C'est comme amour et amours, il est des mots dont le pluriel n'épuise pas toujours le singulier. Qui dit travaux pense plutôt boue, béton, acier et ... verre que travail sous toutes ses formes. Ce qui caractérise aujourd'hui le projet de la Bibliothèque de France au-delà du bruit médiatique et de la fureur, feinte ou réelle, des polémiques, c'est pourtant bien le travail qui dans tous les domaines, au-delà du chantier, de la Bibliothèque Nationale à Tolbiac, de Tolbiac à une cinquantaine de bibliothèques françaises, du concept à la réalisation, se développe sur tous les fronts d'un projet qui dévoile progressivement sa richesse. Une richesse qui se veut partageuse.
Il est inutile de s'attarder ici sur ce qui est largement développé dans les premiers articles de ce bulletin. La Bibliothèque Nationale a entrepris une modernisation à marche forcée en vue du transfert de ses collections à Tolbiac. Les projets et les compétences existaient, il ne manquait que les crédits. L'Etablissement public de la Bibliothèque de France (EPBF) consacrera d'ici 1995 près de 400 millions de francs pour financer les différents chantiers : conversion rétrospective, récolement, suivi de la communication et mise en place de la base Sycomore, élargissement des acquisitions, augmentation considérable des programmes de reproduction, programmes de transfert des documents sonores de la Phonothèque, programmes de conditionnement, préparation du déménagement. Au terme de la convention liant la BN et l'EPBF, en 1991, 64,5 millions de francs auront été dépensés par l'EPBF pour lancer toutes ces opérations.
Au-delà de l'aspect financier, au-delà des effets très spectaculaires de ces opérations sur les services de la Bibliothèque Nationale qui se trouvent brutalement augmentés de nombreux vacataires, ce que ne facilitent pas toujours les locaux actuels, on retiendra surtout la coopération que ces grands chantiers ont permis d'instituer et de développer entre la BN et l'EPBF. Cette coopération qui se traduit par la mise en place de commissions mixtes dans la plupart des secteurs permet de confronter les points de vue des professionnels des deux établissements et de dégager à chaque fois des solutions communes.
Au regard de ce que j'écrivais dans les colonnes de cette revue il y a un an, le programme a été modifié sur un point important. Il s'agit de la place respective des espaces tous publics et des espaces de recherche et de leur articulation.
Le schéma proposé alors, à la suite des réunions d'une quinzaine de groupes de travail, avait retenu un type d'organisation que caractérisait une grande continuité d'accès à l'ensemble des services de la bibliothèque jusqu'au seuil des salles de recherches. La bibliothèque proprement dite offrait :
Cette hypothèse suscita de nombreuses inquiétudes : soit qu'elle ne parût pas offrir toutes les garanties souhaitables pour les chercheurs, soit au contraire qu'elle ne parût pas présenter une proposition susceptible d'attirer un large public vers la bibliothèque. Emmanuel Le Roy Ladurie déclarait à ce sujet dans la revue L'Ane N° 44, p. 54 : " Je crois qu'il est prévu de faire plusieurs salles, des salles de sciences, des salles de sciences économiques, des salles humanités et à chaque fois une salle réelle et une salle populaire. Je préférerais qu'il y ait deux groupes de salles distincts séparés par un mur, avec un sas ".
De son côté, Laure Adler, chargée de mission auprès du Président de la République pour les questions culturelles, s'exprimait ainsi dans la revue Passages, N° 32, p. 47 : " Il y a eu un rapport de l'EPBF au mois de juin qui manquait d'unité. J'ai trouvé que les enjeux démocratiques n'étaient pas assez soulignés [...]. Dans ce rapport, elle (la Bibliothèque de France) devenait une forteresse culturelle qui avait tendance à dissuader les gens d'y venir. Or cette définition de la Bibliothèque de France correspondait à celle d'un potentat et pas à celle d'un public qui normalement n'a pas accès à la lecture. Ce type de lieu doit être un lieu d'appel : vers la lecture, vers la démocratisation et l'égalisation culturelle ".
Le Président de la République, après avoir entendu les uns et les autres, précisait dans une lettre datée du 15 octobre 1990 comment il souhaitait que le problème fût traité. Il écrivait notamment dans cette lettre dont Le Monde a déjà publié de larges extraits :
" Cette bibliothèque est construite pour deux publics également intéressants mais bien distincts, celui des chercheurs et celui de tous les lecteurs qui viendront dans cette bibliothèque trouver information, documentation et culture.
Les chercheurs constituent une élite intellectuelle qui comprend non seulement les universitaires qui fréquentaient antérieurement la Bibliothèque Nationale mais aussi des individus qui ont des projets personnels forts qu'il convient d'encourager. Tous ces chercheurs doivent pouvoir travailler dans d'excellentes conditions de tranquillité et c'est pourquoi j'approuve entièrement que le niveau inférieur, incluant le cloître, leur soit entièrement réservé. La nouveauté résidera dans la possibilité d'utiliser les techniques informatiques les plus modernes [...].
Le grand public doit se sentir chez lui dans cet établissement qui aura été financé par l'ensemble des Français. Les adultes comme les étudiants et les adolescents parcourront facilement le niveau supérieur où ils pourront consulter l'actualité, visiter les expositions et feuilleter les ouvrages qui constituent le fonds commun de notre patrimoine culturel. Les responsables de cette espace exceptionnel auront à coeur non seulement d'accueillir les visiteurs, mais d'inviter à la lecture sous toutes ses formes, de favoriser ainsi le plus largement possible l'accès à la culture ".
A partir de là, certaines idées-forces se dégagèrent au terme de plusieurs mois de réflexions, de consultations, de réunions diverses :
Finalement, la Bibliothèque de France sera, selon l'expression de Jack Lang en juin 1991, lors d'un colloque international sur les grandes bibliothèques : " une bibliothèque de recherche à tous les niveaux ". C'est là que peut résider son originalité dans le paysage français des bibliothèques. Roger Chartier et le conseil scientifique recommandaient également de rechercher une certaine homologie entre les deux niveaux, ce qui fut fait. Ainsi, le niveau tous publics sera-t-il organisé comme le niveau recherche en quatre espaces thématiques :
Chacune de ces salles proposera une offre documentaire à trois volets :
L'unité de gestion de la bibliothèque sera assurée par l'organisation en départements, chacun de ceux-ci gérant les espaces de recherche et les espaces de référence dans son champ thématique. Ce dispositif sera complété au niveau de tous les publics par une salle de lecture de la presse et un espace jeunesse d'initiation au patrimoine.
Cet ensemble proposera 2 345 places réparties entre le niveau supérieur du socle et les grandes mezzanines situées entre le niveau supérieur et le rez-de-jardin.
Quant au rez-de-jardin, il sera entièrement occupé par les espaces de recherche et ne sera donc accessible qu'aux lecteurs munis d'une carte. On y retrouvera, disposés autour du jardin, les quatre départements thématiques, le service des recherches bibliographiques, la réserve et le département de l'image et du son. Cet ensemble offrira 1 850 places dont 300 carrels individuels équipés de postes de lecture assistée par ordinateur. (Voir tableaux p. 18).
On aboutit donc ainsi à une clarification, en particulier des espaces de recherche, de nature à répondre à certaines des critiques ou des craintes qui s'étaient exprimées sur le schéma proposé en juin 1990.
Pour le reste, le programme n'a pas connu de modifications notables, mais toute une série d'affinements qui ont permis de mettre au point le programme détaillé nécessaire au début des travaux. Je dois préciser que durant toute cette période, l'architecte et ses collaborateurs ont joué le jeu d'une parfaite coopération qui a toujours permis de trouver en commun une solution à chacun des problèmes rencontrés. Dans le même esprit, le travail a maintenant démarré pour ce qui concerne l'aménagement des salles tandis que sont lancées les premières études relatives au mobilier et à l'équipement.
Le chantier avance, en dépit des péripéties qu'il a connues cet été du fait de la présence sur un terrain attenant de sans logis, inattendus autant qu'embarrassants, pour la Ville comme pour l'État. La paroi moulée qui ceinture le socle de la bibliothèque et assure son étanchéité est terminée. A l'intérieur du vaste rectangle qu'elle délimite 349 mètres de long sur 169 mètres de large, la terre a été enlevée sur une hauteur de treize mètres. Une visite du chantier donne une idée des dimensions peu communes de la future bibliothèque dont les travaux de gros oeuvre devraient débuter en décembre 1991.
Pendant que s'activent les pelleteuses et que se mettent en place les équipes du gros oeuvre, le travail de conception et, dans certains domaines, de réalisation se poursuit activement au sein de l'EPBF. Il est impossible de citer tous les travaux en cours. On en aura toutefois une idée en prenant connaissance des études lancées en 1991 parle seul département " Bibliothéconomie " et relations avec les bibliothèques auprès de divers bureaux d'étude et sociétés de services
Catalogue
Organisation des collections et accès aux documents
Conservation
Études générales
Réseau
A quoi il convient d'ajouter l'étude en cours sur le déménagement des collections et l'ensemble des chantiers ouverts par le département informatique : conception du système d'information, mise au point des postes de lecture assistée par ordinateur, et par le département de l'image et du son. Il y faudrait plusieurs articles.
Parallèlement au travail de conception qui a ainsi pris toute son ampleur en 1991 - l'année 1992 sera, elle, marquée par le début des réalisations dans divers domaines - l'EPBF a mis en place un programme important d'acquisitions et travaille à la constitution de son réseau.
Le plan d'acquisition de documents qui a été lancé début 1991 est la concrétisation des principes de politique documentaire de la Bibliothèque de France. De 1991 à 1994, cette mise en oeuvre, pilotée par l'Etablissement public de la Bibliothèque de France, s'engage dans trois directions principales : le libreaccès, les acquisitions étrangères et les acquisitions partagées.
Sont en constitution d'importantes collections en libre-accès destinées à donner aux lecteurs le plus large éventail d'outils leur permettant de s'informer et de travailler sur la production intellectuelle de leur pays telle qu'elle s'est enrichie au fil des temps par la confrontation avec d'autres cultures. Ces fonds encyclopédiques représenteront à l'ouverture plus de 600 000 ouvrages et environ 8 000 abonnements de périodiques, ainsi que des microformes, CDROM et banques de données, soit environ 60 % de la capacité finale des salles de lecture. En plus, un accent particulier sera mis sur les champs de la connaissance laissés en friche par la Bibliothèque Nationale depuis le début du siècle, faute de moyens suffisants : sciences et techniques (130 000 volumes, 4 500 abonnements) ; droit, économie et science politique (135 000 volumes, environ 1 500 abonnements).
Cette mission de sélection, commande, catalogage et traitement physique, spécialement confiée à l'Etablissement public de la Bibliothèque de France, a entraîné la mise en place d'une équipe scientifique sur un site provisoire équipé d'un GEAC 9000 pour les opérations de traitement d'ici 1995. Actuellement, 40 000 volumes et 3 500 abonnements sont arrivés. La montée en charge sera accélérée jusqu'en 1994 de façon à atteindre l'objectif prévu.
L'équipe de l'EPBF (environ vingt-cinq personnes en 1991) est aidée dans ses tâches par plusieurs prestataires de service pour les fonctions d'administration, de catalogage, de gestion des stocks.
Parallèlement, la Bibliothèque Nationale a été associée à cet effort et bénéficie de crédits spéciaux pour les acquisitions rétrospectives surtout, mais aussi pour augmenter son volume courant d'ouvrages étrangers en lettres, sciences humaines et sociales, l'EPBF se chargeant de couvrir les nouveaux domaines. Il s'agit pour l'essentiel de titres pointus destinés à la recherche et dévolus aux magasins. Ces crédits devaient permettre l'entrée de 100 000 à 120 000 volumes et 2 000 à 2 500 abonnements supplémentaires de 1990 à 1994.
Enfin, comme la future Bibliothèque de France ne prétend pas à l'exhaustivité dans tous les domaines, elle prévoit de s'associer avec les bibliothèques spécialisées et les bibliothèques détenant des fonds remarquables à Paris et dans les régions pour développer et valoriser de façon concertée les collections. Un plan d'acquisitions partagées pour les documents récents est tout particulièrement à l'étude en 1992 de façon à rationaliser la répartition de la documentation très pointue.
Ces importants chantiers documentaires sont lancés et suivis par la future communauté des usagers de la bibliothèque, qu'il s'agisse d'universitaires ou de bibliothécaires, sollicités régulièrement pour leur compétence dans tel ou tel domaine au sein de commissions spécialisées.
Par ailleurs, les acquisitions de documents audiovisuels ont également commencé en 1991 et atteindront des volumes importants dès 1992.
La Bibliothèque de France ne se prépare pas seulement à Tolbiac. La préparation du catalogue collectif de France et la mise en place de pôles associés sont au cur du projet.
Le catalogue collectif de France
Outre la mise en oeuvre de son propre catalogue, la Bibliothèque de France a' reçu mission de préparer le catalogue collectif national, appelé désormais catalogue collectif de France. La constitution de cet outil bibliographique " qui sera le langage commun de toutes les bibliothèques de France " selon les propres termes du président de la République, suppose la mise en oeuvre de moyens technologiques complexes (informatique, télécommunication) et la mise à disposition des informations bibliographiques les plus intéressantes pour la recherche.
C'est pourquoi la Bibliothèque de France conduit actuellement avec l'aide de sociétés de services la réflexion sur l'architecture technique et sur l'économie générale du futur catalogue collectif de France.
Parallèlement à la conduite de cette réflexion, la Bibliothèque de France a commencé la collecte dans les différents réseaux des bibliothèques françaises, des informations bibliographiques qui constitueront la base du catalogue collectif de France. Cette collecte se fait à partir de deux plans de conversion rétrospective, c'est-à-dire de traduction informatique des catalogues des bibliothèques. Un plan a été élaboré avec la Direction du Livre et de la lecture du Ministère de la Culture. Il concerne les ouvrages anciens, c'est-à-dire imprimés avant 1811. En 1991, la BdF a commencé à prendre en charge de la conversion rétrospective de près de 500 000 notices bibliographiques issues des catalogues des bibliothèques municipales de Besançon, Bordeaux, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy et Nantes. En 1992, elle poursuivra ce programme par la prise en charge de la conversion des catalogues de dix-neuf bibliothèques municipales.
L'autre plan concerne trente bibliothèques de l'enseignement supérieur ; il a été élaboré par la Direction de la programmation et du développement universitaire du Ministère de l'Éducation nationale. Il concerne les bibliothèques qui possèdent plus de 200 000 volumes ou qui assurent la mission de centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique (CADIST). La BdF accompagnera ce plan par une aide financière importante.
Enfin, dès 1992, la Bibliothèque de France se propose d'approcher les bibliothèques qui ne participent pas aux réseaux de l'Éducation nationale ou de la Culture, mais dont les fonds sont intéressants pour la recherche, c'est-à-dire complémentaires de ceux de la Bibliothèque nationale et de ceux des bibliothèques concernées par les plans décrits plus haut.
Ainsi, d'ici 1995, c'est-à-dire d'ici la mise en service de ce catalogue collectif de France, quelque six millions de notices bibliographiques auront été collectées dans différents réseaux des bibliothèques françaises ; elles viendront s'ajouter aux sept millions de notices du catalogue de la Bibliothèque de France, comprenant le catalogue BN-Opale, pour constituer le catalogue collectif de France.
Les pôles associés
Un groupe de travail réuni de janvier à juin 1991 a défini le futur " pôle associé " idéal comme " un ensemble documentaire organisé autour d'un site géographique cohérent, doté de la personnalité juridique et de l'autonomie financière, s'efforçant de développer une spécialisation en renforçant ses collections en harmonie avec celles de la Bibliothèque de France ". Sur les caractéristiques du pôle associé, les modalités de son partenariat avec la Bibliothèque de France, les obligations respectives de l'Etat et des collectivités locales concernées, je renvoie à la lecture du rapport produit par ce groupe et publié par l'EPBF. A partir de cette définition, précisée par de nombreuses réflexions et propositions, le groupe de travail s'est efforcé d'élaborer une procédure de mise en oeuvre susceptible de prendre en compte et d'apprécier à leur juste valeur les diverses candidatures qui continuent de parvenir à la Bibliothèque de France.
Les termes du pari sous-jacent à la mise en oeuvre d'un tel réseau sont les suivants : il s'agit de n'escamoter aucune des possibilités qu'offre le paysage documentaire national dans sa multiplicité et sa variété, tout en évitant la dispersion qui entraînerait le saupoudrage, la débauche inutile d'efforts et en fin de compte, l'échec. A cet égard, la structure du pôle associé, telle que la suggère le rapport, devrait permettre de répondre à cette double exigence.
Cette structure ne peut en effet s'ordonner qu'à partir de deux notions complémentaires, ingrédients indispensables pour la composition des futur pôles associés : la coopération et la volonté politique locale. Dans cette mesure, l'analyse des candidatures déjà parvenues à la Bibliothèque de France nous autorise à distinguer deux types de projets correspondant, dans les grandes lignes, à trois types de sites.
Il existe en effet des sites où la plupart des conditions énoncées dans le rapport sur les pôles associés sont déjà réalisées. Les conditions d'accueil sont suffisantes en termes de surface et de personnel qualifié, la richesse et la variété des collections y sont avérées. On peut ranger dans cette catégorie les sites de Bordeaux, Grenoble, Lyon, Nancy et Nantes.
Tous ces sites ont déjà eu des contacts avec la Bibliothèque de France dans le cadre de l'informatisation en cours de leurs catalogues de fonds anciens. Il leur reste à confirmer leur candidature au rôle de véritable " pôle documentaire associé à la Bibliothèque de France ", et à commencer le long travail de construction du projet, c'est-à-dire d'élaboration des règles techniques, juridiques et financières de coopération entre les divers établissements documentaires qui devraient aboutir à l'élaboration d'un G.I.P. (Groupement d'intérêt public).
Mais on peut aussi parler des nombreux sites où s'élaborent des projets visant à améliorer la politique documentaire à l'échelle d'une région entière, qu'il s'agisse de projets de coopération entre bibliothèques diverses, de projets de construction de médiathèques à rayonnement régional, ou de projets de développement de pôles universitaires européens. On peut ranger sous cette rubrique les sites où la volonté de réaliser ces projets s'exprime de manière très forte ou connaît seulement un début d'expression.
On connaît les projets de construction de médiathèques régionales (Limoges, Poitiers, Rennes, Marseille, Orléans, Reims) ou d'extension de la bibliothèque municipale (Besançon, Dijon). On peut aussi évoquer les projets de pôles universitaires européens de Strasbourg et de Montpellier.
Sur ces différents sites, la volonté locale s'exprime avec force et la réflexion est amorcée. La Bibliothèque de France est d'ores et déjà associée aux premiers travaux de " défrichage ", notamment :
Il faut enfin parler d'un certain nombre de sites dotés d'atouts réels en vue de constituer un futur pôle associé, et géographiquement bien situés pour jouer un rôle fédérateur, mais où la volonté de coopération avec la Bibliothèque de France n'est pas encore affirmée.
Comme on le voit, le paysage est riche, complexe, et les motivations relativement diverses et inégales. C'est pourquoi la procédure suggérée par le rapport sur les pôles associés semble parfaitement adaptée à cette complexité et à cette variété. Elle permettra de prendre en compte chacun des projets, quel que soit son degré de " maturité ", et d'établir ainsi, en toute sérénité, un calendrier de mise en place du réseau des pôles associés à la Bibliothèque de France.
Le degré d'évolution de certains projets cités plus haut est tel qu'on peut envisager d'établir une relation conventionnelle d'ici à la fin de l'année 1991. Comme dans toute démarche de cette envergure, la montée en puissance de ce réseau s'infléchira et évoluera vers le meilleur en prenant en compte au fur et à mesure les acquis de l'expérience.
Après tout, il n'y a là rien d'étonnant s'agissant d'un aussi vaste chantier : les chausse-trapes sont nombreuses, les dangers innombrables. Pour tous ceux que tente l'aventure, le port du casque est obligatoire. On s'en est rendu compte durant l'été et l'automne 1991.
Dominique Perrault, démiurge démasqué, nous aurait joué un bon tour et même plusieurs, quatre exactement. Des tours infernales. L'affaire mérite bien un petit détour.
Tout a commencé en mai 1990 par un article incendiaire dans le Times Literary Supplement. Sous le titre prometteur : " A French folly ", Patrice Higonnet, professeur de civilisation française à Harvard, développe un argumentaire sans concession pour dénoncer la dérive d'une république dont le Président n'hésite pas à nommer un journaliste à la tête d'un projet où se joue le sort de la mémoire nationale et choisit un projet architectural " spectaculairement mauvais " dont les caractéristiques vont, dans un gouffre financier sans fond, exposer le patrimoine aux pires dangers.
Depuis la querelle n'a fait que s'amplifier, traversant fréquemment l'Atlantique, notamment avec un article de Philip D. Leighton paru dans Le Figaro du 15 mai 1991 et dans Le Débat, N° 65, mai 1991 - article aussi définitif que mal informé. Il se trouve que j'avais rencontré Philip Leighton en novembre 1989 lors d'un voyage d'étude à Stanford. Je lui avais alors exposé les grands principes du projet qui venait d'être retenu. Il s'agissait encore d'une esquisse pour un projet qui a depuis beaucoup évolué mais Philip Leighton ne s'était nullement ému à ce moment-là de notre choix. Puis ce fut à nouveau Patrice Higonnet dans Le Figaro des 27 et 29 juillet 1991 qui, cette fois, en appelait à la mobilisation, nationale et internationale, contre le projet.
Cet appel fut entendu. Une lettre ouverte au président de la République, signée par Georges Le Rider, l'ancien Administrateur général de la Bibliothèque Nationale, Patrice Higonnet, Marc Fumaroli et Herman Liebaers, conservateur en chef honoraire de la Bibliothèque Royale de Belgique, a recueilli à l'automne de nombreuses signatures pour demander au chef de l'Etat de revoir le projet. De fait, l'article de M. Le Rider paru dans Le Monde du 10 octobre 1991 montre assez bien qu'au-delà des tours, la démarche entreprise visait d'autres objectifs, peut-être plus importants, sur lesquels nous reviendrons. Il convient auparavant de s'attarder sur ces fameuses tours.
On pourrait croire, à lire les commentaires parus ici et là, que le problème des tours ne s'est révélé que progressivement. C'est vrai pour certains, pas pour tout le monde. Qu'il me soit permis de rappeler quelques faits. En juillet 1989 eut lieu le concours international d'architecture. La réunion du jury, les 24 et 25 juillet, fut précédée par les travaux, durant une semaine, d'une commission technique chargée d'éclairer les choix du jury sur les aspects fonctionnels et techniques de chaque projet. Deux professionnels des bibliothèques siégeaient dans cette commission : Jacqueline Sanson, directeur du prestigieux département des Imprimés à la Bibliothèque Nationale, et moi-même, dont la seule compétence que je puisse faire valoir est d'avoir suivi les constructions de bibliothèques en France et en Europe depuis une vingtaine d'années (sans jamais rencontrer M. Higonnet). Il ne nous a évidemment pas échappé que le projet N° 3 - les projets étaient anonymes - n'était pas immédiatement le plus fonctionnel, " bibliothéconomiquement " parlant, tant en ce qui concerne la sécurité des collections que l'organisation du travail. Nous avons toutefois estimé d'emblée que le projet se présentait assez bien pour accepter des solutions que nous pouvions entrevoir et qu'il restait à étudier. Cela est consigné au procès-verbal de la commission. Mais à aucun moment nos réserves ne nous ont paru suffisantes pour remettre en cause une appréciation d'ensemble extrêmement positive au regard des autres projets. Le jury ne réagit pas autrement, ni le président de la République, ni ensuite la presse. Faut-il inciter à la relecture du Figaro du 10 octobre 1989 qui écrivait à la suite de l'exposition publique des vingt projets : " Dessiné par Dominique Perrault, ce projet est architecturalement très clair et fonctionnellement pertinent. Le choix s'est imposé " ? Sans toute convient-il de garder en mémoire cette unanimité de départ fondée sur la comparaison avec d'autres projets. Car enfin il s'agit d'une bibliothèque, certes, mais aussi d'une réalisation qui va structurer pour les décennies à venir tout un nouveau quartier de la capitale. Il ne suffisait pas que ce projet fût fonctionnel, il ne suffisait même pas qu'il fût esthétique, qualité qui lui fut reconnue entre toutes, encore fallait-il qu'il présentât une intelligence urbanistique dont la plupart des autres projets étaient dépourvus, posés là comme ils eussent pu être posés ailleurs.
Les tours, me direz-vous ? J'y viens. Jacqueline Sanson et moi-même n'avons pas été les seuls à réagir comme nous le fîmes. Un des premiers groupes de travail que je mettais en place à l'automne 1989 était consacré à la conservation, Dominique Jamet et moi-même décidions d'en confier la présidence à Jean-Marie Arnoult, le directeur technique de la Bibliothèque Nationale, connu en France et à l'étranger pour sa compétence et sa rigueur. Jean-Marie Arnoult réunit une équipe d'une douzaine de spécialistes français de la conservation dont deux autres collègues de la Bibliothèque Nationale. Que croyez-vous que firent ces experts lorsqu'ils découvrirent le projet de Perrault ? Qu'ils poussèrent des hauts cris ? Qu'ils démissionnèrent avec fracas ? Non, ils se mirent au travail pour formuler une série de recommandations et d'exigences, à charge pour l'architecte de les prendre en compte. Ce qu'il fit de diverses façons comme nous allons le voir. Étrangement tardif, le stress des tours de certains n'est donc pas survenu dans un désert d'inconscience comme on voudrait le faire croire aujourd'hui pour justifier l'appel à de" vrais spécialistes ".
D'abord le projet a très vite évolué sur deux de ses aspects majeurs : la répartition des magasins, la protection des magasins dans les tours. Au moment du concours, la Bibliothèque de France devait accueillir trois millions de volumes en provenance de la Bibliothèque Nationale et présenter une capacité totale de stockage pour sept millions de volumes. En août 1989, la césure abandonnée, on sut que la totalité des imprimés et des périodiques déménagerait. L'architecte à peine choisi eut donc à modifier son projet pour en porter la capacité à seize millions de volumes. Ce qu'il fit sans difficultés. Il rajouta une ceinture de magasins en sous-sol, à proximité immédiate des salles de lecture. Aujourd'hui, le bâtiment de Dominique Perrault offre une capacité d'environ 400 kilomètres de rayonnages 260 kilomètres de type " compactus " dans les tours et 140 kilomètres de type traditionnel dans le socle. C'est là que seront disposés les ouvrages les plus communiqués et ceux dont la fragilité interdit de leur faire emprunter le système de convoiement automatique prévu dans le bâtiment. Autre modification : le verre. Dominique Perrault avait d'abord envisagé un verre photo-variable constituant en lui-même une protection suffisante contre les rayonnements solaires, les livres étant enfermés dans des containers qui constitueraient autant de boîtes visibles de l'extérieur comme les livres sur les rayons d'une étagère. C'était là une belle image mais c'est une vision que nous n'aurons pas de sitôt. Ce verre n'est pas encore tout à fait au point et coûterait cher ; quant aux containers, s'ils garantissaient une bonne maintenance de température et d'hygrométrie, une fois fermés, ils ne dispensaient pas d'une climatisation générale pour éviter les chocs thermiques à chaque ouverture.
Bref, Dominique Perrault revint à une-solution plus classique : derrière le verre, à 70 centimètres exactement, se trouveront des parois intérieures, mobiles sur la face intérieure des tours où prennent place circulations et bureaux pour pouvoir être actionnées comme des volets, mais solidement jointes entre elles sur la face extérieure, du côté des magasins, lesquels seront séparés des circulations et des bureaux par des murs on ne peut plus traditionnels.
Contrôle de l'atmosphère
Les tours posent deux sortes de problèmes très différents, le premier étant le contrôle de l'atmosphère. Oui, il est prévu de contrôler l'atmosphère des magasins pour y maintenir 180± 1 de température, 55 % ± 5 d'hygrométrie et un contrôle anti-pollution efficace. Les livres qui sont emmagasinés rue de Richelieu ne peuvent même pas imaginer aujourd'hui ce que sera leur nouvelle vie... Le système fonctionnera dans les tours comme dans le socle car il n'existe pas à Paris d'atmosphère naturelle qui satisfasse sans correction à ces conditions draconiennes mais nécessaires.
L'engouement pour les magasins en sous-sol mériterait d'ailleurs d'être nuancé : non seulement le contrôle de l'humidité y est plus difficile (la British Library qui va coûter le même prix que la Bibliothèque de France pour une surface de moitié inférieure en sait quelque chose), or la Bibliothèque de France est à 50 mètres de la Seine, mais le filtrage de l'air et les contrôles anti-pollution y sont infiniment plus coûteux qu'en hauteur, surtout en milieu urbain. Un double système pouvant fonctionner en mode dégradé assurera le maintien des conditions climatiques. C'est ruineux, entend-on dire. Qu'en est-il en réalité ? Les coûts de fonctionnement de la future bibliothèque ne sont pas encore établis de la manière la plus précise tant que ne sont pas arrêtés certains choix politiques comme, par exemple, l'amplitude des horaires d'ouverture. Mais nous en savons assez pour pouvoir avancer ceci : l'exploitation et l'entretien du bâtiment, tous postes confondus, coûtera environ 20 % du coût annuel de fonctionnement de la bibliothèque. Le sixième de ce poste sera consacré aux dépenses d'énergie (3,3 % du coût global de fonctionnement). Un tiers de cette énergie servira au contrôle de l'air et les tours ne sont responsables à ce titre que du quart de la dépense, soit 0,3 % du coût annuel de fonctionnement.
Reste l'argument imparable : ça ne marchera pas, ça tombera en panne. Il est vrai qu'outre Atlantique on imagine encore trop souvent les Français, béret et baguette, s'éclairant à la bougie. Il est vrai qu'en France on se méfie volontiers de la technique. Mais quand il s'agit de systèmes mécaniques aussi éprouvés que le conditionnement d'air dans toutes sortes de bâtiments industriels, civils ou militaires dont les contraintes sont au moins aussi fortes que dans une bibliothèque, on devrait tout de même cesser de monter sur ses grands chevaux philosophiques et sceptiques.
Fonctionnalité
L'autre problème c'est la fonctionnalité. Il concerne d'une part l'acheminement des ouvrages, d'autre part l'organisation et l'exploitation rationnelle de surfaces de magasinage parcellisées verticalement. Le système " Télédoc " sera utilisé pour la transitique des ouvrages : le même système que celui qui transporte douze tonnes de documents par jour au ministère des Finances depuis trois ans. Personne n'a démontré, à ma connaissance, que le convoyage vertical était plus délicat que le convoyage horizontal. En revanche, il est plus rapide dans le sens de la descente, c'est-à-dire dans le sens qui sera utilisé pour acheminer les ouvrages vers les lecteurs. Signalons qu'il faudra exactement douze minutes pour acheminer un document entre le dernier étage d'une tour et son point le plus éloigné dans une salle de lecture. C'est ce qui permet d'annoncer, en rajoutant les temps de manutention, un délai de délivrance des ouvrages entre vingt et trente minutes. Le système de transitique sera partout accessible et pourra donc être réparé rapidement en cas d'incident. Il pourra pendant tout ce temps fonctionner en mode dégradé. Si pourtant il est complètement bloqué, les magasiniers disposeront alors de deux ascenseurs par tour.
Et si les ascenseurs tombent également en panne ? Impossible que les deux soient bloqués en même temps. Les règlements de sécurité, bien plus draconiens en France qu'aux Etats-Unis, sont à l'origine de ce luxe de précautions. Au fait, a-t-on jamais entendu parler d'une tour infernale, d'une tour catastrophe, en France ?
Reste le problème strictement fonctionnel. La parcellisation des surfaces de magasinage n'est pas en soi un problème. Pour des raisons de sécurité, la surface idéale d'une unité de magasinage se situe autour de 300 m2. Or chaque niveau de tour offre, pour les magasins proprement dits, une surface utile de 500 m2qui sera divisée en deux compartiments. Il y a 14 étages de magasins par tour, soit 56 étages de magasins dans les quatre tours. Il est prévu d'installer un magasinier tous les deux étages au maximum, soit en tout 28 agents qui disposeront d'un bureau de 25 m2, attenant aux magasins, en lumière naturelle, où pourront être menés différents travaux d'entretien des collections puisque, grâce à la répartition préalable des ouvrages, la fréquence de communication y sera moindre que dans le socle (c'est le suivi de la communication par le système d'information de la bibliothèque qui donnera les indications nécessaires à la répartition des ouvrages). Bref, il n'est pas sûr que tout cela soit aussi aberrant qu'on a pu le lire ici et là, ce qui ne signifie pas que le système ne puisse encore être perfectionné.
Dans Le Monde du 10 octobre 1991, M. Le Rider ne s'est pas contenté de dénoncer les tours-magasins : " Je ne remets pas en cause les tours elles-mêmes. Puissent-elles être aussi belles qu'on nous le promet. Ce que je demande, c'est qu'on réexamine la destination des espaces du socle. S'ils étaiententièrement attribués à la Bibliothèque Nationale, on y logerait de façon rationnelle, près des lecteurs, l'ensemble de ses collections de livres et de périodiques et l'on disposerait d'assez de place pour les accroissements des décennies à venir. "
Car, précise l'auteur, " dans le projet actuel, la Bibliothèque Nationale ne serait pas seule occupante des lieux, elle partagerait les trois niveaux du socle avec une bibliothèque de lecture publique et une surface d'animation culturelle qui enlèverait au stockage des livres de la Bibliothèque Nationale un nombre très considérable de mètres carrés. "
Ainsi l'objectif est-il clair. L'offensive contre les tours, que l'on voudrait affecter à d'autres institutions que la bibliothèque, se double de la remise en cause de l'un des aspects les plus novateurs du projet. Non pas une bibliothèque de lecture publique comme il est dit volontairement pour entretenir la confusion, mais comme l'écrit Roger Chartier une-bibliothèque où deux types de lectures et d'usages sont articulés sans être confondus. " C'est bien cela qui est insupportable à certains : l'ouverture de la future Bibliothèque Nationale à un public plus large que les seuls chercheurs, à de nouvelles disciplines jusque-là délaissées par la Bibliothèque Nationale, c'est-à-dire l'élargissement de l'accès au patrimoine et à la recherche dont a besoin notre société, à l'instar de ce qui existe en Angleterre et aux États-Unis. Il est vrai qu'en prenant les salles de référence tous publics (13 295 m2), les surfaces d'exposition (1 300 m2) et de colloques (4 460 m2), voire la librairie prévue (450 m2), on récupérerait 19 505 m2, soit un peu moins de 200 kilomètres de rayonnages. La capacité de stockage de la bibliothèque s'en trouverait donc diminuée, la nouvelle Bibliothèque Nationale aurait perdu toute chance de s'étendre et de s'ouvrir, elle ne disposerait d'aucun des outils de rayonnement dont disposent ses consoeurs dans le monde. Mais qu'importe, on aurait évité le pire : " l'invasion " tant redoutée.
Ce n'est assurément pas cette vision des choses qui est à l'origine du projet et qui le demeure. Il ne s'agit pas de construire à côté de la Bibliothèque Nationale une bibliothèque municipale ni même une nouvelle BPI. Un tel projet n'aurait effectivement aucune légitimité. La lecture publique doit être développée à Paris, mais c'est avant tout l'affaire de la Ville. L'État qui a déjà consenti un effort important et exemplaire avec la BPI a aujourd'hui une autre responsabilité : faire en sorte que le premier gisement documentaire de France soit rendu progressivement accessible à un public, plus large que les seuls chercheurs, qui en a objectivement besoin pour des raisons professionnelles ou par intérêt personnel et qui ne peut trouver satisfaction dans les autres bibliothèques. Certes, celles-ci doivent être considérablement-imélio-rées, en particulier les bibliothèques universitaires, mais on ne construit pas des collections en six mois et le rapport d'échelle entre la Bibliothèque Nationale et les autres bibliothèques n'est pas près de s'inverser. D'ailleurs, et pour des raisons identiques, l'existence d'un bon réseau de bibliothèques en Angleterre et aux États-Unis n'empêche pas la British Library (douze millions de volumes) et la Library of Congress (vingt-trois millions de volumes) d'être très fréquentées. Or l'accès à ces deux bibliothèques est totalement libre. Ce n'est pas ce qui est prévu à la Bibliothèque de France à la fois parce qu'il faut protéger au mieux le patrimoine et parce qu'il est légitime d'assurer aux chercheurs les meilleures conditions de travail. Mais l'accès de tous y est néanmoins garanti selon des modalités progressives qui organisent la professionnalisation des lecteurs dans un souci à la fois pédagogique et démocratique.
Nombre de ceux qui critiquent durement le projet sont, volontairement ou non, mal informés. Sans doute la communication de l'EPBF n'est pas celle qu'il voudrait qu'elle fût. Ce ne peut être la seule cause, quand il suffirait d'un coup de téléphone ou d'un courrier pour être renseigné sur tel ou tel point. Ainsi lorsque Patrice Higonnet recommande dans Le Figaro du 29 juillet 1991 la constitution d'un comité des sages qui comprendrait Kenneth Cooper, directeur de la British Library, Klaus Dieter Lehmann, directeur de la Deutsche Bibliothek, Goery Delacote, du planétarium de San-Francisco et James Billing-ton, le directeur de la Bibliothèque du Congrès ; sans doute ignore-t-il que les trois premiers sont membres du conseil scientifique qui se réunit une fois par mois depuis plus d'un an, en toute indépendance, sous la présidence de Roger Chartier.
Mais surtout comment expliquer cette campagne selon laquelle le salut ne saurait venir que de l'étranger ? Depuis quelques mois les démarches se sont multipliées pour qu'on fasse appel à de " vrais spécialistes " qui ne peuvent, semble-t-il, qu'être étrangers. C'est surprenant et offensant. Surprenant car enfin il n'y a aucun exemple de réalisation comparable à l'étranger, ni par la taille, ni par les objectifs - par exemple l'insertion dans un réseau, dimension régulièrement occultée dans les polémiques. C'est bien ce qui dérange et, ne nous y trompons pas, à l'étranger autant qu'en France. La vigueur de la campagne exprime aussi cette irritation : les Français qui avaient tant de retard dans le domaine des bibliothèques et ne pouvaient le plus souvent faire autrement que s'en remettre aux expériences étrangères ont créé depuis quelques années une situation nouvelle, quelque peu exacerbée par le projet de la Bibliothèque de France. Non que nous n'ayons cherché à connaître le meilleur de ce qui se fait à l'étranger : nous l'avons fait et continuons de le faire. Cela a permis de tisser des liens solides avec nos collègues de Londres, de Francfort, de Washing-ton, de New York ou de Montreal. Mais au-delà des conservateurs, le climat est moins bon. Nous aurions pourtant tout à gagner à ce que les susceptibilités laissent la place à de vraies coopérations.
Et puis cette campagne est offensante. Tout se passe comme si, pour certains, les bibliothécaires français n'existaient pas, n'avaient aucun savoir-faire. Ceux qui ont réussi une modernisation spectaculaire des bibliothèques publiques, qui ont su conserver à la Bibliothèque Nationale son rang mondial avec des moyens deux ou cinq fois moindres qu'à Londres ou Washington, qui ont préparé la renaissance annoncée des bibliothèques universitaires, tous ces professionnels compteraient-ils aujourd'hui pour rien ? Leurs compétences et leurs capacités d'expertise ne seraient-elles d'aucun poids dans un projet auquel ils apportent un concours décisif dans les groupes de travail et commissions qui siègent depuis deux ans ?
Tous les avis sont bons à prendre à condition que l'on veuille bien admettre que dans un tel projet, qui n'a pas réellement de précédent, il n'est personne qui puisse se targuer de détenir à lui seul la vérité. Tous les avis sont bons à prendre à condition que l'on sache se fixer de raisonnables limites dans le temps. Faute de quoi nous pourrions bien revivre les aventures qu'a connues la Bibliothèque Nationale au XIXesiècle où il fallut cinquante-sept ans, de 1801 à 1858, pour finalement décider de retenir une localisation et un projet. Si pareille mésaventure devait se produire aujourd'hui, ce serait à coup sûr une catastrophe pour la Bibliothèque Nationale, complètement saturée, et au-delà un terrible manque à gagner pour toutes les bibliothèques françaises.