Index des revues

  • Index des revues

    Robert Brun (1896-1978)

    Par Jacques Guignard

    Robert Brun appartenait à une génération durement frappée par la guerre. Il était né en Provence, à Pellissane, le 7 avril 1896, et n'avait pas achevé sa première année d'études à l'Ecole des chartes quand il fut mobilisé, en 1915, à l'âge de dix-neuf ans.

    Deux ans plus tard, jeune sous-lieutenant, il était grièvement blessé devant Verdun. Réformé par suite de ses blessures, il redevenait élève à l'Ecole des chartes, en même temps qu'à l'Ecole du Louvre et à l'Ecole pratique des Hautes-Etudes, et se trouvait déjà titulaire de la Légion d'Honneur et de la Croix de Guerre quand il soutint, sur la Ville de Salon au Moyen Age, une thèse qui lui valut de sortir major de sa promotion (février 1922). Commis d'ordre stagiaire dans les services législatifs du Sénat, il fut ensuite membre de l'Ecole française de Rome (1922-24) et y rédigea un mémoire sur les Arts à la cour des deux derniers papes d'Avignon. Il pensait se consacrer à l'histoire de l'art et il est révélateur de ses goûts qu'il ait d'abord désiré être affecté au Cabinet des Estampes, puis au département des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale. C'est à la Réserve du département des Imprimés qu'il fut nommé (1926), restant pendant des années le seul bibliothécaire de ce service qu'il devait diriger jusqu'en 1944. Dès lors s'affirmèrent de façon éclatante la largeur et la finesse de son intelligence, sa profonde érudition, comme la sûreté de son jugement. Ce furent des années bien remplies, celles où, non content d'équiper une nouvelle salle et d'y renseigner le public, puis de former de jeunes collaborateurs, il entreprit le catalogue signalant les particularités des éditions et des reliures de la Réserve, et rédigea, après une étude sur Avignon au temps des Papes (1928), plusieurs ouvrages où s'affirmait sa prédilection pour l'art de la Renaissance dans le domaine du livre et de la reliure, et qui sont demeurés classiques : Le Livre illustré en France au XVIe siècle (1930), Les plus beaux livres du XVIe siècle (1931), La Typographie française au XVIe siècle (1938), et quantité d'études érudites publiées dans Les Trésors des bibliothèques de France, Le Bibliophile, Arts et Métiers graphiques, comme dans La Bibliothèque de l'Ecole des chartes ou Humanisme et Renaissance, réservant au Bulletin du bibliophile une série d'articles qui forme un Guide de l'amateur de reliures anciennes, écrivant enfin plusieurs chapitres d'un ouvrage d'ensemble, Le Livre, Les plus beaux exemplaires de la Bibliothèque Nationale (1943).

    Des fonctions importantes lui avaient été confiées à la Bibliothèque Nationale, d'abord en qualité d'adjoint au conservateur en chef du département des Imprimés (1941), puis comme conservateur en chef du département des Entrées (1945). Elles ne l'empêchèrent pas de publier, à côté d'une remarquable édition des Contes de Perrault (1946) ou d'une biographie d'Agnès Sorel, dame de Beauté, destinée à un large public (1946), un ouvrage sur Le Livre français (Coll. Arts, Styles et Techniques) (1948), qui resta un excellent manuel pour des générations de bibliothécaires. Robert Brun avait consacré une bonne part de son temps à la formation de ses futurs collègues dans les cours institués par la Direction des bibliothèques. Il allait retrouver nombre de ses anciens élèves quand, un an après avoir été promu officier de la Légion d'Honneur, il fut nommé inspecteur général des bibliothèques (1949). Il apporta dans ses nouvelles fonctions la conscience et le dévouement dont il avait toujours fait preuve, multipliant en province des inspections qui étaient source d'encouragement et de réconfort pour ses collègues bien vite conquis par la simplicité de manières et par la franche cordialité de leur inspecteur, - pour lui, source de satisfactions vivement ressenties quand, avec un flair infaillible, il découvrait sur les rayons une édition rare ou une reliure précieuse.

    Ses mérites avaient désigné Robert Brun pour succéder à Emile Dacier, au sein de l'A.B.F. à la tête de la section « Histoire du Livre et Bibliophilie », et c'est naturellement aussi qu'il devint président de notre Association au début de l'année 1949. Il occupa ce poste pendant deux ans et fut, à ce titre, vice-président français de la F.I.A.B., continuant d'ailleurs pendant plusieurs années à participer aux travaux de cette Fédération, où ses avis étaient fort écoutés.

    Un moment vint pourtant où une sorte de lassitude s'empara de Robert Brun. Il n'avait pas atteint l'âge de la retraite pour renoncer à ses fonctions d'inspecteur général (1963). Un mal subit parut bientôt lui interdire de poursuivre ses activités intellectuelles et de s'adonner à ses recherches. Il put s'en remettre, manifesta le même amour des livres et resta le véritable humaniste qu'il avait été.

    Mais depuis des années, il ne participait plus guère à nos travaux ou à notre vie professionnelle, quand il quitta ce monde, ce 18 février, laissant dans la peine tant de collègues qui, pour l'avoir connu, ne pouvaient manquer de conserver admiration et attachement à ce savant modeste et à cet homme de bien, - l'un de ceux, ont noté plusieurs de ses chefs -, qui « honorent le plus notre profession ».