Index des revues

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    Le bibliographe mène l'enquête

    Par Nicole Bellier , Bibliothèque nationale de France

    Je pense que pour la plupart des lec- teurs et a fortiori pour les spécia- listes du PIB, PEB et autre Prêt-inter, ce texte enfonce des portes ouvertes, mais il est quelquefois bon de rappeler les évidences. Chacun pourra sourire ou se sentir moins isolé en reconnais- sant ses problèmes quotidiens. Et que l'on me pardonne si j'en ai oublié quel- ques-uns !

    Le prêt est le dernier recours du lecteur lorsqu'il est persuadé d'avoir épuisé toutes les ressources du catalogue de votre bibliothèque et l'on ne dira jamais assez la nécessité et l'importance de l'entretien à avoir avec lui pour mieux cerner sa demande et l'orienter au be- soin vers de nouvelles pistes de re- cherche. Il fut un temps, avant l'implan- tation des CD-ROM en libre accès, où l'interrogation des bases de données en ligne était faite par un bibliothécaire qui avait pris le temps, étant donné le coût de la connexion, de définir longuement avec le lecteur tous les paramètres né- cessaires pour éviter " bruits et « si- lences ». Le même temps devrait pou- voir être accordé à tous les lecteurs dont la recherche a été infructueuse. Ils ne représentent tout de même heureu- sement qu'une faible partie des usa- gers !

    Et à l'occasion de cet entretien il faudra garder à l'esprit ce que j'appellerai les deux règles d'or du prêt : ne pas faire une confiance absolue au lecteur, ne pas considérer les références biblio- graphiques comme « écrits d'évangile ».

    La parole du lecteur

    Il faut avouer que les strates déposées dans nos fichiers par les normes suc- cessives de catalogage sont souvent mal signalées et donc peu intelligibles pour un non-initié. Nous fabriquons parfois des outils plus en fonction de notre op- tique professionnelle que des besoins réels de l'utilisateur et devons alors, vo- lens nolens, servir d'intermédiaire. La première chose à faire est donc de re- commencer soi-même la recherche.

    Je me souviendrai longtemps de ce lec- teur qui s'étonnait de pas trouver la no- tice d'une revue dont il avait en main le numéro 5. La page de titre portait Bulletin de la Société xxx et la couver- ture Société xxx. Bulletin. Un simple détour par le fichier des collectivités lui aurait permis de trouver son titre à Bulletin-Société XXX. Mais devant son air effaré quand je lui donnai cette in- dication, j'ai été saisie d'un doute sur l'image qu'il se faisait de la profession en général et de moi en particulier.

    Tel autre a pu consulter un catalogue imprimé dont il ignore les règles de ré- daction. Combien de personnes se contentent-elles de consulter le Catalo- gue collectif des périodiques du début du XVIIesiècle à 1939 conservés dans les bibliothèques de Paris et les biblio- thèques universitaires de province en pensant qu'il représente le catalogue des périodiques de la Bibliothèque na- tionale de France alors qu'il ne contient que 75 000 des 250 000 titres que le Ca- talogue général de la Bibliothèque na- tionale de France recense pour la même période ? Combien vont y chercher des quotidiens - on y trouve bien Le Figaro - alors qu'il ne prend en compte que les quotidiens dont la date de fondation est antérieure à 1849 ? Et combien vont y chercher certaines catégories de publications, volontairement omises, telles qu'annuaires, journaux officiels et autres bulletins paroissiaux ?

    Encore ce catalogue est-il imprimé et sa préface explicative facilement acces- sible à qui veut bien s'y reporter.

    Mais quid du CD-ROM du Catalogue col- lectif national des publications en série, MYRIADE, mis à la disposition du public dans de nombreuses bibliothèques ? Vo- tre lecteur ne s'étonnera que légère- ment de ne pas y trouver un périodique étranger un peu ancien et vous deman- dera en toute bonne foi d'en faire l'em- prunt au pays éditeur alors qu'il suffit d'ouvrir le CCP précédemment cité pour localiser ce titre dans une bibliothèque française, si ce n'est même dans la vô- tre. Il vous reste à supporter humble- ment les récriminations de votre inter- locuteur qui vous reproche de ne pas avoir claironné haut et fort qu'il ne s'agit pas d'un catalogue exhaustif. On se prend à rêver d'un dispositif qui an- noncerait la règle du jeu, comme on vous annonce suavement à la pompe à essence de faire attention car vous vous apprêtez à prendre du gas-oil.

    Il arrive aussi qu'un lecteur n'ait que des informations incertaines, données par son ami, le célèbre professeur X, spécialiste en la matière et dont à votre courte honte vous ignorez tout, comme celui qui me demanda une revue inti- tulée Berliner deutsche botaniske (sic) Gesellschaft et que j'ai eu du mal à convaincre qu'une vérification préala- ble dans Berichte der Deutschen bota- nischen Gesellschaft publié à Berlin s'imposait.

    Mais pour un lecteur qui sera sauvé pour avoir pensé à vous interroger sur la possibilité d'un emprunt à l'extérieur, combien repartiront persuadés que, dé- cidément, on ne trouve rien dans votre bibliothèque ?

    L'autorité magique de la référence écrite

    J'ai reçu ma première leçon alors que, jeune conservateur, on me demandait la reproduction d'un article d'Europe orientale de 1932. La photocopie de la référence était jointe, le nom de l'auteur peu significatif et le titre en français. Après une recherche consciencieuse mais vaine, j'allais répondre qu'il exis- tait bien une revue de ce titre mais pas pour la date indiquée lorsqu'on me fit remarquer courtoisement mais ferme- ment qu'une ultime vérification dans L'Europa orientale publiée à Rome... Et là se trouvait bien l'article désiré ! Je ne sais pas si le demandeur lisait couram- ment l'italien mais j'ai appris ce jour-là à me poser des questions sur la natio- nalité des auteurs et à me demander dans quelle langue ils écrivaient.

    Je me souviens également de cet in- terne en médecine qui voulut à toute force, malgré ma mise en garde insis- tante, le texte d'un article tiré d'un pé- riodique japonais et dont il avait lu un résumé en anglais. Les photocopies étaient bien entendu en japonais, avec le même résumé en anglais et s'il ne me les jeta pas à la figure quand je lui en tendis la facture, nous n'en fûmes pas loin...

    Il y a peu le Danemark nous demandait le numéro 3 du journal illustré du café de la Paix, référence trouvée dans l'ou- vrage de Béatrice Malki-Thouvenel Ca- barets, cafés et bistros de Paris.

    Ce titre ne figurant pas dans nos fichiers et le café de la Paix étant à deux pas de la Bibliothèque nationale de France, j'ai pris non pas mon bâton de pèlerin mais mon téléphone pour m'informer de l'existence de ce journal et solliciter l'envoi des numéros qui seraient encore disponibles. J'eus la chance de trouver un directeur de la publicité fort compré- hensif qui m'envoya les quatre numéros parus. Les collections de la Biblio- thèque nationale de France se sont ainsi enrichies d'un journal qui se nomme en réalité Café de la Paix mais sera cher- ché dans les siècles des siècles, ou du moins tant que l'ouvrage de référence sera consulté, sous le titre de journal illustré...

    Et puis il y a les orthographes erronées, bien que l'on prétende que les noms propres n'ont pas d'orthographe : une bibliographie italienne vous cite un ou- vrage de Paul Johanne, Autriche-Hon- grie, Tyrol, de 1885 et si vous n'avez jamais entendu parler des Guides joanne il vous sera difficile de satisfaire un lecteur qui n'en peut mais.

    Il y a les translittérations : on vous de- mande la Relation d'une ambassade marocaine en Turquie d'Henry de Cas- tries paru en 1929. N'ayant pas le sup- plément du Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale sous la main, une rapide interrogation d'OCLC vous apprend qu'il s'agit en fait de la traduction de l'ouvrage d'Al- Thamgoutoi, Abou al-Hasan En-nafat el miskiya... que vous trouvez alors dans le Catalogue général. à Tamgruti (Abu 1-Hasan... al-).

    Il y a les tirés à part cités comme des ouvrages : votre lecteur veut faire venir d'Arras, fonds local oblige, un ouvrage de Constant Legentil, L'Atelier de C. Du- tilleux, publié dans cette ville en 1887. Un coup d'oeil au catalogue précité vous confirme que cet ouvrage ne fait pas partie des collections mais que l'au- teur a publié des articles dans les Mé- moires de l'Académie des lettres, sciences et arts d'Arras. Un autre coup d'œil à l'incontournable Bibliographie générale des travaux historiques et ar- chéologiques publiés par les sociétés sa- vantes de Lasteyrie et Vidier vous per- met d'éviter l'envoi intempestif d'une demande de prêt.

    Il y a les périodiques à diffusion res- treinte, non soumis à dépôt légal, et que les collectivités éditrices publient à usage interne. On sollicite un article de Maurice Lares « Deux anticolonialistes, TE. Lawrence et H. St. J. B. Philby » dans Le Guru, vol. 4, n° 2, mars 1978, pp. 32-38, publié à Paris. L'interrogation du CCN-PS fait apparaître deux Guru dont le seul paru en 1978 est publié en Malaisie. La précision de la référence, tirée des très sérieuses TE. Lawrence studies est telle qu'il ne vous reste qu'à interroger l'auteur lui-même pour éclaircir le mystère et apprendre qu'il s'agit en fait d'une publication ronéotée de la Maison de l'Inde de la Cité inter- nationale de l'Université de Paris.

    Il y a les sigles inventés : les Cahiers du Bureau universitaire de recherche opérationnelle qui se transforment, sans autre raison apparente que la longueur du titre, en Cahiers du Buro inconnus des répertoires.

    Il y a les abréviations développées de fa- çon intempestive : le /. oc. du Nord de la France que l'on croit bien faire de vous développer en journal oculaire... alors qu'il s'agit du journal d'oculistique... ou la Rev. Méd. qui devient Revue méditer- ranéenne au lieu de Revue de la Médi- terranée, ce qui ne se classe pas précisé- ment au même endroit dans un fichier manuel et est d'autant plus regrettable qu'il existe bien une Revue de la Médi- terranée mais publiée en d'autres lieux et dans un autre temps...

    Il y a les titres qui n'ont jamais réussi à s'imposer dans l'usage courant : on vous demandera toujours Les Annales ou l'Annuaire de la Poste et non An- nales. Économies, sociétés, civilisations ou Annuaire officiel des abonnés au té- léphone.

    Il y a enfin les titres d'apparence très banale comme le journal de la Société de médecine de Lille de 1895 dont vous ne trouvez aucune trace. Les publica- tions de la Société médico-chirurgicale du Nord, de la Société des sciences mé- dicales de Lille ou de la Société de mé- decine des praticiens de Lille et de la région ne contenant pas l'article deman- dé, vous finissez par penser qu'il doit s'agir d'un sous-titre non identifiable, avec le regret de ne pas avoir pu pour- suivre vos recherches car d'autres de- mandes attendent.

    Et nombreux sont les exemples et nom- breuses les anecdotes... Et l'on vous dit maintenant que grâce à l'informatisa- tion des catalogues vous serez déchargé de cette tâche subalterne que le lecteur fera bientôt chez lui et l'on vous rit au nez quand vous exprimez votre crainte des " silences qu'il risque de ren- contrer sans même s'en rendre compte. Il est indéniable que nous venons de vivre une révolution considérable avec la possibilité d'interroger par titre, mots du titre et opérateurs booléens et que cela facilite grandement notre travail. Cela sauverait du moins ce journaliste de Science et avenir qui nous vante ainsi les mérites du catalogue multimé- dia interrogeable sur minitel : « En ta- pant par exemple Noces de Figaro, le consultant aura accès à la fois à l'oeuvre de Marivaux et à tous les livres, pério- diques ou manuscrits la concernant, mais aussi aux émissions de télévision ou de radio, aux disques ou vidéos édi- tés, aux références de musiques impri- mées... » (sic).

    Le consultant aura-t-il présent à l'esprit lorsqu'il fera son interrogation qu'un ca- talogue exhaustif relève encore du do- maine de l'utopie ? Que les règles d'in- terrogation varient selon les bases de données interrogées ? Arrivera-t-on à lui proposer assez rapidement un langage d'interrogation convivial et universel ?

    Et je me prends à rêver que l'informa- tique permettra aussi la constitution d'un « négatif » du futur Catalogue col- lectif de France qui, alimenté par cha- cun d'entre nous, finirait par constituer une sorte de Quérard des Erreurs lit- téraires dévoilées. »

    Mais trêve de pessimisme... J'aimerais simplement dire en conclusion que nous ne sommes plus à l'époque de Pic de La Mirandole et qu'il n'y a aucune honte à ne pas savoir répondre d'em- blée à toutes les questions d'un lecteur, spécialiste dans son domaine, à condi- tion de connaître parfaitement les ins- truments où l'on pourra trouver la ré- ponse.

    Que les bibliographies elles-mêmes sont si nombreuses qu'il ne faut jamais hésiter à consulter un collègue ou une personne plus compétente que vous dans tel ou tel secteur.

    Que tous les bibliothécaires ne dispo- sent pas nécessairement des outils in- dispensables pour effectuer des re- cherches bibliographiques approfon- dies mais qu'ils devraient au minimum vérifier la source de référence du lec- teur, en joindre la photocopie à toute demande par formulaire de prêt, la re- copier soigneusement sur les demandes expédiées par messagerie ou indiquer que les références sont aléatoires et n'ont pu être précisées. Cela donne la certitude que toutes les données exploi- tables ont bien été transmises et évite un courrier superflu consommateur de temps, d'énergie et d'argent.

    Que toutes les demandes devraient comporter une date, même approxima- tive, pour circonscrire le champ des re- cherches.

    Que toutes les demandes dactylogra- phiées sur formulaires ou messageries électroniques devraient être soigneuse- ment relues avant l'expédition car les fautes de frappe sont nombreuses, no- tamment au niveau des dates. Lorsque les numérotations de volume ou d'an- née des publications en série ne corres- pondent pas à la date indiquée, nous avons une chance sur deux seulement de faire le bon choix en premier ; quant aux monographies, le Catalogue des li- vres imprimés ayant été une œuvre de longue haleine, il est bon de savoir qu'on ne pourra pas y trouver par exemple un ouvrage de 1920 dont le nom de l'auteur commence par G. Mais qu'il sera le premier consulté si par er- reur le 1920 s'est transformé en 1930.

    Mais surtout qu'une recherche biblio- graphique bien menée m'est toujours une source de satisfaction non pareille et que je souhaite qu'il en soit de même pour tous ceux dont c'est le lot, quoti- dien ou non.