La création d'un Centre National de Prêt est vivement critiquée par certains. Je voudrais, dans cette tribune libre, apporter quelques arguments contraires, qui évidemment, n'engagent que leur auteur.
Tout d'abord il faut repousser l'argument soi-disant définitif, mais un peu simpliste, qui affirme que la création d'un CNP va être nuisible aux bibliothèques universitaires. Il est trop absurde pour être réfuté. Il ne peut être question que le CNP, quelle que soit sa forme, enlève des crédits et retire des moyens aux bibliothèques universitaires.
Il n'est pas question non plus, comme quelques esprits manichéistes le propagent, de supprimer les B.U. parce qu'il existe un CNP. Les B.U. sont absolument nécessaires et elles manquent d'argent ; c'est un fait reconnu. Le CNP ne peut et ne pourra jamais les remplacer, il est absurde de le penser.
Les bibliothèques sont nécessaires, parce qu'elles sont situées localement près des cher-cheurs, offrant aux étudiants de la place, des manuels, et aux chercheurs une documentation immédiatement disponible. Elles offrent maintenant des moyens documentaires. Les remplacer par un seul organisme central ne se peut concevoir, tant il apporterait d'inconvénients à la recherche et aux université.
L'exemple de l'Angleterre où fonctionne une bibliothèque centrale de prêt puissante et efficace depuis de longues années, est significatif, car les B.U. n'y ont pas perdu de leur importance, et leur rôle n'a pas été diminué.
Cet argument étant éliminé, c'est dans une autre direction qu'il faut chercher: celle de la coopération et de la complémentarité.
Il est non moins évident que les bibliothèques actuelles, BN comprise, ne peuvent posséder la totalité de la production scientifique et satisfaire sur leurs fonds toute leur clientèle.
Même si leurs crédits doublaient, ils seraient insuffisants et l'on ne peut envisager que chaque bibliothèque reçoive les 50 000 titres de revues courantes que possède par exemple la BLLD. Et même si c'était possible, ce ne serait peut-être pas souhaitable car il y aurait un gaspillage énorme par doubles emplois et une rentabilité très faible de ces fonds utilisés seulement sur place.
Prenons l'exemple des Etats-Unis où les bibliothèques sont beaucoup plus puissantes que chez nous. Malgré des fonds qui vont jusqu'à 5 millions d'ouvrages et même plus, les Etats-Unis sont en train de préparer un centre national de périodiques de 35 000 titres pour compléter et soulager les bibliothèques existantes. Cette étude (1) est significative, car malgré l'existence de catalogues collectifs puissants (NUC, CONSER, NST, OCLC), elle conclut qu'un centre national est à la fois plus efficace et plus économique que des centres éparpillés. Même aux Etats-Unis la notion d'auto-suffisance a fait long feu et les plans d'achats concertés (Plan Farmington), ont été abandonnés.
Il y a trois systèmes de prêts interbibliothèques possibles.
Toutes les études statistiques, qu'elles soient faites par la BLLD ou par les américains (2) montrent, chiffres en mains, qu'un centre unique est plus rapide (il ne fait que cela), plus efficace (certitude de la demande) et plus économique que tout autre système. Parce qu'il ne fait que prêter ou photocopier ses collections, parce qu'il simplifie ses procédures, un centre unique a un « rendement » très supérieur à tout autre organisme, car ses collections tournent plus vite. Il a aussi une souplesse d'adaptation à la demande qui lui permet de suivre l'évolution du prêt interbibliothèques. A condition toutefois que ce soit pour certaines collections et dans certains domaines. De plus, ses collections sont toujours disponibles car il n'a pas de lecteurs. On comprend fort bien que ceux-ci soient, pour les bibliothèques, prioritaires. Cela provoque de nombreux « refus de prêts » parfaitement justifiés mais néanmoins gênants.
Les chiffres ci-dessus font apparaîtrent en France un énorme déficit documentaire qu'il s'agit de combler (150 000 prêts au lieu de 2 500 000).
Pourquoi le prêt interbibliothèques est-il si limité en France ? Ce n'est pas parce que les bibliothèques sont trop riches (aux Etats-Unis avec les bibliothèques que l'on sait, le prêt est de 10 000 000 par an), mais vraisemblablement parce que notre système fonctionne mal et qu'il freine de lui-même la demande.
Si l'on arrive à créer un organisme ou un système de prêt efficace, le nombre des prêts devraient croître rapidement pour atteindre les chiffres des pays européens voisins (2 000 000 environ). C'est l'objectif qu'il faut se fixer. Là comme ailleurs, l'organe créera la fonction.
Pour cela, une planification du prêt interbibliothèques et plus généralement de la fourniture de documents est nécessaire. Rappelons que la fourniture de l'information est partiellement satisfaite par l'installation dans les B.U. de terminaux documentaires. Mais si l'on ne veut pas que cette fourniture documentaire aboutisse à une frustration insupportable des chercheurs, il faut organiser un circuit efficace de fournitures de documents.
Cette planification pourrait s'organiser autour de trois niveaux :
Ce système a l'avantage de laisser sur place localement, une collection importante néces-saire aux besoins courants, d'organiser un service qui prenne en charge une part importante et difficile du prêt interbibliothèques en libérant les bibliothèques et en leur permettent de se consacrer totalement à leur clientèle locale.
Mais il faut tenir compte des réalités et ne pas envisager de créer ex nihilo en France, une BLLD pouvant fournir tout, tout de suite.
Le Centre de Prêt s'appuiera donc sur les bibliothèques riches et anciennes, avec lesquelles il passera des accords pour la fourniture des collections rétrospectives qu'il ne pourra posséder.
On aboutira donc à une véritable répartition des charges et à une collaboration efficace entre les organismes existants et le centre chargé du prêt courant.
Qu'elle pourrait être alors la conception de ce Centre National de Prêt ?
Organisé comme un magasin de vente par correspondance et déchargé des lecteurs locaux pour se consacrer uniquement au prêt interbibliothèques, il pourra, pour les documents qui le concernent, arriver à un service rapide (réponse dans la journée) et économique (se rapprochant des 10 FF). Il apportera aussi, ce qui est capital, une simplification du circuit en ce sens que les demandes pourront lui être envoyées (au début par la poste puis par télex, puis par ordinateur) directement, sans recherches ni consultations de répertoires, et sans ces passages de bibliothèques en bibliothèques longs et pas toujours fructeux.
Ses missions pourraient être :
Il faut donc déterminer des créneaux clairs, précis, facilement compréhensibles par discipli-nes et par types de documents. Cette clarté et cette simplicité des choix sont essentielles pour le succès du CNP.
En fonction des enquêtes menées par la DICA sur le prêt interbibliothèques en France, les priorités suivantes peuvent être proposées:
Ensuite viendront au fur et à mesure de la croissance du centre d'autres créneaux :
La quatrième mission du centre est d'assurer que tout document existe au moins en un exemplaire en France, c'est-à-dire de jouer le rôle d'un dépôt national. Ce centre national de stockage permettra aux bibliothèques de se débarrasser de collections encombrantes sans les mettre au pilon, le centre étant chargé d'en garder au moins un exemplaire (cf. Congrès de l'ABF 1978).
Voilà quelques propositions qui j'espère, convaincront les réticents: le centre ne sera pas l'ogre mangeur de crédits et de bibliothèques qu'ils craignent, mais un des éléments d'un système de fournitures de documents en coopération, c'est-à-dire un système mixte, basé sur les bibliothèques actuelles légèrement réorientées vers leurs clients naturels, un centre d'orienta-tion et de prêt dans des domaines précis mais limités et de grosses bibliothèques de recours pour le complément.
Ce système que nous souhaitons discuté par la profession et pris en charge par les pouvoirs publics s'appuiera à l'extérieur sur d'autres systèmes nationaux et notamment sur les centres de prêts d'autres pays avec lesquels il constituera un réseau défini par l'IFLA dans le projet UAP : accès universel aux publications et chargé d'assurer la fourniture de la totalité de la production mondiale.