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    Du bon usage des tableaux de bord

    Par Daniel RENOULT, Directeur bibliothèque universitaire de Parix X-Nanterre.

    De plus en plus utilisés dans les administrations (transports, postes et télécommunications, défense nationale, hôpitaux, etc.) les tableaux de bord de gestion s'introduisent désormais dans les bibliothèques. D'abord réduit à des initiatives isolées (BU de Compiègne par exemple) (1) , ce phénomène a pris de l'ampleur avec la présentation par la DBMIST au cours de l'été 1986 d'un projet de tableau de bord proposé aux bibliothèques universitaires (2) . Suscitant à la fois méfiance et intérêt, ce projet a donné lieu à des prises de position parfois contradictoires qui témoignent peut-être avant tout de la relative méconnaissance que nous avons de ce "nouvel" outil. Le but de cette courte contribution est de tenter d'apporter quelques éléments d'information et de méthode afin de faciliter ensuite la discussion. Et tout d'abord, comment définir précisément un tableau de bord de gestion ? Selon J. LOCHARD (3) il s'agit "d'un ensemble de données chiffrées, nécessaires et suffisantes, mises sous forme de graphiques ou de tableaux synthétiques en vue d'avoir les informations permettant aux différents responsables de prendre leurs décisions". Il y a selon cet auteur "un tableau de bord par niveau de responsabilités" et il précise: "la tenue d'un tableau de bord sous-entend des données prévisionnelles et des données passées et présentes en vue de les comparer entre elles". Cette définition, sans doute un peu longue, a néanmoins le mérite de décrire assez convenablement le tableau de bord en insistant notamment à la fois sur son caractère systématique et dynamique.

    Celui-ci ne doit en effet pas être confondu avec une série de statistiques descriptives: le tableau de bord est en effet articulé sur des buts précis qui peuvent être par exemple pour une bibliothèque publique, l'accroissement de son audience auprès de la population d'un quartier; ou pour une bibliothèque universitaire la plus forte utilisation de ses services par les enseignants chercheurs etc. Chaque organisation se fixe en fonction de son statut, de la politique de ses dirigeants et de ses élus des objectifs assez différents. C'est le chemin parcouru vers des finalités bien précisées que le tableau de bord est chargé d'évaluer. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que cet outil va de toute manière s'insérer dans un contexte plus général qui appelle des choix plus fondamentaux: la gestion par objectifs, le contrôle de gestion, ce qui suppose entre autres une définition très précise des responsabilités à l'intérieur de la bibliothèque.

    Par rapport à l'ensemble des buts que la bibliothèque détermine en accord avec les élus, le tableau de bord doit donc pouvoir rendre les services suivants:

    • fournir une synthèse objective d'informations,
    • » permettre de contrôler la réalisation des objectifs,
    • econstituer une référence dans le dialogue entre les divers niveaux de responsabilité,
    • * être un instrument d'aide à la décision.

    Cela implique bien évidemment un sérieux travail préalable de quantification des objectifs et de choix des indicateurs.

    Construire et tester les indicateurs.

    L'indicateur peut être défini comme la représentation chiffrée d'une variable significative pour la gestion. Représentation chiffrée signifie exactitude, constance, comparabilité dans le temps, équité. En somme, un indicateur devrait dans l'idéal être indiscutable, ou au moins dépourvu de toute ambiguité. Dans un récent numéro du Bulletin de l'ABF (4) , Jean SAIDE a proposé des exemples simples d'indicateurs utiles pour une petite bibliothèque, en distinguant des indicateurs d'activité, de performance et de coûts. Dans la littérature consacrée à la gestion, on trouve des typologies très voisines. On parlera par exemple:

    • 1) d'indicateurs de moyens par exemple:
      • consommation de crédits (fonctionnement, investissement)
      • consommation de temps de travail (souvent globalisée sous forme des coûts salariaux ventilés par tâche et par qualification).
    • 2) d'indicateurs de réalisations :
      • évaluation quantitatives de services rendus (par exemple taux d'utilisation des documents)
      • évaluations-qualitatives (obtenues par des enquêtes de satisfaction).
    • 3) d'indicateurs d'impact:
      • mesure des résultats par rapport aux objectifs définis (exemple audience de la bibliothèque chez les jeunes par rapport à un chiffre défini comme but)
      • évaluation des résultats obtenus par rapport aux moyens dont on dispose (mesure de l'efficience ou si l'on veut de la "productivité" de la bibliothèque).

    Dans la plupart des cas, on préfère choisir des valeurs relatives plutôt que des valeurs absolues. Ainsi, le nombre total des usagers d'une bibliothèque n'a guère de signification en soi. Cette donnée chiffrée n'a de sens que si elle est rapportée à la population des usagers potentiels. Elle permet alors de donner des indications sur l'audience réelle de la bibliothèque à un moment donné. Par exemple le taux de pénétration d'une bibliothèque universitaire parmi la population étudiante sera exprimé par le ratio: étudiants inscrits à la BU/étudiants inscrits à l'université.

    Autre exemple, la fréquentation de la bibliothèque pourra être exprimée par les ratios:

    nombre de consultations/nombre d'entrées: et nombre de consultations/nombre d'utilisateurs inscrits.

    Dans ces exemples simples,. on voit assez aisément comment va se poser le problème de la fiabilité des éléments de mesure, et plus largement de la signification réelle des indicateurs. La notion d'étudiants inscrits est par exemple plus complexe qu'il n'y paraît: doit-on retenir les étudiants inscrits administrativement à l'université ou les inscrits pédagogiques ? Doit-on tenir compte du "taux d'évaporation" (étudiants ne fréquentant plus les cours) parmi ceux-ci ? Dispose-t-on des moyens de mesurer le nombre des usagers effectifs de l'université ? Quelle signification précise accorder au ratio retenu, et par rapport à quel objectif ? Les autres exemples cités posent également le problème de la périodicité de la mesure: se propose-t-on de mesurer la fréquentation journalière, mensuelle, annuelle ? Dans le cas où l'on souhaite disposer de toutes ces informations quelles vont être les conséquences sur l'organisation du travail ? Va-t-il falloir créer des instruments de mesure spécifiques ? Peut-on profiter des procédures informatisées ? Quel sera le coût nécessaire en temps de personnel, en matériel pour recueillir les données ?

    Toutes ces questions montrent bien qu'il est utile avant de sélectionner définitivement des indicateurs, de critiquer et de tester les ratios retenus. Dans cette phase de construction du tableau de bord on dira que l'on "casse" les indicateurs, pour signifier que l'on vérifie leur solidité et leur pertinence par rapport aux objectifs. Il s'agit alors d'analyser toutes les interprétations possibles, prévues et imprévues, d'expliciter les hypothèses implicites, et d'essayer de prévoir les détournements d'objectifs. On sait par exemple qu'augmenter le nombre des inscrits dans une bibliothèque ne signifie pas obligatoirement augmenter la lecture. Bien entendu il est indispensable au cours de cette phase d'informer le personnel chargé de l'activité que l'on cherche à évaluer et de l'associer à la discussion.

    Indicateurs et ratios ayant subi avec succès une sévère sélection, il reste à gérer le tableau de bord, c'est-à-dire à se donner les moyens de le tenir régulièrement à jour et de l'exploiter. Ce travail pourrait tout à fait être confié à une personne chargée d'assurer le suivi et la coordination. On n'oubliera pas toutefois qu'un tableau de bord est avant tout lié à un niveau de responsabilités, ce qui signifie que dans des structures centralisées, il serait préférable que chaque unité de gestion en possède le contrôle. Déroger à ce principe pourrait aboutir assez rapidement à faire du tableau de bord un instrument d'évaluation extérieur à l'organisation, alors qu'il doit demeurer avant tout un outil d'auto-évaluation permettant aux bibliothèques de mesurer elles-mêmes le degré de réalisation de leurs objectifs. En ce qui concerne les bibliothèques universitaires par exemple, une des difficultés du groupe test (Amiens, Montpellier, Mulhouse, Nancy, Cujas, Paris VI, Paris X, Paris XI) sera de concilier la notion de canevas unique avec celle d'objectifs spécifiques.

    Il est sans doute encore trop tôt pour établir un bilan même provisoire des effets induits par l'introduction du tableau de bord en termes d'amélioration de la qualité des services ou de modernisation de la gestion des bibliothèques. Ce nouvel outil a fait cependant apparaître la nécessité pour les bibliothécaires de mieux se former aux techniques de gestion: une amélioration dans ce domaine de la formation initiale est souhaitable, mais surtout c'est le développement de la formation permanente qui est tout à fait indispensable. Enfin, la notion de tableau de bord appliquée aux bibliothèques a mis en évidence les faiblesses de notre système statistique actuel: en liaison avec les organismes internationaux (ISO, IFLA) un travail de réflexion et de normalisation serait à entreprendre tant sur les données chiffrées que sur les méthodes de mesure. Certains indicateurs admis au plan international, comme le compte des effectifs en équivalent plein temps (5) , pourraient être sans attendre introduits dès maintenant dans des statistiques françaises.

    1. HEAU (Sylviane). VEZIER (Liliane) - Le contrôle de gestion à la bibliothèque de l'Université de technologie de Compiègne - Compiègne: 1984 - 77 p. retour au texte

    2. CARBONE (Pierre) - Coûts de gestion et tableau de bord - Bulletin des bibliothèques de France, 1986, 31, n° 5, p. 476-479. retour au texte

    3. LOCHARD (Jean) - 2000 mots pour l'entreprise, ... avec la participation de l'Institut Français de Gestion - Paris: les Ed. d'Organisation, 1984. retour au texte

    4. SAIDE (Jean) - Les Indicateurs de gestion - Bulletin de l'ABF, 1er trimestre 1987, n° 134, p. 5-8. retour au texte

    5. Equivalent plein temps (full time equivalent) = cette méthode consiste à compter tous les effectifs en poste à 100 %. Exemple: deux bibliothécaires-adjoints à 50 % seront comptés pour un poste. retour au texte