Qui mieux qu'un bibliothécaire saura trouver, sur un rayonnage écarté, l'ouvrage modeste et précieux, victime de l'injustice des modes et des mémoires, celui qu'aucun éditeur n'a pris soin de remettre à son catalogue, qu'aucune étude universitaire n'est venue revisiter et qui attend des lecteurs à qui, pourtant, il procurerait aujourd'hui encore une joie intense ? Le prix des « Belles Oubliées » permet une fois l'an à un bibliothécaire attentif de réparer envers certains auteurs l'injustice dont il est le témoin. Théophile Gautier, l'an dernier, l'un de ces grands auteurs de la littérature française, dont les ouvres complètes n'ontfait l'objet d'aucun catalogue, a bénéfi-cié de ce coup de projecteur.
En 1994, plusieurs candidats ont longtemps partagé le jury, saisi de plusieurs cas exemplaires (1) . Si Le Mile des Garret, émouvant roman régionaliste de Rose Combe (1931), a été sauvé par les Éditions Seghers qui avaient récemment décidé sa réédition, trois autres livres auraient mérité le même sort. Les mémoires de Marianne Oswald, Je n'ai jamais appris à vivre, n'ont connu qu'une édition confidentielle, malgré les encouragements d'Albert Camus, et ne sont plus en librairie. Ils méritent d'être relus si l'on veut découvrir un puissant caractère et un tempérament que Zola aurait aimés. Le journal d'un fantôme de Phi-lippe Soupault fait aussi partie de ces livres dont on s'étonne qu'ils ne soient pas réédités même en livre de poche, tant la subtilité du jeu de l'auteur et la rigueur de son style en font un des chefs-d'oeuvre de la littérature moderne. Enfin, c'est Les Mots de Vercors, que le jury a couronné et que les éditions Actes Sud ont republié. Justice est faite à ce texte déchirant, que le Silence de la mer peut-être étouffé, bien qu'il en soit le tragique écho et qu'il en poursuive, après la guerre, le terrible procès avec plus encore de désespoir mais autant de dignité et de courage. Il faut savoir gré au bibliothécaire de la médiathèque départementale de Seine-et-Marne d'avoir su retrouver une oeuvre dont l'oubli ne serait pas pardonnable.