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La bibliothèque Municipale de Bourges : Anciens et nouveaux locaux

1957

    La Bibliothèque Municipale de Bourges : Anciens et nouveaux locaux

    Par Jean Jenny, Bibliothécaire de la Bibliothèque municipale classée de Bourges.

    Pour toute bibliothèque, le problème du local est crucial : l'expérience douloureuse de nombre de nos collègues a fait de cette vérité première un lieu commun. La Bibliothèque de Bourges ne constitue pas une exception à la règle. Logée depuis 1873 dans une maison, autrefois gracieuse, mais aujourd'hui fort vétuste et d'une capacité nettement insuffisante, et en tous cas nullement adaptée à la fonction qu'on a voulu lui faire remplir, notre « Municipale » se trouvait depuis longtemps déjà dans la nécessité de déménager. L'urgence de ce transfert apparaît encore plus évidente aux visiteurs qui ont pu parcourir l'immeuble de fond en comble et se rendre ainsi compte que les conditions de confort et de sécurité les plus élémentaires lui font totalement défaut (installations électriques défectueuses et n'existant que dans trois salles ; protection contre l'incendie inexistante ; température hivernale avoisinant 0° dans les réserves et 25° dans la salle de lecture, surchauffée par un antique poêle à charbon, etc..) et que la distribution des différentes salles, fort incommode (1) , alourdit considérablement le service et procure une fatigue extrême à un personnel très réduit. D'ailleurs, l'Administration des Postes, devenue propriétaire de la maison, attend avec impatience notre départ.

    Quelle solution convenait-il d'apporter à ce problème ? - Bâtir une bibliothèque entièrement neuve, où tous les détails de la construction seraient soigneusement étudiés et conçus en vue du but recherché ? Projet satisfaisant à première vue mais dépassant les possibilités d'une ville d'importance moyenne (54.000 habitants) et de faibles ressources, et totalement impraticable dans le centre de Bourges. - Utiliser au mieux un immeuble déjà existant. Mais lequel ? La Municipalité était fort perplexe, lorsqu'intervint, en 1947, la donation TÉMOIN.

    Mme TÉMOIN, veuve du célèbre chirurgien, décida, en souvenir de son mari, qui était un fin lettré et un artiste de talent, de faire don à la Ville de son hôtel particulier, situé en plein centre, à quelque 200 mètres de l'endroit où nous sommes actuellement, à charge pour le bénéficiaire d'y installer la Bibliothèque Municipale après le décès de la donatrice (survenu en 1956).

    Un pareil geste de mécénat, assez rare de nos jours, fut apprécié comme il devait l'être. Le seul problème qui se posait désormais était celui de l'adaptation des nouveaux locaux à leur destination. A l'heure où nous écrivons (mai 1957), les plans définitifs ne sont pas encore établis, mais les grandes lignes en sont arrêtées. Avant d'en dire un mot, nous voudrions brosser un rapide historique de l'hôtel Témoin.

    L'Hôtel Témoin : Sa situation, son histoire.

    La future Bibliothèque de Bourges présente aux nombreux passants de la place des Quatre-Piliers sa façade arrondie de style Louis XV, ornée d'un cartouche rocaille surmontant la porte cochère. C'est en effet entre 1744 et 1747 que fut construit, pour Pierre Guyard, procureur du roi «dans la monnoye», cet élégant hôtel particulier: une cour en ovale, à arcades, terminée par des communs, le faisait déjà communiquer, par derrière, avec cette curieuse et silencieuse rue de l'Equerre (autrefois de la Couarre), qui passe en contrebas, au-dessus des anciens remparts galloromains ; ruelle mal pavée, où l'on peut encore se faire une idée de ce qu'était le Bourges de la fin du xve siècle, époque où Sainte Jeanne de France, la future « bonne duchesse » de Berry, vint précisément séjourner, et soigner son ingrat mari, le futur Louis XII, dans l'hôtel de Lignières qui, reconstruit un peu plus tard, dresse encore sa curieuse tourelle à l'angle de la rue du même nom, à quelques mètres de l'hôtel Témoin.

    En 1763, l'immeuble ayant été saisi avec tous les biens du peu économe Guyard, fut adjugé à Pierre-Joseph de Lestang, écuyer, lieutenantgénéral civil et criminel. Ce personnage joua un certain rôle dans l'histoire de Bourges au xviiie siècle : en 1766, nous le voyons informer « contre les auteurs, complices et participants aux émotions populaires qui se manifestèrent le 10 mai sur les marchés de Bourges » à propos de l'enchérissement du prix des blés, petite émeute où le lieutenant de police Milet faillit être lapidé ; plus tard, Pierre de Lestang administra les biens du collège après l'expulsion des Jésuites. Mais dès 1765, il avait vendu l'hôtel de la rue des Quatre-Piliers à un petit aristocrate de robe, Louis-Armand de Pommereau, dont la famille en garda la propriété jusqu'en 1824.

    L'acte de vente du 13 juillet 1765 contient une description de la maison et de ses dépendances : maison « aïant porte cochère, consistant en quatre chambres basses à cheminées, un escallier en pierre de taille » (il prend son départ au pied de majestueuses colonnes à chapiteaux ioniques) « pour... monter aux quatre chambres aussy à cheminées au-dessus des précédentes..., cour... un autre bastiment au bout de lad. cour... porte cochère donnant sur la rue de l'Equière... », etc.. A part quelques différences de détail, la configuration générale de l'immeuble n'a pas changé depuis lors. La plupart des embellissements intérieurs du principal corps de logis datent du temps des de Pommereau, et surtout ces belles boiseries Louis XVI agrémentées de sphinx et de personnages mythologiques, qui décorent heureusement les deux salons donnant sur rue.

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    Rez-de-chaussée de l'Hôtel Témoin (d'après un plan ancien)

    Au cours du xixe siècle, l'hôtel changea plusieurs fois de propriétaires et d'occupants : citons seulement, parmi les premiers, le docteur Antoine Boin, député du Cher, inspecteur général des eaux thermales et minérales de France, et, parmi les seconds, l'administration des contributions ! - En 1864, l'immeuble fut vendu pour 50.000 francs au banquier Eugène Brisson, cousin (et ennemi, dit-on) du fameux Henri Brisson, leader radical et président de la Chambre dans les débuts de la IIIe République. Eugène Brisson, de tendances plus opportunistes, se contenta d'une carrière toute locale : la présidence de la Chambre de Commerce de Bourges, celle du Conseil général du Cher, la Mairie de Bourges enfin suffirent à ses ambitions. Il remplit les fonctions de maire de Bourges de 1878 à 1888 et il y donna toute sa mesure d'homme d'action. Dans son désir - légitime - de moderniser notre vieille ville, il ne s'émut guère des obstacles qui pouvaient lui barrer le chemin. Nous lui devons le percement ou l'élargissement de la plupart de nos grandes artères, la construction de nombreuses écoles, du marché couvert - et aussi, hélas, la démolition de la vénérable église des Carmes, remplacée par une inesthétique Ecole des Beaux-Arts. Pour couvrir toutes ces dépenses fort coûteuses, il recourut aux emprunts (l'un d'eux fut de 5 millions, gros chiffre pour l'époque). On imagine les âpres critiques lancées contre lui par l'opposition. Aussi ne fut-il pas réélu en 1888. Cela fut peut-être heureux pour le vieux Bourges, car Brisson rêvait de « dégager » la cathédrale, par des démolitions inspirées sans doute du baron Haussmann, mais peu respectueuses des choses de l'art et du passé. Le 10 février 1892, il mourait subitement dans son cabinet de travail : sa banque étant alors en mauvaise posture, ses adversaires ont prétendu qu'il s'était suicidé ; mais le docteur Témoin, appelé pour constater le décès, diagnostiqua une embolie.

    Ce fut précisément le docteur Témoin qui devint ensuite propriétaire de l'immeuble (jugement d'adjudication du 20 octobre 1892). Lui et sa femme, née Pauline Billot, fille d'un ambassadeur de France à Rome, surent faire de leur hôtel, pendant la « belle époque », un centre brillant de la vie berruyère : concerts et réunions musicales, représentations, bals costumés somptueux se succédaient dans les salons et les galeries : Madame Témoin en a laissé des relations fort amusantes et colorées.

    Pour servir de cadre à toutes ces réceptions, le Docteur transforma totalement le premier étage des communs, y construisant, à la place des chambres, une grande salle à poutres apparentes et peintes, avec portesfenêtres donnant sur la terrasse ; un vitrail contenant quelques fragments anciens, occupa l'ouverture sur la rue de l'Equerre. Au fond de ce nouveau salon, l'artiste Jossant sculpta une monumentale cheminée, à l'imitation de celle du palais Jacques Coeur. Pour relier ce salon de musique au corps de logis principal, le Dr Témoin, supprimant la partie Nord de la terrasse (qui avait sans doute toujours permis le passage de l'hôtel à ses dépendances à la hauteur du premier étage), remplaça le jardin d'hiver aménagé par E. Brisson, par une galerie couverte, qui jure un peu avec le caractère architectural de l'ensemble : l'équilibre sera rétabli lorsque la terrasse sud devra elle aussi, être couverte pour assurer la liaison entre la salle de lecture (ancien salon de musique) et les réserves de livres, installés à l'emplacement de l'immeuble mitoyen.

    Signalons enfin les toiles flamandes intéressantes, achetées à Bruxelles par le Dr Témoin et qui ornent l'ancienne salle à manger - et nous aurons une idée de l'aspect général de cet hôtel, qui est loin d'être un monument historique, ou une merveille d'architecture, mais présente néanmoins assez de charme et d'élégance pour abriter des collections anciennes et servir de refuge confortable aux lecteurs studieux ou érudits qui constituent l'habituelle clientèle de la Bibliothèque.

    Les futurs aménagements.

    Il est encore trop tôt pour parler en détail des différents travaux d'aménagement qui permettront à l'hôtel Témoin de s'adapter convenablement à son rôle nouveau. Soulignons seulement le bon état de conservation de l'ensemble et indiquons, dans ses grandes lignes, l'ordonnancement de la future Bibliothèque.

    En fait, de quoi s'agit-il ? De sauvegarder l'aspect général de cet hôtel XVIIIe siècle, tout en y installant une Bibliothèque moderne ; de respecter les belles pièces du premier étage, et de prévoir cependant un classement méthodique et commode des quelque 60.000 ouvrages que nous possédons actuellement, sans parler des extensions futures à envisager Le problème serait insoluble si la Ville n'avait pas acheté à Mme Témoin le petit immeuble mitoyen, n° 8, place des Quatre-Piliers, qui devra être abattu, et remplacé par le bloc des réserves. Nous disposons de 6 mètres en largeur et de 25 mètres en profondeur, il sera possible d'y édifier 4 ou 5 étages, plus un sous-sol étanche (grâce à la rapide dénivellation qui existe en cet endroit, au-dessus des anciens remparts). La grande masse des collections pourra y être rangée, et deux sorties assurées, l'une sur la place, l'autre dans la cour de l'hôtel. Par ailleurs, la communication sera facile à assurer avec chaque étage de l'immeuble ; pour rejoindre la salle de lecture, il sera nécessaire, nous l'avons dit, de couvrir la terrasse, l'immeuble mitoyen ne s'étendant pas en profondeur, comme l'hôtel, jusqu'à la rue de l'Equerre.

    Le bel et spacieux salon de musique constitue une salle de travail toute trouvée ; la section de prêt, jusqu'ici fâcheusement confondue avec la salle de lecture, pourra trouver asile, soit dans la grande galerie joignant les deux corps de logis, soit dans une salle du rez-de-chaussée. D'un autre côté, le souci très juste du développement de la lecture publique et populaire a amené certains conseillers municipaux à demander l'amenagement d'une salle supplémentaire, d'accès plus immédiat, par exemple, dans les remises du fond de la cour, sous le grand salon ; la cour, pouvant être convertie en petit jardin, constituera, surtout en été, un cadre agréable sur lequel ouvriront toutes les salles du public. - Les belles pièces du premier étage, ornées de peintures et de boiseries, semblent toutes désignées pour abriter les réserves précieuses ou servir à des expositions temporaires ; le bureau du bibliothécaire, son logement et celui du gardien occupant respectivement le reste du premier étage, le deuxième et trois pièces du rez-de-chaussée, la quatrième pouvant servir soit de nouvelle réserve, soit, plus tard, de salle pour enfants. - Tout cela pose d'ailleurs des problèmes de personnel.

    Contre le « projet Témoin » on a pu formuler quelques critiques de détail : difficultés d'extension (mais deux étages au moins seront vides, au départ, dans les magasins à livres, et il reste le long de la cour, au nord, plusieurs pièces sans destination précise) ; longueur du chemin à parcourir pour atteindre la salle de lecture (défaut corrigé par l'aménagement de ' la salle du rez-de-chaussée), etc... Il reste que, dans l'ensemble, il est possible d'installer dans cet hôtel calme, agréable, et de position centrale, une Bibliothèque répondant somme toute assez commodément aux principaux besoins intellectuels de la population berruyère. N'est-ce pas quelque chose d'appréciable, et ne vaut-il pas mieux « tenir que courir » ? C'est, semble-t-il, l'avis de la sagesse, et c'est celui qui a prévalu.

    1. Salle de lecture au 1er étage (sans monte-charge), réserves réparties entre un second étage vermoulu, des pièces situées, au 1er, de l'autre côté de l'escalier, et deux salles du rez-de-chaussée : ces deux dernières n'étant occupées que depuis 1910 contiennent, en partie, les ouvrages les plus récents, ce qui amène le personnel à descendre et monter l'escalier de pierre un certain nombre de fois par jour... retour au texte