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Conservation et communication des livres anciens dans les bibliothèques municipales

1974

    Conservation et communication des livres anciens dans les bibliothèques municipales

    Par P. Vaillant

    Communication faite à la journée « Conservation » organisée par la section B.N. et le groupe Paris le 16 mars 1974

    Pour traiter de ces problèmes, j'envisagerai tour à tour le prêt inter-bibliothèques, le prêt à domicile, la consultation sur place. Dans chacun des cas j'essaierai de décrire les difficultés de la situation présente et proposerai des solutions pour y porter remède. Enfin, je m'attarderai sur l'exemple que je connais le mieux, celui de la Bibliothèque municipale de Grenoble, surtout depuis son installation en 1970 en un nouveau bâtiment.

    1° En ce qui concerne le prêt inter-bibliothèques, nous constatons de plus en plus de pertes au cours de l'expédition, mais surtout de détériorations (coins, coiffes abimées, dos cassé). Il s'agit le plus souvent de livres qui ne devraient pas être expédiés : c'est le cas des grands formats, des reliures longtemps exposées au soleil, des dossiers insuffisamment cousus. Il s'agit aussi de détériorations causées par des emballages insuffisants au départ, parfois pour éviter un affranchissement coûteux par suite d'une surcharge. Il s'agit enfin de détérioration causées à l'arrivée par le manque de soin du photographe dans la manipulation des volumes ou bien par le prêt à domicile de livres, qui devraient être consultés sur place.

    Pour remédier à ces disparitions et détériorations, certaines bibliothèques munici-pales ont refusé récemment purement et simplement le prêt inter-bibliothèques des manuscrits et des ouvrages antérieurs à 1800.

    Pourtant, une attitude plus souple peut être adoptée, à condition d'effectuer un contrôle plus sérieux au départ sur ce qu'il est prudent d'envoyer sans dommage, et à l'arrivée une vérification pour contrôler l'état de l'ouvrage et de la reliure. Il serait bon d'autre part d'exiger des emballages plus rigides, de préférence des boîtes, qui pourraient être fabriquées en série suivant divers formats, et il faudrait ne pas être arrêté par la cherté des envois, qui devraient être faits, comme en d'autres pays, officiellement en franchise. Ces envois enfin ne devraient se faire qu'au cas où un microfilm ou une photocopie ne pourraient en tenir lieu.

    2° Pour le prêt à domicile des ouvrages anciens, il nous semble préférable de l'interdir dans la section d'études, mais à la condition qu'il existe d'importantes sections et annexes de prêt, où l'on prête libéralement toutes catégories d'ouvrages modernes, à la condition aussi qu'il existe dans la section d'étude des appareils pour photocopier à des prix modérés, qui ne détériorent pas les reliures et qui soient maniés non par les lecteurs mais par un personnel de la bibliothèque ayant le respect du livre.

    3° La communication sur place à elle seule pose de sérieux problèmes, depuis que le nombre des demandes de recherche sur le fonds local s'est considérablement accru, avec le nombre plus grand des thèses, des TER et l'animation liée au tiers temps pédagogique. Il y a non seulement augmentation de la consultation mais aussi évolution dans l'attitude du lecteur, autant que nous avons pu l'observer sur une période de trente ans. Nous constatons que depuis quelques années non seulement des vols plus nombreux et des lacérations dans les usuels et les périodiques nouvellement parus à l'accès du public, mais aussi une absence du respect du livre. Pour le lecteur d'aujourd'hui, le livre, quel que soit son aspect extérieur ou son ancienneté, n'est qu'un objet utilitaire dont on use sans ménagements. Il faut que l'employée du public fasse de constants rappels à l'ordre pour empêcher le chercheur d'appuyer ses coudes sur l'ouvrage, de poser sur la page la feuille de papier sur laquelle il écrit, de consulter le livre sur ses genoux alors qu'il a une grande table devant lui, de retourner l'ouvrage à plat plutôt que d'introduire un signet, de ne pas signaler un livre détérioré lorsqu'il a l'occasion de le consulter.

    Pour éviter, dans ces conditions, que la détérioration des livres ne s'accélère, il y a deux catégories de mesures, nous semble-t-il, à prendre :

    • a) D'abord des mesures de conservation : magasins à l'abri de la lumière, constitution pour les livres les plus précieux d'une réserve conservée dans une chambre forte, avec restauration des ouvrages dans un atelier de réparation installé à la bibliothèque, achat de réimpressions pour les ouvrages rares très demandés, prise de microfilms pour certains manuscrits, anciens journaux, cartes et documents très consultés, microfilms dont on pourra tirer des photocopies avec un lecteur reproducteur.
    • b) Ensuite des mesures de surveillance : aménagement d'une salle réservée à la consultation des manuscrits, estampes, des cartes, la réserve, du fonds local, salle assez petite pour être convenablement surveillée par un bureau de renseignements, pupitres de plusieurs dimensions à utiliser dans cette salle pour la consultation des journaux et ouvrages de grand format, contrôle des ouvrages avant et après leur consultation pour déceler les détériorations à faire rembourser par les lecteurs.

    Mais il ne faut pas trop se faire d'illusions. Les mesures de conservation avec les moyens financiers, dont disposent les bibliothèques municipales, ne peuvent porter au mieux que sur un petit nombre d'ouvrages. Ils ne peuvent concerner la masse de volumes anciens, dont les reliures sont défectueuses, ni les journaux du XIXe siècle très consultés, dont le papier est entièrement fragile.

    Quant aux mesures de surveillance, elles supposent des locaux assez vastes et un personnel qualifié, ce qui n'est pas le cas de toutes les bibliothèques municipales. Du reste, même dans ces conditions, elles ne peuvent que limiter les dégâts. Il y a tout un problème de la formation du chercheur quant au respect du livre, problème qui déborde largement tout ce que peut faire la bibliothèque. Et ce manque de respect, malheureusement, n'est pas seulement le fait des lecteurs. Il est aussi maintenant dans les bibliothèques municipales, le fait du personnel. Nous n'avons plus, en effet, comme autrefois, des gardiens recrutés parmi des retraités de la gendarmerie, de la S.N.C.F., mais des hommes sans qualification qui n'ont pu trouver de débouchés ailleurs. Quant aux sous-bibliothécaires, qui dans la plupart des sections d'étude des bibliothèques municipales, assurent, faute de personnel scientifique, les postes de renseignements vis-à-vis du public, il s'agit d'un personnel recruté sur place par concours municipal. Titulaire d'un baccalauréat et parfois d'une licence, il n'est pas spécialement attiré par le livre et nous n'avons pas eu le temps de le former longuement, comme c'était le cas autrefois pour le personnel sans diplômes, que nous avions pu prendre à l'essai et qui remplissait les mêmes offices. Dans ces conditions, il faut constamment surveiller nos gardiens afin qu'ils prennent des précautions suffisantes pour le transport des ouvrages par chariots et monte-charge et rappeler au personnel chargé des renseignements de contrôler l'état des livres avant et après consultation.

    Autrement dit, tout ce qu'une bibliothèque municipale peut faire à l'échelon local n'est pas suffisant pour résoudre les problèmes de la conservation et de la consultation à l'époque où ce problème est beaucoup plus angoissant qu'autrefois. Il faut certainement recourir à de plus grands moyens que ceux dont peuvent disposer les municipalités, qui sont du reste beaucoup plus intéressées, et cela se comprend, par le développement de la lecture publique : action, auprès des éditeurs pour augmenter considérablement le nombre des réimpressions et micro-éditions, crédits pour microfilmer un grand nombre de journaux, crédits pour restaurer le plus grand nombre possible d'ouvrages.

    4° Il me reste à vous faire un rapide historique de ce qui a été fait dans le domaine de la conservation et de la consultation à Grenoble. Depuis qu'en 1970 la bibliothèque municipale est installée en de nouveaux bâtiments plus vastes construits en 1960 pour la Bibliothèque universitaire, nous avons pu utiliser des crédits du Ministère pour acquérir un certain nombre d'appareils : appareil photocopieur Polyclair qui ne détériore pas trop les reliures. Un gardien le fait fonctionner 3 à 4 heures par jour à raison de 0,40 F par vue, pour toute catégorie de documents. Pour les microfilms nous avons acheté 2 lecteurs, un lecteur Kodak, et un Polyclair qui est en même temps reproduc-teur. Nous avons microfilmé grâce à un photographe, qui a son appareil de prises de vues à la bibliothèque, un certain nombre de documents très demandés : les manuscrits de Stendhal, la série des plans de Grenoble, des dossiers de documents originaux du XVe , XVIe et XVIIe siècles, intéressant plus particulièrement les généalogistes et historiens locaux, enfin diverses éditions du journal régional, Le Dauphiné Libéré.

    Depuis quelques années le réseau des bibliothèques de quartiers s'est considérablement étendu et nous avons maintenant parmi nos douze annexes de prêt deux dans le Centre Ville et une près de la Ville Neuve assez importantes (10 à 30 000 volumes) pour y pouvoir prêter des ouvrages modernes de toutes catégories. Ceci dispense notre section d'étude de prêter ses ouvrages, comme elle le faisait auparavant. D'autre part, depuis que nous sommes installé en 1970 en un nouveau bâtiment, nous avons pu installer à côté de la grande salle de lecture et de la salle de bibliographie une salle de recherches de vingt-quatre places avec un bureau de renseignements présidé par une sous-bibliothécaire principale entrée chez nous il y a vingt-cinq ans et qui connaît bien . le fonds de la bibliothèque. Les manuscrits, les estampes, les cartes, les incunables, la réserve, le fonds régional ne sont consultés que dans cette salle, qui contient tous les catalogues sur fiches du fonds dauphinois et des fonds spéciaux. Les magasins sur quatre étages contiennent 30 km environ de rayonnages à l'abri de la lumière et nous avons fait aménager une chambre forte pour notre réserve constituée peu à peu depuis une cinquantaine d'années et qui contient nos manuscrits et nos livres les plus précieux, nos autographes et nos incunables. 163 mètres linéaires de rayonnages sont actuellement occupés par 4.736 volumes et 3.405 autographes.

    Les ouvrages défectueux appartenant à cette réserve ont été à peu près entière-ment restaurés par l'atelier de reliure, qui est installé chez nous depuis 1867. Un historique de cet atelier a été donné dans le Bulletin de l'A.B.F. en 1960. Rappelons que jusqu'en 1914, il relie systématiquement tous les ouvrages entrés chaque année à la bibliothèque et une partie des volumes de l'ancien fonds qui n'étaient pas encore reliés. Après 1918 les plaquettes et les tirés à part n'ont plus été reliés mais placés dans des boîtes confectionnées à cet effet. Depuis 1947, en raison du développement de la lecture publique, les livres des sections de prêt sont reliés par des artisans locaux. Depuis 1954, et plus particulièrement depuis 1965, un relieur à plein-temps se consacre à la réfection des livres anciens et manuscrits, alors que deux autres réparent plutôt les livres modernes. Ne sont plus reliés que les périodiques, les oeuvres complètes d'écrivains, les suites et collections. A ce travail deux relieurs suffisent. La réfection des reliures anciennes a été commencée pour les manuscrits de Stendhal. Pour cela les feuillets manuscrits des soixante volumes que nous avons conservés ont été remontés sur onglets et les reliures originales remises en état. Le même travail de montage sur onglets a été effectué pour trois cents volumes manuscrits de copies de documents par Georges de Manteyes sur l'histoire du Dauphiné et de la Provence. La réfection à porté ensuite sur deux cents de nos sept cents incunables. Elle a pour modèle le travail de l'atelier de la Bibliothèque nationale où notre relieur a fait récemment trois mois de stage et a pour caractéristique le respect absolu des éléments anciens. Après les incunables l'atelier a entrepris la restauration de tous les livres défectueux de notre réserve, reliures de toutes les époques dont six grandes bibles de la Chartreuse pesant près de quinze kilogrammes et dont il fallait refaire les nerfs et les ais revêtus de parchemin.

    Pour chaque ouvrage le relieur a pris soin de coller sur le revers d'un des plats un feuillet où est donné en détail l'état de ce qui a été fait, qu'il s'agisse de reliures en pleine ou demi-peau, en plein ou demi-parchemin ou de restaurations, en gardant la reliure d'origine.

    Si grâce à notre atelier nous avons pu restaurer à peu près tous les ouvrages de notre réserve, soit plus d'un millier de livres depuis 1954, ceci représente bien peu en rapport à la tâche qui reste à accomplir. Nous ne pouvons au rythme actuel, restaurer qu'environ cent cinquante ouvrage par an, alors que près de cent mille livres anciens, conservés pendant une centaine d'années dans une grande salle à coupoles en verre de notre ancien dépôt, ont leurs reliures brûlées par le soleil et ne peuvent de ce fait être envoyées par le prêt inter-bibliothèques. Et je ne parle pas des importantes séries de journaux locaux sur papier extrêmement fragile, qui devraient être microfilmées avant qu'il ne soit trop tard. Pour une tâche de cette importance les pouvoirs locaux sont impuissants. A notre sens un remède ne peut être envisagé que sur le plan national.