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    Dominique Arot

    Par Dominique Arot, Chef du département des politiques documentaires et patrimoniales Direction du livre et de la lecture

    Vôtre association a le sens des opportunités. Car pouvait-on trouver meilleur lieu pour réfléchir à la notion de réseaux que Saint-Étienne, ville du livre avec sa nouvelle bibliothèque, avec le réseau BRISE qui fédère des bibliothèques de statuts variés, avec la désormais traditionnelle Fête du livre ?

    La présence de la Direction du livre et de la lecture à ce congrès prend plusieurs formes. Tout d'abord la publication d'un numéro spécial de la revue Lettres, entièrement consacré aux bibliothèques, contenant un long entretien du directeur du livre et de la lecture, Jean-Sébastien Dupuit, avec la présidente de votre association, Claudine Belayche ; la présence, pour la troisième année consécutive, pendant toute la durée du congrès, dans le cadre du salon professionnel, d'un stand d'information de la DLL. Au-delà de ce rendez-vous annuel et de notre dialogue de ce matin, la DLL, tout au long de l'année, entretient des relations régulières avec les associations professionnelles, et tout particulièrement avec l'ABF.

    Constituer des réseaux structurés

    Le thème que vous avez choisi pour votre congrès, « Travailler ensemble : bibliothèques et réseaux rejoint une préoccupation centrale pour la DLL : comment contribuer à la constitution de réseaux structurés et efficaces de bibliothèques au service de tous les publics, dans une perspective d'aménagement du territoire ? Comment rendre plus cohérents les réseaux existants ? Comment inciter, susciter et accompagner les initiatives ? La formule « travailler ensemble est heureuse puisqu'elle peut être interprétée à la fois comme un constat énoncé de manière active et concrète, comme un souhait et un objectif, comme un impératif et une obligation. L'usage du pluriel pour le mot « réseaux » est lui aussi particulièrement bien venu, puisque l'on sait bien qu'il n'existe pas un réseau national unique, monolithique, et qu'à côté des grands réseaux institués (celui du dépôt légal, par exemple), il existe une grande variété d'initiatives et d'organisations. Dans un rapport qui lui avait été demandé par le Directeur du livre et de la lecture et dont elle vient d'achever la rédaction, sous le titre Coopération et mise en réseau des bibliothèques territoriales françaises, Claudine Lieber l'indique bien : » Le réseau des bibliothèques françaises est plus que jamais un concept qui recouvre la réalité de types de réseaux extrêmement divers et dont l'enchevêtrement n'est pas assimilable à un maillage du territoire. »

    Dans un autre domaine, le thème choisi pour l'édition 1995 du Temps des livres l'échange s'inscrit aussi parfaitement dans ce contexte sémantique des réseaux. Rappelons la grande diversité de cette manifestation annuelle (3 000 manifestations en France en 1994 et 30 pays associés).

    Si l'on a pu souvent lire dans les textes publiés depuis plusieurs années des expressions du type l'isolement dont souffrent les bibliothèques », « la solitude des bibliothécaires if faut bien se rendre à l'évidence : aujourd'hui, l'autosuffisance des différents établissements, quelle que soit leur taille, est devenue impossible. L'individualisme n'est plus de mise : « explosion » documentaire, missions patrimoniales et documentaires accrues, diversité des publics et de leurs demandes, rationalisation et justification des moyens humains et financiers mis en oeuvre (préoccupation qui rejoint l'expression employée hier à Givors à plusieurs on est plus convaincant »), nécessité (pour reprendre une expression empruntée au rapport 1994 du Conseil supérieur des bibliothèques) de » rassembler les compétences », et de les rassembler largement, au-delà de la seule institution bibliothèque.

    La notion de réseau est liée à celle d'homogénéité, de continuité, de cohérence, de qualité et de variété des services offerts aux divers publics. Ce réseau prend aussi physiquement la forme d'un réseau urbain, et comme le rappelait Patrice Béghain, la construction d'une bibliothèque peut jouer un rôle important dans la recomposition d'un quartier, dans une politique d'urbanisme. Je ne résiste pas au plaisir de vous rapporter cette anecdote : dans une grande ville qui vient de se doter d'une importante médiathèque, certains agents immobiliers ont pu rédiger des annonces ainsi libellées : « appartement bien situé, près de la médiathèque Défions-nous donc des visions trop abstraites, de l'usage quasi magique du vocable « réseau d'un réseau qui deviendrait pure construction conceptuelle, d'un réseau pour les bibliothécaires...

    Concrètement, il est possible de distinguer quelques champs privilégiés pour les actions conduites en réseau (cf. le rapport Lieber) :

    • les bases bibliographiques régionales de fonds anciens et locaux,
    • les bases locales communes,
    • l'accession des bibliothèques publiques aux réseaux nationaux et internationaux,
    • les plans de conservation partagée des périodiques,
    • les publications de guides collectifs ou de sélections communes,
    • l'action en direction de publics spécifiques,
    • la promotion de la lecture chez les jeunes,
    • les actions transfrontalières.

    Le rôle de la DLL

    Dans ce domaine, quel est et quel peut être le rôle d'une administration centrale du livre et de la lecture à la lumière de deux événements majeurs : l'achèvement de la décentralisation et l'ouverture du bâtiment de Tolbiac de la Bibliothèque nationale de France ?

    Reconnaissons tout d'abord (sans pour autant verser dans l'autosatisfaction) que, s'il reste encore beaucoup à faire, on ne part pas de rien. Avant même de parler de réseaux, il importait que le nombre, la densité et la répartition géographique des bibliothèques progressent. Les dispositifs mis en place au fil des années dans le cadre de la décentralisation (le concours particulier) ont porté leurs fruits en matière de développement des équipements. La réforme de juillet 1992 a en outre consacré le rôle d'aménageur des départements vis-à-vis des petites communes (dont le nombre élevé en France justifie et impose encore plus l'idée de réseau puisque chaque commune ne peut disposer à elle seule d'une bibliothèque municipale digne de ce nom), elle a permis et permet à de grandes villes de se doter des équipements adaptés qui leur manquaient. Cette réforme prend en compte pour la première fois le financement de l'informatisation en réseau. Il y a donc là un acquis incontestable (et qu'il faudra prolonger). La création de tous ces nouveaux équipements constitue également une chance pour créer des réseaux vivants, faits d'entités originales, d'établissements ayant des personnalités fortes, développant leur identité tant par leurs collections que par les services offerts, diversité et cohérence plutôt qu'uniformité.

    L'achèvement du chantier de la BNF, l'avancement des chantiers scientifiques qu'elle a ouverts (information bibliographique, politique d'association dépôt légal, Catalogue collectif de France) constituent des atouts essentiels pour la mise en cohérence des réseaux présents et futurs.

    Quelques axes essentiels peuvent être distingués

    L'accès aux ressources bibliographiques et documentaires pour lequel, comme nous l'avons dit à l'instant, le rôle de la BNF et des outils collectifs qu'elle met en place est essentiel. Mais il reste dans ce domaine de très grands progrès à accomplir : si l'on prend l'exemple du prêt entre bibliothèques au sein des bibliothèques publiques, leurs 73 millions de volumes ne génèrent que 20 000 transactions de prêt entre bibliothèques par an. La DLL, en partenariat avec la fondation des banques CIC et avec les éditions Payot, donne elle-même l'exemple du travail en commun en préparant un Guide des bibliothèques patrimoniales de France en 10 volumes présentant les trésors de plus de 400 bibliothèques, qui paraîtra à l'automne à l'occasion du Temps des livres.

    Il faut que réseaux et coopération s'ouvrent à tous les supports et ne se bornent pas à l'imprimé. La politique d'association de la BNF pourrait par exemple s'étendre aux collections spécialisées.

    Rappelons également qu'il ne peut y avoir de véritable travail en réseau sans une réelle circulation de l'information et une connaissance des établissements et de leurs initiatives : la DLL souhaite voir se renforcer le contrôle technique et contribue à la mise en place d'une Inspection générale des bibliothèques rénovée, elle renforce aussi son réseau de Conseillers pour le livre et la lecture (CLL) dans les Directions régionales des affaires culturelles. C'est aussi le sens des efforts déployés pour moderniser et actualiser les outils statistiques à la disposition de tous les acteurs des bibliothèques publiques. Les publications professionnelles jouent bien sûr un rôle important dans ce domaine, de même que la formation continue. Quant aux associations professionnelles, elles tiennent une place irremplaçable comme lieux du débat, de la confrontation et de la proposition, votre congrès en est la preuve...

    Du réseau au partenariat

    Quelques exemples illustrent cette conception dans leur diversité, comme le réseau du dépôt légal imprimeur où les liens de la BNF et des bibliothèques dépositaires doivent se renforcer ; comme le réseau constitué par les BDP avec les petites communes. Le 50eanniversaire des bibliothèques départementales de prêt qui va être fêté cette année doit fournir l'occasion d'une réflexion riche sur les acquis et les perspectives d'avenir de ce réseau.

    Les opérations nationales initiées par la DLL sont toujours fondées sur le partenariat entre établissements et entre acteurs de la chaîne du livre : Temps des livres, Un livre, une ville qui réunissent bibliothèques, écoles, libraires, éditeurs et auteurs.

    C'est cette même volonté de partenariat qui doit inclure la bibliothèque dans les réseaux culturels locaux. Il convient d'insister sur l'importance de véritables politiques locales du livre et de la lecture dont les bibliothèques sont le coeur et qui prennent en compte tous les aspects : diffusion, création, conquête de nouveaux publics, découverte du livre, développement de la lecture.

    À titre d'exemple, l'opération lancée par la DLL et la Direction du théâtre et des spectacles en 1995 pour développer les liens entre les théâtres et leurs troupes permanentes et les bibliothèques va également dans ce sens : création de centres de ressources/théâtre, interventions des comédiens au sein de la bibliothèque. Cette opération qui a reçu le label du Fonds d'innovation culturelle permettra de financer quatre ou cinq projets pilotes en 1995.

    Le soutien aux équipements de proximité en milieu rural comme les « Relais-livres en campagne fournit un bon exemple de coopération entre acteurs de la chaîne du livre. La DLL a constitué un groupe de travail sur les actions autour du livre en milieu rural avec des directeurs de BDP et des CLL en vue de renforcer ces partenariats locaux. Les programmes interministériels : Éducation nationale, Justice, Défense, Affaires sociales, Agriculture seront, bien sûr, poursuivis. Des structures de coopération existent, les agences de coopération, d'autres sont en quelque sorte potentielles », les bibliothèques municipales à vocation régionale. Une première génération de ces BMVR sera née en 1997, nous sommes donc dans un calendrier favorable pour réfléchir sur le prolongement de ce programme d'investissement et, au-delà, sur le contenu futur de leurs missions et sur un cahier des charges. Il appartient à l'État de lancer la réflexion en liaison avec tous les partenaires afin de distinguer les champs d'intervention des uns et des autres, les missions prioritaires et des modalités d'aide de l'État qui soient à la fois incitatives et efficaces. Cette réflexion est d'ores et déjà amorcée au sein de la DLL.

    Légiférer...

    On ne créera pas les réseaux par décret. Pour autant, la DLL n'exclut pas le recours à une loi sur les bibliothèques et a déjà engagé la réflexion en ce sens. Il serait bien sûr prématuré de dire ce qu'une loi sur les bibliothèques pourrait contenir. Il importe d'abord d'utiliser à plein tous les dispositifs existants, par exemple, en matière de développement culturel, la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 qui préconise l'intercommunalité, s'appuie sur la notion de développement local (et la place de la culture), qui contribue à l'émergence de la notion de pays - ensemble géographiquement et économiquement cohérent - qui repose sur des outils financiers nouveaux plus simples, en fusionnant les divers fonds d'intervention existants en un seul nouveau fonds : le fonds national à l'aménagement et au développement du territoire (FNADT).

    Dans notre réflexion sur un projet de loi, il nous faut examiner les dispositifs actuels du concours particulier qui sont incitatifs en matière d'investissement, insuffisants en termes de fonctionnement. La deuxième part est incitative et automatique, la première part est automatique, mais ni attractive, ni incitative. Comment inciter (car il faut être incitatif) sans enfreindre l'esprit et les textes de la décentralisation (c'est un domaine très sensible) en tenant compte du mouvement, du dynamisme des établissements ? Avec quels critères (personnel qualifié, acquisitions) ? Comment favoriser l'association non concurrentielle des collectivités ? Comment cordonner les initiatives des différentes collectivités sans les encadrer excessivement ? Comment faire bénéficier les structures mises en place de financements croisés, en évitant les doublons et les incohérences ? Comment favoriser l'intercommunalité ? Ce sont quelques-unes des importantes questions auxquelles nous devons trouver réponse, tout en gardant présentes à l'esprit l'efficacité des formules actuelles et leur fragilité en cas de retouches.

    La qualification et la mobilité des personnels constituent un atout indispensable dans la constitution de réseaux : des difficultés et des interrogations demeurent. Des statistiques récentes montrent que la filière culturelle représente 3,60 % de la fonction publique territoriale. Ceci explique sans doute en partie (si l'on ajoute le caractère récent des réformes statutaires) la difficulté du dialogue entre l'État, le CNFPT, les collectivités et les structures de formation. La montée des emplois non titulaires (14% de l'ensemble de la FPT, 21 % dans les BM en 1993 : 3 787 contractuels, vacataires, CES, auxiliaires sur 17 889 agents) est aussi une source d'inquiétude. Dans ce domaine, les aides de l'État, les dispositions législatives sont-elles suffisamment incitatives ? À cet égard, Jean-Sébastien Dupuit m'a confié le soin de vous dire publiquement que, chaque fois que la notion de qualification professionnelle sera mise en cause, lors de nominations de directeurs d'établissements, une fois les faits clairement établis, l'État, de manière systématique, introduira des recours devant les juridictions administratives. Il va de soi que cette attitude forte et exigeante s'accompagne impérativement d'une réflexion sur la pertinence des formations initiales et continues délivrées aux professionnels et renforce les exigences de professionnalisme que doivent s'appliquer à eux-mêmes les bibliothécaires.

    Un esprit de coopération

    Il reste de nombreuses autres approches possibles de ce sujet Travailler ensemble », comment mettre en pratique cet esprit de coopération entre bibliothèques de statuts différents : bibliothèque muni-cipale/bibliothèque universitaire ? L'annexe Tréfilerie à Saint-Étienne (la lecture publique au sein de l'université) nous fournit un bon exemple des coopérations possibles. Comment faire vivre et améliorer les relations interprofessionnelles ? La mission confiée à Albert Poirot par le Directeur du livre et de la lecture sur le thème des relations entre bibliothèques et librairies manifeste clairement cette préoccupation.

    Quelle dimension internationale peut prendre ce travail en commun ? Deux exemples parmi d'autres : d'une part, la présence de la France comme pilote dans le projet de bibliothèque électronique initié par les pays du G 7 lors de la réunion de février 1995 à Bruxelles, sur le thème de la société de l'information, et associant, au-delà du groupe des 7, des pays attentifs au problème du plurilinguisme ; d'autre part, l'effort de coordination entrepris par la DLL concernant la présence de la France au sein de l'IFLA avec l'appui de l'ABF.

    Cette semaine, un hebdomadaire titrait un papier sur Internet en ces termes : « Comment commander une pizza au Canada depuis votre micro-ordinateur?. Cet exemple en dit assez long à lui seul sur l'inanité de certains types de communication et de réseaux lorsqu'ils sont coupés, jusqu'à l'absurde, de toute notion de contenu. Plus que jamais, il appartient aux bibliothécaires et aux bibliothèques au sein de leurs réseaux d'apporter du sens, dans l'acception la plus forte de ce terme. Plus que jamais, les idéaux d'égalité d'accès à la connaissance, de partage du savoir doivent guider nos actions. La Direction du livre et de la lecture s'emploie et s'emploiera à y contribuer à sa juste place.