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Pour sourire ou pour rêver en attendant le congrès

1994
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    Pour sourire ou pour rêver en attendant le congrès

    Définitions du métier de bibliothécaire


    Le congrès de Vichy a pour thème Bibliothécaire : quel métier ? En attendant d'écouter de savantes communications, de participer aux débats ou d'en lire les comptes rendus dans le n° 164 du Bulletin d'informations de l'ABF, les membres de I'Abf pourront relire avec plaisir l'ouvrage d'Anne-Marie Chaintreau et Renée Lemaître, Drôles de bibliothèques (1) Plein d'humour et d'érudition, ce recueil dessine l'image du bibliothécaire, vu par la littérature et le cinéma. Mais il nous semble qu'une lecture rétrospective de quelques textes de professionnels des bibliothèques - et tout particulièrement de ceux que l'on trouve dans les premières publications de l'ABF - pouvait aussi calmer notre impatience et nous mettre en appétit pour le prochain congrès. Le ton y est, tour à tour, ambitieux, satirique, grave, poétique aussi parfois. A vous de choisir votre image...

    1. On a dit d'un bibliothécaire ignorant que c'est un eunuque à qui on avait donné à garder le sérail. (Trévoux, 1771.)

    2. J'assimile le bibliothécaire à un artiste. Or l'artiste connaît son art, sans qu'un livre le lui montre : car il le connaît d'instinct, ou par coeur comme on dit. (François-Marie Foisy, surnuméraire au Département des imprimés de la Bibliothèque royale, 1839 - cité dans Histoire des bibliothèques françaises, t. III, p. 148.)

    3. Napoléon aurait sans doute fait un excellent bibliothécaire, si les circonstances n'avaient orienté sa carrière vers des activités moins pacifiques. Du bibliothécaire, il possédait quelques-unes des qualités qu'on s'accorde généralement à reconnaître à cette profession : l'amour de l'ordre, la clarté d'esprit, la précision poussée parfois jusqu'à la minutie. Les idées dans son cerveau n'étaient-elles pas classées comme sur les rayons d'une bibliothèque, et pour s'y plus facilement reconnaître, n'avait-il pas fait établir des livrets aide-mémoire qui servaient en quelque sorte de catalogue ou d'inventaire? («Napoléon et les bibliothèques Histoire des bibliothèques françaises, t. III, p. 122)

    4. L'accroissement rapide des collections publiques, les exigences légitimes des lecteurs [...], l'organisation nouvelle donnée depuis quelques années aux bibliothèques de l'enseignement supérieur, les modifications récemment introduites dans le recrutement du personnel des grandes bibliothèques, tout concourt à donner un caractère plus technique aux fonctions de bibliothécaire, à transformer partout en profession véritable ce qui précédemment, dans bien des cas, n'était que l'accessoire d'occupations littéraires ou scientifiques. Il est devenu indispensable [...] de posséder, indépendamment d'une culture générale et de la connaissance particulière du dépôt dont [on] doit s'occuper, des notions précises sur les méthodes et les moyens pratiques qui sont en usage pour conserver, classer, décrire et mettre à la disposition du public les livres et les manuscrits. Or, ces connaissances techniques, qui embrassent ce qu'on appelle la bibliographie et la bibliothéconomie forment une sorte de domaine commun sur lequel tous les bibliothécaires de profession pourraient se rapprocher. (Charles Mortet, Revue des bibliothèques, 1891.)

    5. Qu'elles soient supérieures, secondaires ou populaires, scientifiques ou littéraires, universelles ou spéciales, elles [les bibliothèques] exigent pour être administrées un certain nombre de connaissances et de qualités communes ; il faut toujours savoir chercher, acheter, cataloguer les livres, être au courant des divers systèmes de mise en place et de catalogage, être familier avec les mille petites difficultés de la pratique. Il faut encore aimer à donner des renseignements, avoir une curiosité assez large et un esprit assez ouvert pour sympathiser à toute recherche, être à même d'accueillir et de satisfaire les demandes les plus diverses. La profession de bibliothécaire réclame donc toujours et partout de celui qui veut l'exercer convenablement un certain minimum de compétence technique et de culture générale.

    Puisque le caractère des bibliothèques est déjà très varié et qu'il devra se diversifier davantage encore pour répondre à tous les besoins, il est clair que le bibliothécaire devra posséder, en outre de sa compétence technique et de sa culture générale, une formation particulière en rapport avec la nature de l'établissement auquel il est préposé. Il faut donc un bibliothécaire ayant une formation scientifique dans une bibliothèque scientifique, un bibliothécaire ayant une formation littéraire dans une bibliothèque littéraire, un géographe dans une bibliothèque de géographie, un juriste dans une faculté de droit, etc. L'idée est tellement simple qu'il est inutile d'insister. [...]

    Mais le bibliothécaire en tant que tel, dans quelque établissement que ce soit, n'est pas chargé d'une fonction scientifique : il n'a pas à faire faire de nouveaux progrès à quelque science que ce soit, ni à enseigner quelque science que ce soit ; il n'est pas davantage poète, artiste ou historien, il est bibliothécaire tout uniment, c'est-à-dire qu'il a à mettre à la disposition d'autrui les richesses intellectuelles dont il a la garde et qu'il doit développer selon le caractère propre de sa bibliothèque. Pour cette tâche, certes, il a besoin très souvent de connaissances scientifiques ; il a besoin plus encore de cet esprit scientifique qui consiste essentiellement dans le sens de la vérité, de l'exactitude, de l'ordre, de la méthode. Il pourra arriver, par exemple, s'il a à rédiger un catalogue de manuscrits anciens, qu'il apporte des contributions à la science, mais même en ce cas sa tâche demeure distincte de celle du savant. [...] De même dans une bibliothèque littéraire, le bibliothécaire devra connaître les mérites respectifs de tels écrivains célèbres, mais comme bibliothécaire, il n'a ni à les lire intégralement ni à augmenter leur nombre par ses propres écrits.

    Cela veut-il dire que par un abus contraire à celui qui s'est produit maintes fois et qui n'a d'ailleurs pas encore disparu, il faille interdire au bibliothécaire la culture des lettres, des sciences et des arts ? Non, certes, et il est au contraire grandement digne d'encouragements le bibliothécaire qui sait unir l'exercice consciencieux de sa profession à des travaux personnels; il garde ainsi l'ouverture et la souplesse d'esprit nécessaires au bibliothécaire ; il se préserve de la routine professionnelle ; il sait dominer les exigences de son métier au lieu de s'y asservir. Il faut seulement que les deux tâches soient nettement distinguées, et qu'il y ait temps pour chacune. (Charles Sustrac, Le bibliothécaire doit-il être un savant ? Bulletin de l'Association des bibliothécaires français, janvier-février 1908.)

    6. Il faut un personnel neuf. En dehors de quelques connaissances de bibliophilie, on ne demande pas grand-chose actuellement aux bibliothécaires, et leur métier est singulièrement ravalé. Aucune initiative, aucun droit de choix de livres, aucun devoir de conseil au public. Je sais des exceptions et de nobles efforts, mais la théorie est ouvertement professée dans de grandes bibliothèques actuelles, que le rôle du bibliothécaire est entièrement passif, qu'il se soumet - indifféremment à toutes les disciplines », donne les livres qu'on lui demande, et enfile les notices de ses catalogues, toutes semblables quelle que soit l'importance de l'oeuvre.

    L'agent d'une librairie publique a un rôle tout autre, et pour les librarians américains, qui ont fait de la library une des grandes institutions de l'État, le mot apostolat n'est point exagéré. Il faut exciter sans cesse le public, le fournir de renseignements de toute sorte, chercher pour lui, non dans d'insipides catalogues, mais en place, les volumes ou documents les plus utiles, suivre l'actualité, dresser à chaque moment l'état des ressources de la librairie sur les sujets les plus divers : une guerre, des tarifs douaniers, une loi sociale, une invention nouvelle... Il faut donc lire les livres? - Et même les comprendre !

    Si même un bibliothécaire instruit n'était pas utile à la nation par les ressources qu'il sait mettre aux mains du public je dirai ceci : une bibliothèque publique offre à ceux qui y vivent des ressources uniques de travail. Quelle que soit l'obligeance du personnel, la perfection des catalogues, nul ne trouve dans une bibliothèque les commodités qu'y trouve naturellement le personnel qui doit y vivre... je dis qu'il est indécent de choisir ce personnel de telle sorte qu'aucun profit ne soit tiré ni pour lui ni pour le public de faveurs si exceptionnelles. Venir vivre parmi les livres sans en avoir le goût, sans en pouvoir tirer d'autre avantage que le piètre appointement d'un fonctionnaire de second ordre n'est pas seulement renoncer sottement aux profits plus grands des métiers ordinaires, c'est un gâchis analogue à celui de ces barbares qui, dans la Rome antique, prenaient le marbre des statues pour pierres de bâtiments. (Eugène Morel, la Librairie publique, p. 271, 1910.)

    7. Parce qu'elles [les bibliothèques] contiennent tout le passé, elles contiennent encore tout l'avenir ; parce qu'on s'efforce d'y conserver l'acquis de la pensée, on y enferme encore le possible de l'action. Comme au château de la Belle au bois dormant, toujours quelque princesse invisible attend un libérateur. Elle s'est endormie en feuilletant une vieille histoire étrangement illustrée de licornes et d'alérions (2) ; le livre est ouvert sur ses genoux, les yeux sont clos, et sous son corsage aux ramages fanés son coeur a cessé de battre. Quelques débonnaires dragons - ce sont les bibliothécaires - gardent ce trésor, et le plus humble lecteur peut à son insu être un prince charmant qui vient réveiller la jeune belle endormie. (Henri Michel, conservateur à la bibliothèque municipale d'Amiens, dans Association des bibliothécaires français, Bibliothèques, livres et librairies, [T. 1], p. 172. - Rivière, 1912.)

    8. Eh bien voici le point où je vois surgir la nouvelle mission du bibliothécaire, incomparablement plus que toutes les précédentes. Jusqu'à présent le bibliothécaire s'est occupé principalement du livre comme d'une chose, d'un objet matériel. Mais à partir d'aujourd'hui, il lui faudra prêter attention aux livres comme fonction vivante. Il aura à exercer la police du livre. Il lui faudra devenir dompteur du livre en furie. [...] Il y a déjà trop de livres. [...] J'imagine le bibliothécaire comme un filtre interposé entre l'homme et le torrent des livres. (Ortega y Gasset, Discours inaugural du 2e congrès international des bibliothécaires et de bibliographie, Madrid, 1935 (3) .)

    9. Un bibliothécaire n'est pas un distributeur de livres. Il doit être un conseiller de lectures. Pour bien remplir ce rôle, sans prétendre imposer son goût ni ses idées, des connaissances techniques ne suffisent pas. Il faut un sens psychologique averti et beaucoup de sympathie pour les lecteurs. (Henri Vendel, intervention au 2econgrès international des bibliothécaires et de bibliographie, Madrid, 1935.)

    10. Le métier de bibliothécaire n'est pas comme le veut la légende un métier de vieux messieurs à calotte grecque, c'est un métier de conquérant. (Henri Vendel cité par Henri Comte, les Bibliothèques publiques en France.)

    11. Parce qu'il est l'oeuvre d'un bibliothécaire qui - chose rare - regarde du côté des lecteurs, [ce Manuel] fait apparaître les vertus du parfait bibliothécaire : la curiosité, cette - curiosité vorace -, qui faisait l'autorité d'un Lucien Herr, l'aménité qui accueille toutes les questions avec bienveillance, la vocation du pédagogue qui veut élever le niveau des lecteurs parce qu'il croit à la vertu d'éducation du livre bien choisi. (Pol Neveux et Charles Schmidt, préface au Manuel pratique du bibliothécaire, de Léo Crozet, 1937.) Le bibliothécaire se considérera, non seulement comme un simple conservateur de livres (fonction qui n'exige que de l'attention et l'application stricte de règlements partout identiques), mais comme un centre de documentation universelle, un directeur d'études et, vis-à-vis de jeunes gens, un promoteur de vocation. (Léo Crozet, Manuel pratique du bibliothécaire, 1937.)

    12. Un hebdomadaire, considéré comme sérieux [le Figaro du 20 juin 1959], risquait, il y a quelques mois, au cours d'un reportage sur les ordinateurs à « mémoire électrique, l'affirmation suivante : « L'électronique, science-miracle, prévoit l'instant où la Bibliothèque nationale tiendra sur 6 centimètres carrés. Si les collections d'un tel organisme sont destinées à tenir un jour prochain dans une boîte, que penser de l'espace nécessaire alors à une bibliothèque de quartier? Et quel pourrait être dans de telles conditions le rôle de bibliothécaire? (Jacques Lethève, La profession de bibliothécaire est-elle menacée de disparaître ? », Bulletin d'informations de l'ABF, juin 1960.)

    13. Pour terminer, nous rappellerons qu'en ces dernières années on a cherché à déterminer, à l'aide de la statistique, quelle était la durée moyenne de vie des bibliothécaires. Cornelius Walford a fait à ce sujet une conférence à la réunion mensuelle des bibliothécaires anglais sous le titre de : "On the Longevity of Librarians". [...] Ses conclusions basées sur des données fournies uniquement pour la Grande-Bretagne (il n'en avait aucune pour les autres pays) sont rassurantes (4) . (Arnim Graesel, Manuel de bibliothéconomie, traduction de Jules Laude, 1897.)

    1. Deuxième édition revue et augmentée. - Paris: Éd. du Cercle de la Librairie, 1993. retour au texte

    2. Grande espèce d'aigle, terme utilisé en héraldique. retour au texte

    3. Ce discours, prononcé en français, a connu plusieurs éditions... il mériterait d'être plus longuement cité, et analysé. retour au texte

    4. Ouf! Mais ne faudrait-il pas actualiser ces données ? Un beau sujet de DESS. retour au texte