Index des revues

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    Coup de Beck contre la bibliothèque ?

    Le Débat de janvier-février 1988


    La revue Le Débat éditée par Gallimard consacre la moitié de son numéro de janvier-février 88 aux bibliothèques sous le titre «Sauver les bibliothèques».

    Qu ' on ne s'yy trompe pas , il ne s ' agit pas de dresser un bilan sur la lecture publique ou sur les effets de la décentralisation, mais de se faire l'écho de deux événements - symptômatiques- qui secouèrent la BN à savoir la démission d'A. MIQUEL, son Administrateur Général jusqu'en 1987, et la publication du rapport Beck : des articles donc majoritairement consacrés à la BN et aussi aux BU ou aux bibliothèques de «recherche» dans la mesure où les problèmes que connaît la BN pourraient être analysés en connexion avec les leurs. A tout seigneur tout honneur ! le débat s'ouvre avec une interview d'A. MIQUEL qui, loin de s'étendre sur les motivations de son départ, s'attache à relever quelques problèmes endémiques de la BN et à exposer brièvement les solutions qui lui paraissent viables pour la sauver d'un déclin que le maintien de la situation actuelle ne ferait que rendre inévitabe : le point prioritaire de cette action serait la résolution d'exigences apparemment incompatibles, à savoir une conservation efficace et une communication satisfaisante. Afin de satisfaire à ces exigences, il préconise une opération d'ensilage-reproduction et la multiplication des techniques de microfilmage ou microfichage. Ce projet est à recentrer dans une série de questions fondamentales qui posent l'avenir de la BN : doit-elle encore accueillir l'ensemble de toute la production? quel type de coopération envisager avec les collectivités territoriales, quelle coordination avec d'autres institutions, CNRS ou BU, la place et le développement du prêt inter ? quel avenir pour les départements autres que l'imprimé ? la possibilité d'une résolution des problèmes budgétaires par un relatif auto financement ? l'appel au mécénat privé ? Le type de tutelle souhaitable ? Toutes ces questions de fond sont à comprendre dans une certaine conception de la BN à savoir qu'elle n'est pas une bibliothèque comme les autres mais que sa principale fonction demeure patrimoniale, celle de «la gestion d'une mémoire nationale», c'est pourquoi A. MIQUEL préférerait sans doute la création d'un Ministère du Patrimoine à celle d'un Secrétariat d'Etat aux Bibliothèques.

    Beaucoup plus polémique et souvent même corrosif, d'un ton moins aimable, le rapport Francis Beck au Ministre de la Culture a l'intérêt de proposer une analyse précise des causes du dysfonctionnement de la BN, Le Débat donne l'intégralité de cette partie intitulée «constat», et donne un abrégé des deux autres qui élaborent un plan pour y remédier.

    Sans rien négliger, il passe au crible les différents aspects de la crise de la BN depuis la contradiction entre ses missions ambitieuses jusqu'à son incapacité à les subsumer sous une gestion et un fonctionnement efficaces : qu'il s'agisse de la mise en cause de ses personnels et de leur productivité, de l'ambiance de travail, de l'insuffisante présence de l'autorité de tutelle et du pouvoir fictif de l'Administrateur Général, du gaspillage et de la mauvaise utilisation des crédits - pourtant importants et en hausse ! ! -, du manque de coordination entre les efforts, du cloisonnement des Départements préjudiable à l'Etablissement, des mauvais choix techniques (surtout pour l'informatisation), des doublons de travail etc. : aucun aspect n'est épargné... Plus constructive la partie consacrée aux mesures proposées pour remédier à cet état de fait : priorité est donnée à un recentrage à deux niveaux :

    • recentrage des missions de la BN, autrement dit : délimitation de sa sphère d'activité qui aurait pour unique objet l'écrit ce qui signifie un détachement de certains de ses Départements (exemple : Arts du Spectacle) dont il envisage d'ailleurs le rattachement à d'autres institutions.
    • recentrage à l'intérieur même de l'écrit : le rapporteur s'inscrit en faux contre le principe d'exhaustivité (conjoint à la charge du Dépôt légal) ou «effet de fétichisme» : un tel projet aurait pour conséquence, par une utilisation systématique de la micro-reproduction, de permettre une dissociation géographique des fonctions de conservation et de communication.

    Il propose plusieurs projets de coopération (traitement bibliographique avec le Cercle de la Librairie ou partage du Dépôt légal avec les bibliothèques de Province), ce qui serait rendu possible par un développement des techniques de localisation et d'accès aux documents à distance. Bien évidemment, il s'agit également de revoir la gestion de la BN, de la doter de méthodes de gestion d'entreprise en développant la sous-traitance, la tarification des services rendus, les activités éditoriales, la commerciali sation de ses produits, etc., tout cela sous la tutelle d'une autorité renforcée.

    Tout en affirmant sa fonction de bibliothèque de référence, de bibliothèque patrimoniale, F. Beck propose ni plus ni moins un démantèlement de la BN.

    La publication de ce rapport a suscité de vives réactions tant au sein de la BN qu'à l'extérieur; le Débat a ouvert une sorte de droit de réponse auquel sont conviés en premier lieu les intéressés, un certain nombre de responsables des Départements. S'ils s'accordent généralement à reconnaître la justesse globale des analyses de F. Beck, ils ne manquent point d'en souligner les contradictions internes, les contre-vérités, la partialité, les appréciations erronées ainsi que les effets pervers et ne négligent pas de faire remarquer le souci partisan du rapporteur. Face à ce rapport «accablant», leur réaction n'a pas été de se justifier (ce qui n'aurait servi qu'àà donner de nouvelles armes à F. Beck qui avait eu soin de relever les précédents «alibis») mais de rectifier, nuancer, moduler et finalement adapter ses propositions à la réalité de la BN, qui est leur réalité quotidienne.

    On regrette de ne pas avoir eu le point de vue de l'ensemble du personnel qui aurait sans doute parlé statut, salaire, conditions de travail et embauche.

    Les difficultés que connait la BN seraient imputables, entre autre, au fait qu'elle sert pour beaucoup de recours ultime et de palliatif aux déficiences des bibliothèques universitaires et de recherche (d'où surcharge de la salle de lecture, incapacité à satisfaire les trop nombreuses demandes...)

    Maud ESPEROU attribue les problèmes de ces bibliothèques à leur manque d'unité, à leur différence de statut et, partant, à leur inégalité de moyens, ce qui se traduit par des incohérences de choix et elle en veut pour exemple l'anarchie des politiques informatiques, tout en rappelant le rôle qu'a joué dernièrement l'ABF en faveur d'une révision de ces politiques notamment par une journée d'étude sur le marché des notices bibliographiques (1) . Une autre raison est, selon elle, la division de la Direction des Bibliothèques en 1975.

    Loin de partager ce point de vue et de trouver que 1 ' écartèlement de la tutelle est dommageable, M. GATTEGNO chargé de la Direction du Livre et de la Lecture estime qu'il a évité le danger que les BM ne «s'alignent sur les BU». Tout en constatant la nette progression des BM, il déplore l'état critique des bibliothèques de recherche.

    M. ESPEROU et J. GATTEGNO rappellent qu'il serait opportun de revoir la formation.

    S'intercalant entre les problèmes de la BN et ceux des BU, un projet dû à un universitaire qui souhaite garder l'anonymat d'une «Bibliothèque des Lettres» qui remédierait aux insuffisances de l'une et aux difficultés des autres : cette bibliothèque humaniste et «évolutive s'adresserait à un public d'intellectuels patentés, «toute personne engagée dans une activité d'élaboration et de diffusion du savoir» et assurerait une large représentation de la production étrangère. Ce projet est assorti d'une sorte de fiche technique (collections, locaux, développement...).

    Pour clore ce dossier sur les bibliothèques, le Débat nous propose un entretien avec F. LEOTARD qui fait sien le constat sur l'état des bibliothèques de recherche, rappelant la fonction «dernier recours» de la BN ou de la BPI, les incidences de la séparation des Directions.

    Il suggère le rétablissement d'une structure de coopération sous l'égide du Ministère de la Culture. Tranchant entre les propositions avancées par M. MIQUEL et M. BECK, il opterait pour un recentrage de la BN sur l'écrit, tout en lui conservant sa fonction de bibliothèque de référence et en lui ménageant des possibilités de polyvalence, un second centre de la BN serait aussi à étudier.

    Dans un prochain numéro, le Débat donnera la parole à M. LE ROY LADU-RIE, actuel Administrateur de la Bibliothèque nationale.

    1. Voir les textes des interventions reproduits dans le présent numéro. retour au texte