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Les ressources humaines à la Bibliothèque de France

1991
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    Les ressources humaines à la Bibliothèque de France

    Par Alain Massuard, Chef de projet " études générales " Département Bibliothéconomie et relation avec les bibliothèques

    Les enjeux du projet de la Bibliothèque de France sont nombreux. Il est à craindre que ceux qui restent le nez collé sur les polémiques qui entourent l'avancée de sa mise en oeuvre oublient qu'il n'est pas fait seulement de tours et de magasins, de verre et de béton, de chercheurs autorisés et de grand public plus ou moins toléré.

    Plus discrète que le vrai-faux débat qui accompagne chaque information donnée par l'Établissement public de la Bibliothèque de France, il y a une réflexion et du travail sur le contenu du futur équipement et sur son fonctionnement qui concernent l'ensemble de la profession par les questions qu'ils soulèvent. Une bibliothèque de cette dimension n'existe pas en France ; il y en a peu d'exemples dans le monde. Il est évident que le changement d'échelle entre la Bibliothèque Nationale et la nouvelle bibliothèque aura des conséquences formidables sur ses modes de gestion.

    C'est pourquoi, parmi les enjeux du projet, nous voudrions nous arrêter ici sur celui de l'organisation et du mode de gestion des ressources humaines. Le statut de l'Établissement public de la Bibliothèque de France en fait un établissement public constructeur mais il lui confie une double mission : bâtir la bibliothèque et aussi préparer les conditions d'un bon fonctionnement à l'ouverture en 1995.

    Il nous a semblé utile d'éclairer cette seconde mission, non du point de vue des solutions qui seront apportées aux multiples problèmes que posent à la fois la dimension du bâtiment, l'importance des collections, le flux et la diversité des usagers attendus, l'amplitude des horaires d'ouverture..., mais du point de vue de la méthode adoptée pour mettre successivement tous ces problèmes à plat, définir les principes de leur solution et comment les mettre en oeuvre.

    Dans la période qui a suivi l'annonce de la création de la Bibliothèque de France des groupes de travail ont été mis en place pour baliser le terrain des concepteurs du projet. Ils ont pu ainsi énumérer les problèmes de contenu auxquels les responsables du projet devaient s'attaquer et esquisser les grands principes selon lesquels ils estimaient qu'il était nécessaire de les traiter. Rappelons pour mémoire que c'est dans le cadre de ces groupes réunissant bibliothécaires, intellectuels, chercheurs, spécialistes,... plus de deux cents personnes qui ont accepté de s'associer à un effort de réflexion collectif, qu'ont été traités des thèmes comme la politique documentaire, le catalogue collectif, les publics etc.

    Un schéma d'organisation

    C'est dans ce cadre que la question de l'organisation du travail a d'abord été posée par le groupe de travail " schéma fonctionnel " présidé par l'Inspecteur général Marc Chauveinc. Dans son rapport remis en juin 1990, le groupe préconisait de fonder l'organisation sur 5 grands principes :

    • efficacité
    • responsabilisation
    • décentralisation
    • coordination
    • hiérarchisation

    L'analyse du projet a conduit le groupe à proposer un schéma d'organisation qui repose sur deux éléments structurants de dimension différente, les départements ou les services composés d'équipes d'une taille optimale permettant une gestion efficace des documents et facilitant leur maîtrise par un homme ou un groupe d'hommes.

    Les départements correspondent au découpage thématique des collections autour de quatre grandes unités :

    • philosophie, histoire, sciences de l'homme et de la société ;
    • littérature et art ;
    • sciences politiques, juridiques, économiques ;
    • sciences et techniques.

    Auxquels s'ajoutent :

    • le département de l'image et du son ;
    • le service de recherche bibliographique ;
    • la Réserve.

    Dans la préconisation du groupe de travail, chaque équipe se voit confier la gestion verticale complète d'un domaine disciplinaire en partant des acquisitions jusqu'à la communication aux lecteurs. Le module de base de l'organisation du travail, dans cette hypothèse, serait composé de :

    • une équipe de personnels ;
    • un espace de consultation ;
    • une zone de magasins.

    Une assistance à maîtrise d'ouvrage

    Sur une question aussi primordiale et complexe, l'équipe en charge du projet a souhaité s'entourer de compétences extérieures reconnues dans le domaine de l'organisation du travail et de la gestion des ressources humaines. Comme pour la conception du système d'information, il nous a semblé que ce n'était pas d'une étude dont nous avions besoin mais d'une assistance à maîtrise d'ouvrage. C'est à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) que Dominique Jamet a souhaité confier cette mission.

    L'ANACT est un établissement public créé en 1973 auprès du Ministère du Travail afin d'apporter une aide technique aux différentes composantes de l'entreprise (y compris dans le secteur public) pour " effectuer un diagnostic des conditions de travail, anticiper les enjeux sociaux du changement, mettre en évidence les marges de manoeuvre d'évolution pour une conduite concertée des projets de modernisation et d'amélioration des conditions de travail ".

    L'expérience menée par l'ANACT pour la valorisation des emplois de gardien au Musée du Louvre, l'accompagnement de la modernisation et du transfert du journal le Monde dans ses nouveaux locaux sont autant d'exemples qui nous confortent dans la pertinence de notre choix. L'ANACT a décidé de s'associer la compétence d'un cabinet privé, STRATORG, sur l'ensemble de la conduite du projet, et ponctuellement d'autres consultants, membres de son réseau.

    Le dispositif proposé par l'ANACT et STRATORG vise à associer la Bibliothèque Nationale à chaque étape de nos réflexions, à conduire une concertation avec les partenaires sociaux au fur et à mesure de l'avancée de nos travaux, à sensibiliser et informer les tutelles sur le calendrier de mise en oeuvre de la nouvelle organisation.

    Vignette de l'image.Illustration
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    Un compte à rebours

    Les contraintes de l'échéancier ont justement été à l'origine du planning défini avec l'ANACT. Notre date butoir est celle de l'ouverture dans le premier trimestre 1995. Même si, comme il est probable à cause du déménagement mais aussi pour une bonne maîtrise de la montée en puissance du nouvel équipement, il ne s'agit pas d'un basculement total à un instant T de toutes les ressources et de tous les personnels de la Bibliothèque Nationale vers la Bibliothèque de France, c'est le moment décisif à partir duquel il faut établir un compte à rebours. Les recrutements des personnels qui ne sont pas issus de la Bibliothèque Nationale devront avoir lieu en fin du premier semestre 1994, compte tenu du travail qui sera à faire et des nécessités de formation des personnels nouveaux et de leur adaptation.

    Les équipes opérationnelles, comme l'ont montré aussi bien l'expérience de la B.P.I que celle de la Médiathèque de la Villette, doivent être en place assez longtemps avant l'ouverture. La livraison progressive des locaux devrait permettre qu'elles se constituent dans le courant 1994, de manière diverse selon qu'on a affaire à des départements et services qui s'appuient sur un transfert massif de ressources de la Bibliothèque Nationale, à des services nouveaux (image et son, sciences, nouvelles applications technologiques...) ou aux services fonctionnels (techniques, administratifs et financiers, service du personnel) qui, eux-mêmes devront être en état de marche début 1994 pour assurer la logistique du démarrage.

    L'échéance de 1994 devra être anticipée pour deux catégories de personnels :

    • l'encadrement, qui devrait être désigné avant la constitution des équipes si on veut qu'il participe à ce processus et donc se sente responsable dès le départ de la dynamique de gestion indispensable ;
    • certains spécialistes pour lesquels des formations lourdes sont nécessaires parce qu'ils n'existent pas en quantité suffisante sur le marché du travail ou parce que leur spécialités ne sont pas encore prises en compte par les différents organismes de formation professionnelle (dans les domaines de l'image et du son par exemple).

    Cela implique, à cause des durées des formations, d'obtenir un élargissement du recrutement par concours dès 1992 et 1993. On comprendra qu'il est difficile d'imaginer qu'une politique de recrutement de personnels nouveaux ou de transfert des personnels existants puisse commencer sans qu'aient été définies les règles d'emploi, les règles liées aux conditions de travail et promulgué le statut d'établissement, ce qui impose que cet ensemble soit précisé au plus tard en 1993, au mieux dans le courant 1992.

    Ressources humaines et définition des fonctions

    Comme on le voit, cette remontée du planning de mise en oeuvre des ressources humaines nous ramène à aujourd'hui. Il faut bien entendu aussi le superposer au planning de la construction et à celui de la conception du système d'information à cause des fortes interactions entre les trois.

    En 1991, l'ANACT et l'EPBF ont avancé sur deux fronts : une connaissance fine des ressources humaines disponibles et la mise à plat de l'organisation future du travail. Sur le premier il fallait d'abord se doter d'un outil permettant d'avoir une photographie précise des personnels de la Bibliothèque Nationale. Avec l'accord de celle-ci une base de données a été élaborée, permettant de stocker des données démographiques, sociologiques, de formation et de mobilité sur les agents en poste. Ce fichier, qui a fait l'objet d'une déclaration à la Commission nationale " Informatique et libertés ", est constitué de fiches anonymes correspondant à tous les agents et permettant par extractions successives d'obtenir des pyramides des âges par corps, les niveaux de formation universitaire et professionnelle, un état de la mobilité d'un département à l'autre, bref, tous les éléments qui permettent de mesurer sur quel potentiel humain la Bibliothèque de France peut s'appuyer.

    Il s'agissait là de la connaissance des ressources " internes ", mais il importait aussi d'apprécier les ressources " externes" : quelles sont les filières de formation ? comment peut-on évaluer leurs facteurs d'évolution ? les flux de personnels qui seront formés ? ... quel est l'état du marché du travail ? quels sont les facteurs de mobilité dans chaque " métier " et aussi dans chaque corps ? Une étude, dont les résultats seront bientôt accessibles, a été conduite sur ces questions dans le cadre d'un stage d'un étudiant de l'Institut d'études politiques de Paris.

    Le travail sur l'organisation proprement dite est beaucoup plus complexe. Il fallait repartir des hypothèses formulées par le groupe " Schéma fonctionnel " qui avaient été validées par l'Établissement public de la Bibliothèque de France et en vérifier la pertinence et la possibilité de les mettre en oeuvre. Deux groupes de travail, associant des membres de l'équipe de projet et des collègues de la Bibliothèque Nationale et animés par l'ANACT et STRATORG, ont travaillé parallèlement sur la définition des fonctions qui devraient être prises en charge par les départements et sur le contour des équipes, la définition des tâches quelles devraient accomplir dans l'ensemble de l'organisation.

    Ces deux groupes ne partaient pas de rien. Outre les données de définition du projet qui leur étaient fournies, l'ANACT avait élaboré un document qui énumère les différentes fonctions à mettre en oeuvre pour que la Bibliothèque de France couvre ses missions et les avait chiffrées, fonction par fonction à partir de paramètres calculés sur l'activité actuelle de la Bibliothèque Nationale et sur les mêmes fonctions prises dans d'autres situations de référence. Ce chiffrage est affecté d'un coefficient multiplicateur pour les fonctions liées au service du public pour tenir compte de l'hypothèse d'ouverture au public souhaitée (8 h 00 à 22 h 00, 6 jours par semaine). Ce document ne prétend pas fournir des chiffres absolus et définitifs. Il donne une première idée de l'effectif global - entre 2 000 et 2 200 agents - mais surtout permet de voir où sont les grandes masses fonctionnelles dévoreuses de personnel, le magasinage et le service du public, ce qui permet d'une part d'agir sur les paramètres encore modifiables pour éventuellement changer les ratios qui existent (par exemple en améliorant l'ergonomie du système de transitique pour diminuer les tâches de magasinage ou les rendre plus performantes) ou d'opérer sur les modes d'organisation pour articuler le mieux possible un ensemble de fonctions qui permette à chaque agent d'avoir un emploi qualifiant.

    C'est sur ce point que la méthode d'approche utilisée par l'ANACT et STRATORG nous semble la plus novatrice pour la réflexion sur les ressources humaines dans les bibliothèques. Généralement, nous bibliothécaires, nous avons une approche statutaire de la question des emplois et des personnels. Cela est dû à notre formation, au statut des établissements dans lesquels nous exerçons, au statut des personnels ; peut-être aussi à un certain corporatisme et même à un certain conservatisme. Pour une grande part, je pense que nous manquons des outils nécessaires pour aborder ces questions autrement que dans les termes traditionnels que je caricaturerais volontairement en disant : les conservateurs conservent ; les bibliothécaires cataloguent ; les magasiniers magasinent. Bien sûr des évolutions se sont fait jour ; bien entendu les pratiques changent, mais empiriquement. En nous obligeant à mettre le travail et ses modes d'exercice au centre de nos préoccupations, en nous proposant de réfléchir en termes de fonction, de contours d'emplois qui permettent une meilleure qualification de chacun, une responsabilisation, une polyvalence dans des équipes chargées d'objectifs clairs, l'ANACT nous conduit non seulement à repenser les modes de gestion des bibliothèques mais nous offre une méthode qui interroge jusqu'à l'exercice quotidien des métiers qui sont les nôtres.