Les enjeux de la création de la médiathèque de la Canopée
Le public, notamment les jeunes actifs urbains, est à la recherche d’une nouvelle relation avec les équipements recevant du public. On assiste depuis quelques années au développement d’une production de services et d’échanges horizontaux, participatifs. Ils se démarquent de la vision traditionnelle et verticale des relations entre professionnels et publics. Cela se décline aussi bien en économie (mouvement « makers » et ouverture des fablabs) que dans la production du savoir (encyclopédie libre wikipédia).
Pour les bibliothèques, le risque est de se déconnecter des pratiques culturelles et d’être mises à l’écart, devenant des structures utilitaristes tournées uniquement vers les enfants, les SDF, les chômeurs et les séniors. On passe ainsi d’établissements centrés sur leurs collections et la recherche documentaire à des services offrant aux usagers de se rencontrer, d’échanger, d’être en interaction avec les professionnels, de co-construire avec eux leurs offres documentaires et de services dans des bâtiments plus conviviaux et aux horaires d’ouverture en phase avec leurs rythmes de vie (démarche du 3ème lieu et du « lab »). Cette recherche d’équipements évolutifs et multimodaux et cette déconnexion croissante du lieu et du concept de « bibliothèque » par rapport aux attentes et aux besoins des publics fut largement pointé lors des focus groupes de mars 2015. Alors même que les professionnels disposent des compétences propres à rendre service dans un monde contemporain marqué une obésité de l’information, une envie d’être conseillé et un besoin de se retrouver, le paradigme du lieu semble n’avoir jamais été autant déconnecté des rythmes de vie et des pratiques.
Le centre de Paris a besoin d’équipements, susceptibles d’attirer les publics du quartier et aussi d’intéresser les personnes transitant par les Halles selon une vision métropolitaine. La Canopée et le quartier des Halles seront ainsi dotés de structures nouvelles ou reconfigurées: centre Hip Hop, conservatoire, maison des pratiques artistiques amateurs, kiosque jeunes, commerces, nouveau jardin, parkour… L’objectif municipal est de parvenir à revitaliser le centre de Paris autour d’un projet culturel fort fédérant les Halles, la Canopée, Beaubourg, le quartier Rambuteau… Il s’agit également de répondre à un besoin de vivre-ensemble, de proximité, absent depuis la destruction des halles de Baltard et de valoriser l’histoire des Halles comme incubateur français des cultures urbaines (Hip Hop, graph’, street-art).
Nous pensons qu’aujourd’hui, le développement de la créativité individuelle et de la collaboration entre les personnes permettra un meilleur échange du savoir, une société plus ouverte et un renouvellement des activités artistiques et économiques. La bibliothèque, c’est un lieu d’appropriation de la culture, de formation, et de loisirs. Notre compétence est de trier et conseiller des œuvres et des informations, de faire se rencontrer des ressources et des personnes et pourquoi pas des personnes entre elles pour débattre, échanger, s’entraider. En déployant cette compétence, la bibliothèque peut devenir également un lieu d’échanges et d’appropriation du savoir technique. Cela passe par une incitation à pratiquer, à concevoir ensemble entre les publics et les professionnels.
Le projet de la médiathèque de la Canopée s’inscrit dans cette exigence et les nouvelles relations entre les institutions et les publics. Il cherchera à desservir différents types de publics :
- habitants du quartier, notamment les familles
- salariés du quartier des Halles
- usagers des équipements et utilisateurs du forum actuel (MMP, bibliothèque François Truffaut, forum des images, commerces...)
- usagers des futurs équipements en particulier du centre Hip Hop La Place
- usagers des transports en commun du hub des Halles
- publics sourds
- les jeunes et jeunes adultes (« génération Y »)
Axes du projet culturel
Le projet de la future médiathèque s’articule selon quatre axes :
- développer de nouvelles formes de médiation fondées sur la plus-value et l’empathie
- être en adéquation avec les goûts et les pratiques culturelles des publics
- stimuler l’échange et la co-création entre professionnels et usagers, valoriser les pratiques collaboratives entre usagers
- initier les publics aux nouvelles pratiques numériques dans une perspective d’appropriation individuelle
Les grands principes
Accueil et médiation : développer de nouvelles formes de médiation fondées sur la plus-value et l’empathie
- Création d’un espace convivial : aménagement et mobilier original (bar à manga, espace dit « chaud » centré sur la convivialité et l’action culturelle)
- Des professionnels disponibles : pas de relation frontale distante mais être à côté du public (tables d’accueil delta, renseignement en mobilité) ; accueil empathique misant sur l’échange, l’écoute
- Apport de conseils et de sélection d’information personnalisée : le bibliothécaire valorise les documents, sélectionne et diffuse l’information via différents média (curation de contenus, réseaux sociaux, présentoirs de nouveautés style librairie et sélections régulières)
- Favoriser l’accessibilité aux sourds : formation de l’équipe à la LSF, agents sourds, accessibilité des animations, sous-titrage des vidéos, fonds « Monde des sourds » et initiations des enfants à la LSF
Écouter les besoins des publics : être en adéquation avec les goûts et les pratiques culturelles des publics
- Accueil adapté aux rythmes de vie : services qui facilitent l’usage et la venue à la bibliothèque (boîte de retour de livres, automates de prêts/retours, action culturelle le midi, prêt de liseuses, nouveautés en rayon rapidement, contact facilité via les réseaux sociaux)
- Ouverture le dimanche de 13h à 18h ; 23 dimanches seront travaillés au cours de l’année 2016 ; avec 42 heures d’ouverture hebdomadaires du mardi au dimanche, la médiathèque de la Canopée disposera de la plus importante amplitude horaire des bibliothèques de la Ville de Paris
- Collections adaptées aux goûts et aux pratiques culturelles : les fonds documentaires sont pensés pour plaire aux publics, éveiller leur curiosité et leur permettre de comprendre le monde d’aujourd’hui (inspiration librairie avec nouveautés, orientation vers les loisirs et la vie pratique et les documents d’actualité, fonds spécialisé « cultures urbaines » et « cultures numériques », documents pour différents niveaux de publics)
Faire participer : stimuler l’échange et la co-création entre professionnels et usagers, valoriser les pratiques collaboratives
- Consultation des usagers : construction d’une culture de la participation entre les publics et les professionnels : participation des publics dans le conseil de livres et progressivement vers la constitution des collections, fonds tournant sur vote de classiques de la Réserve centrale, choix des thématiques des ateliers, participation sur les réseaux sociaux
- Échanges de savoirs : entre le bibliothécaire/professionnel et le public, entre les usagers, ateliers animés par un usager (ateliers de groupe, action culturelle collaborative, partenariats)
- Favoriser la création : la bibliothèque est un espace qui met à disposition du public des outils qui stimulent la créativité et leur permet par de nombreux ateliers de découverte de se les approprier (DIY, ateliers autour de l’impression 3D…)
Apprendre le numérique : initier les publics aux nouvelles pratiques numériques dans une perspective d’appropriation individuelle
- Valoriser les cultures numériques : la médiathèque informe sur l’univers du numérique via ses ressources et son action culturelle (doc/débat/ateliers protection de la vie privée, droits d’auteurs numériques, philosophie du numérique…)
- Placer le numérique comme objet transversal : le numérique intègre la bibliothèque dans les outils et les contenus qu’elle propose (« Pirate box » et borne doob, imprimante 3D, découpe vynile)
- Bibliothèque virtuelle : les services dépassent le cadre du lieu pour être accessible par tous sur le net (réalité augmentée, réseaux sociaux)
La traduction des axes stratégiques dans les espaces
Sur plus de 1000 m² la bibliothèque offrira trois espaces modernes, chaleureux et accueillants pour ses futurs usagers. Ceux-ci ne sont pas exclusifs à une catégorie de publics mais l’ensemble des futurs usagers peuvent se retrouver dans l’organisation de l’établissement. Entièrement automatisée pour l’emprunt des documents, les usagers seront ainsi autonomes et pourront échanger plus facilement avec les bibliothécaires sur leurs besoins.
La répartition des usagers prévus s’intègre dans les travaux de sociologues comme Bernard Lahire et Claude Poissenot (différence entre la culture « chaude » et la culture « froide ») et chercher à rejoindre l’envie de lieux culturels multimodaux et évolutifs transmise lors des focus-groupes que nous avons organisés en mars 2015.
Espace « chaud »
Un espace dit « chaud » occupe une surface de 375 m² et sera consacré aux animations, aux ateliers, à l’accueil. Il offrira un espace de convivialité où l’on pourra consommer entre amis ou en famille une boisson chaude ou froide. Il sera possible d’y téléphoner, d’y discuter… sans craindre de rompre le silence. Un bar à manga viendra compléter l’accueil dans cette première zone de la bibliothèque. On pourra y organiser des projections, débats et spectacles vivants.
L’espace dit « chaud » comporte la zone d’accueil et d’accompagnement de l’usager. Il concentre des pratiques culturelles multiples et multimodales parfois éloignées de la vision traditionnelle française d’une bibliothèque publique.
Une offre de collections multi-supports (mangas, SF/Fantasy, romans ados, fonds spécialisé « Cultures urbaines », musique numérique) est complétée par des services (multimédia et animations) et par des activités de groupe : ateliers avec les postes multimédias ou machines à commande numérique (imprimante 3D, Legos Mindstorm, jeux vidéo…).
C’est également un lieu d’échanges (débats, projections). Cet espace mise sur la convivialité pour des activités individuelles comme collectives. C’est également un lieu de détente avec ses assises contemporaines, son bar à manga, ses distributeurs, des animations ponctuelles autour des collections.
Espace « froid »
Un autre espace dit « froid » aura lui une ambiance plus traditionnelle, propice à la lecture dans le calme de la presse ou des livres D’une surface de 380 m² et doté d’une grande baie vitrée il offrira dans un cadre reposant une vue panoramique sur l’église Saint-Eustache et le jardin Nelson Mandela. L’essentiel des collections ainsi que de nombreuses places assises confortables seront disposées dans cette zone.
L’accueil du public y sera mobile. Celui-ci trouvera à sa disposition l’essentiel des collections : périodiques, imprimés adultes (BD, fictions et documentaires) et jeunesse (documentaires).
Espace « enfance et famille »
Un espace pour les enfants de 135 m² a été créé également. Il rassemble l’essentiel des collections dédiées à la jeunesse dans un cadre permettant la lecture individuelle ou en famille. Il y aura également la possibilité d’y réaliser des projections. Les familles y trouveront plus de 11 000 documents pour les enfants avec notamment 500 DVD et une importante collection d’albums, CD de musique pour enfants, BD, livres en tissu…
Des accueils de classe, des heures du conte y seront réalisées. Certaines seront bilingues en langue des signes française. Elles seront complétées par des actions hors-les-murs et en partenariat.
Il se veut un lieu chaleureux, de vie et d’éveil, développant la créativité des enfants et les rendant acteurs de l’animation et du choix des collections. Il est destiné à accueillir les enfants de la naissance à la préadolescence dans un cadre permettant la lecture individuelle comme familiale.
Offres de ressources (collections et services)
Les collections de la bibliothèque se monteront à 37 500 documents (livres, CD de musique, DVD, livres audio, méthodes de langues, revues). Les collections pour adultes seront tournées vers les loisirs (avec notamment 7000 BD et mangas) la vie pratique, les débats de société et la littérature contemporaine. Un fonds spécialisé de 3000 titres entrera directement en résonance avec le centre Hip Hop La Place et sera consacré aux cultures urbaines (mouvement Hip Hop, street-art, sociologie urbaine, romans…). Des liseuses en prêt viendront compléter cette offre.
La plus-value innovante apportée par la bibliothèque sera matérialisée dans les projets utilisant les machines à commande numérique. Le public aura ainsi à disposition deux imprimantes 3D, une découpe vynile, des legos « mindstorms » pour des ateliers ludiques sur la robotique et la création d’objets.
Horaires d’ouverture
La médiathèque disposera de 42 heures d’ouverture hebdomadaires, soit la plus importante amplitude des bibliothèques de la Ville de Paris : mardi, mercredi, jeudi, vendredi : 12 h - 19 h ; samedi : 10 h - 19 h ; dimanche : 13 h - 18 h. 23 dimanches seront travaillés en 2016 et probablement 25 en 2017.
Dimension métropolitaine
La gare intra-urbaine de Châtelet-Les-Halles constitue l’une des principales portes d’entrée de la Métropole à Paris en transports en commun.
Le projet de la médiathèque intègre cette dimension métropolitaine par son offre de liseuses en prêt facilitant la lecture en mobilité. L’ouverture à 12h permettra d’accueillir facilement les salariés du secteur privé travaillant dans les Halles sur leur temps de pause-déjeuner.
Enfin, les projets initiés par l’équipe de la médiathèque se connecteront à des actions existantes en banlieue permettant à l’établissement de participer à l’écosystème des bibliothèques franciliennes dynamisant les cultures numériques.
Actions en commun avec les autres structures
Les futurs équipements de la Canopée, notamment le centre Hip Hop La Place, seront les partenaires privilégiés de la bibliothèque. A travers son fonds « cultures urbaines » et en dialogue avec les artistes en résidence, la bibliothèque pourra valoriser les nouvelles productions du centre, les œuvres littéraires et musicales qui font sens pour ces artistes. Les productions de toutes les structures de la Canopée seront valorisées à la bibliothèque. Des animations en commun avec le conservatoire (performances et spectacles de lectures, concerts, chants) la MPAA et La Place pourront s’organiser sur la mezzanine de la Canopée ou dans le jardin Nelson Mandela.
La programmation de la Canopée sera ainsi partagée autour d’une même ambition de donner à voir la production individuelle, illustrer comment les individus peuvent s’approprier la culture et les démarches de production, ouvrir au plus grand nombre un espace innovant de création et de loisirs culturels.
La médiathèque projette de nouer également des relations fortes avec les deux autres bibliothèques du forum des Halles, les centres d’animation Les Halles/Le Marais et Simon Le Franc, ainsi qu’avec les crèches, les établissements scolaires et les centres sociaux des Halles et du quartier Montorgueil.