Le texte ci-dessous imprimé a gardé une forme oratoire que les lecteurs voudront bien excuser.
Avant tout je dois le rappeler, le thème, l'intitulé de notre réunion était volontairement axé sur les personnes : «bibliothécaires, chercheurs, quel dialogue « ? Il s'agissait donc bien de parler d'abord des hommes, des rapports qu'ils ont, qu'ils ont eu, qu'ils pourraient avoir. De ce point de vue les heures que nous avons passées ensemble l'ont montré, cette journée a été une réussite : chacun a pu s'exprimer, lacommunication aeu lieu, les messages sont passés. Désormais bibliothécaires et chercheurs se connaissent davantage. Ils pourront ainsi mieux travailler ensemble. Je le crois, je l'espère.
Venons-en maintenant à des constatations préliminaires, aux divergences qui nous ont opposé aujourd'hui, aux points sur lesquels beaucoup d'entre nous sont tombés d'accord et à une conclusion aussi synthétisante que possible (peut-on parler ainsi je me le demande ?!).
Première constatation qui est une évidence : cette journée a pu avoir lieu devant une assistance fournie et avec la présence de nombreux chercheurs. Ce n'était pas a priori certain et c'est pourquoi je dois féliciter à la fois les organisateurs de cette réunion et tous les participants. Bibliothécaires et chercheurs les deux parties ont été présentes. Il y aquelques années cela n'aurait peut-être pas été le cas.
Deuxième constatation : les chercheurs ne sont plus ce qu'ils étaient ou ce que nous les imaginions : ils savent désormais parce que la documentation est de plus en plus abondante, parce que l'information scientifique et technique s'internationalise et se ramifie, qu'ils ont besoin des bibliothécaires. Il faut encore et toujours trouver les textes, les faits nouveaux relatés ici et là, connaître les inventions, les brevets, obtenir les documents écrits, parlés, visuels. Pour cela rien de plus efficace que le travail du (ou avec le) bibliothécaire.
Troisième constatation. Contrairement à ce que beaucoup de bibliothécaires pensaient, l'intrusion de technologies modernes dans le monde de l'information ne nous a pas éloigné des chercheurs. C'est que presque sans le savoir, nous sommes devenus des spécialistes de ces nouveaux moyens. Comme par ailleurs l'abondance actuelle des produits documentaires ne les a pas rendus plus faciles à obtenir, bibliothécaires et chercheurs se sont rapprochés, les uns appréciant mieux les attentes et les besoins de la recherche, les autres comprenant mieux les problèmes de l'information scientifique et technique, ses difficultés et la valeur ajoutée que lui donne le bibliothécaire qui sait la trouver et la structurer.
Quatrième constatation. La bibliographie elle aussi n'est plus ce qu'elle était. Si la recherche consiste d'abord à rassembler et à sélectionner des informations, à toute recherche correspond alors un besoin de documentation, que certains naguère encore croyaient aisé à résoudre. Aujourd'hui en tout cas ce processus ne peut plus être l'oeuvre d'amateurs, car il s'est beaucoup compliqué. Il faut d'abord discerner dans une masse énorme quelles sont vraiment les informations nécessaires, indispensables et suffisantes au chercheur ; il faut ensuite les trouver, les trier et les acheminer ; il faut enfin les maîtriser pour pouvoir s'en servir. Ainsi il y a eu en quelques années passage d'une conception close de l'information : celle de la bibliographie (soit sélective soit prétendument exhaustive) à une conception ouverte : celle de l'information scientifique et technique dès lors que les centres de documentation que sont les bibliothèques se sont enrichis de nouvelles dimensions : celles du transfert et de la transformation du savoir.
Cinquième constatation. Le chercheur est usager (d'une ou) de plusieurs bibliothèques, et leur principale raison d'être. Ce qui l'intéresse dans nos établissements c'est : a) l'accueil, les renseignements, la signalisation ; b) un accès libre, facile, aisé aux documents qui le concernent : c) la formation qu'il reçoit ; d) l'information qu'il trouve ou qui lui est proposée ; e) la communication rapide du ou des documents supposés valables ; f) ses rapports avec le bibliothécaire ; g) les ressources et l'équipement (de la ou) des bibliothèques qu'il fréquente ou auxquelles il peut avoir accès par la voie de la messagerie, du prêt entre bibliothèques et de la photocopie.
Je crois ici qu'il me faut insister : d'une part sur l'importance de la qualité de l'accueil des usagers à la bibliothèque. Si un chercheur est mal reçu et mal renseigné la première fois où il vient à nous, il est perdu car il en déduit qu'il n'y a rien dans les collections de ce qu'il cherche. Et d'autre part sur un fait évident mais trop souvent encore occulté : le chercheur aime à se sentir chez lui dans la bibliothèque et il n'a cette impression que s'il a libre accès à un très grand nombre de livres sinon à tous et que s'il a un contact direct avec les revues. Et remarquer encore une réalité mieux comprise et acceptée qu'autrefois : il est rare, il est même exceptionnel qu'une bibliothèque contienne tout ce dont le chercheur a besoin, d'où le rôle grandissant que les bibliothécaires jouent et joueront comme intermédiaires pour savoir où se trouve l'information et comment l'obtenir par différents moyens et services: catalogues collectifs, réseaux, serveurs, photocopieurs et télécopieurs, etc.
Sixième constatation. L'information du chercheur ne peut être bonne, fiable, rapide s'il n'a pas été formé pour être un usager des bibliothèques. C'est un fait très grave, encore trop répandu dans notre pays : à cause des lacunes incroyables dans ce domaine de tout notre système éducatif et malgré les efforts considérables de nombreux bibliothécaires et documentalistes des lycées et collèges signalés par un membre de l'assistance, probablement la moitié sinon plus des étudiants, enseignants, chercheurs, ingénieurs, érudits qui franchissent pour la première fois les portes de nos bibliothèques ne savent rien ou presque de leur constitution et de leur usage. Bien plus, très peu de chercheurs connaissent bien les instruments de travail que leur offrent les bibliothèques et beaucoup préfèrent utiliser des sources documentaires parallèles et moins efficaces dont la pratique immédiate est en apparence plus facile. Tant qu'il ne sera pas porté remède à cette situation très dommageable personne d'entre nous chercheur ou bibliothécaire ne pourra être satisfait...
Je disais en commençant que je parlerai aussi des divergences qui nous ont aujourd'hui opposé. Et finalement je vois que ne n'en ai noté aucune ! c'est donc qu'il n'y a pas eu. Tant mieux cela me permet d'en venir enfin aux points sur lesquels nous sommes tombés d'accord et à la conclusion.
Nous avons bien fait en tout cas de ne pas nous épuiser à définir et à délimiter le «chercheur» pas plus que le «bibliothécaire». Une chose est certaine, il y a autant de types de bibliothécaires qu'il y a de variétés de bibliothèques et ces bibliothécaires se trouvent devant des chercheurs multiples et divers qui pensent avant tout aux services que peuvent leur rendre ou non les professionnels de l'information que nous sommes.
D'autre part nous n'avons pas entamé la querelle qui envenimait il y a encore peu de temps des réunions comme celle d'aujourd' hui : faut-il qu'il y ait une bibliothèque centrale, des bibliothèques éclatées, des bibliothèques généralistes, des bibliothèques spécialisées? Nous sommes d'accord : désormais toutes les bibliothèques d'étude et de recherche - la Bibliothèque nationale, les bibliothèques spécialisées, les bibliothèques des universités, des laboratoires, des centres de recherche, les bibliothèques municipales aussi - sont complémentaires et font partie d'un réseau. Peu nous importe les dénominations : il y a de la place pour chacun pourvu qu'il y ait entre les bibliothèques plus que la cohabitation, plus que la coexistence, une véritable coopération et une entente agissante que la télématique et les autres moyens modernes de communication faciliteront de plus en plus.
Mais qui dit réseau dit, nous en sommes d'accord, catalogues collectifs. Comme notre pays, sauf en ce qui concerne les périodiques est très en retard à ce sujet nous avons souhaité (et il faudra le dire) la constitution de catalogues collectifs des livres, de catalogues collectifs thématiques, de catalogues collectifs régionaux.
Encore faut-il que les bibliothèques puissent acheter beaucoup de livres et pour obtenir des crédits, l'appui des chercheurs nous est indispensable. Nous sommes d'accord là-dessus: ce sont les usagers, les enseignants, les chercheurs qui doivent se plaindre, réclamer, exiger de l'Etat, des organismes de tutelle, des décideurs, les moyens indispensables pour les bibliothèques ; ce sont eux qui peuvent les obtenir.
Bibliothèques qui doivent être gérées par un personnel qualifié, plus nombreux et mieux formé qu'il l'est encore. Nous l'avons tous dit aujourd'hui : les bibliothécaires doivent être, en plus de toutes leurs qualités bien connues, gens de communication, de relations humaines.
Bibliothécaires qui doivent gérer des collections mieux adaptées aux besoins des usagers. Pour ce faire, cela a été dit par plusieurs d'entre vous, il est indispensable que nous instaurions une collaboration beaucoup plus étroite et fréquente avec les chercheurs pour le tri des acquisitions à commander, des abonnements à souscrire. Le bibliothécaire doit participer aux instances de choix et d'orientation scientifique de son établissement, il doit être averti et s'informer des recherches en cours (et du contenu et de l'évolution des enseignements lorsqu'il travaille dans une bibliothèque de l'université). La contrepartie s'impose d'elle-même : le chercheur doit être impliqué dans la politique documentaire de l'institution où il travaille.
En conclusion je crois que l'on peut dire que les vieilles idées qui encombraient les relations chercheurs bibliothécaires ont vraiment disparu. Maintenant plus aucun chercheur ne pense que puisqu'il sait retrouver dans l'armoire qui est derrière lui, le livre ou la revue dont il a besoin, il est aisé de se dire bibliothécaire et que ce n'est pas un métier difficile. Plus aucun chercheur ne pense que le bibliothécaire est un vieux grincheux qui n'a jamais chez lui le livre qu'il faudrait ou qui s'il l'a, le cache sous des étiquettes diverses portant des formules alambiquées ou des prétextes futiles.
A ce changement d'opinion je crois que la féminisation de nos effectifs à tous les échelons a beaucoup contribué. Je le dis avec le plus grand sérieux possible : nos collègues du deuxième sexe, bien que parfois gardiennes farouches des lois et règlements, sinon des us et coutumes, sont plus attentives aux souhaits des usagers, plus avenantes et plus amènes. Elles ont de beaucoup amélioré l'image de nos établissements.
Il reste dans notre pays des difficultés d'ordre culturel. Tant que la place des bibliothèques ne sera pas mieux reconnue, tant que tous les élèves de tous les ordres et niveaux d'enseignement ne seront pas des familiers heureux de nos bibliothèques et des usagers habiles des services que nous offrons il restera beaucoup à faire pour nous tous. Et d'abord donner une suite à cette journée, qui doit conduire à d'autres réunions plus spécialisées sans doute et ouvertes à d'autres professions peut-être. C'est en tout cas le voeu que je formule.