Index des revues

  • Index des revues

Les lecteurs face aux bornes de consultation multimédia

1995
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Les lecteurs face aux bornes de consultation multimédia

    Premier bilan à la médiathèque départementale de la Drôme

    Par Joëlle Pinard, Médiathèque départementale de la Drôme

    Dispositif

    Si les médiathèques sont le lieu de rencontre de tous les médias, il fallait bien qu'elles se jettent dans l'aventure multimédia et embarquent un public déjà demandeur. La médiathèque départementale de la Drôme l'a fait en installant au printemps 1995 des stations de consultation multimédias. Les raisons de ce choix, la politique d'acquisition, les configurations techniques et les implications pour le personnel sont présentées dans les actes des journées de l'ADBDP (Association des directeurs de bibliothèques départementales) de Rodez. Les aléas de la technique et les avatars du personnel pourront être racontés de vive voix... Mais nous aimerions dresser ici un premier bilan de l'utilisation par le public après cinq mois de fonctionnement.

    Rappelons que la médiathèque départementale de la Drôme est constituée de quatre entités, dont trois sont des médiathèques ouvertes au public (comme une bibliothèque municipale) et en même temps point de départ d'un bibliobus et tête de pont des ressources documentaires et bibliothéconomiques d'un secteur géographique (comme une bibliothèque départementale). Ces médiathèques sont basées dans des communes de 4 500 à 6 500 habitants sans effet d'agglomération, dans un milieu rural en désertification mais avec lycée et collège.

    Les trois médiathèques ouvertes au public (Diois-Vercors, Drôme des Collines et Drôme provençale) disposent chacune de deux bornes de consultation : une réservée à sept CD-Rom (et une base bibliographique en plus dans la Drôme provençale), l'autre dédiée à « Mémoire de la Drôme ", base de données iconographiques (et bientôt sonores) sur le département.

    Il fallait intégrer ce nouveau support au sein de la médiathèque : d'une part pour le public direct, l'informer et étudier ses comportements ; d'autre part pour le public des bénévoles en bibliothèques du réseau de lecture publique local. Quelques déménagements et accommodements matériels pour intégrer ce support parmi les autres, au plein centre de la salle adultes, au voisinage du secteur de référence et proche de la banque de prêt, les ont rendus immédiatement repérables par le public.

    Tous, jeunes et moins jeunes, se sont enquis de la nouvelle installation et de son but. La première démarche de l'usager est d'abord liée à la curiosité : découvrir le support et son fonctionnement. La deuxième est celle de la prise de connaissance du contenu de chaque CD-Rom. Mais c'est à l'usage que les comportements varient, qu'il s'agisse des réactions du public jeune, adulte ou bien des procédures instaurées par les bibliothécaires en fonction du type de public de la bibliothèque et des situations locales.

    Gisèle Escure, bibliothécaire, médiathèque départementale Diois-Vercors (Die)

    Aucune condition de consultation n'estimposée : les deux postes sont en accèslibre pendant les 25 heures d'ouvertureau public de la médiathèque. Les usagersse succèdent en un flux quasi continu, lesbibliothécaires veillant à ce qu'aucun uti-lisateur ne monopolise le poste. Laconsultation est d'abord le fait des jeunesqui maîtrisent très vite les outils, témoi-gnent d'autant d'aisance face à l'écran tac-tile qu'avec la souris, assimilent rapide-ment les consignes, manifestent de lacuriosité pour les différents menus.Consultent également les adultes déjàfamiliarisés avec l'utilisation du matérielinformatique. Ces usagers requièrent peude personnel. En revanche, les bibliothé-caires interviennent pour aider un publicinexpérimenté et souvent aussi plus âgéqui désire consulter «Mémoire de laDrôme avec quelques conseils pourfaire leurs premiers pas, ces utilisateurscontinuent leurs recherches sans diffi-culté.

    Hélène Inard-Charvin, étudiante à l'IUT de Grenoble en info-com (stagiaire à Nyons)

    Les jeunes se sont tout de suite approprié le nouvel espace multimédias ; cliquer, double cliquer, fermer... sont des fonctions acquises, la manipulation ne leur pose pas de problème. Ils consultent les bornes comme s'ils regardaient la télévision, la souris remplaçant la télécommande, ils sont peut-être plus actifs et font leurs choix. La consultation en groupe favorise l'émulation, elle devient un jeu.

    Les réactions des adultes sont nettement différentes : désintérêt, curiosité mêlée de crainte, incompréhension du vocabulaire, manque de bases. On constate encore une disparité ; les adultes viennent une fois, regardent ; les jeunes reviennent plusieurs fois et se renseignent pour savoir si les bibliothécaires ont installé d'autres CD-Rom !

    Les adultes utilisent plus facilement l'écran tactile de » Mémoire de la Drôme », encastré comme un téléviseur. Le public peut très vite être autonome dès le début de sa consultation à condition d'avoir eu une lecture attentive des explications données sur l'écran.

    Cependant, le public intéressé cherche vite à apprendre et demande des explications afférentes au vocabulaire, au contenu, aux modalités de consultation et de fonctionnement. Une fois qu'ils ont la souris en main, les gens demandent Est-ce que je peux ? » Il est primordial qu'une personne puisse les informer, les conseiller et les rassurer : il faut accompagner la démarche de ce public jusqu'à la consultation même.

    Guy Masson, bibliothécaire, médiathèque départementale Drôme provençale (Nyons)

    La consultation des bornes se fait pendant des plages de trois heures déterminées, avec accompagnement du personnel de la bibliothèque. Progressivement la borne « Mémoire de la Drôme est laissée en libre accès, celle des CD-Rom restant « sous contrôle puisqu'elle nécessite l'emprunt par le public du casque et de la souris (contre une carte d'identité). L'introduction des nouvelles technologies a renforcé notre fonction de médiateur et notre présence dans les salles. Nous avons un rôle d'incitation, d'accompagnement pédagogique, d'initiation à la manipulation des outils informatiques et nous aidons le public à définir sa recherche pour le conduire vers le document approprié.

    Le public jeune maîtrise vite l'utilisation de ces bornes ; il demande très peu d'informations mais nous devons intervenir pour des questions de discipline (consultation en groupe, tentatives d'entrer dans le système). L'introduction de ces supports a ravivé l'image de la médiathèque auprès des jeunes et les rapports avec le public difficile s'en trouvent améliorés.

    Multimédia, facteur d'intégration ou de désaffection ?

    Le public des jeunes en difficulté scolaire est très présent à la médiathèque. L'introduction des nouveaux médias a aussi pour objectif d'offrir à ce public qui se marginalise vite des supports d'information et de documentation dans lesquels il se sent à l'aise, sans sentiment d'échec. Nouvelle manière de se documenter et de s'instruire, sans l'aide de l'adulte et à son rythme... après l'excitation de la découverte et une consultation encore assimilable à un butinage.

    Les véritables exclus dans ce domaine seraient les adultes : le public adulte a besoin de temps pour apprivoiser ces nouvelles technologies. À Nyons, le public qui consulte les CD-Rom est à 94 % constitué de jeunes, les adultes se hissent à 20 % pour la consultation de » Mémoire de la Drôme ».

    Des aides ont été réalisées pour faciliter l'accès aux bornes : signalisation, signet d'information, mémento explicatif, fiches d'entrées et de circulation dans chaque CD-Rom. Mais le rôle du personnel reste primordial : mise en confiance, information, explication, orientation vers le multimédia comme les autres supports à toute demande d'information. Il faut sensibiliser en douceur à cette nouvelle forme d'apprentissage et d'information plus individualisée. Il faut également veiller à ce que l'occupation de ce terrain par les jeunes ne soit pas une raison supplémentaire d'écarter le public adulte dans les bibliothèques où la cohabitation des deux publics n'est déjà pas facile. À donner une image dynamique et moderne de la médiathèque, la prive-t-on d'un certain public traditionnel ?

    Les best-sellers de la consultation

    La moyenne des temps de consultation est de six minutes. À Nyons, 260 consultations (guidées) par mois, à Die 580 consultations (libres) par mois. À la médiathèque départementale Diois-Ver-cors, le grand succès c'est de loin le CD-Rom sur « les instruments de musique » (444 consultations, 11 minutes de moyenne). De tous ceux offerts, c'est celui qui joue le mieux la carte multimédia; « l'Atlas (bien que les hymnes nationaux ne soient pas activés malgré l'annonce de l'éditeur) a connu 402 consultations, 6 minutes en moyenne, " Le Corps humain 330 consultations, 5 minutes 30 : l'image et l'hypertexte y sont bien conçus. Les lanternes rouges sont très nettement l'astronomie (« Sky Plot ») à Saint-Vallier comme à Nyons ou à Die : pourtant très attirant, sa difficulté d'utilisation décourage les amateurs. "Biblibar", la base bibliographique des Baronnies saisie sur un logiciel en américain ne permet pas l'accès au grand public.

    Dans les trois sites, Mémoire de la Drôme » intéresse les gens à la fois par son thème (images des communes, des habitations, des monuments, des événements, des lieux naturels, des personnalités du département) et par l'ergonomie de son interface ; la recherche y est très guidée et simple, il suffit de toucher du doigt la case que l'on veut voir s'ouvrir. Jeunes ou adultes, tous s'intéressent au patrimoine local et cherchent à reconnaître et identifier des lieux ou des événements. La simplicité et la richesse de l'outil (une base de 60 000 images) font son succès ; l'absence de vision historique et de hiérarchisation des données en sont les limites.

    En supposant que les nouveaux supports soient adaptés au public à qui on les destine - nous ne ferons pas ici l'analyse critique des CD-Rom actuellement en service -, il est un peu tôt pour comprendre les pratiques de lecture des publics, de la découverte d'un nouveau gadget à une stratégie d'accroissement des connaissances et d'information.

    C'est à Gisèle Escure que revient le premier bilan : "Après cinq mois d'utilisation, les bibliothécaires constatent que le service est constamment utilisé - même durant l'été quand les touristes remplacent les usagers locaux - et que le matériel est en parfait état. Ni saturation, ni épuisement de la curiosité ne se sont manifestés. Quelques demandes d'accroissement du nombre des CD-Rom et de leur prêt au public ont été exprimées. Mais les utilisateurs ne sont pas nécessairement prolixes ! On peut néanmoins affirmer dès maintenant que ce nouveau mode d'accès à l'information, plus ludique et personnalisé, a trouvé son public. Les bibliothécaires se voient également confirmés dans leur décision de permettre aux usagers de découvrir, tester, apprendre à maîtriser ces nouveaux supports. Ils auront peutêtre un rôle accru dans l'initiation pour convaincre de la simplicité d'utilisation la partie du public qui a encore peur de l'informatique, ce qui soulèvera la question de la formation du personnel. »

    Multimédia, premier pas vers les réseaux d'information et de communication ?

    Quelques CD-Rom sont aujourd'hui proposés au public dans les médiathèques départementales de la Drôme : ce n'est qu'un premier pas vers une mise en réseau local, il conviendrait sans doute de multiplier les tours et par là même l'offre sur chaque site. La constitution d'un fonds itinérant de CD-Rom participerait de la réduction des inégalités entre zones urbaines et zones rurales avec une offre de services identiques. Le prêt au public direct comme aux bibliothèques relais serait la prochaine étape.

    L'initiation proposée aux bibliothécaires bénévoles du réseau lors des dernières rencontres semestrielles et leur intérêt pour ces nouveaux supports montrent qu'il faudrait d'urgence profiter des possibilités offertes par les nouvelles technologies pour lutter contre la dispersion et l'éloignement, pour permettre la documentation à distance. La fibre optique est à Valence, elle menace déjà le Diois-Ver-cors, bref, le fantôme d'Internet plane sur la Drôme !

    Une annexe de la médiathèque départementale, en lien avec le CDDP (Centre départemental de documentation pédagogique), le CFA (Centre de formation des apprentis), la FPA (formation professionnelle pour adultes) pourrait se spécialiser dans la découverte des nouveaux supports, avec une mission de veille technologique et de sensibilisation aux nouvelles technologies.

    Pour l'heure, la médiathèque départementale oeuvre au sein d'un réseau « non branché de quatre médiathèques départementales, de cinq médiathèques municipales et de cent quatre bibliothèques communales, dans lequel les liens sont déjà très forts (circulation des documents, connaissance réciproque des partenaires, formation professionnelle, animations communes, conseil, soutien et dynamisation). Quels liens, quels services, quelles relations à la connaissance pourrons-nous développer grâce aux nouvelles technologies ? Avec quels moyens financiers et humains ? Quels enjeux culturels sous-tendent cette perspective ? De nombreuses associations professionnelles, de nombreux colloques tentent de répondre à ces interrogations. Les bibliothécaires drômois, quant à eux, n'ont pu que se voir confirmés dans leur rôle de « facilitateurs » de l'accès au savoir et aux sources d'information, futurs poissons-pilotes des applications multimédias comme des autoroutes de l'information !