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Formation professionnelle des bibliothécaires et enseignement supérieur

1991

    Formation professionnelle des bibliothécaires et enseignement supérieur

    Quelques réflexions sur les évolutions récentes

    Par Alain GLEYZE
    Par Daniel RENOULT, Direction de la Programmation et du Développement Universitaire

    En France, les professionnels jouent un rôle prépondérant dans la formation initiale des bibliothécaires. Jusqu'à une époque très récente, les enseignants permanents de l'Ecole Nationale Supérieure des Bibliothécaires (E.N.S.B.) étaient exclusivement des conservateurs de bibliothèques. Quant aux préparations au Certificat d'Aptitude aux Fonctions de Bibliothécaires (C.A.F.B.) et au concours de bibliothécaire-adjoint, elles reposent encore largement sur les compétences techniques des professionnels des bibliothèques.

    Ces préparations étaient organisées jusqu'en 1987 par des services de formation intégrés dans une vingtaine de bibliothèques. Cette forte intégration entre formations, corporation, pratiques et institutions professionnelles est aujourd'hui en pleine évolution.

    Un décloisonnement nécessaire

    On ne peut bien entendu pas contester l'apport indispensable des professionnels des bibliothèques à des enseignements dont l'un des objectifs est la transmission de connaissances techniques et de savoir-faire. Il est d'ailleurs aisé de vérifier que tous les enseignements de type technique ou professionnel font appel, à des degrés divers, au concours de praticiens. Mais le caractère exclusivement professionnel de ces formations apparaît maintenant comme une étape qui n'aurait probablement pas pu se prolonger sans un risque sérieux de sclérose. Au demeurant, la situation française n'est pas si singulière, et ce cloisonnement a eu ailleurs des conséquences qui ont fini par nuire à la profession elle-même.

    Dans un volume collectif publié en 1987 en hommage à Martha Boaz, Richard K. Gardner, ancien directeur de l'Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l'information de Mont-réal, dressait un constat en forme d'avertissement. Bien que les écoles de bibliothéconomie nord-américaines aient un statut de composantes d'universités, elles ont souvent été perçues par les autres composantes comme des entités isolées, ayant des liens plus fort avec la profession qu'avec leur propre université. Elles utilisaient faiblement les enseignements proposés par d'autres départements universitaires et collaboraient peu avec eux. Ce repliement a eu des conséquences néfastes : leur rôle et leur utilité n'étant pas assez reconnus, elles ont été les premières exposées aux restrictions budgétaires et certaines d'entre elles ont même été supprimées.

    Mais en dehors d'un ancrage institutionnel fort, un véritable rapprochement des formations professionnelles et des formations universitaires offre d'autres avantages essentiels :

    • meilleure perception des formations par les étudiants et par les organisations qui font appel à ces professions ;
    • amélioration de certains enseignements dans des disciplines comme l'informatique appliquée, les sciences sociales, la gestion et le management ;
    • insertion des diplômes professionnels dans les diplômes universitaires, conférant aux premiers une reconnaissance plus large, qui facilite mobilité et reconversions ;
    • meilleure perception des relations entre le champ professionnel et les autres domaines de la connaissance. La plupart des disciplines du cursus professionnel, qu'elles soient fondamentales ou techniques, gagnent en effet à être comprises non comme des micro-spécialités, mais comme des éléments d'un ensemble sur lequel doit s'exercer une véritable réflexion critique.

    Evolutions récentes

    L'évolution de la formation professionnelle des personnels des bibliothèques et de la documentation a été marquée en France par un double mouvement : d'une part la mise en place de diplômes universitaires à caractère professionnel, et d'autre part l'insertion des filières traditionnellement gérées par la profession dans l'enseignement supérieur.

    Un nombre croissant de diplômes universitaires de caractère professionnel sont apparus depuis une vingtaine d'années environ. Rappelons la mise en place progressive des départements "Carrières de l'information" des Instituts Universitaires de Technologie, le premier en 1967 à Toulouse ; puis celle du cycle d'études supérieures en information et en documentation de l'Institut d'études politiques de Paris (1969) ; puis, un an plus tard du diplôme d'université, mention documentation de Paris VIII ; puis enfin de plusieurs D.E.S.S. à Lyon, Grenoble, Besançon, Paris.

    Mais en dépit de leur qualité, et d'un incontestable succès d'estime, peu de ces formations ont gagné la reconnaissance officielle de la corporation des bibliothécaires. Les voies privilégiés d'accès à la profession sont restées les filières gérées directement par la profession. En somme ce premier mouvement de rapprochement entre l'enseignement supérieur et la profession de bibliothécaire s'est traduit par une juxtaposition de formations initiales, plutôt que par une véritable intégration.

    Faisant suite à la création, par arrêté ministériel du 16 juin 1989, du CAPES de documentation, deux arrêtés créant des diplômes universitaires de documentation ont été publiés pendant l'été 1990. Un module d'initiation aux fonctions et aux métiers de la documentation, d'un volume horaire de 125 heures minimum, a été mis en place sous la forme d'une mention nationale de licence (arrêté du 28 août 1990). Ce module, qui fait l'objet d'une habilitation, peut être annexé à toute licence, ce qui fait bien apparaître le caractère pluridisciplinaire de l'activité de documentation. Une maîtrise de sciences de l'information et de la documentation, comportant un minimum de 350 heures d'enseignement, dont 200 heures au moins d'enseignement technico-professionnel et un travail d'étude et de recherche, a été créée par un autre arrêté ministériel du 28 août 1990. Il est encore beaucoup trop tôt pour évoquer ces formations qui viennent à peine de se mettre en place. On peut néanmoins noter qu'elles marquent une étape très importante pour la formation initiale des documentalistes travaillant dans les établissements d'enseignement secondaire.

    L'Insertion progressive des formations professionnelles dans les cursus universitaires. A notre sens, cette évolution plus récente que la précédence (1987) est plus déterminante pour l'ouverture de la profession des bibliothécaires et son décloisonnement que la précédente.

    S'agissant de la formation supérieure, l'E.N.S.B., après un processus de développement et de modernisation de ses enseignements, est passée du statut d'établissement public à caractère administratif à celui d'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel. Ce statut comparable à celui des universités, mais à caractère dérogatoire, fait de l'E.N.S.B. un grand établissement comme l'Ecole Nationale des Chartes (décret n° 90-387 du 10 mai 1990), et modifie en profondeur les conditions de la formation qui n'est plus confiée exclusivement à des conservateurs mais aussi à des enseignants-chercheurs. Formant à la recherche, la nouvelle école a la possibilité de délivrer des diplômes nationaux de troisième cycle (DEA, DESS) en plus de ses diplômes propres. L'évolution des programmes de formation et de recherche est confiée à un Conseil Scientifique. L'ENSSIB - Ecole nationale des sciences de l'information et des bibliothèques - aura pour mission de former les cadres des bibliothèques et des services de documentation de l'Etat, des collectivités territoriales et du secteur privé. Titulaires d'un diplôme de troisième cycle, les conservateurs issus de l'ENSSIB se trouveront désormais dans une situation plus proche de celle des conservateurs allemands et américains, titulaires d'un doctorat.

    Sur le plan de la formation dite moyenne, les vingt trois centres de formation qui avaient été placés auprès des bibliothèques universitaires au cours des décennies 1960 et 1970 ont désormais laissé la place en 1987 et 1988 à des centres de formation aux carrières des bibliothèques, du livre et de la documentation rattachés à une université.

    Afin d'éviter une trop grande dispersion des moyens, les nouveaux centres ont été ramenés au nombre de douze. Ils ont été créés par convention entre le Ministère de l'Education Nationale, le Ministère de la Culture, et généralement une université et une région. Le statut actuel des centres de formation, qui a encore besoin d'être consolidé, est celui d'une composante de l'université dont les missions sont définies par la convention. L'insertion dans l'université devrait leur permettre de développer les liens indispensables avec certains enseignements universitaires de premier cycle professionnalisés, DEUST ou DUT. Sur le plan social, elle permet aussi de faire bénéficier les élèves de ces centres, du statut d'étudiant.

    Cependant, qu'il s'agisse de la formation moyenne ou de la formation supérieure, ce rapprochement entre enseignement supérieur et formation professionnelle place la profession, et notamment les institutions ou les personnes qui la représentent (administrations de tutelle, inspecteurs généraux, professionnels enseignants et membres des jurys, associations professionnelles) dans une situation nouvelle. Il suppose tout d'abord que professionnels et enseignants-chercheurs acceptent de partager la responsabilité de la formation et de mettre en place des dispositifs d'échange d'informations permettant au "terrain" de n'être pas coupé de la recherche, et à la recherche de n'être pas coupée du "terrain". Pour être réussie cette évolution suppose donc que des rapports nouveaux s'instaurent entre les bibliothèques et les organismes de formation et de recherche. L'accès des professionnels à la recherche, le développement de la recherche appliquée, figurent parmi les conditions nécessaires à la fois à une élévation du niveau de qualification des bibliothécaires et à la réussite de cette insertion dans l'enseignement supérieur. Moins directement impliquée dans la formation initiale, la profession devra s'engager davantage dans le domaine de la recherche. Va dans ce sens la participation du Ministère de l'Education Nationale au programme de recherche en information lancé à l'initiative du Ministère de la Recherche et de la Technologie. Ce programme baptisé PARINFO est mis en place pour une durée de 4 ans et sera doté d'une enveloppe budgétaire d'environ 4 MF pour les deux premières années.

    Les trois étapes de la formation professionnelle

    Au moment où se redéfinit la formation professionnelle initiale, un vaste mouvement de recomposition et de développement des professions des bibliothèques et de la documentation touche le fonctionnement des établissements. La croissance rapide des différents types de bibliothèques, la préparation du projet Bibliothèque de France, la diversification des professions de l'information vont modifier assez profondément la typologie traditionnelle des métiers sur laquelle étaient fondés les anciens cursus. De plus l'évolution accélérée des technologies exige un renouvellement permanent des formations permettant d'anticiper l'évolution des pratiques professionnelles. A tous points de vue, il ne peut donc plus y avoir de formations fermées sur elles-mêmes.

    Plaide encore pour une large ouverture, le rapprochement des formations des professionnels des bibliothèques dans le cadre de la Communauté Européenne, dont l'accord de reconnaissance mutuelle par les Etats des diplômes à partir du niveau bac + 3, marque une première phase.

    En réalité, il semble que la formation professionnelle initiale soit arrivée à une troisième étape, synthèse des deux premières. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le métier de bibliothécaire reste identifié à l'érudition. Fondée en 1821, l'Ecole Nationale des Chartes forme avant tout des chercheurs et des savants. A son exemple les écoles de Rome (1884), de Munich (1905), de Leipzig (1914) préparent les spécialistes des archives anciennes. Dans une seconde étape, la croissance des bibliothèques publiques ou universitaires a entraîné la constitution d'un corps de connaissances techniques, qui ont été progressivement reconnues comme telles et intégrées dans la formation professionnelle. A l'initiative des associations professionnelles notamment aux Etats-Unis, et en Grande-Bretagne, la profession a véritablement pris en charge la formation. Aux Etats-Unis, une vingtaine d'écoles se sont ouvertes entre 1887 et 1914. Un peu plus tard l'American Library Association en accréditera une douzaine d'autres. Avec un fort décalage, la France a suivi la même voie : création en 1950 de l'Institut national des techniques de la documentation, en 1963 de l'Ecole nationale supérieure de bibliothécaires.

    La professionnalisation des métiers des bibliothèques et de la documentation étant aujourd'hui chose acquise, il semble nécessaire à nouveau d'intégrer dans la formation professionnelle la dimension culturelle et scientifique. Cet ancrage dans la formation générale que facilite une intégration dans l'enseignement supérieur est d'autant plus nécessaire qu'il n'y a plus d'adéquation simple entre formations et emplois.

    Les formes d'organisation du travail sont à la fois plus complexes et plus changeantes. Le modèle unique du généraliste qui a prévalu dans des cursus de formation à forte dominante technique est probablement une formule dépassée.

    Pour mieux s'intégrer aux métiers du savoir et de la culture auxquels ils appartiennent, les professionnels des bibliothèques doivent éviter de s'enfermer dans leur professionnalisme et dans la technicité de leurs métiers, et s'ouvrir davantage à des savoirs généraux et spécialisés selon les types d'établissement dans lesquels ils travaillent et selon les besoins et les demandes de leur public. Ce souci de l'utilisateur n'est pas nouveau ; il est néanmoins indispensable de le réaffirmer. Le développement de l'informatique facilite en effet la survalorisation du rôle des techniques au détriment des usages. Les formations futures devront avant tout se situer à un haut niveau culturel et scientifique, marquant la priorité donnée aux contenus de connaissance plutôt qu'aux technologies de l'information.