Description : L’argent a permis d’évaluer par une mesure commune le travail des hommes et la circulation des choses, de régler leurs rapports en les rendant fluides. Tout au long de ce deuxième volet de notre dossier, débuté en octobre dernier, et à travers des problématiques fort diverses — construction, maintenance, collections, emploi, formation — l’angle adopté que l’économie commande ne cesse de renvoyer les hommes aux choses et les choses aux hommes. Car le temps commande uniment aux uns et aux autres : les marchandises sont du temps incarné et le temps des hommes est devenu marchandise. Du côté de la langue, le double sens du mot « économie » — organisation et épargne — favorise également le glissement de la description d’un fonctionnement à l’exigence de rentabilité dans sa gestion. Que la culture soit désormais soumise à de semblables évaluations, et avec elle ce qui l’abrite, la conserve, la promeut, la diffuse, et voici parachevée la transformation de ce qui passa longtemps pour un instrument de libération en outil de contrôle. Gérée selon les critères de l’économie moderne, ainsi quantifiée, réifiée, la culture devient susceptible d’être délivrée aux proportions convenables selon les lois de l’équilibre de la recette et de la dépense. Mais, pour autant que la bibliothèque, entrepôt du savoir et outil pour la construction de soi, remplisse l’un des objectifs pour lesquels elle a été pensée, comment évaluer la liberté, l’autonomie, en un mot la souveraineté du sujet ? Dans cette mise en équation générale, comment mettre en balance les éléments chiffrables et ceux qui ne le sont pas ? Ce sont pourtant ces derniers qui donnent son contenu réel à la forme du projet démocratique dont la
bibliothèque est à la fois un instrument et un symbole. Comment intégrer le bénéfice immatériel — au risque de passer désormais pour exclusivement symbolique — que constitue l’émancipation des hommes dans un calcul où ceux-ci ne figureraient plus qu’une inconnue à réduire ?