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    Bibliothèques et Villes nouvelles

    Communication faite au Congrès de Mâcon, 7-8-9 juin 1974

    Par Alain Massuard, Conservateur Bibliothèque de la Ville Nouvelle de Cergy-Pontoise

    Un élément nouveau est apparu dans la transformation des structures administratives françaises avec la création des Villes Nouvelles.

    Leur importance ne tient pas tant à leur nombre - 5 dans la région parisienne : Cergy, Evry, Marne-la-Vallée, Melun-Sénart, St-Quentin-en-Yvelines et 4 en province : Le Vaudreuil, Lille-Est, La Villeneuve, L'Isle-Abeau - qu'aux problèmes qu'elles posent dans leur création et leur gestion à cause de leur croissance rapide et parce que les textes législatifs qui les régissent ne sauraient complètement résoudre tous ces problèmes.

    Il ne faut pas non plus négliger le fait que, créations autoritaires du gouvernement, elles ont bénéficié d'une publicité qui tendait à faire croire qu'elles étaient la solution-miracle en matière de croissance urbaine.

    L'idée des Villes Nouvelles apparaît en 1965 dans le Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne établi sous la direction de M. Paul Delouvrier.

    Il prévoyait une organisation de la croissance urbaine autour de neuf pôles créés à l'initiative de la puissance publique. La loi du 10 juillet 1970 - plus connue sous le nom de Loi Boscher - devait définir le régime juridique des Villes Nouvelles et tendre à faciliter leur création. Dès 1965 des missions d'aménagement avaient été mises en place auxquelles devaient succéder des Etablissements publics d'aménagement (E.P.A.) en 1969-70.

    Le 1er octobre 1972, pour répondre à la demande des E.P.A. d'Evry et de Cergy, la Direction des bibliothèques nommait un conservateur dans chacune de ces deux villes. Deux autres postes étaient créés l'année suivante à Marne-la-Vallée et St-Quentin-en-Yvelines.

    Les perspectives différentes de développement de la lecture publique dans ces 4 Villes Nouvelles, l'action déjà menée sur place, les difficultés rencontrées, permettent aujourd'hui d'esquisser un bilan mais aussi de cerner mieux les problèmes posés par une structure administrative sensiblement nouvelle par rapport à la structure communale traditionnelle.

    Nous ne sommes pas juriste, mais il nous semble utile de préciser quelques points de l'administration des Villes Nouvelles en ce qui concerne :

    • - leur structure administrative ;
    • - leur gestion ;
    • - leur mode de financement.

    Les Villes Nouvelles ont officiellement été créées pour répondre à la nécessité de construire des logements correspondant à la croissance de la population urbaine qui a doublé en France entre 1954 et 1968.

    Les années 50 avaient vu proliférer des grands ensembles et une forme juridique avait été donnée à leur réalisation : les zones à urbaniser en priorité (Z.U.P. décret du 31-XII-1958). Mais, alors que les Z.U.P. avaient en moyenne 15.000 habitants les pôles d'urbanisation que prévoyait le Schéma directeur devaient en compter 150 à 600.000.

    Des mutations aussi importantes n'étaient pas prévues par le Code communal et il fallut définir un cadre à cette nouvelle urbanisation : ce tut la Loi Boscher.

    Comme la création des Villes Nouvelles peut durer 30 ans, la loi prévoit la manière dont elles seront gérées pendant la période de réalisation.

    D'une part, sont mis en place des Etablissements publics d'aménagement régis par un Conseil d'administration composé par moitié de représentants de l'Etat, moitié de représentants des collectivités locales. Le Directeur de l'E.P.A. est nommé par le Premier Ministre et cette formule laisse plus de prérogatives à l'Etat que les sociétés d'économie mixte où les communes ont le pouvoir de direction.

    D'autre part, la loi du 10 juillet 1970 permet aux collectivités locales de choisir à quelle sauce elles seront mangées. Elles peuvent ne pas souhaiter participer à l'aménagement auquel cas un ensemble urbain est créé par décret en Conseil d'Etat ou, au contraire, décider d'être associées dans l'une des trois formules suivantes :

    • - Syndicat communautaire d'aménagement,
    • - Communauté urbaine,
    • - ou Ensemble urbain.

    Dans les 4 Villes Nouvelles de la région parisienne, c'est la première solution qui a été retenue.

    Le Syndicat communautaire a compétence d'approbation des projets, des échéanciers et des financements. C'est lui qui passe convention avec l'organisme aménageur.

    Sur le plan politique, les nouveaux habitants, comme les anciens, participent aux élections dans les limites communales traditionnelles.

    Sur le plan de l'administration communale, le Syndicat communautaire a, dans la Zone d'agglomération nouvelle (périmètre d'urbanisation défini par décret), la plupart des compétences communales pour les équipements et les services. Mais certains services peuvent rester de la compétence communale si les collectivités locales le décident (police - état-civil par exemple). Une nouvelle commune n'est créée que si les communes existantes le demandent. Sinon, 25 ans au plus tard après la décision de création de la Ville Nouvelle, une Communauté urbaine est formée.

    Le Syndicat communautaire est administré par un comité composé de représentants des communes. La représentation des habitants s'effectue donc au second degré. Cependant, les Syndicats communautaires ont admis la présence dans leurs instances de délégués élus par les habitants nouveaux et qui n'ont qu'une voix consultative.

    Maintenant que nous avons sommairement vu la structure administrative et la gestion des Villes Nouvelles, passons au financement des équipements.

    C'est le point sur lequel on peut le plus s'étonner de l'attitude de l'Etat. En effet, on pourrait penser que les Villes Nouvelles étant des créations décidées au niveau gouvernemental, l'Etat leur attribuerait des dotations couvrant la totalité de leurs besoins. Il n'en est rien et le régime d'aide de l'Etat est le régime normal des subventions dont la seule particularité est d'être calculées au taux maximum et non au taux moyen. Les dotations n'interviennent que comme financement subsidiaire.

    A cela s'ajoute la difficulté de déterminer quels seront les contribuables participant au financement des équipements nouveaux. En fait, la majorité des habitants qui bénéficieront de ces équipements ne sont que des contribuables potentiels puisqu'ils n'habitent pas encore la Ville Nouvelle.C'est dans cette situation complexe, dans ce maquis juridico-administratif, que se sont retrouvés les conservateurs nommés dans les Villes Nouvelles. Leur nomination intervenait avant la construction de la (ou des) bibliothèques de la Ville Nouvelle parfois avant même sa programmation. La Direction des bibliothèques entendait marquer ainsi sa présence dans les agglomérations nouvelles et aider à y donner une dimension importante à la lecture publique.

    Les conservateurs étaient affectés pour ordre aux B.C.P. les plus proches, mais mis à la disposition des E.P.A., ou du S.C.A. à St-Quentin-en-Yvelines.

    Leur mission était laconiquement définie au moment des deux premières nominations :

    « mise en place et gestion de la lecture publique en fonction des données locales... Etude des relations les plus appropriées à établir dans l'avenir entre la D.B.L.P. et les autres Villes Nouvelles ».

    En réalité, la priorité était donnée à l'étude avec les E.P.A. des projets de construction de bibliothèque et de leur mise en service avec le S.C.A.

    Depuis, la définition du rôle des bibliothécaires dans les Villes Nouvelles s'est affinée comme le montre un article de la D.B.L.P. paru dans l'Echo des Villes Nouvelles de février 1974. Les bibliothécaires doivent :

    • « - participer à la mise en place des équipements céjà programmés (construction des locaux, choix du mobilier, acquisition et traitement des livres) ;
    • - participer à la programmation des équipements nécessaires au fur et à mesure de l'urbanisation ;
    • - provoquer le recrutement du personnel par les collectivités locales ;
    • - procéder à des actions de préfiguration en commençant à desservir la population existante ;
    • - étudier les conditions de fonctionnement propres aux Villes Nouvelles, de façon à éclairer la Direction des bibliothèques sur les décisions que celle-ci devra prendre dans les domaines administratif et financier pour permettre la construction et le fonctionnement des bibliothèques. »

    Actuellement et toujours selon cet article :« - Les projets de construction qui ont déjà été financés ou qui devraient être financés durant les cinq années 1972-1976 concernent trois bibliothèques centrales de 2 000 à 3 000 m2 (Cergy, Evry et premier secteur de Marne) et huit bibliothèques de moindre importance pour des zones qui seront peuplées de 15 à 50 000 habitants et dont la surface variera de 150 à 2 000 m2 (dans les quatre villes). Ces projets représentent un total d'environ 14.500 m2. Des bibliobus seront en outre financés en 1975 et 1976...Dans ces 11 bibliothèques, le nombre de livres en accès libre pour le public sera de l'ordre de 340.000, dont plus du tiers pour les enfants de moins de 14 ans. A ces livres s'ajouteront les 40.000 qui sont prévus pour la desserte par bibliobus des collectivités et des quartiers éloignés. Les disques dépasseront les 30.000 unités. Ces équipements représenteront une charge pour la Direction des bibliothèques d'environ 12,5 millions de F, y compris le mobilier et les livres. »...

    Ces projets ont été élaborés par les E.P.A. et en général programmés avant la création des S.C.A. donc sans participation réelle des élus.

    Beaucoup d'entre eux sont des équipements intégrés ou semi-intégrés et ils s'inscrivent implicitement ou explicitement dans la perspective de constitution de réseau comprenant une ou deux bibliothèques centrales, des bibliothèques de quartier et un ou plusieurs bibliobus. Ces réseaux devront intégrer les bibliothèques existant déjà dans le périmètre des agglomérations anciennes.

    En attendant, des locaux provisoires de 150 à 300 m2 ont été attribués et des services de prêt mis en place dans les 4 Villes Nouvelles de la région parisienne.

    Le personnel nommé dans ces bibliothèques a le statut du personnel communal mais dépend du S.C.A.

    Les difficultés que nous voudrions analyser maintenant et les quelques propositions que nous ferons pour conclure, ressortent de notre expérience personnelle. Elles n'engagent en rien nos collègues dans les autres Villes Nouvelles. Les nominations des conservateurs auprès des E.P.A. nous semble constituer une première erreur.

    Les programmations d'équipements publics sont établies par les E.P.A. qui doivent les soumettre à l'approbation des S.C.A. Ces programmations sont faites par des techniciens et sont souvent excellentes au niveau de la méthodologie. Mais, et surtout en matière culturelle, la programmation ne doit être que l'application d'une politique pré-définie par les élus locaux. Or, les E.P.A. sont tentés à travers la programmation d'imposer leurs solutions et de se substituer aux collectivités locales ce qui n'est pas leur rôle.

    Les bibliothécaires nommés auprès des E.P.A. risquent d'apparaître comme des techniciens en mission et non comme des professionnels chargés de gérer des équipements publics et d'y mettre en pratique une politique culturelle définie par les élus locaux et la population.

    En outre quelles sont les solutions proposées par les E.P.A. ? Ce sont des aménageurs, liés à l'Etat et ils doivent vendre la Ville Nouvelle et la rentabiliser. Ils ne sont pas comptables de la gestion des équipements. Leur souci risque d'être opposé au notre et de substituer à la notion de service public celle de rentabilité.

    Ainsi, on voit apparaître des propositions de gestion associative des équipements publics ou bien de création d'établissements publics à vocation culturelle, ou encore on propose d'intégrer dans les centres culturels dont feront partie les bibliothèques des commerces privés « de type culturels ». La notion de service public municipal est battue en brèche parce que les élus sont perçus comme des obstacles au développement de la Ville Nouvelle.

    Cette position, il faut l'avouer, est facilitée par l'attitude d'élus auxquels les Villes Nouvelles ont été imposées et qui l'acceptent comme un fait irréversible mais sans consensus sur les buts ni sur les moyens.

    Pour eux, les équipements sont sur-dimensionnés par rapport à la population réelle au moment de la construction et leur gestion se traduira par des transferts de charges de l'Etat sur les collectivités locales. Cette analyse les conduit à refuser certaines opérations même s'ils en approuvent le contenu.

    Peut-on désapprouver cette attitude quand on sait que les prix plafond de subvention pour les bibliothèrues est de 1.100 F le m2 depuis plus de 5 ans, que les dotations accordées par l'Etat dans les Villes Nouvelles pour empêcher les collectivités locales de s'endetter ne concernent que la construction des équipements et non leur gestion, enfin quand le fonctionnement des bibliothèques est pour 95 % à la charge des collectivités locales.

    Pour conclure que peut faire la D.B.L.P. ?Elle doit aider à la définition d'une politique de lecture publique sur l'ensemble du territoire des Villes Nouvelles. En particulier, elle doit aider à la prise en charge par les Syndicats communautaires de réseaux de bibliothèques qui couvrent l'ensemble de la Ville Nouvelle, c'est-à-dire aussi bien les zones d'agglomération ancienne que les Zones d'agglomération nouvelle.

    Mais la seule chance que la D.B.L.P. peut avoir d'être entendue passe par un renforcement de ses moyens en aide technique et en subventions.

    Nous pensons que les problèmes des Villes Nouvelles en matière de lecture publique ne sont pas spécifiques mais communs à toutes les collectivités locales.

    Ce qui est intéressant et les rend peut-être exemplaires c'est la brutalité avec laquelle ils se posent à cause de la rapidité de croissance des Villes Nouvelles.

    On aurait pu penser que les nouvelles structures administratives définies par la loi du 10 juillet 1970 auraient permis de trouver des solutions aux problèmes des collectivités locales en matière d'équipements publics. C'est illusoire.

    Au contraire, comme l'écrivait Ariette Heymann dès septembre 1971 dans l'Actualité juridique en analysant la Loi Boscher : «La politique de l'Etat n'aura-t-elle pas tendu à une simple programmation de la construction de logements qui correspond à la définition juridique des agglomérations nouvelles ? »

    Bibliographie: in Brissy (Yves). - Les Villes Nouvelles. - Editions Berger-Levrault, 1974.