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    Les bibliothèques en Angleterre

    Par Graham Barnett

    Conférence faite par Graham K. Barnett aux jeunes bibliothécaires français de l'A.B.F., en visite au Royaume-Uni, en octobre 1975. G.-K. Barnett est l'auteur d'une thèse sur la lecture publique en France, de la Révolution à 1939 (*) ; l'AENSB en a récemment publié une édition xérographique.

    En Angleterre et au Pays de Galles le Ministère qui a la responsabilité pour les bibliothèques du secteur public (c'est-à-dire les bibliothèques publiques, nationales et universitaires) est le Ministère de l'Education et des Sciences (The Department of Education and Science), et c'est à ce Ministère qu'est rattachée la Direction des Bibliothèques et des Arts (The Arts and Libraries Branch). Le Ministre du gouvernement qui est donc responsable des bibliothèques est le Secrétaire d'Etat à l'Education et aux Sciences.

    En Ecosse, par contre, où d'ailleurs on trouve une structure administrative et légale bien différente de celle qui existe en Angleterre et au Pays de Galles, c'est le Secrétaire d'Etat pour l'Ecosse qui est responsable du réseau des bibliothèques, et le Secrétaire exerce cette responsabilité par l'intermédiaire du Ministère de l'Education de l'Ecosse (The Scottish Education Department).

    Mais il faut surtout souligner que les pouvoirs de ces deux Secrétaires d'Etat ne sont pour la plupart que consultatifs. Ceci contraste nettement avec la situation qui existe dans beaucoup de pays d'Europe, par exemple avec la France, où la Direction des Bibliothèques et de la Lecture Publique exerce un réel contrôle sur les bibliothèques centrales de prêt et sur les bibliothèques universitaires.

    D'après les prévisions de la loi sur les bibliothèques publiques et sur les musées de 1964, la loi actuellement en vigueur, on a créé deux Conseils consultatifs (Library Advisory Councils) - l'un pour l'Angleterre et l'autre pour le Pays de Galles. Selon cette loi de 1964, et je cite maintenant le texte de la loi, « chaque Conseil donne son avis au Secrétaire d'Etat sur toutes questions concernant le maintien et l'utilisation des services des bibliothèques, comme bon leur semble, et sur toutes autres questions qui lui soient soumises par le Secrétaire ».

    Le Ministère et les Conseils consultatifs n'ont exercé qu'une influence minime sur l'administration de chaque bibliothèque publique, et cela probablement parce qu'il leur manque un vrai contrôle financier. Le contrôle du gouvernement est limitée à l'approbation des dépenses proposées pour l'équipement (c'est-à-dire quand il s'agit de nouvelles constructions) mais ceci évidemment est d'une influence restreinte. Cependant il ne faut pas oublier qu'en périodes de difficultés économiques (comme maintenant par exemple) le gouvernement peut ordonner aux autorités locales dont dépendent beaucoup de services, y compris celui des bibliothèques publiques, qu'elles limitent leurs dépenses, et pour renforcer ces demandes le gouvernement peut réduire les subventions qui sont accordées aux autorités locales.

    Le contrôle et le financement des universités dépendent du Ministère de l'Education et des Sciences, par l'intermédiaire de la Commission des subventions universitaires (University Grants Committee), mais de même que dans les bibliothèques publiques, c'est plutôt sur les dépenses pour les nouvelles constructions que sur l'administration journalière des bibliothèques universitaires que se ressent ce contrôle.

    LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

    La Bibliothèque britannique (The British Library) a été créée par une loi de 1972 qui est entrée en vigueur l'année suivante en 1973. Cette loi avait comme but la création d'une bibliothèque nationale pour le Royaume Uni. La bibliothèque est financée par le gouvernement, c'est-à-dire par le Ministère des Finances (The Treasury). C'est dans un livre blanc soumis au Parlement en 1971 que l'on trouve les objectifs de la Bibliothèque britannique (et je cite maintenant le texte du livre blanc) :

    • « a) conserver et communiquer sur place au moins un exemplaire de chaque livre et revue publié en Grande Bretagne et autant de publications étrangères que possible. L'objectif sera d'offrir un service de consultation en dernier ressort aussi complet que possible. Si un lecteur ne peut se procurer la documentation qu'il lui faut dans sa propre bibliothèque locale, il saura que cette documentation sera disponible à la Bibliothèque britannique.
    • b) offrir un service central efficace de prêt et de photocopie sur lequel pourront s'appuyer les autres bibliothèques et centres de documentation du pays.
    • c) offrir un service de catalogage centralisé et d'autres services bibliographiques qui répondent non seulement aux besoins des bibliothèques centrales mais aussi aux besoins des bibliothèques et centres d'information dans tout le pays, en collaboration étroite avec les bibliothèques centrales d'outre-mer ».

    Voilà les objectifs de la Bibliothèque britannique.

    Cette bibliothèque, dont le nouveau nom est peut-être peu connu en dehors de notre profession, comprend quatre éléments qui étaient indépendants jusqu'en 1973, et dont un au moins est très bien connu par tout le monde. Je veux dire, bien sûr :

    • 1) La Bibliothèque du Musée britannique [The British Museum Library), qui comprenait aussi la Bibliothèque nationale de référence pour les sciences et l'invention [The National Reference Library for Science and Invention). La B.M., comme nous disons, est une des plus riches des bibliothèques nationales du monde. Fondée au dix-huitième siècle et ouverte en 1759, cette bibliothèque, comme la Bibliothèque nationale à Paris, a reçu au cours des années de nombreux dons importants et renferme la collection la plus complète de la production littéraire nationale. Actuellement ses collections dénombrent plus de sept millions de livres.
    • 2) La deuxième institution qui fait partie maintenant de la Bibliothèque britannique est la Bibliothèque centrale nationale [The National Central Library) qui a été créée au cours de la première guerre mondiale sous le nom de la Bibliothèque centrale pour les étudiants (Central Library for Students). Elle a toujours joué un rôle très important dans le domaine de la coopération inter-bibliothèque et c'était dans ses anciens locaux (tout près d'ici, à côté de la Library Association) que se trouvaient les catalogues collectifs qui permettaient le fonctionnement de notre système, très développé, de prêt inter-bibliothèque. Au moment de son intégration dans la Bibliothèque britannique la N.C.L. possédait 750.000 volumes.

    Les deux autres éléments qui font actuellement partie de la nouvelle Bibliothèque britannique sont de création plus récente. Ce sont :

    • 3) La Bibliothèque nationale de prêt pour les sciences et la technologie [National Lending Library for Science and Technology, ou N.L.L.], créée pour compléter la Bibliothèque centrale nationale précitée, qui s'orientait, celle-ci, surtout vers les sciences humaines. La N.L.L. a connu un essor remarquable, ses collections dénombrant au moment de sa fusion dans la Bibliothèque britannique un million de volumes et le nombre de ses revues et périodiques s'élevant à près de 40.000 titres, et elle continue à rendre des services très appréciés. L'efficacité de ses services peut être estimée par le fait que dix pour cent de tous les prêts effectués sont destinés à l'étranger. On dit en effet que pour une bibliothèque régionale en Australie on obtient un service plus rapide en demandant le prêt d'une revue à cette bibliothèque qu'en la demandant à Canberra !
    • 4) Enfin, c'est la Bibliographie nationale britannique [British National Bibliography, ou B.N.B.) qui forme le quatrième élément de la Bibliothèque britannique. La B.N.B. fonctionne depuis 1950 et recense régulièrement dans les pages de ses numéros hebdomadaires la presque totalité des publications nouvelles de la Grande Bretagne, qui sont actuellement de l'ordre de 35.000 titres par an. Ces dernières années la B.N.B. s'occupe tout particulièrement de l'informatique et de l'élaboration d'un programme de catalogage par ordinateur.

    La Bibliothèque britannique est une institution indépendante avec personnalité civile et elle est administrée par une commission composée d'un président et douze membres.

    Elle comporte trois divisions principales : la Section de référence, la Section de prêt et la Section des services bibliographiques. En outre il y a une Section pour la recherche et le développement qui précédemment s'appelait le Bureau d'information scientifique et technique [Office of Scientific and Technical Information, ou O.S.T.I] qui dépendait directement du Ministère de l'Education et des Sciences. Il y a aussi, bien sûr, une Section d'administration.

    La Section de référence joue le rôle de la bibliothèque nationale de référence et est basée sur l'ancienne Bibliothèque du Musée britannique.

    La Section de prêt, avec ses immenses collections de revues, rapports, livres, etc. est située à Boston Spa dans le Yorkshire dans le nord de l'Angleterre où se trouvait l'ancienne Bibliothèque nationale de prêt pour les sciences et la technologie à laquelle j'ai déjà fait allusion. Selon le dernier rapport annuel de la Bibliothèque britannique les collections de la Section de prêt sont de l'ordre de 2.250.000 volumes de livres et périodiques et de plus d'un million de documents sur microfilm.

    La Section des services bibliographiques qui siège ici à Londres est responsable évidemment de la bibliographie nationale (la B.N.B. dont je vous ai déjà donné quelques précisions), et aussi des services du MARC pour le Royaume Uni (c'est-à-dire les services de catalogage national qui se servent de bandes ou disques magnétiques traitées par ordinateur) et les services bibliographiques intérieurs de la Bibliothèque britannique.

    Cinq conseils consultatifs ont été créés auprès de la Bibliothèque britannique, dont un pour la commission elle-même. Les autres conseils sont rattachés aux sections spécialisées.

    Venons maintenant au système de dépôt légal.

    DÉPOT LÉGAL

    Notre système n'est pas aussi ancien que celui de la France, qui date, je crois, de 1537. Chez nous ce n'est qu'en 1610 qu'on trouve les premières indications d'un système de dépôt légal, et tout d'abord ce n'était qu'un accord privé entre l'Université d'Oxford et l'ancien équivalent anglais du Cercle de la librairie (Stationers' Company). La loi actuelle ordonne que la Section de référence de la Bibliothèque britannique a droit à un exemplaire par voie de dépôt légal de chaque livre, brochure, etc., édité au Royaume Uni.

    En outre, selon les prévisions de la loi, cinq autres bibliothèques peuvent revendiquer un exemplaire chacune de la production littéraire du pays (avec quelques restrictions). Ces bibliothèques sont la Bibliothèque nationale d'Ecosse à Edimbourg, la Bibliothèque nationale du Pays de Galles à Aberystwyth dans le nord du pays, la Bibliothèque bodléienne à l'Université d'Oxford (et c'est celle-ci qui a été la première à jouir de ce privilège), la Bibliothèque universitaire de Cambridge, et par un caprice d'histoire, le Collège de la Trinité à Dublin dans l'Irlande du sud. Trois de ces bibliothèques sont des bibliothèques universitaires (la Bodléienne et celles de Cambridge et de Dublin) et en effet jouent un double rôle : elles sont à la fois bibliothèques universitaires et bibliothèques de dépôt légal. Or, la Section de référence de la Bibliothèque britannique a interdiction de prêter ses collections, même les doubles, ce qui va à l'encontre de ce qui se passe à Paris, n'est-ce pas, où la Bibliothèque nationale prête ses doubles. Mais les autres bibliothèques qui bénéficient du dépôt légal se sont mises d'accord récemment pour prêter les livres anglais épuisés dans le commerce par l'intermédiaire de la Section de prêt de la Bibliothèque britannique, s'il n'y a pas d'autres exemplaires dans le pays.

    Jetons, maintenant, un coup d'oeil sur les bibliothèques académiques. Celles-ci comprennent les universitaires, celles des polytechniques, des collèges d'enseignement supérieur et des collèges d'enseignement technique et les bibliothèques de chaque catégorie ont leurs propres systèmes de financement et d'administration, qui diffèrent les uns des autres. Mais en fin de compte elles sont toutes sous la surveillance du Ministère de l'Education et des Sciences.

    LES UNIVERSITÉS

    La plupart des universités britanniques sont soumises au contrôle d'une « Cour » (Court), du moins en théorie, dont les membres représentent le personnel universitaire (les doyens, les professeurs, les étudiants, etc.) et les divers intérêts de la circonscription académique (les conseils municipaux, l'industrie de la région, etc.). Mais la Cour a tant de membres qu'en pratique ses fonctions exécutives sont délégués à un « Conseil » (Council) qui administre et gère tous les revenus de l'université et qui contrôle effectivement toutes les activités sauf celles d'ordre purement académique. La réglementation et la surveillance de l'enseignement et les questions de discipline dans l'université sont sous le contrôle du « Sénat » (Senate), composé de personnel professionnel et, souvent, de représentants non-professionnels aussi. Dans bien des cas les décisions prises par le Sénat doivent être soumises au Conseil pour son approbation, mais souvent ceci n'est qu'une formalité. Le Sénat, lui-même, délègue ses fonctions à plusieurs commissions, dont une qui s'occupe de la bibliothèque (Library Committee).

    Les universités reçoivent la presque totalité de leurs revenus du gouvernement par l'intermédiaire de la Commission des subventions universitaires qui est rattachée au Ministère de l'Education et des Sciences. Les subventions ainsi accordées constituent soixante-quinze pour cent du budget universitaire, les vingt-cinq pour cent restant se composent de frais de scolarité, de sommes payées pour la recherche entreprise par les universités et de donations. Il y a un président de la Commission des subventions universitaires qui exerce ses fonctions à plein temps, et le secrétariat se trouve au sein du Ministère de l'Éducation et des Sciences. Les autres membres de la Commission représentent les universités, les autres éléments du monde académique et l'industrie. La Commission se réunit régulièrement avec la Commission des recteurs (en anglais Vice-Chancellors) qui sont les chefs des universités.

    Il y a une structure financière un peu compliquée pour les universités. C'est-à-dire qu'elles reçoivent chaque année les subventions accordées par le gouvernement mais elles doivent établir leur budget pour des périodes de cinq ans en avance qu'on appelle des quinquenniums. A cause des consultations entreprises par la Commission des subventions universitaires et le Ministère de l' Education et des Sciences il faut que les prévisions budgétaires pour un quinquennium s'établissent deux ans avant le commencement de cette période. C'est ainsi que pour le quinquennium 1977-1981 les chiffres prévus pour les dépenses universitaires s établissent cette année, en 1975. Inutile de souligner qu'en périodes d'inflation galopante ce système budgétaire présente des problèmes considérables.

    Dans les limites des subventions accordées, les universités peuvent développer leurs bibliothèques à leur gré.

    L'autre groupe principal d'institutions d'enseignement supérieur est celui des polytechniques. Il y en a une trentaine et leur création ne date que depuis peu d'années. En général ils se sont établis par I'unification d'un nombre de collèges plus petits (des colleges d'enseignement technique, colleges d'art, etc.). Un grand choix de cours se présente aux étudiants : cours à plein temps, cours à mi-temps et cours de formation professionnelle. Dans ces institutions, et par conséquent dans leurs bibliothèques, c'est l'enseignement plutôt que la recherche, les maîtrises et les doctorats qu'on met en valeur. Tandis que les universités décernent elles-mêmes les licences, les polytechniques n'ont pas cette fonction, mais en revanche ils préparent leurs étudiants pour les licences conférées par les universités et par le Conseil pour les diplômes académiques nationaux (Council for National Academic Awards).

    La différence principale entre les universités et les polytechniques réside dans leurs régimes de contrôle et financement respectifs : les polytechniques se trouvent sous le contrôle des autorités locales par l'intermédiaire des services locaux d'enseignement et leurs revenus sont fournis par les impôts locaux, qu'on appelle les « rates », et non par les sommes perçues aux contribuables par le gouvernement central.

    D'autres bibliothèques d'établissements académiques, par exemple celles des collèges d'enseignement supérieur, celles des cours pour adultes, celles des cours de formation professionnelle pour les jeunes, etc., sont également financées par les autorités locales responsables des services d'éducation. De même que pour les bibliothèques scolaires.

    A propos des autorités locales, passons en revue maintenant les bibliothèques publiques qui sont entièrement financées par les impôts locaux.

    LES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES

    Et tout d'abord, comme disent les guides Michelin, « un peu d'histoire ». Les premières bibliothèques publiques en Angleterre, fondées en général par des particuliers, datent, comme les plus anciennes bibliothèques municipales françaises, du 17e et du 18e siècles. Mais tandis que sur le continent plusieurs de ces bibliothèques ont continué leur existence jusqu'à présent et ont même maintenant ajoutée à leur rôle traditionnel de conservation une mission plus moderne, celle de la lecture et d'animation culturelle, (c'est le cas, n'est-ce pas, à Troyes, par exemple, où les origines de la bibliothèque municipale remontent au 17e siècle), en Angleterre, par contre, beaucoup de ces anciennes bibliothèques au cours des années sont tombées en désuétude. A la fin du 17e siècle et au commencement du 18e on assiste aussi à la création de plusieurs bibliothèques paroissiales ; ensuite viennent les bibliothèques à souscription et les cabinets de lecture, très populaires au 18e siècle et dans la première moitié du 19e, enfin les bibliothèques des Mechanics' Institutes (ou instituts pour les artisans). Il y en avait environ 400 en 1850, et les bibliothèques de beaucoup de ces instituts ont été incorporées dans les premières bibliothèques publiques établies après la loi de 1850.

    Cette loi, la première loi générale sur les bibliothèques publiques en Angleterre et au pays de Galles, a permis la création d'une bibliothèque dans les villes de plus de 10.000 habitants. Mais les sommes qui pouvaient être affectées à l'établissement d'un service étaient strictement limitées et, ce qui nous choque aujourd'hui, il n'y avait pas de provisions pour l'achat de livres - on comptait sur la générosité des particuliers. Heureusement quelques années plus tard ces restrictions (tant au point de vue de la population qui pouvait être desservie qu'au point de vue des contrôles financiers) ont été relâchées, et bientôt les autorités d'Ecosse et d'Irlande ont aussi reçu l'autorisation de créer des bibliothèques publiques. Au cours de la seconde moitié du 19e siècle quatre cent bibliothèques publiques ont été établies, et il faut reconnaître que cet essor remarquable doit beaucoup à des pionniers comme Thomas Greenwood, John Passmore Edwards et surtout Andrew Carnegie, et aussi à la création de la Library Association en 1877.

    Dans les comtés (ou départements anglais) il a fallu attendre jusqu'en 1919 pour la première loi sur les bibliothèques publiques, bien que des services expérimentaux fonctionnaient déjà depuis quelques années. C'est cette loi de 1919, d'ailleurs, qui a aboli enfin toute contrainte imposée aux dépenses versées pour les services des bibliothèques publiques. Il faut surtout souligner que jusqu'en 1964 toute la législation sur les bibliothèques publiques était facultative : c'est-à-dire qu'une autorité locale avait la possibilité d'établir un service mais n'était pas dans l'obligation légale de l'établir. Cependant en pratique la presque totalité du pays était desservie par des bibliothèques publiques.

    S'il est vrai que d'après les termes de la loi de 1964 la responsabilité globale pour ces bibliothèques incombe au Ministère de l'Éducation et des Sciences, en réalité le gouvernement n'exerce qu'une influence assez faible sur leur développement parce qu'il n'a pas de contrôle financier. Ainsi les autorités locales, peuvent-elles développer leurs bibliothèques comme bon leur semble.

    En Angleterre et au pays de Galles il y a actuellement cent quinze autorités locales qui ont la responsabilité des services des bibliothèques publiques. Donc nous avons dans ces deux pays cent quinze services indépendants, qui servent des populations très inégales, allant d'un chiffre un peu inférieur à cent mille habitants jusqu'au comté de Kent dans le sud-est de l'Angleterre qui compte un million et demi d'habitants. Mais ce nombre assez restreint de services indépendants ne date que depuis 18 mois : avant le 1er avril 1974 il y avait 382 services en Angleterre et au Pays de Galles. C'est grâce à une loi de 1972 sur le gouvernement local, qui est entrée en vigueur l'année dernière, que l'on doit cette réduction du nombre de services indépendants. Bien sûr, cette loi n'était pas expressément une loi sur les bibliothèques publiques, mais elle visait à la réforme de la structure de l'administration locale en général, dans laquelle figurent certainement les services des bibliothèques, mais qui comprend aussi beaucoup d'autres services locaux comme la voirie, le logement, les services sociaux, etc. L'objectif de ces bouleversements dans la structure traditionnelle était de grouper les municipalités et les comtés, précédemment indépendants les uns des autres, dans des unités plus grandes qui s'acquitteraient de leurs responsabilités d'une façon plus efficace (du moins c'est la théorie), et d'abolir les anciennes divisions entre campagne (représentée par les comtés) et villes (municipalités) qui ne sont plus valables aujourd'hui.

    Dans le Royaume Uni le rôle de la bibliothèque publique dans le réseau national des bibliothèques et centres d'information est peut-être un peu différent de ce que l'on trouve dans les autres pays d'Europe. C'est-à-dire que les services qui sont offerts par les bibliothèques publiques ici sont très développés et sont utilisés par un grand nombre de la population, et ceci probablement à cause du fait qu'en général le public en Angleterre n'a pas le droit d'accès aux bibliothèques universitaires et académiques, droit qui est plus répandu sur le continent. Ici, au contraire, un étudiant, ayant quitté son collège ou son université, s'adresse très souvent à sa bibliothèque publique locale pour se procurer la documentation qu'il lui faut, surtout s'il n'est pas membre d'une académie ou société savante dont la bibliothèque pourrait lui fournir livres et information.

    Les bibliothèques publiques, comme les bibliothèques municipales françaises, sont financées et administrées par les autorités locales, dont le Conseil (Council), composé de représentants élus, est responsable de toutes les activités et tous les services locaux. La responsabilité de chaque service incombe à une commission spéciale établie par le Conseil et composée de conseillers, mais normalement l'approbation du Conseil entier est nécessaire pour confirmer les décisions prises par les commissions. Actuellement on assiste au développement d'une structure administrative où le nombre de commissions indépendantes se réduit (c'est d'ailleurs un développement recommandé par une commission royale récente), et où l'on voit, par contre, s'établir un nombre restreint de commissions (peut-être quatre ou cinq) dont chacune est responsable de plusieurs services du même ordre. C'est ainsi que les bibliothèques publiques sont souvent groupées avec l'enseignement ou avec les services des loisirs ou les services culturels. En pratique la situation varie d'une autorité locale à une autre, et il existe toujours des commissions indépendantes de la bibliothèque où le bibliothécaire en chef est directement responsable et possède l'accès direct à cette commission et au Conseil (tandis que si la bibliothèque est groupée avec les services d'enseignement le bibliothécaire en chef est subordonné au directeur de l'enseignement. C'est peut-être aussi, comme vous verrez, une question de hiérarchie et d'influence : parfois le bibliothécaire en chef a le rang de ce que nous désignons sous le nom de Chief Officer - l'équivalent peut-être de « Chef de Bureau » dans une municipalité française - parfois il n'a pas un rang aussi élevé.

    Selon les termes de la loi sur les bibliothèques publiques actuellement en vigueur, celle de 1964, chaque autorité locale doit organiser un service de bibliothèque publique qui répond aux besoins de la population tant au point de vue des loisirs, que de l'information et de l'éducation. En principe le service est gratuit, mais presque chaque bibliothèque impose des amendes aux emprunteurs retardataires et fait payer une petite somme à ceux pour qui ont fait réserver des livres spéciaux. Souvent c'est la pratique de demander une souscription ou une caution à ceux qui désirent emprunter des disques ou cassettes.

    Les statistiques suivantes qui viennent de paraître pourraient vous intéresser : pour l'année 1973/1974 les dépenses pour les bibliothèques publiques en Angleterre et au Pays de Galles se sont élevées à plus de 70 millions de livres sterling (soit 650 millions de francs), dont près de 17 millions de livres (soit 160 millions de francs) pour l'achat de livres et de périodiques et pour la reliure. Il n'y a pas de chiffres exacts pour les prêts mais on estime qu'à peu près 600 millions de livres sont empruntés par le public chaque année. Il n'y a pas non plus une statistique exacte pour le nombre de lecteurs, mais des enquêtes partielles ont fait connaître qu'un tiers de la population s'est inscrit comme lecteurs. Donc on peut calculer qu'en moyenne chaque lecteur emprunte une trentaine de livres par an.

    Maintenant jetons un coup d'oeil sur la formation professionnelle en Angleterre.

    LA FORMATION PROFESSIONNELLE

    Depuis dix ans c'est surtout par un système d'enseignement à plein temps que les jeunes bibliothécaires sont formés. Avant 1964. date à laquelle un nouveau programme d'enseignement a été inauguré, beaucoup de bibliothécaires ont obtenu leurs titres professionnels au moyen d'un système d'enseignement à mi-temps, soit par correspondance, soit en assistant aux cours donnés une ou deux fois par semaine. Inutile de souligner que c'était un processus lent et de longue haleine. Maintenant c'est par des cours à plein temps que sont formés la plupart des bibliothécaires, des cours qui peuvent durer d'un an pour les licenciés jusqu'à quatre ans dans le cas des étudiants qui passent de l'éducation secondaire direct à une université où ils suivent des cours de bibliothécono-mie en même temps que d'autres études purement académiques. Il y a actuellement seize écoles ou collèges de bibliothéconomïe en Grande Bretagne. Le titre professionnel pour tous les bibliothécaires anglais est celui décerné par la Library Association, qui est l'association professionnelle pour tous les bibliothécaires, soit qu'ils travaillent dans les bibliothèques publiques, soit dans les universitaires, soit dans les nationales, et qui compte aujourd'hui plus de 23.000 membres. Ce titre s'appelle Chartered Librarian (bibliothécaire diplômé), et n'est décerné qu'à ceux qui ont été reçu à des examens professionnels agréés par l'Association et qui ont subi un stage après les examens. Chaque année un millier environ de jeunes bibliothécaires complètent leur formation professionnelle. Un nombre restreint de bibliothécaires diplômés poursuivent leurs études, et au moyen d'une thèse peuvent gagner le titre de Fellow de la Library Association.

    COOPÉRATION INTER-BIBLIOTHÈQUE

    Enfin je vous propose quelques mots sur notre système de coopération inter-biblio-thèque. Depuis beaucoup d'années les bibliothèques se sont divisées en régions d'un bout à l'autre du pays, avec des catalogues collectifs pour chaque région, et un système de prêt inter-bibliothèque s'est développé auquel participent toutes les catégories de bibliothèques. Maintenant le rôle de la Bibliothèque britannique et les services rendus par sa Section de prêt deviennent de plus en plus importants dans ce domaine. Dans les régions on a assisté aussi aux développements de coopération pour l'achat de livres, vu qu'il est impossible pour une seule bibliothèque d'acquérir tous les nouveaux livres qui sont publiés chaque année. C'est ainsi que dans la région londonienne chaque bibliothèque se spécialise dans une ou plusieurs matières, selon une répartition des sujets, basée sur la classification de Dewey. Au cours des années d'importantes collections spécialisées se sont accrues, par exemple la bibliothèque musicale à Westminster, la collection médicale à Marylebone, la collection de droit à Hammersmith et le fonds de biographie à Kensington. En outre on ne devrait pas passer sous silence les divers projets élaborés pour fournir à l'industrie et au commerce les livres, documents et renseignements techniques et commerciaux dont ils ont besoin, des bibliothèques publiques travaillant en coopération étroite avec des bibliothèques des collèges d'enseignement technique, par exemple, et avec les bibliothèques du secteur privé (celles des entreprises, maisons de commerce, etc.).

    Voilà notre tour d'horizon terminé. Je suppose qu'en conclusion on devrait aborder les développements courants qui pourraient nous permettre d'améliorer nos services dans l'avenir. Mais, dans cette période de crise économique où les restrictions, voire des réductions budgétaires s'imposent, on hésite d'être trop optimiste. Cependant les années soixante-dix nous présentent des perspectives très intéressantes : nous avons maintenant une bibliothèque nationale qui regroupe des éléments très importants, jusqu'ici indépendants les uns des autres, et les bibliothécaires anglais espèrent que la nouvelle Bibliothèque britannique jouera un rôle très positif dans les affaires professionnelles. Sa Section des services bibliographiques, et surtout les travaux de la B.N.B. et les services du MARC offrent aux bibliothèques de demain la possibilité d'éliminer beaucoup du travail actuellement répété maintes fois dans des bibliothèques individuelles, et ainsi de permettre l'utilisation des ressources dans un but plus positif - par exemple en renforçant les services de conseil et d'orientation aux lecteurs. C'est dans un but semblable qu'actuellement plusieurs bibliothèques se mettent à changer leurs méthodes d'enregistrement de prêts, et adoptent des procédés automatisés, en utilisant par exemple les services de la compagnie Plessey ou de l'Automated Library Systems. Voilà, à mon avis, des développements très prometteurs. En effet la semaine dernière j'ai suivi un cours organisé par l'ASLIB (Association des bibliothèques spécialisées et des centres d'information) où l'on nous a décrit les progrès réalisés par la B.N.B. et le bureau MARC, et j'étais fort impressionné par ce qui a été fait déjà dans ce domaine.

    Comme je vous ai déjà dit, nos collègues dans les bibliothèques publiques en dehors de la capitale viennent d'assister à des modifications profondes dans la structure de l'administration locale, et à 'la création d'unités beaucoup plus grandes qu'auparavant. Avec ces nouveaux groupements se présentent des perspectives plus larges - il y a maintenant la possibilité de développer et même de créer pour la première fois de nouveaux services spécialisés, des services qu'une multiplicité de petites bibliothèques indépendantes n'auraient jamais pu envisager. Mais en même temps la création de ces grands systèmes de bibliothèques a introduit, bien sûr, beaucoup de problèmes à résoudre.

    Un autre développement que je pourrais vous citer concerne la création dans un certain nombre de grandes bibliothèques publiques de sections ou divisions spécialisées (pour les arts, pour les sciences pures et appliquées, pour les sciences sociales, etc.) où le fonds de prêt et le fonds de référence ont été réunis et où le lecteur trouve un bibliothécaire spécialiste qui peut le guider et conseiller. C'est le cas dans une bibliothèque centrale, toute neuve, à Londres, qui vient d'être inaugurée il y a une quinzaine, à Sutton. Ceci présente aussi des possibilités très intéressantes au point de vue de la qualité des services qu'on peut offrir au lecteur.

    Je pourrais mentionner aussi les débâts au sein de la profession sur la question difficile de limiter uniquement l'entrée à la profession à ceux qui possèdent une licence complète ; et je pourrais mentionner également la question de l'acquisition, la communication et l'utilisation des nouveaux matériaux dans les bibliothèques (les microfiches, cassettes, films, diapositives, etc.) et les services importants qu'ils peuvent rendre, mais c'est là une autre histoire, et sans doute ai-je déjà trop parlé. En tout cas vous aurez l'occasion au cours de vos visites de soulever ces problèmes avec les bibliothécaires que vous allez rencontrer.

    *. Barnett (Graham Keith). - The History of Public libraries in France from the Revolution to 1939. - (Thèse, 1973). retour au texte