences pourrait être soit une bibliothèque municipale, soit une annexe de centrale de prêt et ce n'est qu'au fur et à mesure de son déroulement que, très progressivement et prudemment, il pourrait être envisagé une modification des structures allant jusqu'à leur complète transformation.

    Il résulte de ce qui précède que le responsable de notre bibliothèque de secteur devrait avoir une mentalité entièrement différente de celle que, par goût ou par obligation, nous avons à l'heure actuelle. Dynamique, voire « agressif», véritable responsable de son établissement, il devrait se comporter en pensant qu'il est un chef d'entreprise. Mais et c'est là que réside la difficulté, il ne devrait jamais oublier que, avant tout, il est au service du public. Tâche difficile, certes, mais combien exaltante !

    Or, il apparaît que la formation actuellement dispensée à l'ensemble des personnels des Bibliothèques publiques ne le prédispose nullement à ce travail. Il n'est pas possible dans le cadre de cet article d'examiner l'ensemble des problèmes relatifs à cette question : depuis longtemps, on en parle dans nos associations, des commissions ont établi des rapports, des évolutions même se sont dessinées. Cependant les progrès sont lents, trop lents à notre gré. Pour nous, la Bibliothèque publique, sans renier le passé culturel du pays, est avant toute une institution du monde présent. La formation de ses responsables et de ses employés, à quelque niveau qu'ils exercent leurs fonctions, doit en tenir compte. Une solide formation technique leur est certes indispensable, mais, en outre ils ont besoin de connaissances dans les domaines sociologique, pédagogique, publicitaire, etc... Il leur faut être bibliothécaire mais aussi animateur culturel. Cette double exigence entraîne sans aucun doute une transformation radicale, et du recrutement, et des programmes et des méthodes d'enseignement. Peut-être devrait-on envisager également, notamment au niveau du personnel technique, la possibilité d'un recrutement de type régional, ce qui permettrait aux employés en contact constant avec le public, d'exercer leurs activités dans un milieu dont ils sont issus et qu'ils connaissent bien.

    Les quelques réflexions qui précèdent ne sont pas exhaustives. Elles ont simplement l'ambition d'alimenter le débat qui depuis quelque temps s'est instauré au sein de la Section des Bibliothèques publiques et qui devrait lui permettre de préciser à nouveau sa doctrine. Toutes les suggestions, toutes les réactions seront bien accueillies par le Bureau de la Section et plus particulièrement par la Commission qui a charge d'étudier le problème du développement des Bibliothèques publiques au cours des prochaines années.