Index des revues

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    En hommage à Henri Vendel

    Un livre, une exposition

    Par Alain Lieutaud

    Le 27 octobre dernier, était inaugurée à la Bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne, sous la présidence du regretté Inspecteur Général Poindron, une exposition retraçant la vie et l'oeuvre d'Henri Vendel; les documents réunis à cette occasion l'avaient été en grande partie grâce à l'aide compréhensive de sa fille, Madame Jeanne Simons-Vendel.

    Sans doute pour les bibliothécaires dont la carrière a débuté avant ou immédiatement après la dernière guerre, le nom d'Henri Vendel est-il demeuré familier. On nous permettra cependant d'évoquer- notamment à l'intention de nos collègues plus jeunes - la foisonnante personnalité de ce grand bibliothécaire, de cet écrivain de talent, de cet humaniste, qui fut aussi, ne l'oublions pas, porté à la présidence de notre Association en 1938.

    Né en 1892, à Almenèches, petit village de l'Orne, Henri Vendel fait ses études secondaires à Tinchebray et à Flers. Son professeur de philosophie note alors : « Bon élève avec une tournure d'esprit très personnelle ».

    En 1913, il entre à l'Ecole des Chartes; mais ses études sont très vites interrompues par la guerre qu'il fera dans les tranchées jusqu'en mai 1918, date à laquelle, ayant été gazé, il est évacué. Cette expérience de la guerre marque profondément le jeune Vendel et orientera par la suite toute son action de militant européen et pacifiste. Dès 1917, il entre en correspondance avec Romain Rolland dont il partage l'idéal généreux et internationaliste.

    En 1921, il épouse une jeune russe, Vera Oglobina. La même année, sous le pseudonyme d'Henri Nadel, qu'il utilisera souvent par la suite, il publie son premier livre, « Sous le pressoir », directement issu des carnets de guerre qu'il tenait à jour dans les tranchées. Préfacé par Romain Rolland, ce témoignage poignant lui vaut l'estime de grands noms des lettres tels Roland Dorgelès et Alain.

    Ayant repris ses études à l'Ecole des Chartes, il est nommé en 1921 Conservateur de la Bibliothèque et des Musées de Châlons-sur-Marne. Du «Cabinet de lecture» somnolent qu'il trouve à son arrivée, il fera en quelques années une des bibliothèques les plus fréquentées de France, en y multipliant notamment ce que nous appellerions aujourd'hui les activités d'animations ; selon lui, en effet, la Bibliothèque doit tendre à devenir une véritable « coopérative spirituelle » et ne pas craindre le choc des idées. En 1938, il crée la Bibliothèque enfantine.

    Ses fonctions de conservateur des Musées l'amènent par ailleurs à faire connaître par des expositions des artistes champenois: Renefer, Antral, Suzanne Tourte, Aimée Champagne, etc...

    Mettant en pratique ses convictions pacifistes, il a - en 1933 - l'idée, très originale pour l'époque, de créer dans sa bibliothèque un « Foyer international » : chaque fois qu'un étranger de valeur séjourne à Châlons, il est invité à répondre aux questions des lecteurs par le truchement d'interprètes bénévoles. Dans le même ordre d'idée, il assure la présidence du Groupe espérantiste de sa ville ou bien encore défend la cause de Grecs emprisonnées pour leurs opinions politiques dans leur pays.

    Mais son action culturelle déborde rapidement le cadre de sa bibliothèque et de son musée. En 1929, il est co-fondateur, avec André Varagnac, du Comité du Folklore champenois dont le cinquantenaire vient d'être fêté il y a quelques mois. En 1932, il assure la présidence de la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts de la Marne. En 1937, l'Association des Bibliothécaires français le délègue aux Assises du livre de Monaco. L'année suivante, il est élu président de l'Association ; à ce poste, il se dévoue pour faciliter l'approvisionnement en livres des mobilisés pendant la « drôle de guerre ».

    Etonnamment actif sous une apparence tranquille, Henri Vendel doit aussi être considéré comme un des pionniers français des bibliobus de lecture rurale. Après l'expérience menée dans l'Aisne au lendemain de la Grande Guerre par Mademoiselle Vérine grâce à des capitaux américains, c'est à lui que revient le mérite, en 1938, de mettre en route la bibliothèque circulante de la Marne, réalisation financée au départ sur des fonds privés réunis par l'Association pour le développement de la lecture publique.

    Après la période noire de l'Occupation, durant laquelle il sera emprisonné pendant quelques mois, Henri Vendel est nommé, en janvier 1945, Inspecteur Général des bibliothèques. S'efforçant, dans ces nouvelles fonctions, de faire partager à ses collègues sa foi en l'avenir de la lecture publique, il laissera parmi eux le souvenir d'un homme profondément chaleureux, animé d'un enthousiasme véritablement charismatique.

    Ses tournées d'inspections l'ayant amené dans la région de Grasse, il se prend d'attachement pour la ville et ses habitants. Il y lie des amitiés littéraires, notamment au sein du Cercle des étudiants, et rêve de s'y installer, une fois venu le temps de la retraite. Après sa mort, une Association Henri Vendel se crée à Grasse et décerne pendant plusieurs années un prix de poésie qui porte son nom.

    Sans doute son activité professionnelle débordante puis sa mort prématurée ont-elles empêché l'écrivain Henri Vendel de donner toute sa mesure. Il sera néanmoins un romancier, un poète et un essayiste au style à la fois rigoureux et plein de sensibilité.

    Après « Sous le pressoir », il publie en 1923, un recueil de contes, « Dans le jardin du presbytère », où nous voyons évoluer des curés de campagne bons vivants et ventrus, plus soucieux de l'élevage de leur vin que du salut des âmes de leurs ouailles. En 1930, paraît son unique roman, « La Consolatrice », qui a pour cadre le bocage normand qui l'a vu naître et qui est un véritable hymne à la Nature, au sein de laquelle le héros, un jeune homme physiquement disgracié, retrouve la paix de l'âme.

    C'est seulement en 1940 qu'il se risque à aborder la poésie avec « Visage»; un peu plus tard, en pleine Occupation, il publie «La Couronne d'épines », émouvant recueil consacré à la France meurtrie, qui attire sur lui l'attention de la police allemande. Viennent ensuite «Lueurs aux limbes », poèmes également inspirés par les malheurs de la France, puis «Les Chants du couvre-feu » (1945). A la même époque, les Editions du Pavois éditent «Lorsque l'enfant portait le monde », délicats souvenirs d'enfance où il célèbre tour à tour les cloches, le feu, l'eau, la terre, les herbes, tous ces objets et éléments qui enchantèrent sa jeunesse.

    On lui doit aussi de nombreuses chroniques professionnelles et un article, « La Nation contre la Patrie », paru dans la revue Europe en 1935, où perce son aversion des nationalismes. Signalons enfin qu'Henri Vendel est l'un des théoriciens du mouvements naturiste français entre les deux guerres et consacre plusieurs ouvrages et articles de revues à la question.

    Doué d'un exceptionnel sens du contact humain, il entre en rapport - notamment au sein de l'Association des « Artistes et écrivains de Champagne » - avec de nombreuses personnalités du monde des Lettres et des Arts de son temps : il sera ainsi l'ami de Romain Rolland déjà cité, mais aussi de Paul Fort, de Marcel Arland, de Pol Neveux, de Pierre Béarn, etc. Il entretient des correspondances avec Charles Vildrac, Maurice Fombeure, Lucie Delarue-Mardrus, Georges Duhamel, Jean Guéhenno, Gaston Bachelard et beaucoup d'autres. Dans le cadre spécifiquement champenois, il participe à la création, en 1938, de l'éphémère mais actif mouvement «Jeune Champagne» qui rassemble des écrivains et artistes locaux.

    De santé fragile depuis son séjour forcé dans les tranchées de 1914-1918, épuisé par une vie itinérante menée dans les conditions inconfortables de l'après-guerre, Henri Vendel est mort le 4 mars 1949, à 57 ans : « L'église était trop petite, écrit une de ses amies, pour contenir tous les assistants autour du cercueil d'humble sapin, qu'il avait voulu tel, mais aussi sous les vagues d'admirables chants liturgiques qu'il avait également souhaités».

    A l'occasion de cette exposition, qui marquait le trentième anniversaire de la mort d'Henri Vendel, un volume d'Hommage (1) a été édité sous la direction de Jean-Marie Arnoult, alors conservateur de la Bibliothèque municipale de Châlons-sur-Marne. On y trouve tout d'abord des contributions de Messieurs les Inspecteurs Généraux Bleton, Caillet, Lelièvre, Masson et Poindron qui ont tous, à des titres divers, connu et apprécié Henri Vendel. D'autres textes de Jackie Ebréard, Marguerite Gruny, André Guyot, Germaine Jeulin, Yvonne Labbé, Maurice Piquard, Odette Réville, Simone Van der Sluijs et Victorine Vérine, tous bibliothécaires, rappellent l'action d'Henri Vendel dans le développement de la lecture publique de 1921 à 1949. Roger Bouffet et Jean Svagelski, lecteurs de la Bibliothèque de Châlons-sur-Marne entre les deux guerres, apportent leurs témoignages. Pierre Béarn, Françoise Bibolet, Yves Sandre et René Vigo nous disent en quelle estime ils tenaient l'écrivain. Enfin Paul Forestier et Didier Guilbaud, respectivement ancien et actuel bibliothécaires de Grasse, évoquent le souvenir laissé dans leur ville par Henri Vendel.

    1. En vente à la Bibliothèque Municipale. 1, passage Henri-Vendel, 51000 Châlons-sur-Marne. Prix : 80 F (- éventuellement 10 F de port). retour au texte