Index des revues

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    • Boisard, Geneviève
      Présentation, p.58-59.
    • Avril, Marie, Boisard, Geneviève, Bourdon, Françoise, Chazal, Mireille, Jouguelet, Suzanne, Moellon, Antonieta, Poitevin, Marie-José, Rey, Jacqueline
      Compte rendus des travaux, p.59-70.
    • Accart, Jean-Philippe, Duchemin, Pierre-Yves, Gascuel, Jacqueline, Rey, Jacqueline
      Moscou 1991, p.71-75.

    Moscou 1991

    Ou comment la Géographie a rendez-vous avec l'Histoire

    Par Pierre-Yves Duchemin, secrétaire de la Section cartothèques et bibliothèques de géographie
    Par J.P. Accart, Centre Hospitalier d'Argenteuil
    Par Jacqueline Rey
    Par Jacqueline Gascuel

    Section des bibliothèques de géographie et cartothèques

    A Brighton, en 1987, on parlait encore de l'attentat contre Margaret Thatcher. En 1988, à Sydney, c'était le bicentenaire de l'Australie. En 1989, l'IFLA fêtait à Paris le bicentenaire de la Révolution française. A Stockholm, nous parvenaient de sombres nouvelles du Moyen-Orient. Qu'allait-il se passer cette année ?

    Il a suffi d'élire pour la première fois un président noir américain pour faire basculer le cours de l'Histoire... Étrange pouvoir de l'IFLA... Qu'en sera-t-il à Delhi en 1992, à Barcelone en 1993 et surtout à Cuba en 1994 et Pékin en 1996 ?

    Quoi qu'il en soit, la 57eConférence de l'IFLA, organisée dans des conditions difficiles par nos collègues soviétiques, fut, en ce qui concerne la Section des cartothèques et bibliothèques de géographie, d'une haute tenue professionnelle. Notre correspondante Natalja Kotelnikova, membre du Comité permanent et directeur du Département de cartographie de la Bibliothèque Lénine joua son rôle d'hôtesse à la perfection en invitant nombre de ses collègues : c'est ainsi que nous avons passé notre semaine de congrès avec 35 cartothécaires soviétiques, brunes aux yeux bridés, blondes aux yeux gris, rousses aux yeux verts venant de Moscou, Kiev, Léningrad (" Now we say " Petersburg ", Piotr Ivanovitch ! "), Tachkent, Mourmansk, Vladivostock et d'ailleurs !

    Tout avait commencé sous les meilleurs auspices : la vision magique et éblouissante de Saint-Basile et la Place Rouge à 1 heure du matin, quelques heures de tourisme dans la ville sous un soleil radieux... et le premier Comité permanent ! Et là... les premières sueurs froides le samedi à 9 heures, la Section se compose de 4 membres ! Nos collègues, peu familiers de l'alphabet cyrillique, se sont tous plus ou moins perdus dans Moscou, qui dans le métro, qui dans le Sovincenter où, par ailleurs, aucun commerçant ne semble savoir que la monnaie locale est le rouble ! Vers 9 h 20, le quorum est atteint (nous devons élire les nouveaux " officers ") et le dernier arrivant s'excuse de son retard vers 1 heures... Malgré un ordre du our quelque peu dans le désordre, la séance de travail se déroule normalement : présentation du nouveau programme à moyen terme 1992-1997 sur lequel nous avons tant travaillé à Stockholm, élection du nouveau bureau, discussion et approbation de la résolution rédigée par le " Malaysian Workshop on maps " qui s'est tenu à Kuala Lumpur du 17 au 21 juin 1991, dont le texte est envoyé au Bureau professionnel de l'IFLA et qui sera publié dans IFLA Express n° 4. La Section a déjà mis en place ce type d'action, notamment à Kingston en Jamaïque et aux Pays-Bas, mais c'est la première fois que ces stages pratiques de formation à la " cartothéconomie " acquièrent une telle résonance.

    Le dimanche, le soleil est toujours aussi présent et, entre deux réunions, c'est l'occasion d'une promenade dans la ville dominée par les sept tours au style " stalino-gothique ".

    Au petit déjeuner du lundi, qui marque le début officiel du Congrès, circule une rumeur folle : Gorbatchev, malade, a laissé le pouvoir à son vice-président ! En ville, tout est calme, des chars circulent, respectueux des feux rouges et des passages cloutés, la population vaque tranquillement à ses occupations. En fin de matinée, le retour à l'hôtel Rossia montre des blindés en position aux carrefours et des groupes qui se forment sur la Place de la Révolution. Pendant le repas, un tintamarre de ferraille nous détourne du caviar dégusté à la petite cuiller : douze chars prennent position sur la Place Rouge et orientent leurs tourelles vers le Kremlin. Brusquement, le temps se couvre et une pluie fine se met à tomber. Pendant la séance inaugurale, N.N. Gubenko, ministre de la Culture, fait un discours courageux et largement applaudi. Nos 35 collègues soviétiques, dont 27 sont aussi étrangères que nous à Moscou, discutent fébrilement dans le hall avant d'aller assister au " Roméo et Juliette " de Prokofiev, interprété par des danseurs, les larmes aux yeux.

    Mardi, il pleut et la Section se retrouve à la Bibliothèque Lénine. Une exposition de cartes des 17eet 18esiècles a été organisée pour nous ; nous aurons, en cadeau, droit à un catalogue bilingue russe-anglais. Nous visitons ensuite la bibliothèque, les magasins, les salles de lecture, les ateliers de restauration, les salles de catalogues pour terminer au Département de cartographie. Plusieurs bureaux, dont un pompeusement baptisé " salle de consultation " : 4 chaises autour d'une grande table, pas de photocopie, pas de photographie (sauf pour l'étranger), seul le calque est autorisé. On nous dit que, avant Gorbatchev, seuls 15 % des collections étaient communicables. On atteint maintenant environ 65 %. Les magasins... rayonnages de bois, les cartes exposées à la poussière sans aucune protection, rangées en magasin selon l'ordre d'entrée. Nos collègues semblent gênées de nous montrer cela, mais elles nous expliquent que la lecture de la résolution du " Malaysian Workshop " leur a donné l'idée de faire la demande officielle de l'organisation d'un tel stage à Moscou et Pétersbourg. La visite se termine par un thé et des pâtisseries russes mais, malgré les efforts de nos hôtesses pour faire bonne figure, le coeur n'y est pas. Le retour à l'hôtel nécessite de longs détours, la Place du Manège, la Place de la Révolution et la Place Rouge sont interdites. A chaque carrefour, des chars noirs de monde, des touristes japonais soucieux de conserver leur effigie entrée dans l'Histoire, des discussions passionnées, une foule épaisse. Visiblement la tension a monté et le dîner de ce mardi soir en apporte une nouvelle preuve : le couvre-feu est décrété à 22 heures et nous avons 17 minutes pour avaler un repas entier, de l'entrée au dessert.

    Mercredi... on apprend qu'on s'est battu devant le Parlement de Russie, il y a eu des morts et des blessés. Un coup de téléphone de Natalja Kotelnikova... elle sanglote au bout du fil, je réussis à comprendre " Don't go... stay with us... we need you ". Partir ? L'Ambassade de France se montre extrêmement rassurante... et nous ne sommes ni scandinaves, ni américains ! Le trajet de l'hôtel Rossia au Sovincenter tient du " City Tour " sous la pluie. Le chauffeur, visiblement tendu, fait des tours et des détours pour éviter les zones stratégiques. Il nous amène finalement à bon port, remercié par des applaudissement fournis.

    A midi, commence notre " paper ses-sion". Natalja Kotelnikova, la voix tremblante, présente sa communication sur " le développement des atlas en URSS ". Vient ensuite celle de Victor Zhukov sur " la carte comme outil de décision ". Nous savons que nos collègues moscovites ont tous un parent ou un ami sur la barricade distante d'environ 500 mètres et de fréquentes ouvertures de porte laissent passage à un bref message rassurant. Nous ne connaîtrons pas la fin de la 3ecommunication sur " la carte, outil social "car vers 13 h 45, une jeune femme au comble de l'excitation entre dans la salle en hurlant quelques mots en russe dont je ne comprends que " Eltsine " ! Une seconde de flottement et nos collègues se jettent dans les bras les unes des autres en riant et pleurant à la fois. Très vite, tous les membres de la Section sont phagocytés par ce maelstrôm de bonheur exacerbé. Les effusions sont sans fin et toutes nous étreignent, nous embrassent. En quelques secondes, la salle est vide et nous nous retrouvons dans le hall déserté, un peu hébétés, ayant encore peine à réaliser. Les 35 soviétiques ont disparu, toutes, sauf Natalja Kotelnikova qui, rayonnante, nous propose un café. Notre programme prévoyait le second Comité permanent de 16 h à 18 h ; nous décidons de le tenir sur-le-champ, dans le petit bureau jouxtant le secrétariat de l'IFLA. Dans une ambiance détendue, nous mettons au point le programme de la Section pour Delhi et jetons les bases de celui de Barcelone.

    Peu avant 16 h 00, la séance est levée et Natalja nous propose un peu de shopping : elle nous conduit, via le métro et un peu de marche, dans le nord-est de la ville. Le soleil est revenu, beaucoup de monde dans les rues. Nous pénétrons, au fond d'une ruelle, dans une librairie où l'on vend des cartes ! De vraies cartes russes, en vente libre ! Aussitôt, Anglais, Suédois, Allemands, Américains et Français achètent des plans topographiques, administratifs, routiers, des fac-similés. Quelques centaines de mètres plus loin, une autre boutique avec d'autres cartes en russe... Chacun achète tout ce qui est disponible ; c'est ainsi que les collections de la BN se sont accrues de 26 documents russes.

    La réception au Kremlin, dont le bien-fondé ne fait plus l'objet de nombreuses discussions, tient ses promesses : un spectacle haut en couleurs où danseurs et musiciens s'en donnent à coeur joie, heureux et libérés d'un cauchemar de trois jours. Dans la salle, la liesse est totale et, sur un coin de table, sont jetées les bases du " Moscow and Petersburg workshop " par Natalja Kotelnikova, le nouveau président du Bureau professionnel de l'IFLA, le Bureau de la Section cartothèques et le représentant de l'UNESCO.

    Jeudi matin...le temps s'est définitivement remis au beau et nos collègues réapparaissent pour notre " full day workshop " qui se déroule au 18eétage de l'Université. Se joignent à nous le président du Comité national de cartographie de l'URSS, le président du Comité national de géodésie de l'URSS, quatre collègues archivistes et une bonne quinzaine d'universitaires. Pour une fois, aucun membre de l'IFLA extérieur à la Section n'assiste à cette réunion. Les communications furent nombreuses et intéressantes, les discussions passionnées. La nécessité du workshop s'imposa encore plus mais une journée n'était pas suffisante. L'après-midi se termina par une visite du musée de l'Université aux 30e, 31eet 32eétages d'une des sept tours de granit qui dominent Moscou.

    Le vendredi, la séance de clôture, malgré de nombreuses absences, fut détendue et le même ministre de la Culture qui nous avait accueillis quelques jours plus tôt, remercia les congressistes pour leur " courage ". Les adieux à nos 35 collègues furent encore l'occasion de nombreuses étreintes... mais ce n'est qu'un au-revoir, la Section reviendra au printemps prochain.

    Section des bibliothèques de sciences biologiques et médicales

    L'atelier de travail réunissant les membres de la section des bibliothèques scientifiques médicales et biologiques de l'IFLA s'est tenu à la BN de Médecine de l'URSS.

    La recherche scientifique en URSS est forte de 1,2 million de physiciens et de 100 000 chercheurs et professeurs. L'élément le plus important de ce système est un réseau de bibliothèques médicales incluant 4 000 bibliothèques spécialisées à différents niveaux.

    La bibliothèque nationale de médecine de l'URSS, appelée plus communément " Soyuzmedinform ", est le centre d'information principal en médecine. C'est une des bibliothèques médicales les plus importantes au monde avec 2,2 millions de volumes ; elle reçoit 1 000 lecteurs par jour et effectue 1,7 million de photocopies par an. En dépendent les bibliothèques scientifiques qui sont réparties en réseau par république, par université et par institut de recherche. Les bibliothèques d'hôpitaux et d'écoles médicales sont les derniers maillons de ce réseau complexe. Cinq mille personnes travaillent pour " Soyuzmedinform ".

    " Soyuzmedinform " gère l'information scientifique. Premier organisme privatisé de l'ère Gorbatchev, sa conception de la diffusion de l'information scientifique a changé : il commercialise son information, cherche à développer son réseau et forme des chercheurs à l'image de ceux de l'Occident. Abonné à 2 000 revues étrangères, il dépouille, organise, indexe 95 % de la littérature médicale soviétique et produit, in fine, sa propre banque de données.

    Cette densité en nombre de bibliothèques scientifiques nécessite un système de transmissions de données effectif et moderne, afin de mettre l'information scientifique à la portée des chercheurs.

    Pour cela, un programme ambitieux a été développé, il passe par :

    • une coopération significative avec le " National Institute of Health " aux États-Unis en ce qui concerne l'échange d'informations scientifiques, avec notamment un programme de transmissions de données par satellite.
    • l'adéquation aux normes technologiques mondiales en vigueur dans le domaine biomédical.
    • la production d'une banque de données scientifiques soviétiques à l'image du " Medline " américain. Elle compte actuellement 85 à 100 000 documents indexés (contre 5 millions de références Medline). Parmi ceux-ci, 60 à 80 000 sont traduits en anglais.

    Plusieurs bulletins et catalogues bibliographiques sont publiés en parallèle avec la production de la banque de données soviétique. Le plus important est l'Index of Current Medical Literature in the USSR, publication hebdomadaire en russe et en anglais.

    Soyuzmedinform a le projet de devenir un des maillons essentiels de l'information technologique et scientifique en URSS et envisage la connexion future de son catalogue avec les catalogues des principales bibliothèques nationales.

    Section formation et enseignement

    Le séminaire sur la formation des bibliothécaires en URSS, était organisé conjointement par la Section formation et enseignement, et la Table Ronde sur la formation professionnelle continue, à l'École supérieure d'État de la Culture, de Moscou. Il nous a permis de nous informer sur les fondements pédagogiques de la bibliothéconomie soviétique, sur le rôle du Conseil fédéral de l'Union soviétique pour la formation professionnelle des bibliothécaires (en anglais " All-Union educational Council on library éducation ") et sur l'organisation de la formation dans quelques républiques.

    L'École supérieure d'État de la Culture de Moscou a été créée en 1930. C'est l'une des 17 Écoles supérieures de la Culture qui forment aux métiers de la culture, aussi bien en cours de jour, du soir que par correspondance. Au sein de cette École, la Faculté de bibliothéconomie assure la formation des bibliothécaires. Il y a 4 000 étudiants, dont 600 nouveaux admis après concours. Les études durent de 4 à 5 ans selon le régime (cours de la journée ou du soir ou par correspondance). Les étudiants sont affectés selon les besoins des bibliothèques ; depuis la perestroïka, un tout petit nombre peut librement choisir son affectation.

    Il y a plusieurs spécialisations :

    • bibliothéconomie et bibliographie, qui conduit à la qualification de " bibliothécaire-bibliographe ", avec un volume horaire de 4 970 heures en 4 ans, dont 2 288 de théorie, 2 182 de pratique et 500 de travail personnel.
    • systèmes d'information pour la qualification d' " informateur et organisateur de services d'information ".
    • études de gestion muséologique et de protection du patrimoine historique et culturel, pour la qualification de " muséologiste ".

    La formation s'attache à donner une formation professionnelle de base commune pour tous les types de bibliothèques. La bibliothéconomie est organisée comme une science sociale ; la lecture est considérée comme un moyen d'éducation communiste et d'élévation du niveau culturel. Les idées de Lénine et de sa propagandiste N.K. Krupskaja ont déterminé les fondements théoriques de la bibliothéconomie soviétique.

    Le Conseil fédéral de la formation professionnelle des bibliothécaires a été créé en 1988 pour coordonner la formation des bibliothécaires, tant au niveau secondaire qu'au niveau supérieur. Il donne des directives aux Écoles supérieures de la Culture, examine le niveau des diplômes et les programmes d'études des écoles secondaires et supérieures, encourage la publication de manuels et les publie, et surtout réorganise les programmes de formation, en application du Plan de réforme de 1988. Il comprend des représentants des Écoles supérieures de la culture, des Ministères de la culture des Républiques, de la Bibliothèque Lénine et bien sûr des enseignants.

    Dans les républiques, chaque région possède son Ecole professionnelle secondaire pour les métiers de la culture ; en Ukraine, par exemple, trois Écoles supérieures (Kharkov, Kiev, Rovno) forment le personnel de haut niveau. Dans le Tadjikistan, on ne forme que les professionnels des bibliothèques d'État, et l'enseignement est dispensé en tadjik et en russe. En Biélorussie, il existe des enseignements spécifiques de langue et littérature biélorusses.

    Le séminaire s'est terminé dans la bonne humeur et la gaieté, après un spectacle donné par les étudiants des arts des spectacles de l'École supérieure.

    Table ronde sur l'histoire des bibliothèques... et incursions impromptues dans l'histoire tout court

    a Bibliothèques d'Europe en 1959

    Deux exposés étaient inscrits au programme de cette Table ronde. Celui de Peter Hoare (Université de Nottingham, Royaume-Uni) était consacré au voyage que V. I. Sobol'scikov, bibliothécaire à la Bibliothèque publique impériale de Saint-Pétersbourg et architecte, effectua en 1859. Chargé d'étudier un projet de nouvelle salle de lecture, il se rendit dans cinq pays (Autriche, Tchécoslovaquie, Allemagne, France et Belgique), pour y visiter les bibliothèques les plus importantes de son temps. Ses visites s'intéressaient naturellement aux bâtiments et à tous leurs aspects techniques (modes de chauffage, d'éclairage naturel et artificiel, etc.) - mais aussi à leur public et à leurs règles de fonctionnement. A Londres, " le miracle du monde érudit ", il admire beaucoup la salle de lecture ronde du British Muséum ; à Paris son admiration va au bâtiment que Henri' Labrouste a construit pour la Bibliothèque Sainte-Geneviève : " tout cela est si frais, si jeune et plein de vie ". La nouvelle salle de Lecture de la Bibliothèque nationale n'en est encore qu'au stade des projets, mais V. I. Sobol'scikov, rencontre H. Labrouste et discute avec lui de ses plans - qu'il reproduit dans son rapport. L'ensemble de ce rapport constitue une source importante pour l'histoire des bibliothèques - et il devrait être prochainement accessible en anglais, grâce à la traduction entreprise par Peter Hoare.

    a Déontologie professionnelle

    Mikhail Afanasjev, Directeur de la Bibliothèque publique Historique de Russie, ne savait pas vraiment de quelle brûlante actualité serait sa communication, lorsqu'il en avait choisi le thème : " Dynamiques sociales et doctrine de la bibliothèque : les bibliothèques russes dans les grands tournants de l'histoire : 1905, 1917, 1989 ". En ce lundi, premier jour de résistance au putsch, Mikhail Afanasjev ne pouvait qu'insister sur l'idée que les leçons de l'histoire devaient aider les bibliothécaires, " à garder la tête hors de l'eau en cette période de tempête ". Le deuxième objectif de cet exposé était de mesurer si la déontologie professionnelle est stable (ou instable) quel que soit l'environnement social. Il semblerait que le système de normes et de valeurs professionnelles soit une structure stable (une tradition professionnelle) qui influence l'évaluation que fait le bibliothécaire du phénomène social, si bien que la réaction des bibliothécaires face aux bouleversements sociaux et politiques diffère de celle des autres groupes professionnels.

    En 1905, les bibliothèques, créées par l'intelligentsia pour l'éducation du peuple, ont développé une déontologie qui s'articule autour de trois principes :

    • la bibliothèque est l'école des masses populaires et le bibliothécaire un professeur pour adultes ;
    • la bibliothèque est gardienne des valeurs culturelles et, par conséquent conservatrice au bon sens du terme ;
    • les bibliothécaires constituent une corporation qui tend à considérer ses principes professionnels comme des catégories morales.

    Les mouvements révolutionnaires de 1905 vont perturber la vie des bibliothèques et comme l'exprime un rapport de la Bibliothèque publique de Voronej " 1905 et 1906 furent riches de la manifestation des forces publiques en faveur d'un large mouvement de libération, mais elles détournèrent les forces de l'intelligence du travail culturel quotidien... Cependant pour ceux qui connaissent tant soit peu le travail des bibliothèques, il est clair que les choses ne peuvent pas aller d'elles-mêmes... et que ce travail doit constituer la première étape de la grande cause du mouvement de libération de la mère patrie ".

    En mars 1917, après l'abdication de Nicolas II, l'Association des bibliothécaires russes adopte une motion qui précise notamment que la tâche de la bibliothèque est de " préparer la nation à la démocratie " mais qu'elle se doit " d'être en dehors de tout parti ", ce qui ne l'empêche pas de collaborer avec toutes les associations - y compris les partis politiques. En octobre 1917, les bibliothécaires ne semblent pas avoir réagi à un certain nombre de mesures prises par le pouvoir des Soviets : rétablissement de la censure, interdiction de la parution d'un grand nombre de périodiques, saisies de bibliothèques privées... En 1918, le Bureau de l'Association des bibliothécaires russes déclare aux bibliothécaires : " Nous ne savons pas comment les événements vont se développer ni quel sort attend la Russie. Nous pouvons avoir, et nous avons, des vues différentes sur nos tâches sociales et nos responsabilités civiques dans ces jours difficiles ; mais nous savons au moins que, maintenant comme dans le futur, la Russie a un impérieux besoin d'éducation des masses populaires, d'éducation culturelle de la nation ". Le pouvoir des Soviets, en l'un de ses slogans, a promu une intense activité d'éducation parmi le peuple, ce qui coïncide totalement avec la vocation professionnelle des bibliothécaires. La Révolution a éveillé un intérêt pour la politique et la culture parmi les masses, le nouveau lecteur arrive (travailleurs, enfants). Dans ces conditions le bibliothécaire se sent nécessaire à la société.

    Mais les choses vont évoluer rapidement dans les années 20 - et les années 30 voient arriver une nouvelle génération de bibliothécaires : d'origine ouvrière ou paysane, de faible niveau scolaire, il est " par profession, un soldat de l'Armée rouge " - c'est-à-dire qu'il se reconnaît comme un propagandiste actif de l'idéologie communiste.

    Et pourtant perdure un certain nombre de traits communs de l'idéologie des bibliothécaires :

    • la conscience de leur mission auprès des lecteurs ;
    • le corporatisme (bien qu'il faille attendre 1990 pour que se recrée une association de bibliothécaires) ;
    • la conception du rôle de la bibliothèque dans le domaine culturel ;
    • le traditionalisme.

    1989, l'époque de la pérestroïka place les bibliothèques face à certain nombre de réalités : suppression du monopole idéologique du parti communiste et apparition d'idéologies alternatives ; nouvelles conditions de propagation des informations et des idées ; aggravation des antagonismes nationalistes et des conditions économiques. Mais à une première période d'enthousiame semble succéder une certaine morosité, surtout dans les petits établissements,...

    Mikhail Afanasjev conclut son intervention en notant que l'idéologie professionnelle des bibliothécaires influence leur perception des événements politiques ; qu'en toutes circonstances les bibliothécaires sont enclins à une certaine loyauté envers les autorités ; qu'une nouvelle période commence dans la vie professionnelle des travailleurs des bibliothèques de son pays.

    Dans la rue

    Comment ne pas être tenté, au sortir de cet exposé, d'aller voir ce qui se passait dans la rue ? Les communications de l'IFLA sont toutes publiées et peuvent être lues à tête reposée ; le mouvement qui était en marche était peut-être la réponse à un certain découragement de nos collègues soviétiques. Ce que confirmait trois jours plus tard la joie qui éclatait sur tous les visages, à la réception organisée à la Bibliothèque publique Historique de Russie, cependant qu'un feu d'artifice illuminait le ciel de Moscou et que la statue de Dzerjinski n'en finissait pas de tomber.