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    Synthèse des travaux

    Par Jacques KERIGUY, Directeur ENSB

    Vignette de l'image.Illustration

    Aucun des participants à ce carrefour n'a rédigé le texte de son intervention. En effet, une large place avait été laissée à l'improvisation, afin de faciliter le dialogue avec l'assistance. Le texte que nous présentons propose une synthèse des trois séances qui se sont succédées durant l'après-midi du samedi et du dimanche. Peut-être sera-t-il jugé infidèle en ce qu'il ne cherche pas à rendre compte du cheminement complexe de la discussion, mais plutôt à livrer des thèmes de réflexion.

    Le temps n'est plus où l'on pouvait douter de la nécessité d'introduire dans les bibliothèques et les organismes documentaires des méthodes nouvelles qui interviennent à toutes les étapes du circuit de production et de diffusion de l'information et du document. La présence, dans la salle où se tenait le carrefour, d'un public nombreux, posant des questions pertinentes, prouvait non seulement l'intérêt des auditeurs, mais aussi leur niveau de connaissance élevé. Dans un premier temps, les participants ont cherché à proposer une définition des nouvelles technologies et ont dit qu'il s'agissait des outils, des techniques et des procédés mis en oeuvre pour assurer le stockage et le transfert de l'information. A vrai dire, cette définition convenait d'autant mieux qu'elle reliait naturellement le thème général du carrefour à celui du congrès: les relations internationales des bibliothèques françaises. Aucun artifice, donc, mais une unité assez confortable, qui compensait heureusement la complexité du sujet. Stockage et transfert de l'information, tel est le thème à partir duquel ont été introduites de multiples variations. Car s'il est facile de proposer une définition générale, il est plus difficile, en revanche, de cerner avec précision cette partie des sciences fondamentales ou appliquées qui recouvre les activités des bibliothécaires et documentalistes et autorise le développement de techniques qu'ils utilisent afin de mettre la machine au service de la communication et de l'information. Il a surtout été question de l'information textuelle, la plus disciplinée, la mieux maîtrisée, car la mieux connue, mais quelques allusions ont été faites à l'information sonore et à l'information visuelle, qu'il convient également de stocker et diffuser, d'autant qu'elles ont un domaine d'application privilégié dans l'ensemble des bibliothèques et spécialement dans les établissements recevant des publics particuliers (non-voyants, par exemple).

    Les nouvelles technologies participent chaque jour plus largement:

    • à la création et à la mise en forme de l'information;
    • à son stockage et à son traitement;
    • à sa diffusion.

    Tel est donc le plan qui a été retenu. La discussion a permis d'aborder ces questions sous différents angles: la technique a occupé un temps assez long, de même que la description du matériel disponible sur le marché, donc utilisé (ou utilisable) par les bibliothèques et les organismes documentaires: DON (disque optique numérique), CD-ROM (disque compact, readable only memory), CD-I (disque compact, interactif) présenté par ses constructeurs, Philips et Sony, comme un appareil qui fusionne la technologie et les usages du disque audio au laser avec ceux du disque vidéo et du disque de données textuelles et, de plus, est doté de sa propre mémoire, de ses interfaces et de son système d'exploitation. Trop, c'est trop, et les spécialistes présents, J. Soulé pour les techniciens de l'informatique et C. Lupovici pour les utilisateurs, ont exprimé quelques doutes sur les ressources véritables de ce support.

    Les supports analogiques ont été également évoqués par Mme Dureau, qui est à l'origine d'un projet de création d'une banque d'images concernant la région Rhône-Alpes. Mme Dureau a remis à tous les participants un document qui présente une étude comparative très documentée entre tous ces supports et cite quelques applications du vidéodisque. Ce travail, joint au présent texte, dispense de résumer la longue discussion qui s'est engagée sur le sujet.

    Il paraît d'autant moins utile d'insister sur cet aspect technique du carrefour qu'il s'est borné, force est de le reconnaître, à rappeler des données bien connues des spécialistes et facilement accessibles.

    La leçon que l'on peut tirer des exposés successifs de Jacques Soulé et de Michel Bonpas, qui bien entendu, ont présenté les projets dont ils sont responsables et qui s'inscrivent tous deux dans le cadre de l'appel d'offre DOCDEL, lancé par la Commission des communautés européennes, intitulés respectivement TRANSDOC et Journal électronique en mathématiques, peut être résumé comme suit: les nouvelles technologies permettent aujourd'hui de répondre au problème posé par la communication de l'information. Cette diffusion peut s'effectuer de manière étendue, avec une rapidité et une qualité de service sans cesse améliorées. Elles sont pour la plupart bien maîtrisées, même si les divergences de vue subsistent sur bien des points. Mais il est sûr que d'autres technologies vont voir le jour, qui vont apporter une solution aux problèmes qui subsistent. M. Bonpas s'est situé dans le contexte de l'IST, plus précisément encore, des publications de littérature grise, et a annoncé la naissance d'un genre nouveau, mi-article de périodique, mi-rapport de recherche, qui constituera la véritable unité bibliographique née de l'édition électronique.

    Son principal avantage sera de permettre à l'utilisateur d'accéder véritablement à l'information pertinente, c'est-à-dire à l'article, ou à une partie d'une monographie et non plus au numéro ni même au fascicule de périodique.

    Il est apparu aussi que des aides sont mises à la disposition du bibliothécaire et du documentaliste par des libraires: aides aux acquisitions, aide au catalogage, aide à la gestion, comme le prouvent les initiatives de Faxon, librairie agence de souscription, implantée sur trois continents. Cette assistance a été décrite par le directeur européen, Charles Germain.

    Le réseau Faxon comprend plusieurs réalisations. L'une, LINX, met en ligne les bibliothèques avec l'ordinateur central de Boston et permet l'accès à plusieurs banques de données. Une messagerie donne la possibilité de commander directement auprès des éditeurs sur PUBLINX, qui sert également à la mise à jour de banques alimentées par les éditeurs. Enfin, FAXON offre à ses utilisateurs un système complet de gestion sur micro-ordinateur, utilisable en ligne ou de façon indépendante.

    Voilà pour la technique.

    La présentation d'une synthèse, hâtivement rédigée, forcément subjective et incomplète, doit surtout insister sur ce qui représente l'intérêt principal de ce débat: les réflexions qu'elle a fait naître, les questions qu'elle a permis de poser.

    Il est vite apparu que le sujet avait incontestablement une dimension économique: une technologie qui progresse et donne naissance à des produits nombreux et de qualité; des besoins documentaires qui se précisent et croissent: il n'en faut pas davantage pour que se crée un marché de l'information et ne s'impose l'idée que des technologies nouvelles ne représentant la clé du développement économique et social. Des conditions favorables: l'obsolescence très rapide, la nécessité de poursuivre, en un domaine presque vierge, plusieurs approches en même temps avant de porter son choix sur l'une d'entre elles; l'importance des moyens à mettre en oeuvre, et qui condamne les pays de faible envergure; la concurrence américaine et japonaise : tout cela a incité la Commission des communautés européennes à proposer des solutions européennes, à partir d'une résolution prise par le Parlement européen en mars 1984. C'est ce qu'à exposé Ariane Iljon. A la suite d'un séminaire tenu en novembre 1984 et parrainé par la CCE, l'OTAN et la Conseil de l'Europe, la décision a été prise par la SGXIII, marché de l'innovation et de l'information de la CCE, de définir un programme d'action d'un an environ, qui se met en place. Plusieurs études vont être menées, dont l'une, LIB 1 demande à chaque pays membre de faire le point sur l'état de' l'automatisation de ses bibliothèques. Il est complété par deux autres programmes, LIB 2 et 3, séries d'analyses des problèmes rencontrés dans chaque pays, sur lesquelles la CCE s'appuiera pour mener une action afin de favoriser, au plan international, plusieurs fonctions telles la conservation ou l'élaboration de statistiques.

    Les méthodes qui seront utilisées, l'ampleur du programme ne sont pas encore définis. Tout juste sait-on qu'il s'échelonnera sur plusieurs phases. Mais il est clair que la mission de la CCE ne saurait être de se substituer aux politiques nationales. Au contraire, il appartient aux pays membres d'approuver - avant de l'appuyer - l'action de la Communauté économique européenne. En d'autres termes, devant la mutation que subissent les bibliothèques la CCE veut avoir un rôle de catalyseur et aider la transformation. Son souci est de prendre en compte l'automatisation et les nouvelles technologies, et de les inscrire dans leur contexte afin de mieux les intégrer.

    Les participants ont été unanimes pour reconnaître que ce sont des critères économiques qui décideront finalement du choix de ces technologies. Seules celles qui donnent la preuve d'être économiquement rentables trouveront un essor et seront utilisées largement pour améliorer la diffusion et le stockage de l'information et répondre à une demande virtuelle, la convaincre de s'exprimer et lui donner satisfaction. Sans doute est-il utile de rappeler l'objectif de DOCDEL: 30 millions de transactions (300 millions de pages) par an, à terme bien sûr, en 1990. Une question vient à l'esprit quand on désire définir le marché pour les produits issus des nouvelles technologies de l'information: quel équilibre économique est appelé à s'instaurer entre les techniques et les structures traditionnelles et ces nouveaux produits ? Il n'est pas possible de répondre à cette question. On peut seulement dire qu'il n'y aura ni substitution, ni complémentarité totale.

    Le second problème est de nature juridique: la législation sur le copyright, tantôt noeud gordien, tantôt épée de Damoclès, selon la formule d'Etienne Hustache, reste figée dans les articles de la loi de 1957: la loi française sait interdire, elle n'autorise rien, ou à peu près. C'est pourquoi la CCE a imposé aux promoteurs de TRANSDOC d'obtenir dans tous les cas l'autorisation de reproduire auprès des éditeurs français, par l'intermédiaire du Centre français de perception des redevances de copyright (CFC), créé pour la circonstance par l'Association pour la promotion des publications médicales d'expression française (APPMF) en mai 1983, ou étrangers, en négociant directement avec l'éditeur. Elle cherche à obtenir des discussions entre les pays membres pour réformer et unifier les réglementations nationales.

    La crainte que l'on peut avoir est que l'incertitude dans laquelle sont placés les partenaires n'entraîne des réflexes de défense et de crispation sur l'existant. Une seule chose est sûre, a conclu E. Hustache: les meilleures manières de tomber en marchant, c'est de regarder en arrière ou d'avoir les yeux fixés sur les nuages.

    Les répercussions sont aussi sociales et culturelles.

    Un non technicien, un libraire, M. Plaquevent, a été invité à exposer son point de vue.

    S'il y a mutation technologique, dit-il, il convient de prendre la mesure et d'en imaginer les conséquences. A défaut de se livrer à une approche technologique, il propose de fonder sa réflexion sur l'expèrience et l'observation.

    Et il se pose une question de méthode: quelle sera l'utilisation de ces nouvelles technologies ? S'agit-il de produire une information, de la rendre lisible, de publier un texte de création, ou bien s'agit-il seulement d'utiliser des techniques toutes neuves pour, finalement, en arriver à la production d'un livre semblable aux autres ?

    Cette réflexion liminaire entraîne trois questions :

    Quelles réalisations cette technologie permet-elle d'obtenir et quelles sont ses limites ?

    Quelle est l'échelle d'utilisation ? Est-ce destiné à un éditeur confidentiel, voire à un groupe d'invidus et, de fait, l'ombre des collègues invisibles a plané presque en permanence sur la réunion, ou à un très grand éditeur ?

    Quel est le champ d'application ? Est-ce la littérature grise, qui a besoin de satisfaire aux règles qu'elle s'est fixée, "publier ou périr" est-ce, à l'inverse, les presses de l'université d'Oxford avec son dictionnaire en cours d'élaboration depuis 1860 ? Pour M. Plaquevent, il serait vain de refuser l'évolution technologique. Dire que c'est une révolution lui parait seulement abusif, car il ne reconnaît, en fait de révolution, que celle de Gutenberg.

    Il lui parait impossible de sous-estimer le rôle de la création. Et, à ceux qui ont dit à plusieurs reprises que le circuit de production et de diffusion des documents risquait d'être remise en cause, aux participants qui ont envisagé sereinement la suppression de la fonction d'éditeur ou de libraire, il répond que l'éditeur est finalement le meilleur ' 'porteur" du texte et de l'écrivain à qui il donne l'occasion de se faire connaître et d'être lu.

    Qu'en serait-il si un jour le livre n'était plus le livre, si son contenu était transmis électroniquement et lisible, seulement sur un écran ? Le texte, sur cet écran, ne serait pas aussi lumineux que certains l'imaginent.

    Comment résister au plaisir de citer exactement la conclusion de M. Plaquevent, qui "jette dans le ciel ce grand point d'interrogation, comme Victor Hugo jetait la faucille d'or dans le champ des étoiles" ? N'est-il pas réconfortant de voir la poésie sourdre là où on l'attend le moins, au sein des techniques les plus austères ?

    Le point de vue de l'autre libraire, C. Germain, rejoint à peu près celui de M. Plaquevent: C. Germain affirme en effet que même dans le cadre de l'édition électronique, sous réserve d'adaptation aux techniques les plus avancées, le rôle du libraire, collecter et distribuer, n'est pas près d'être remise en cause.

    Il semble donc, et cette phrase a été prononcée par M. Jean Callens, directeur du Furet du Nord, qui n'a pu se rendre à Lyon en raison d'un accident, il semble que Gutenberg apprenne les nouvelles technologies et fasse assez bon ménage avec Mac Luhan. Le XXIe siècle ne verra ni la fin du papier ni la fin des techniques d'imprimerie. Le livre sera ce qu'en fera l'homme de ce XXIe siècle. Mais qui sait ce que sera l'homme du XXIesiècle.

    Le propre des congrès de l'ABF est qu'ils réunissent essentiellement des bibliothécaires. Mais le propre des bibliothécaires est qu'ils ont constamment présent à l'esprit le souci de rendre un service aux utilisateurs.

    Aussi devait-on s'interroger sur les conséquences de l'introduction des nouvelles technologies sur les usagers des bibliothèques. Pascal Sanz nous a livré une réflexion qu'il a menée essentiellement sur la lecture publique, mais le problème se pose, en gros, dans les mêmes termes dans les bibliothèques universitaires dont on sait qu'elles sont toutes pourvues de terminaux. Seulement la DBMIST, en particulier grâce aux URFIST, a-t-elle consacré un effort important à prendre des mesures incitatives pour convaincre le public d'utiliser les banques de données et le former. On sait que, malgré ces initiatives la consultation reste faible.

    En lecture publique donc, une expérience est menée à la BPI; elle porte sur un grand nombre de banques. Elle a donné lieu à un gros travail d'évaluation et de recherche et a permis de conclure que c'est le public qui possède le bagage éducatif et culturel le plus élevé qui utilise cet outil nouveau. Cette constatation est, pour Pascal Sanz, l'occasion de poser une question importante: l'introduction des nouvelles technologies ne va-t-elle pas priviliégier davantage encore ceux qui le sont déjà ? Cette première question en entraîne une seconde, qui porte sur le contenu, et non plus sur le contenant: quelle est l'adéquation entre les milliers de banques de données désormais accessibles de par le monde et les besoins du public général ? Apparemment peu satisfaisante.

    Nous assistons à une course à l'information ou, plus exactement, au marché de l'information, et les besoins réels des usagers ne sont pas vraiment pris en compte.

    Dans ce monde de l'information, véritable nébuleuse, un bibliothécaire doit se demander ce qu'est, ce que doit être son rôle de bibliothécaire, condamné à n'être qu'un acteur, parmi beaucoup d'autres, dans le concert des participants, qui peut dégénérer en cacophonie. Ce bibliothécaire ne doit-il pas partir à la quête d'une spécificité ? Sans apporter de réponse, P. Sanz propose des pistes :

    • la bibliothèque doit assurer une formation à ces instruments nouveaux,
    • elle doit utiliser les nouvelles technologies pour assurer un meilleur service à certains publics spécifiques,
    • peut-être est-elle qualifiée, comme aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, pour venir en aide aux PME,
    • elle doit garder la possibilité d'assurer des prestations gratuites ou à un coût amoindri par rapport au coût réel.

    Ce compte rendu semblera très incomplet aux intervenants et aux personnes qui ont assisté au carrefour, comme a été incomplet le débat. Beaucoup de personnes avaient sans doute le désir de voir traiter telle ou telle question, qui les intéressait directement. Il a fallu choisir, et souvent en fonction des compétences des participants.

    Pour conclure, il est indispensable de rappeler que, quelle que soit notre formation initiale, nous sommes sûrs, étant donné l'évolution de la technologie, de voir remises en cause périodiquement nos connaissances acquises. D'où l'intérêt de réunions de ce genre, d'où la nécessité vitale de développer des entreprises de formation permanente nombreuses et accessibles au plus grand nombre.