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    L'audit des bibliothèques

    Par Philippe MARTIN, bureau Marcel van Dijk

    L'audit des bibliothèques.

    1. MIEUX COMPRENDRE LA DEMARCHE

    L'audit est une analyse critique du fonctionnement d'une organisation sur laquelle on veut un diagnostic instantané. Cette analyse peut alimenter une réflexion sur les missions de l'organisme examiné considéré comme un système mais cette démarche est rare car elle peut conduire à une remise en cause de l'utilité de l'institution dans son ensemble. Plus fréquemment l'étude porte sur la structure de l'organisation, c'est-à-dire sur l'articulation des différentes unités qui concourrent à son fonctionnement. Mais le plus souvent ce sont surtout les éléments de l'organisation qui sont étudiés et en particulier l'adaptation des moyens mis en oeuvre aux missions définies et aux services rendus.

    L'analyse porte sur les plans quantitatif, qualitatif et financier. Mais en dehors d'une étude à vocation strictement financière rarement nécessaire dans le cas des bibliothèques, les données chiffrées sont surtout utiles pour alimenter l'analyse qualitative qui est l'objet principal de l'audit. Cette particularité différentie l'audit du tableau de bord où les indicateurs chiffrés, suivis en permanence, révèlent le dynamisme de l'activité.

    Plusieurs situations peuvent nécessiter un audit. La préparation d'une modernisation (informatisation, déménagement, extension) ou d'un rapprochement avec d'autres bibliothèques (par exemple dans le cadre d'un réseau de coopération). Un responsable - opérationnel ou d'une autorité de tutelle - peut demander un audit pour avoir un bilan et se situer par, rapport à d'autres organismes similaires. L'audit peut enfin être réalisé pour vérifier l'application des règles de gestion qu'elles soient légales ou internes à l'institution.

    L'étude des moyens utilisés, des prestations réalisées et de leur adéquation implique l'examen dès façons de travailler et des documents utilisés et générés. Elle fait appel aux techniques habituelles de recueil de l'information: entretiens avec le personnel de différents niveaux et visite des installations. Ce travail doit être fait par une équipe extérieure comportant des professionnels de l'organisation connaissant les métiers concernés, bibliothécaires et documentalistes en l'occurence. Seule cette approche de l'extérieur garantie une analyse indépendante d'une situation où plusieurs niveaux de responsa7 bilité peuvent être mis en question.

    2. ETUDE DES MOYENS

    Le personnel.

    L'objectif est d'évaluer l'équipe et de comprendre son organisation. L'organigramme, quand il existe, révèle la structure et la répartition des tâches. Les points à examiner comprennent: la description des fonctions (attributions, délimitations, autonomie), l'adaptation de la structure aux principaux circuits de la bibliothèque (documents, lecteurs, informations), la répartition des effectifs selon plusieurs critères (par tâches principales, par niveaux techniques et par statuts, par sections).

    Les caractéristiques individuelles doivent aussi être examinées pour évaluer la compétence et la motivation: niveau de formation générale et technique, niveau de qualification (en notant les surqualifications trop importantes souvent démotivantes), pyramide des âges et des anciennetés dans les postes.

    Le fonds.

    Les critères d'appréciation sont ici bien connus des professionnels:

    La composition du fonds s'analyse par type de documents (livres et non livres), par public, par domaine. L'existence de fonds particuliers sera également relevée: fonds patrimoniaux, périodiques. Chaque partie du fonds est spécifiée par le nombre de titres, le nombre d'exemplaires par titre, l'accessibilité (libre ou réservée), le taux de prêt et de consultation (si possible), le taux de renouvellement annuel. Ce dernier point doit être étudié dans la perspective plus large de la politique d'acquisition: comment est-elle définie, par qui, quels sont les axes privilégiés et les indicateurs utilisés pour en suivre la mise en oeuvre ?

    Les traitements des documents et des notices correspondantes sont à étudier: types d'équipements, réalisation interne ou sous-traitée, catalogage interne ou utilisation de notices externes (particulièrement dans le cas de fonds informatisés).

    Les locaux.

    Au plan quantitatif les principales caractéristiques sont les surfaces disponibles par type d'utilisation et par section: circulation publique, réserves, bureaux, locaux techniques. Pour chaque zone il faut apprécier les qualités de la surface: éclairage, bruit, taux de saturation et possibilités d'extension.

    Cet inventaire doit être complété par l'étude de la disposition générale des locaux, de leur adaptation aux circuits des documents et des lecteurs, du repérage des différentes zones et notamment des sections et des rayons.

    Les équipements techniques.

    Les plus importants comprennent les rayonnages de présentation et de stockage, les appareils de visualisation et de reprographie, les systèmes antivol ainsi que les matériels de marquage et reliure. Chaque groupe est caractérisé par les options techniques retenues, le nombre d'équipements, le degré d'usure et d'obsolescence, le taux de saturation, l'utilisation par le public.

    L'informatique.

    Lorsque la bibliothèque est informatisée, une attention particulière doit être portée à l'adaptation du système. La première approche est fonctionnelle. Le système peut assurer les acquisitions et la gestion des abonnements éventuels, le catalogage interne centralisé ou partagé ou par acquisition de notices externes, le prêt, la recherche documentaire par le personnel et par le public (OPAC). Ces fonctions peuvent être intégrées dans un système unique et gérées partiellement ou totalement en temps réel. Différents aspects du système doivent être examinés. Tout d'abord la configuration sous les angles matériel et logiciel: taille mémoire, capacité disque, type et nombre de périphériques, logiciels utilisés (version et système d'exploitation). Puis l'ancienneté, le degré d'obsolescence, le taux de saturation et les possibilités d'extension ou de transfert sur une configuration plus puissante.

    Ce dernier point peut découler d'un plan informatique qu'il faut étudier en détail quand il existe. L'aspect sécurité informatique est également à considérer (sauvegarde des données, continuité des traitements) en particulier dans le cas des systèmes temps réel ou avec les micro-ordinateurs.

    3. LES PRESTATIONS

    Les utilisateurs.

    Les informations nécessaires font habituellement partie des tableaux de bord. Il s'agit essentiellement de statistiques sur les lecteurs actifs par section, par zone géographique ou par unité de rattachement (bibliothèques privées).

    D'autres éléments d'appréciation peuvent être recherchés comme le taux de pénétration (% de la population cible qui est active) ou le taux de fidélisation (% des inscrits qui restent actifs). Une gestion informatisée peut renseigner sur la composition du lectorat actif et notamment sur sa structure socioprofessionnelle comparée à celle de la population cible.

    Le fonctionnement.

    L'analyse comporte trois dimensions: les services offerts, la localisation des services et les horaires.

    Là consultation sur place et le prêt constituent la base la plus fréquente, elle peut être complétée par la recherche documentaire et l'établissement de listes bibliographiques. Le nombre, la localisation des différents établissements ainsi que les horaires d'ouvertures au public sont naturellement des données à recueillir. Ces dernières informations n'ont de valeur qu'après rapprochement avec les pointes d'activité (entrées et prêts par tranche horaire et journalière) et avec la répartition des effectifs actifs au moment de ces pointes.

    Les prêts.

    Les différents indicateurs qui sont habituellement suivis dans ce domaine (par section, par type de document, par genre, etc.) doivent être complétés par d'autres évaluations: répartition par tranche horaire et journalière, analyse Paretto du nombre de sorties par document, rotation des collections.

    4. ELEMENTS DE COMPARAISON

    Les facteurs quantitatifs et qualitatifs mentionnés permettent d'analyser le fonctionnement de la bibliothèque et d'évaluer l'efficacité de son organisation. Toutefois le niveau de détail atteint ne facilite pas toujours la comparaison avec d'autres bibliothèques. Dans ce but quelques données plus macroscopiques peuvent être utilisées.

    Le budget.

    Il importe à ce niveau de considérer le coût complet incluant les dépenses de personnel par catégorie (statut et/ou qualification) et par section, les coûts d'acquisitions et les frais annexes (équipements des documents), les frais généraux: amortissements, loyers, assurances, consommables. Le coût des prestations assurées par des services extérieurs devront également être recherchés si l'on souhaite comparer la bibliothèque analysée à des systèmes similaires.

    La structure du budget indiquant le poids relatif des différents postes de dépense est un élément de comparaison important. L'évolution de cette structure au cours des trois dernières années révèle les orientations politiques choisies par les responsables.

    Les ratios.

    Ces indicateurs font souvent partie des tableaux de bord mais leur utilisation dans les comparaisons doit être prudente car, d'une part, leur définition est assez variable (sauf au sein d'une même institution) et d'autre part, leur évaluation peut s'avérer imprécise . Parmi les ratios les plus employés mentionnons :

    • Ratios de moyens
      • budget par habitant
        • par entrée
        • par prêt
      • agent par habitant
    • Ratios d'activités
      • prêt par agent
      • par habitant
      • par entrée
      • prêt par lecteur inscrit
      • par lecteur actif
      • par exemplaire.

    Il serait évidemment souhaitable de pouvoir rapprocher les valeurs relevées avec les caractéristiques d'autres bibliothèques mais aux difficultés mentionnées plus haut s'ajoutent la rareté des statistiques disponibles qui sont de plus diffusées avec retard par manque de moyens de traitements informatisés. Signalons toutefois les statistiques produites par la Direction du Livre et de la Lecture pour les bibliothèques françaises et les statistiques diffusées par l'Intamel au plan international.

    5. L'AUDIT: RISQUES OU OPPORTUNITE ?

    En fonction des objectifs assignés et de l'ampleur des travaux, l'audit conduit à un constat et à des recommandations qui se répartissent sur deux niveaux. Elles concernent d'abord des améliorations faciles à mettre en oeuvre à court terme, suivies de propositions plus fondamentales qui impliquent des changements dans l'organisation et parfois dans la structure de l'institution.

    Comme tout contrôle commandé par l'autorité de tutelle ou la hiérarchie, l'audit suscite a priori réserve et méfiance de la part des services concernés. Cette appréhension n'est pas sans fondement, surtout lorsque les objectifs officiels de la démarche restent volontairement flous et parce qu'en matière culturelle l'appréciation objective de l'action est moins évidente qu'en d'autres domaines.

    Mais le personnel des services contrôlés voit souvent assez rapidement dans l'audit une possibilité d'expression que la structure normale de communication ne facilite pas. Cette voie d'enquête doit être recherchée et exploitée car elle permet' parfois de détecter des dysfonctionnements et de trouver des améliorations indicernables rapidement.

    Finalement, grâce à son approche globale et extérieure d'une organisation, l'audit constitue un moyen d'analyse efficace qui devrait être utilisé à chaque changement important. Le succès de la démarche dépend autant de la compétence des auditeurs que de la définition des objectifs de l'étude.

    Audi alteram partem (Larousse, N.P.)