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    Bibliothèques et milieu rural en Belgique

    Par Didier Guilbaud, Directeur médiathèque départementale du Nord

    Cet article est le fruit d'une discussion entre Jean-Claude Trefois, Directeur de la bibliothèque centrale de La Louvière (Wallonie), Viviane Baras, inspectrice des bibliothèques de lecture publique de Wallonie, et Didier Guilbaud. Pour comprendre la réalité, et sans tomber dans un schématisme excessif, il faut savoir que- en Belgique - les compétences en matière de lecture publique sont avant tout de l'autorité des communautés, wallonne ou flamande. L'existence et le fonctionnement des bibliothèques s'appuient toutefois sur une loi, mise en vigueur par l'État central en 1921, la loi Destrée, revue et corrigée par des décrets en 1978 (et augmentée en 1991) dans le cadre territorial des communautés.

    Le développement des bibliothèques dans les deux communautés tient beaucoup à leur richesse respective. Il est indéniable que la communauté flamande a pu affecter des moyens plus importants à la mise en oeuvre de sa politique de lecture que la communauté wallonne. Ainsi 80 % des salaires des personnels est pris en charge par la communauté flamande, ce qui n'est pas le cas en Wallonie.

    « Notre législation est largement avancée par rapport à la vôtre- nous dira Viviane Baras au cours de l'entretien - mais vous, vous êtes libres. » Aussi force est de constater qu'un cadre législatif peut à la fois être promoteur de la lecture publique et contraignant dans le quotidien, notamment en ce qui concerne les normes de personnel.

    S'il est peu question ici de nouvelles technologies et plus particulièrement d'informatisation, ce n'est pas que nos collègues belges se soient exclus de toute réflexion à ce sujet. Au contraire, la mise en réseau des bibliothèques flamandes autour de WINOB et du système VUBIS qui relie des établissements de lecture publique de grandes villes, des bibliothèques scientifiques et des bibliothèques de communes de moins de 10 000 habitants va s'étendre en Wallonie dans les prochaines années. À travers cela pointe la préoccupation d'une meilleure identification des documents et surtout leur mise à disposition des plus petites communes grâce à un réseau de prêt entre bibliothèques - auquel Jean-Claude Trefois est particulièrement attaché. Enfin, on remarquera que chacun s'adapte à son histoire: le regroupement de communes des années soixante-dix a provoqué la création de bibliothèques dans les communes de plus de 5 000 habitants, même si l'intercommunalité pourrait être un facteur d'amélioration des conditions d'existence, voire de survie des bibliothèques. Le pays reste marqué par les tendances chrétiennes d'une part, du mouvement ouvrier d'autre part, et a du mal à gérer les « bibliothèques libres »...

    Didier Guilbaud - À quoi attribuez-vous l'origine des bibliothèques rurales en Wallonie?

    Jean-Claude Trefois - L'existence de bibliothèques en milieu rural est due à une tradition paroissiale dans un premier temps, à la création de maisons du peuple dans un deuxième temps... et puis à la promulgation d'une loi qui est assez ancienne, la loi Jules Destrée de 1921. Cette loi essaie d'aider toutes ces bibliothèques par le biais de légers subsides. Et de fait on voit le nombre des bibliothèques augmenter - à l'époque - sous l'effet de la loi.

    La loi faisait obligation aux communes de mettre en place une bibliothèque et, ce qui est assez unique dans l'appareil législatif belge - elle permettait de faire appel à un référendum d'initiative populaire. À partir du moment où un certain nombre d'habitants se mobilisaient en faveur de la création d'une bibliothèque la commune devait s'exécuter ! Mais c'est resté lettre morte.

    Même si les bibliothèques proliféraient - il y avait 299 bibliothèques sédentaires dans la province du Hainaut - on a pu constater que certains terrains étaient restés vierges. Au-delà de leur création, ces bibliothèques ne pouvaient pas suffire à satisfaire les besoins de lecture publique, car la loi Destrée est restée pendant longtemps avec le même type de subsides. Ce qui était donc intéressant dans les années vingt l'était moins plus tard.

    Viviane Baras - Ce que je voudrais dire à propos de cette prolifération de bibliothèques, phénomène particulier, c'est que la province du Hainaut a été la seule province à reconnaître, à agréer ses propres bibliothèques. Par ailleurs elle leur apportait un complément financier substantiel. Il est devenu ridiculement modeste par la suite, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain - même si ces bibliothèques du milieu rural avaient plus de difficultés financières que les autres.

    JCT - Un autre point historique c'est que l'on donnait même des subsides au bibliothécaire.

    VB - Absolument, mais le livre a surtout joué sur le bénévolat. Le bibliothécaire ne recevait pas ce que l'on appelle un traitement mais une indemnité de la province et de la communauté qui était en quelque sorte un petit encouragement - financier - à contribuer au fonctionnement de la bibliothèque. Les bénéficiaires étaient surtout des bénévoles ; cette indemnité a été supprimée avec le décret de 1978, qui partait du principe qu'il fallait des professionnels et au moins des mi-temps.

    À propos de l'intervention financière de la province et notamment du Hainaut, précisons que lorsque j'ai accédé à mes fonctions, j'ai découvert avec stupéfaction que la province octroyait au maximum 400 à 800 FB par an au bibliothécaire (1) . L'indemnité était proportionnelle au rendement de la bibliothèque et au service rendu par le bibliothécaire mais correspondait très exactement aux mêmes sommes depuis 1945.

    Le budget pour la gestion de l'inspection, n'avait jamais été revu. C'était de la mendicité ! J'ai fait savoir que je me refusais à cautionner une chose pareille, d'où une restructuration des aides. Mais dire que la suppression d'une aussi petite somme n'allait pas gêner les gens, même si par ailleurs elle était compensée par des subventions plus importantes, ce serait une erreur. La suppression de ces indemnités a été très mal perçue.

    Dans la mise en oeuvre du décret, j'ai défendu l'idée que l'effort des pouvoirs qui accordaient des subsides devait porter sur le milieu rural. En effet il fallait apporter un complément financier à ces bibliothèques. C'était prévu dans le premier décret, depuis vingt ans ! Mais si on regarde nos bibliothèques rurales - je pense à Ath, je pense à la région de Chimay où il y a très peu de bibliothèques, même si, ici ou là, il y a une volonté - on constate que les institutions n'ont pas suivi.

    JCT - La répartition théorique - définie par le décret - était que la municipalité apporte les livres. Le pouvoir organisateur, s'il était libre, devait supporter la maintenance, et les provinces participer au moins partiellement aux frais de fonctionnement. La communauté de son côté participe aux frais de personnel.

    Avec le décret, les communes se sont trouvées face à des obligations insupportables. Les locaux n'étaient pas toujours adaptés, or le décret parlait de dimensions, d'obligation de salle de lecture, de section jeunesse... tout cela a fait beaucoup frissonner. Il y avait certains locaux qui se trouvaient au deuxième étage de la maison du peuple, ou parfois à l'arrière de l'église. Donc les municipalités étaient complètement effrayées : celles qui avaient eu le plus de dynamisme se sont senties trompées. Après avoir fait des travaux, ou avoir embauché du personnel, elles s'attendaient à être aidées par la communauté.

    Première désillusion, la communauté a dit: Je veux bien payer mais pas les charges patronales. » Coût = 33 % ! Puis la communauté en faisant ses comptes s'est dit que c'était encore beaucoup ! Pour procéder aux calculs il fallait rentrer un dossier... ce qui ne s'est jamais fait ; nous en sommes restés au niveau des acomptes, puis des forfaits, quelle que soit la compétence de l'agent engagé. Des communes se sont efforcées de respecter les principes et se sont ensuite tournées vers la communauté. Bon nombre d'administrations communales s'étaient mises en tout point en conformité avec le décret, et avaient recruté. Les bibliothécaires eux-mêmes avaient dit à leur pouvoir organisateur : vous avez fait un effort considérable, mais en retour vous allez recevoir tant de millions...

    Le décret est en particulier lié au taux d'accroissement des bibliothèques. Les petites localités ne peuvent pas toutes suivre. Elles ont voulu conserver un certain nombre de postes pour éviter notamment qu'il n'y ait trop de centralisation. Créer des infrastructures, conserver des personnels avec des statuts très différents n'est pas chose facile (il y a avait des gens qui effectuaient des services de deux heures par semaine payée par la commune). À La Louvière, par exemple, coexistent encore des gens qui travaillent six heures, parfois huit heures, et puis des personnels qui gèrent la bibliothèque de manière professionnelle. On est tenté de dire qu'il faudrait embaucher un certain nombre de personnes, mais on ne peut pas les payer.

    VB-Pour conclure sur ce point disons que le décret corrige la loi de 1921 : il complète et réactualise une loi qui avait eu le mérite d'exister. Et on vous dira que c'est quelque chose qui a quand même déclenché chez bon nombre de pouvoirs un réflexe en matière culturelle, même si cette préoccupation était vue par le petit bout de la lorgnette. Cela a été bénéfique aussi pour des bibliothécaires. Ce décret était assorti d'un certain nombre d'obligations qui permettaient au bibliothécaire d'avoir un statut, un véritable métier. Il s'agit d'une reconnaissance du métier de bibliothécaire que l'on pouvait précédemment exercer de manière bien différente et pas nécessairement à temps plein.

    Mais un des impératifs majeurs du décret, c'est la notion de réseau: il faut travailler ensemble, il faut se rencontrer ; il faut accepter éventuellement de demander des livres aux autres. On en revient au prêt entre bibliothèques : il faut accepter d'aller vers la bibliothèque plus importante. Mais le décret date de 1978 ! Vingt ans ! et pourtant nous ne sommes pas au bout de nos peines.

    DG - Vous évoquez justement cette notion de réseau qui transparaît dans la répartition des charges financières des différents acteurs de la lecture publique. Peut-on en conclure que le décret permet enfin l'organisation d'un véritable réseau ?

    VB - Dans la communauté française, un tiers de la superficie est rurale. Et par rapport à la notion de réseau, en milieu rural - mais en milieu mi-rural mi-urbain aussi - ce sont des communes, des administrations communales ou les pouvoirs libres qui ont fait des efforts et ont poussé à la création de bibliothèques. Là où il n'y avait pas assez de bibliothèques par rapport aux exigences du décret, des filiales, des dépôts, des bibliothèques peu importantes ont vu le jour. On s'est dit, au terme d'une étude sociologique ou autre, qu'à tel endroit il faudrait une bibliothèque.

    On a vu pousser comme des champignons des bibliothèques qui se sont avérées d'une rare inefficacité. Pourquoi ? Parce que les lecteurs, les jeunes et même les adultes, ne fréquentaient pas nécessairement ces petites institutions et allaient plutôt vers la bibliothèque la plus importante... qui offrait plus de documentation et avait une panoplie d'ouvrages récréatifs plus substantielle. Cela ne signifie pas que les petites n'étaient pas fréquentées, mais si on veut parler du rapport qualité/prix, les investissements étaient trop importants, et il a fallu faire machine arrière. Certaines ont été remplacées par des petites camionnettes, des mini-minibus, qui vont à l'intérieur d'une collectivité, dans les quartiers, qui font du prêt à domicile. C'est une toute petite camionnette où il y a 250/300 livres au maximum, choisis en fonction du public qui va être touché.

    DG - Qu'en est-il justement du bibliobus ? Je crois savoir que la province du Hainaut ou la communauté française de Belgique a mis en place des bibliobus.

    JCT - Ce n'est qu'en 1962 qu'est lancé le premier bibliobus. En fait, c'est en 19591960 que l'on a défini le service, les collections, le bâtiment. On a commencé à envoyer des livres par chemin de fer dans les bibliothèques rurales et aux autres bibliothèques qui en faisaient la demande. Le bibliobus a complété ce service.

    VB - Nous avons regardé ce qui se faisait à l'étranger. Bien qu'il y ait énormément de bibliothèques en milieu rural, comme nous l'avons dit, il demeurait des endroits isolés. En voyant ce qui se passait à l'extérieur de nos frontières, notre directeur de l'époque, Louis Philippard, quelqu'un qui voyageait beaucoup et s'intéressait énormément à la chose culturelle, a trouvé très opportun de créer le service de bibliobus pour compléter les efforts des communes. Ceci s'est fait toutefois de manière anarchique puisque l'on ne pouvait pas discuter à l'époque avec les pouvoirs organisateurs (2) . C'est donc avec les maires que l'on discutait. Les pouvoirs organisateurs étaient indépendants et la notion de réseau qui est importante chez nous n'existait pas.

    La difficulté de la mise en place du bibliobus était de ne pas doubler les efforts qui étaient déjà consentis, mais de desservir des entités qui le souhaitaient, pas nécessairement les bibliothèques, mais directement les entités par le biais des maires. Ce qui était intéressant également c'est que le service du bibliobus était gratuit.

    JCT - Peu à peu le service itinérant qui était dirigé par un chef de service à tiers temps est passé à deux bibliobus, puis à trois, et à quatre aujourd'hui... Nous ne parlerons pas des péripéties ou plutôt des incidents, voire des accidents de parcours de ces bibliobus (3) .

    En complément du bibliobus et pour remplacer les envois par chemin de fer on a acheté par la suite une camionnette. Le bibliothécaire rentrait dans la camionnette qui disposait de 200 à 300 livres. Pendant ce temps-là les bibliothécaires (de la province) récupéraient les autres livres. Les livres étaient ainsi laissés en dépôt pendant six mois, un an.

    VB - Il s'agit là du service de dépôt ; ce n'est pas le service de prêt direct aux lecteurs.

    Dernier événement en date, de l'histoire de ce service itinérant, il se développe aujourd'hui un autre service qui nous avait laissés perplexes au départ, celui du bibliobus urbain. J'étais pour ma part assez opposée à cette solution, mais à la réflexion je m'y suis quand même ralliée. Ce sont des bibliobus qui appartiennent à des administrations communales et qui sont conçus de manière telle qu'ils ne visitent que des quartiers. Ainsi en sera-t-il prochainement à Mons. C'est une nouvelle collaboration en tout cas qui est en train de voir le jour, qui sort de la ruralité, mais est dans la droite ligne du bibliobus du Hainaut.

    JCT - Dans la mesure où la loi Destrée arrête ses effets très prochainement malgré leur incontestable volonté, un nombre important de bibliothèques ne pourront pas être reconnues. Ni leurs collections, ni leurs compétence, ni leur horaire d'ouverture, ni la taille et la salubrité des locaux ne le permettront. Ces bibliothèques seront donc désagréées.

    La solution de facilité, c'est de dire : Le bibliobus est là ! Faire proliférer les bibliobus ? Pourquoi pas. On entend des réactions au Conseil supérieur du type : « Attention, il y a déjà un désert culturel, si vous supprimez les petites bibliothèques vous allez agrandir ce désert. » La seule solution que l'on trouve, et c'est me renvoyer la patate chaude, est de dire « Il y a le bibliobus. »

    Je suis bien entendu favorable au bibliobus, mais vous savez comme moi qu'un bibliobus ne possède pas d'ouvrages de référence et par conséquent il y a des renseignements qu'il ne peut pas fournir. Par ailleurs s'il passe de manière régulière, il passe à des intervalles de temps trop longs. Les gens peuvent avoir des besoins de lecture à d'autres moments.

    DG - Lorsque vous parlez de bibliobus vous pensez au bibliobus de prêt direct de la communauté ?

    JCT - Oui, c'est-à-dire financé par la communauté pour ce qui concerne le personnel. Pour éviter que les communes fassent l'économie d'un budget culturel, le décret avait imaginé de rendre obligatoire le passage du bibliobus et de le taxer. Mais le Conseil d'État ne l'a pas accepté : il est parti du principe que la communauté n'a pas le droit d'imposer des charges financières aux communes. C'est éventuellement de la compétence de l'État central ou de la région wallonne, mais pas de la communauté. Mon président, pour qui j'avais fait le compte de ce que pourrait rapporter le passage du bibliobus (une somme de l'ordre de deux millions de FB) m'a dit : « Mais êtes-vous sûr que cela va rapporter ? Alors je lui ai dit qu'il faudrait passer des conventions avec les communes. « Et s'ils ne payent pas, il va falloir faire des procès ! Vous imaginez-vous combien je vais avoir de procès sur le dos ? »

    J'ai des centaines de livres sur la route, qui ne reviennent pas. Je suis en train de me demander ce que je vais devoir faire...

    DG - Vous parlez de bibliothèques libres et vous aviez au début de cet entretien évoqué les bibliothèques « paroissiales » d'une part et les bibliothèques des maisons du peuple d'autre part. S'agissant de mouvements qui ont fortement marqué l'histoire belge, qu'en est-il aujourd'hui ?

    VB - Indépendamment du fait qu'il n'y a pas eu chez nous de séparation de l'Église et de l'État, les choses ne sont pas simples. Dans un réseau, s'il y a plusieurs pouvoirs organisateurs concernés, il y a cohabitation. Supposons par exemple que dans un réseau de sept bibliothèques, la plus importante soit située dans une commune où le bourgmestre est socialiste... s'il y a quatre bibliothèques communales, une bibliothèque provinciale et deux bibliothèques libres, nous avons les pires ennuis avec ces dernières.

    J'ai mis longtemps à découvrir que les bibliothèques libres n'ont pas les moyens de leur politique. Après la loi de 21, il y avait beaucoup de bibliothèques chrétiennes ou socialistes. Les bibliothèques socialistes n'ont pas posé de problèmes, soit qu'elles aient été reprises par un pouvoir communal parce que le bourgmestre était de la même tendance, soit qu'elles aient été englobées dans une bibliothèque plus importante.

    Mais les bibliothèques chrétiennes, même quand le bourgmestre était de la même tendance, refusaient d'être municipalisées. Il y avait donc deux solutions : ou elles continuaient d'exister ou elles mouraient. Elles n'avaient plus les moyens exigés par les dispositions nouvelles du décret. Des trois pouvoirs qui subventionnent : le pouvoir organisateur, la communauté française et la province, ni la communauté française, ni la province n'ont les moyens (financiers) de mise en application réclamée par le décret, aussi cela ne convenait pas aux pouvoirs libres (pas seulement à eux d'ailleurs, mais à ceux là tout particulièrement). En temps que pouvoir organisateur, ils réclament le maximum d'argent aux autres pouvoirs qui n'ont pas la capacité de les satisfaire ; mais comme on a eu l'imbécillité à la suite des golden sixties de croire qu'on allait pouvoir leur donner beaucoup...

    À ceux qui veulent conserver leur bibliothèque libre, je dis toujours : Vous confondez bibliothèque publique, service public ouvert à tous et lieu de culte. Ouvrez vos portes réellement, mais ayez les moyens de votre politique! » Quand un particulier veut ouvrir un magasin, c'est lui qui achète le fond. Si éventuellement il peut bénéficier d'apport extérieur, tant mieux !

    Mais il me semble que quand un pouvoir organisateur, quand une province, quand une administration organise une bibliothèque publique, elle se donne au moins un minimum de moyens pour la faire démarrer. Alors que pour les bibliothèques libres, ce n'est pas du tout le cas. Je suis en train de me livrer à un travail révélateur : voir ce que les bibliothèques libres mettaient depuis 1978 dans l'escarcelle lecture publique, et regarder comment cela a évolué. C'est très très révélateur ! Elles n'ont pas apporté plus que les autres pouvoirs qui subsident. Sur ce point, il faut reconnaître que c'est la communauté française qui a apporté le plus de moyens aux bibliothèques.

    Ils (4) tiennent le secteur rural. Ils ont un peu l'impression que c'est vendre leur âme que de collaborer avec d'autres bibliothèques. Il y a eu un débat un moment au Conseil supérieur parce que la communauté avait dit ne plus vouloir reconnaître les bibliothèques de communes de moins de 5 000 habitants. Le secteur rural étant représenté essentiellement par la communauté catholique - comme il y a une coalition chez nous - on a bien été obligé de tenir compte de leur avis. On a balayé le problème de 5 000 habitants. Mais les bibliothèques ne peuvent tout de même pas suivre.

    Il reste des incertitudes par rapport aux collections. Imaginez le type de discussion que l'on peut avoir :

    • « Est-ce que dans le cas d'une collaboration avec la bibliothèque provinciale, il y aura bien les collections que nous prônons ?
    • Enfin, monsieur le Doyen, vous n'allez pas contrôler tous les bouquins qui rentrent maintenant que l'index n'existe plus. C'était facile de contrôler lorsqu'il existait ; si le titre y figurait il suffisait de le mettre au feu. Donc il ne faut pas se faire d'illusions. J'ai probablement des livres dangereux dans ma bibliothèque mais ce qui est dangereux pour l'un n'est pas dangereux pour l'autre.
    • Oui, mais, il y a des livres qu'il convient de ne pas avoir (il me cite les témoins de Jéhovah).
    • Chaque bibliothécaire essaie de trouver la solution. Moi je dis qu'ils peuvent figurer dans les collections parce qu'il y a autre chose. Si la collection est trop petite... les gens pourraient se polariser dessus. »

    DG - La Belgique a connu dans les années soixante-dix un mouvement de regroupement de communes. Quelle influence ces fusions ont-elles eu sur le réseau ?

    VB - C'est un événement qui n'a pas nécessairement joué de manière favorable, parce qu'il a posé bien des problèmes et nous avons vécu bien des cloche-merles ! Les effets positifs de la fusion des communes apparaissent depuis cinq ans. Encore actuellement lorsque nous organisons des réseaux - c'est-à-dire une entité formée par plusieurs communes - il y a parfois des problèmes entre les bibliothécaires et les pouvoirs organisateurs parce que le bourgmestre vient d'une commune et l'échevin à la culture vient d'une autre. Pour gérer ce genre de chose il faut trois ans alors qu'il n'aurait fallu que six mois autrement.

    On a trois statuts de bibliothèques, la bibliothèque centrale - telle que celle de La Louvière qui a pour territoire de compétence toute une province - les bibliothèques dites principales qui ont pour compétence un arrondissement administratif et ont pour mission, outre leur propre territoire, de travailler avec d'autres bibliothèques, et les bibliothèques locales.

    En règle générale, surtout en milieu rural, il y a un rejet des bibliothèques principales qui viennent de la grande ville, là où est l'argent. Le meilleur dialogue que j'ai avec les gens est le suivant :

    • " On veut faire aussi bien qu'eux !
    • Il ne s'agit pas de faire aussi bien qu'eux, vous le faites déjà, mais de travailler ensemble. »

    JCT - Les fusions ont été mal vécues par certains. Dans une commune que je ne citerai pas, les échevins étaient tous les bourgmestres et leur combat était de garder le maximum de choses dans leur propre commune et non de penser en terme de collectivité. Il y a eu une génération de perdue. Çà fonctionne un peu mieux parce que les cadres se sont renouvelés, mais il y a des communes où les cadres ne se sont pas renouvelés.

    Il est clair qu'actuellement bon nombre de bibliothèques en milieu rural ont dû fermer leur porte, tout simplement parce qu'elles n'ont pas continué à être aidées par les bibliothèques qui ont pu s'épanouir en fonction des nouveaux impératifs du décret ou qui ont été prises en charge par un grand centre urbain. Faute de moyens, elles n'ont pu continuer à fonctionner car elles étaient incapables d'entrer dans les obligations du décret.

    Le problème a été de choisir quelles bibliothèques seraient conservées ! D'où d'ailleurs la méfiance des bibliothèques libres face à l'hypothèse de se faire engloutir... Mais pourquoi soutenir certaines bibliothèques alors que le taux d'accroissement est insuffisant pour qu'elles soient attractives, et que la professionnalisation est inévitable ?

    La communauté avait pourtant imaginé une chose intéressante mais insoluble, les intercommunales culturelles. Petites communes, regroupez-vous ! Dans le sud du Hainaut ce serait la solution pour créer un réseau. Mais même si les politiques sont relativement proches, ce sont tous des seigneurs ! Au plan économique, c'est déjà une pétaudière lorsque les communes ont la même intercommunale.

    Et l'argent ? Qui le donnera ? Qui va nommer le bibliothécaire ? De quelle commune sera-t-il fonctionnaire? Imaginer des intercommunales culturelles n'est pas encore entré dans les moeurs. Penser que l'on pourrait s'intercommunaliser avec une autre commune, c'est pour l'an 2000. Je ne sais pas ce qu'il restera en l'an 2000 de ces petites bibliothèques ! Je ne sais pas si on pourra encore en parler.

    La province a aussi imaginé de temps en temps de créer des bibliobus, alors qu'elle devrait plutôt avoir un rôle législatif et s'y cantonner. Viviane parlait des bibliothèques locales : moi je crois beaucoup à l'intermédiaire entre les bibliothèques centrales et les bibliothèque locales. Que je sois à La Louvière ce qui est une erreur historique ou que je sois à Mons, on ne peut pas irriguer le réseau à partir d'une bibliothèque centrale. Ce sont les principales qui doivent être au contact de leurs petites bibliothèques et qui doivent essayer de les soutenir.

    Si l'on regarde la carte, il y a une bibliothèque principale à Ath, une à Mons, une à Charleroi. Par ailleurs il y a la centrale à la Louvière, qui ne fait pas fonction de principale.... Or ces bibliothèques principales peuvent fort bien - parce qu'elles en sont proches géographiquement - convaincre les autorités locales. C'est ce qui se passe. Il faut voir les locaux dont disposent les principales pour savoir que ce sont elles qui sont aujourd'hui les plus privilégiées. On pourrait imaginer que l'on conserve de petits dépôts constamment irrigués par les principales, et que l'on ne dise pas que toutes les petites bibliothèques locales, les filiales et les dépôts ont tous une salle de lecture bien achalandée. Ce qui se fait parfois, par exemple à Charleroi, la municipalité engage des bibliothécaires à tiers temps. Ce sont des bibliothécaires qui voyagent et retournent régulièrement à leur bibliothèque locale. C'est là une bonne formule.

    C'est ce que nous allons faire avec le prêt inter. Nous allons distribuer des bornes informatiques dans les bibliothèques locales, une pour le dépouillement des périodiques, une pour les livres. Par exemple, la petite bibliothèque de Rumes va adresser une demande à la bibliothèque de Tournai, qui, après avoir vérifié dans ses collections, va voir grâce à la borne informatique si nous l'avons et nous transmettre la demande. Nous allons chercher non seulement dans nos propres collections mais aussi dans celles des bibliothèques qui nous sont associées, et nous adresserons directement le livre à la bibliothèque de Rumes, en informant Tournai.

    Le gros problème qui a été décelé lors de l'enquête et du colloque (5) , c'est le problème d'argent. Dans un premier temps c'est Tournai qui prend les frais en charge, et dans un deuxième temps tous les six mois, c'est nous qui les prendrons en charge. Le livre est évidemment envoyé gratuitement et il est rapporté (c'est l'idéal avec des bibliothécaires itinérants) par la bibliothèque de Rumes à Tournai. Toutes les trois semaines nous ferons le tour pour récupérer les livres, avec une camionnette ! S'il y a avait une principale dans le sud du Hainaut, il y aurait toute une série de coins qui ne seraient plus déshérités. Mais il y a deux arrondissements pour lesquels il n'y a pas de principale.

    VB - Une bibliothèque qui a joué ce rôle bien évidemment, c'est celle de Morlandwé qui a fini par gérer ses collections en fonction du prêt inter. Elle n'est d'ailleurs pas sollicitée uniquement pour le prêt inter ; elle l'est en particulier par les petites bibliothèques de son secteur. Il y a dans ce secteur cinq ou six bibliothèques qui se développent et qui ont recours à une autre bibliothèque. D'où l'importance et le rôle des bibliothèques principales.

    JCT¾Elles sont pourtant en péril. Comme à Tournai...

    VB - C'est là qu'intervient la province, car elle doit en principe subventionner l'achat des ouvrages pour les communes qui sont extérieures à Tournai. Mais la province n'est pas tout à fait à la hauteur !

    Il y a donc en premier lieu ce problème des collections, et en second lieu celui des villes qui s'interrogent sur l'investissement - et surtout il y a le problème du personnel. Auparavant il existait des subventions substantielles mais on est en train de les réduire de manière drastique. Il y a des principales où l'effectif de sept à huit personnes va être réduit à deux ou trois, dans trois ans. Ce n'est pas cela évidemment qui va galvaniser les efforts pour que la petite commune qui n'a jamais eu de point d'attache crée une bibliothèque et encore plus pour que les villes se préoccupent des bibliothèques des petites communes.

    On avait imaginé (Jean-Claude Trefois et moi faisons partie d'un groupe de travail à propos du décret) une espèce de bibliothèque intercommunale où les charges de cette mission culturelle étaient prises en compte par les entités, mais là aussi il a été dit : « Non : la communauté ne peut rien imposer aux municipalités. » Cela ne pourrait donc se faire que sur la base du volontariat. Cela finit par être le palabre du roi Nègre !

    JCT - Nous sommes dans un cul-de-sac, et je ne suis pas très chaud pour l'option qui consiste à privilégier directement les locales et la centrale. Il manque un échelon. Je n'utilise pas le mot pyramide parce qu'il n'est pas bon, il donne l'impression d'une hiérarchie qui n'existe pas. Mais cette organisation pyramidale entre les locales, elles-mêmes avec leurs réseaux (filiales/dépôts), les principales et la centrale - et éventuellement ce que devait être le centre de lecture publique de la communauté française - me semble judicieuse.

    Avec le décret, nous commençons tous en catégorie C, et déjà là un certain nombre de petites bibliothèques ne pourront pas suivre les exigences de la catégorie C, notamment en milieu rural. Aussi la seule solution c'est de s'unir, c'est de créer des réseaux ;

    DG - Quelles sont les exigences du décret pour passer dans une autre catégorie de bibliothèques ?

    JCT - Pour passer en catégorie A, je dois organiser cinq comités : un comité de coordination du réseau en tant que locale et communale (ce qui fonctionne déjà) ; un comité d'usagers, dans la perspective de la démocratie culturelle ; un comité de coordination, c'est-à-dire des usagers, des écoles, de l'éducation permanente ; et un comité d'usagers de la bibliothèque centrale. Faites le compte : il ne me restera plus beaucoup de soirées !

    DG - Quel est le rôle de ces comités d'usagers, notamment par rapport à ce thème sensible chez nous du choix des livres ?

    JCT - Les comités n'ont pas de rôle dans le choix des livres. Ils ont une fonction très précise : faire des propositions sur la politique générale de la bibliothèque. Nous avons organisé une journée portes ouvertes par exemple à laquelle ils ont participé. Ils vont certainement venir à la « Fureur de Lire » ; et nous allons tenter de créer un prix littéraire auquel le comité sera associé.

    On pensait au départ que ce serait un comité de lecture et non un comité d'usagers. On va essayer de continuer à les intégrer à la vision générale de la bibliothèque et par ailleurs les associer aux problèmes de lecture. Par exemple, pour l'opération « le livre de vos vacances nous nous engagions à fournir le livre dans les trois semaines qui suivaient la demande, de le procurer quel qu'il soit. Le président du comité d'usagers déclarait l'autre jour que j'avais procuré plus de soixante livres - je ne le savais même pas. Soixante personnes avaient eu leur livre pour les vacances. Ils s'en réjouissaient.

    VB - Dans les comités d'usagers plus restreints, à propos de l'achat des livres, je constate qu'il y a des propositions d'achat dans un domaine bien déterminé, que la personne est au courant, sollicite, propose. Ce qui est intéressant aussi, pour les bibliothèques, c'est que cela permet de mieux répartir les achats - en tout cas pour les ouvrages les plus coûteux.

    DG-Nous avons abordé de nombreux problèmes qui sortent parfois du cadre strict des bibliothèques en milieu rural, mais qui n'en sont pas moins utiles à la compréhension du réseau de bibliothèques en Wallonie. Quelles seraient pour conclure les deux ou trois mesures fortes qu'il faudrait prendre dans les années à venir afin de favoriser le développement des bibliothèques notamment dans le monde rural ?

    JCT - Vous avez dit fortes ? L'informatisation de tout le réseau des bibliothèques Hainuyères qui ferait que le moindre coin du Hainaut soit en connexion avec les bibliothèques les plus importantes. C'est le seul moyen de désenclaver les bibliothèques et de pouvoir dire : « Aller à tel endroit, non seulement le livre y est référencé, mais encore il est disponible. Je pense que c'est le moyen pour que toute bibliothèque - quelles que soient ses collections - soit en rapport avec des collections plus riches ou complémentaires. Chacun y conservera sa raison d'être : être un lieu d'accueil, d'écoute et de retransmission de la demande.

    VB - Deux autres points : pouvoir faire évoluer les mentalités, pour créer des intercommunales, tout à fait indispensables. Et, par voie de conséquence, prévoir une aide financière plus en rapport avec les difficultés que connaît le milieu rural pour gérer ses structures culturelles.

    1. Environ 100 FF - NDLR. retour au texte

    2. Communauté française et Province du Hainaut - NDLR. retour au texte

    3. L'incendie du service dans les années quatre-vingt est une péripétie qui nous a empêchés de fonctionner pendant deux ans. Le local était mal situé, dans la périphérie de La Louvière, il n'y avait pas de concierge, et pour des raisons qui restent inconnues tout a été saccagé. retour au texte

    4. Les catholiques - NDLR. retour au texte

    5. Sur le prêt inter en Mai 1995, NDLR. retour au texte