Claudine Belayche - Il y a eu un premier wagon-bibliothèque au Mali. Pourquoi a-t-il cessé de fonctionner ?
Jacques Cuzin - Le premier wagon est entré en service en 1985. Il était petit, presqu'entièrement en bois, du type que nous appelons wagon à bestiaux. On l'avait aménagé avec des rayonnages à livres, des tables et des bancs. Sa vitesse maximum autorisée était limitée à 30 km/h. Cela n'a pas posé de graves problèmes tant qu'il y a eu des convois roulant à cette allure. Mais lorsque la Régie des chemins de fer maliens a renouvelé son parc de matériel traction, et s'est mise à faire rouler ses trains beaucoup plus vite, à 60, 70, parfois 80 km/h, il a fallu réformer le vieux wagon bibliothèque.
Au cours de ces cinq années, le service de bibliothèque circulante avait fait ses preuves : le besoin, la demande s'étaient manifestés ; on avait réussi à y répondre, au moins partiellement. Il fallait donc chercher à se procurer un nouveau wagon, et en attendant, continuer à desservir les populations bénéficiaires le long des rails.
CB - Entre l'ancien et le nouveau wagon, qu'a-t-on fait ?
JC-Il était important de ne pas interrompre la desserte de ces localités : l'arrivée des premiers livres avait fait naître tant d'espoir ! C'est pourquoi, comme cela se passait avec le premier wagon, tous les deux ou trois mois, deux agents de la Centrale de lecture publique partaient, mais avec une cantine pleine de livres,pour renouveler les dépôts « le long desrails ". Un vrai travail de pionniers ; il fautavoir fait une de ces tournées pour com-prendre à quel point ces missions étaientpénibles. À chaque nouvelle halte, aussi-tôt le train arrêté, courir (le long de lavoie, car il n'y a pas toujours de quai) jus-qu'au fourgon afin de s'assurer dudéchargement de la cantine ; la faireacheminer - tout en s'occupant de sespropres bagages - jusqu'à l'intérieur de lagare, puis au domicile du dépositaire ; ettrois jours plus tard, attendre un train auxhoraires souvent imprévisibles, veiller àl'embarquement de la cantine, et grimperdans le premier wagon où l'on parvient àse hisser (en règle générale, ils sont tousbondés). Et pendant un mois, se conten-ter d'un hébergement et d'une nourrituredes plus frustres... Lorsque le premierwagon s'est arrêté, personne ne pouvaitprévoir qu'il faudrait attendre dix ansavant l'entrée en service du second...
CB - Pourquoi a-t-il fallu si longtemps ?
JC - Dès 1986, nos collègues maliens nous avaient parlé de leur besoin d'un wagon de remplacement. Nos premières recherches nous avaient permis d'apprendre que la SNCF, qui avait géré deux voitures biblio-fer », les avait réformées depuis plusieurs années : il a été impossible de savoir ce qu'elles étaient devenues.
Puis les collègues maliens nous ont fait savoir qu'ils pensaient être tirés d'affaire par la coopération ferroviaire canadienne, qui allait leur fournir un wagon entièrement aménagé. Nous venions tout juste de trouver un arrangement avec la SNCF, qui se préparait à réformer toute une série de voitures, et justement, une trentaine d'entre elles allaient partir au Mali et au Sénégal ; étant les premiers acquéreurs, nous pouvions choisir celle qui nous semblait dans le meilleur état. Nous avons alors proposé le projet aux responsables de la lecture publique au Sénégal. Mais c'est alors que la piste canadienne s'est révélée sans espoir pour l'Opération lecture publique (OLP !) au Mali ! Ayant alors deux demandes à satisfaire, nous avons emprunté 10 000 F pour régler l'achat d'une de ces voitures déclassées à la SNCF, qui nous proposait l'occasion à prix d'ami, mais à saisir de suite. Remettant à plus tard l'achat et la transformation d'une deuxième voiture pour le deuxième partenaire, nous avons commencé dès lors à penser à un wagon-bibliothèque-sans-frontières, dont le port d'attache serait Bamako, premier demandeur, lequel, ne s'en servant qu'un mois sur deux, pourrait peut-être le mettre à la disposition de ses voisins sénégalais pour le plus grand profit de toutes les populations le long de la ligne.
Nous étions en décembre 1988. L'association ne disposait sur son compte bancaire que de quelques centaines de francs, total des cotisations de ses membres. Nous venions d'enclencher une opération stimulante : un lycée technique d'Ille-et-Vilaine, spécialisé en carrosserie et mécanique automobile, nous avait proposé de faire don, à un service qui en aurait besoin en Afrique, d'une petite voiture de liaison qu'il se préparait à remettre entièrement en état. Nous avons commencé par chercher pour le wagon-futur-bibliothèque une solution peu coûteuse du même genre. Une perspective encourageante avec un établissement de la Seine-Maritime nous a tenu en haleine pendant longtemps. Mais ne voyant aucune esquisse se dessiner, nous avons pressé de questions le directeur, jusqu'à ce qu'il reconnaisse n'avoir pas réussi à motiver suffisamment son équipe pédagogique : nous avions espéré en vain pendant un an et demi.
En septembre 1990, décidés à faire exécuter les travaux par un carrossier ayant déjà fabriqué des bibliobus, et de préférence sous nos yeux, nous avons fait revenir la voiture de Sotteville à Clichy où la SNCF voulait bien la remiser sous un hangar particulièrement accessible et adapté à nos besoins.
Tandis que des élèves d'une école de commerce étaient lancés - comme projet de stage - dans la recherche de sponsors, les membres de l'association ont commencé à constituer un dossier de demande de subventions. Sachant que le ministère de la Coopération ne peut pas financer plus de 50 % du coût total de l'opération, et en attendant que les démarches aboutissent, pour concrétiser notre apport personnel, nous nous sommes retrouvés avec des jeunes, le week-end, pour démonter les banquettes, et tous les radiateurs désormais inutiles. Dans le même temps, les plans des futurs aménagements intérieurs, ainsi que les devis, ont été élaborés avec de plus en plus de précision, malgré les difficultés de communication avec Bamako.
Le principe d'une répartition des travaux en deux tranches a alors été arrêté : en France, les aménagements intérieurs, et au Mali, les transformations extérieures du système de freinage et d'adaptation à la voie métrique. Alors que les experts français en matière de coopération ferroviaire préconisaient le changement des boggies, d'abord pour des neufs, puis par des boggies de récupération, la Régie des chemins de fer maliens nous a proposé sa solution, de beaucoup la plus économique : découper les boggies d'origine au chalumeau pour supprimer de chaque côté les vingt-deux centimètres excédentaires, et ressouder. Comme entre temps, elle nous avait doublé, s'était déjà fait livrer plusieurs voitures du même type que la nôtre, et les avait transformées selon ce procédé, nous n'avions aucune raison d'inquiétude : elle avait le savoir-faire, et, renseignements pris, un stock de pièces détachées largement suffisant. Devis : 240 000 F, au lieu de 540 000 F pour des boggies d'occasion, et plus d'un million pour des boggies neufs.
Pour l'éclairage, la ventilation, et le matériel vidéo, le choix a été fait d'équiper le toit du wagon-bibliothèque avec des panneaux solaires, et de solliciter une aide de la fondation « Énergies pour le monde Devis de l'installation complète : 150 000 F.
CB - Comment avez-vous résolu les problèmes de transport ?
JC - C'était l'une des plus grosses difficultés techniques et financières du projet. Comment acheminer à Dakar, puis à Bamako, un engin de plus de 20 mètres, pesant 40 tonnes ? Jusqu'au port d'embarquement, nous pouvions compter sur la générosité de la SNCF, puisqu'elle nous avait déjà prouvé ses bonnes dispositions. Pour le transport maritime, la Marine nationale a été sollicitée pour prendre en charge gracieusement notre colis sur un de ses navires qui effectuerait cette liaison. Un accord de principe nous a été donné assez facilement, sans doute parce que l'opération devait se dérouler à une date somme toute éloignée : au moins un an au moins après notre requête.
Comparées au coût d'un transport facturé, ces deux promesses d'acheminement gracieux constituaient une économie considérable, et surtout un apport de l'association dans le projet de budget pour la demande de subvention. Finalement, le dossier a été déposé en juin 1992, l'avis favorable obtenu à la fin de cette même année pour un financement l'année suivante. La première tranche de crédit, à hauteur de 75 % du montant de la subvention, a été versée sur le compte de l'association en juillet 1993.
Les travaux d'aménagements intérieurs ont commencé en septembre ; ils ont été achevés en février 1994. C'est alors qu'a pu commencer le chargement de tout ce qui avait été réuni pour profiter de cette occasion exceptionnelle d'envoyer du fret sans frais à l'Opération lecture publique. De nombreux collègues nous avaient fait parvenir des livres, neufs pour la plupart, et fort bien choisis (souvent, les listes avaient été mises au point avec les collègues maliens), mais aussi du matériel : mobilier, photocopieur, fournitures, outillage de reliure.
Mais quelles difficultés pour obtenir que la Marine nationale accepte de tenir un engagement pris deux ans plus tôt, par... le ministre précédent ! Et fasse embarquer le wagon sur le premier bateau en partance pour l'Afrique, c'est-à-dire au départ de Lorient, où la voie ferrée s'arrête à 300 mètres des quais. C'était le lundi 16 mai; jour de fête malgré le crachin pour ceux qui, ayant travaillé à cet enfantement depuis si longtemps, passaient la main aux collègues en Afrique.
La Marine nationale avait exigé qu'un représentant de l'association soit présent au port de Dakar, pour prendre en charge le wagon après son débarquement. Le bateau s'est présenté à l'entrée du port le vendredi 20, à la veille d'un week-end pas ordinaire, le samedi étant fête de l'Aïd pour les musulmans et le lundi jour de Pentecôte. Pas question de décharger, ni même d'accoster avant le mardi 24. Il a donc fallu in extremis téléphoner à Bamako pour stopper l'équipe de cheminots maliens qui allait partir quelques minutes plus tard avec la voiture-atelier et tout le matériel pour organiser la traction du wagon sur des boggies provisoires ; une semaine d'attente à ne rien faire nous aurait coûté plusieurs milliers de francs en frais de mission. Finalement, le wagon est parti de Dakar en convoi exceptionnel le mardi premier juin ; vitesse maximum 25 km/h, arrivée à Bamako le dimanche suivant. Durée des formalités douanières : un mois. Temps nécessaire pour obtenir de la Régie des chemins de fer un devis réactualisé, compte tenu des deux années écoulées et de la dévaluation du franc CFA : trois mois. Durée d'exécution des travaux : dix jours.
Le 1er janvier 1995, fraîchement repeint, le wagon-bibliothèque effectuait sa première tournée d'essai, sur ses boggies ramenées à l'écartement métrique. Restaient à effectuer les peintures décoratives, ce qui fut fait en janvier, et à installer l'équipement solaire, en février. Nous étions entrés dans le mois de ramadan : pas question d'envisager l'inauguration pendant cette période de jeûne. Voilà pourquoi nous avons attendu le 24 mars.
CB - Le wagon-bibliothèque du Mali a été inauguré par le président de la République, pour des bibliothécaires français, ça demande quelques explications.
JC - Effectivement, cela peut paraître étonnant, et nous avons été les premiers surpris lorsque les services du protocole nous ont annoncé la nouvelle : le président accepte votre invitation, et viendra lui-même pour la cérémonie de remise officielle de ce wagon-bibliothèque aux autorités maliennes.
Mais il faut préciser que Monsieur Alpha Oumar Konare a été ministre de la Culture de 1978 à 1980, c'est-à-dire au moment du démarrage de l'Opération lecture publique, et qu'il a beaucoup fait pour le développement des bibliothèques au Mali. C'est un homme pleinement convaincu que le développement du livre et de l'écrit est une des conditions du développement tout court (et de celui de la démocratie). Il l'a prouvé, dans les années quatre-vingt, en fondant la première maison d'édition privée de son pays sous forme de « coopérative culturelle Plusieurs de nos collègues ont fait sa connaissance à cette époque, lors du Salon du livre de jeunesse de Montreuil : il y participait en toute simplicité, presque comme n'importe quel petit éditeur. De fait, il était à l'origine du premier wagonbibliothèque.
Pour la Régie des chemins de fer comme pour nous, ce fut une belle fête ! Le président de la République, l'ambassadeur de France, une demi-douzaine de ministresdans les ateliers, au milieu des machines.Pendant trois jours, les ouvriers et la maî-trise s'étaient affairés pour ranger, net-toyer, repeindre. Le soir même, l'ouver-ture du journal télévisé, informationreprise par les radios le lendemain ; demémoire de cheminot, on n'avait pasvécu un tel événement depuis longtemps.
Il n'y avait donc pas lieu de s'étonner de l'accueil presque triomphal qui fut réservé au wagon-bibliothèque dans chaque localité lorsqu'il effectua sa première rotation. Avec sa nouvelle peinture, et surtout ses fresques inspirées des idéogrammes bambaras, il est vrai qu'il fait très « couleurs locales ».
CB - Comment s'organise une tournée ?
JC - Dans chaque localité, le wagonbibliothèque stationne environ deux à trois jours. Accroché en tête du convoi au départ, il en est séparé une fois arrivé dans la localité suivante, et remorqué par la locomotive jusqu'à la voie de garage.
Le dépositaire est généralement sur le quai de la gare : il a été avisé deux ou trois semaines avant par message RAC (radio du « Réseau Administratif de Commandement »). Comme pour toutes les missions de l'Opération lecture publique à travers le Mali, la première activité consiste à effectuer une » visite de courtoisie auprès des autorités. C'est l'occasion d'annoncer les heures d'ouverture du wagon, des séances d'animation, et de convenir du jour et de l'heure de la réunion de la commission chargée du suivi de la bibliothèque, devant laquelle les bibliothécaires qui accompagnent le wagon rendront compte de leur mission, au terme de celle-ci.
Les scolaires ne viennent pas souvent avec leur maître, car l'effectif des classes est trop important (couramment de l'ordre de quatre-vingts élèves). Le succès du wagon est tel auprès des enfants qu'il faut en réglementer l'accès pour que le plus grand nombre possible puisse en profiter, et réserver des plages horaires pour les adultes. Un temps est consacré au dépositaire, avec lequel il faut pointer les ouvrages rendus, et effectuer les prêts des nouveaux ouvrages déposés.
La réunion de la commission est l'occasion pour les bibliothécaires venus de la capitale de relancer la sempiternelle requête d'une attribution de local. Et la réponse est toujours la même : les impôts rapportent trop peu pour qu'une telle construction puisse être entreprise cette année...
Pour mieux prouver que l'on est prêt à aider les localités si elles font un effort dans ce domaine, l'Opération lecture publique a décidé cette année de doter chaque localité d'une cantine métallique pour y entreposer les ouvrages déposés (jusque-là, le dépositaire les gardait dans un carton). Grâce à la capacité du wagon, le dépôt de livres dans chaque localité a été porté à une centaine d'ouvrages, au lieu de trente auparavant. Il est proposé de porter le dépôt à deux cents livres, et de l'équiper d'une armoire métallique, si la localité fournit un local (en attendant, le dépôt est toujours au domicile du dépositaire).
Mais il n'est pas question de renoncer à la ligne de conduite qui a donné de si bons résultats dans tout le pays : la collectivité locale doit apporter une contribution à la création de la bibliothèque, et la forme la plus adaptée pour cette participation semble bien le bâtiment.
Le séjour dans une localité terminé, il n'y a plus qu'à attendre le passage d'un convoi autorisé par le service de la régulation à remorquer le wagon-bibliothèque jusqu'à la gare suivante. En règle générale, c'est l'affaire de quelques heures. Mais au delà de Kayes, vers la frontière, c'est beaucoup plus hypothétique : hormis l'express international (qui ne peut être retardé par les manoeuvres du wagon-bibliothèque), il n'y a plus de train de voyageurs. L'attente d'un convoi de marchandises peut alors durer une journée, voire davantage, pour passer d'une localité à l'autre ; et autant pour le retour jusqu'à Kayes... Voilà pourquoi la durée totale d'une mission, de l'ordre d'un mois, ne peut jamais être établie exactement à l'avance !
CB - Et les localités situées le long de la voie ferrée ?
JC - Elles ne sont raccordées avec le reste du pays que par le train. Certaines sont des villes importantes, comme Kita, et surtout Kayes : ce sont des chefs-lieux de cercle (un peu l'équivalent de nos départements), elles ont donc bénéficié de la création d'une bibliothèque « en dur », approvisionnée par l'Opération lecture publique. Elles disposent aujourd'hui de collections qui avoisinent les 1 500 livres, comme dans les autres bibliothèques du réseau OLP.
La vocation du wagon-bibliothèque est de desservir les petites villes qui ne possèdent pas de bibliothèque fixe. Entre la frontière avec le Sénégal et Bamako, il a été recensé onze localités pouvant bénéficier des services du wagon, parce qu'elles sont pourvues d'un groupe scolaire (1er et 2e cycle, soit l'équivalent du primaire et des collèges). Outre les enseignants et les élèves, il y réside un certain nombre de fonctionnaires, et quelques autres personnes sachant lire. Mais dans ces petites villes, il n'y a rien à lire. Dans les écoles, à part quelques manuels scolaires, il n'y a aucun livre, pas même un dictionnaire.
Ce sont de petites villes - pour certaines, il s'agit plutôt de gros villages - qui tirent une bonne partie de leur vitalité de cette position le long de la voie ferrée. Grâce au train, elles peuvent commercialiser des productions agricoles en les expédiant soit vers la capitale, soit vers le Sénégal. Et comme il n'y a pas de route pour concurrencer le rail, c'est aussi par ces localités qu'est assuré l'approvisionnement de l'arrière-pays en biens manufacturés.
La ligne du "Dakar-Niger », comme on l'a appelée avant même son achèvement en 1924, est à voie unique, les trains ne se croisent que dans les gares équipées à cet effet de deux voies, (plus généralement une voie de garage où l'on fait stationner le wagon-bibliothèque).
Certes, le trafic présente une régularité très approximative, voire aléatoire. Les trains de voyageurs connaissent souvent des retards importants, mais, ce qui compense en quelque sorte, c'est que les trains de marchandises (dont les passages sont encore moins prévisibles) transportent eux aussi presque toujours un certain nombre de passagers. Tout un commerce est greffé sur ce trafic (marchandes de fruits et légumes, brochettes, lait caillé, thé, eau plus ou moins glacée) : l'arrivée d'un train provoque toujours une animation très particulière.
CB Ce wagon pour quels publics ?
JC - Les publics du wagon-bibliothèque ressemblent fort à celui de toutes les petites villes, mis à part le côté événementiel et spectaculaire de son arrivée dans une localité. Les scolaires qui lisent bien n'y sont plus : ils sont partis pour les grandes villes où se trouvent les lycées. Restent les jeunes qui suivent le cycle "fondamental jusqu'à 16 ou 17 ans en principe, et ceux qui ont arrêté leurs études. La plupart d'entre eux lisent difficilement, et donc très peu. C'est l'échec de l'école malienne, avec ses effectifs pléthoriques, et son enseignement en français, (et non pas du français comme première langue, alors qu'il n'est jamais parlé comme langue maternelle. Le système avait donné de bons résultats tant qu'il s'agissait de former les élites, notamment dans des internats ; mais comme moyen d'instruire le plus grand nombre, il a montré ses limites). La baisse du niveau des élèves s'est sensiblement aggravée au cours des vingt dernières années, et bien des livres qui auraient pu être lus par des jeunes de 12-14 ans autrefois rebutent ceux du même âge aujourd'hui. Le choix de livres pour ce public-là (le plus nombreux) doit donc être revu pour tenir compte de cette nouvelle donne.
Les adultes, en règle général, sont plus demandeurs de lectures utilitaires que de littérature. Dans une société qui repose toujours fortement sur l'oralité, et qui attache plus d'importance aux relations interpersonnelles qu'à la fonction dans la société, l'acte de lire est antisocial. Il faut donc être très motivé pour s'isoler afin de lire.
Les enseignants recherchent des ouvrages qui leur permettront d'actualiser leurs connaissances, chacun dans sa spécialité, et de revoir leurs préparations de cours pour y intégrer les changements de programmes scolaires. Les fonctionnaires s'intéressent à l'histoire, à la politique. Dans le domaine littéraire, la littérature négro-africaine est toujours très recherchée. Les grands auteurs français continuent d'être demandés, surtout par ceux qui ont fait des études supérieures, mais curieusement, davantage ceux du XIXe que ceux du XXe siècle.
Quand aux oeuvres de la plupart des auteurs contemporains, franco-français ou parisiens de la rive gauche, candidats ou même lauréats de prix littéraires, que tant de donateurs seraient prêts à offrir si généreusement, ce n'est souvent pas la peine d'engager le prix du transport pour les envoyer là-bas. La mise au pilon étant inacceptable dans des pays aux pénuries si criantes, ils encombreraient indéfiniment les rayonnages, avant que l'on se décide pour une solution finale comme celle que l'on a pu suggérer discrètement ici ou là : l'élevage de termites.
Enfin, il faut signaler que, pour répondre à la demande expresse du président de la République, le jour de l'inauguration, il a été institué un service de librairie à bord du wagon-bibliothèque. Très réservés avant la première tournée, les bibliothécaires convoyeurs sont revenus convaincus de l'utilité de la chose : pour certains titres (déposés par des éditeurs maliens), ils avaient vendu les trois exemplaires, et pris des commandes !