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    La bibliothèque royale de Belgique

    Par Josiane Roelants Abraham, Chef de Département Bibliothèque royale de Belgique
    La Bibliothèque nationale reflète la santé culturelle du pays. Elle rassemble toute la production littéraire dans quelque domaine que ce soit, avec la double mission de conservation et de diffusion du patrimoine national. En remplissant cette fonction, la bibliothèque est totalement dépendante de la société qu'elle sert. Toutefois, la réalité indique que la bibliothèque n'est pas le reflet immédiat des changements qui affectent son environnement. Le temps de latence entre les événements et leurs effets dépend de plusieurs facteurs, notamment de la qualité de l'organisation, des moyens mis en oeuvre et du niveau déformation du personnel. Tous ces paramètres qui interfèrent dans la vie de la bibliothèque proviennent donc de la société qui l'entoure. Les changements politiques ont dès lors inévitablement des conséquences sur l'existence de la bibliothèque.

    Introduction

    La Belgique est devenue un État fédéral à part entière avec trois communautés (néerlandophone, francophone, germanophone), trois régions (flamande, wallonne, Bruxelles-Capitale). Cette présentation très schématique permet d'aborder la problématique institutionnelle belge qui est et reste difficile à comprendre pour les non-initiés. Le secteur culturel a subi de plein fouet les changements profonds de l'État. En effet, la Constitution a donné aux communautés la propriété de leur patrimoine culturel mais sans leur donner les moyens réels de la réaliser - ce qui permet, bien sûr, à l'imagination de s'exprimer pleinement.

    Les trois communautés sont donc souveraines quant à la gestion, l'exploitation de leur patrimoine culturel et artistique. Cela vaut pour l'organisation de leurs enseignements, de leurs fonds, de la disponibilité et de l'accès aux collections.

    Bibliothèque nationale et Bibliothèque royale de Belgique

    La Bibliothèque nationale de Belgique est l'un des six départements de la Bibliothèque royale de Belgique dite Albert Ier, en commémoration de la mort du roi Albert Ier.

    L'institution fait partie des dix institutions fédérales scientifiques et culturelles, celles-ci étant les musées royaux des Beaux-Arts, musées royaux d'Art et d'Histoire, les Archives générales du royaume et des Archives de l'État dans les provinces, l'institut royal des Sciences naturelles, le musée royal d'Afrique centrale, l'Observatoire royal, l'institut royal d'Aéronomie spatiale, l'institut royal de Météorologie et l'institut royal du Patrimoine artistique.

    Malgré la fédéralisation de la Belgique, il n'y a pas actuellement de séparation entre Bibliothèque nationale et Bibliothèque royale, dans les opinions des citoyens ni dans les faits ni dans le droit. Rien n'a donc changé quant à l'existence de la Bibliothèque royale de Belgique.

    Il faut également mentionner que l'Union européenne, dont le centre nerveux se trouve à Bruxelles, a reconnu depuis 1989 l'importance des bibliothèques dans l'information européenne en mettant sur pied une multitude de programmes destinés à valoriser la culture européenne et à la diffuser grâce aux nouvelles technologies.

    La Belgique est ainsi devenue le carrefour culturel et informationnel de l'Europe. C'est dans cet éclairage que je présenterai la politique qui est ou qui devrait être mise en place en Belgique.

    La Bibliothèque royale de Belgique

    La Bibliothèque royale de Belgique a, comme la plupart des grandes bibliothèques patrimoniales européennes, des racines princières profondes qui remontent à l'histoire du pays.

    Si l'acte constitutif de la Bibliothèque royale date du 12 avril 1559, le noyau de ses collections historiques est constitué d'une partie importante de la librairie des ducs de Bourgogne (1) . Au cours des siècles, la Bibliothèque royale, malgré les vicissitudes de l'Histoire, s'est enrichie de précieuses collections d'imprimés, d'incunables, de cartes et plans, de monnaies, de partitions de musique, d'estampes, etc.

    Par sa fonction de Bibliothèque nationale elle rassemble toute la production écrite du pays (depuis 1875 et à partir de 1966 par dépôt légal). À l'heure actuelle, la Bibliothèque royale est la plus grande bibliothèque scientifique du pays. Elle conserve ses joyaux historiques et contemporains : Bibliothèque de Bourgogne, Bibliothèque des Bollandistes, incunables, livres précieux, cartes et plans, médailles, monnaies, estampes, affiches, cuivres, et plaques originales, partitions, disques dont la dernière donation représente 35 000 disques de Clément Dailly qui couvre toute l'histoire de la musique... La Bibliothèque royale actuelle est riche de plus de 4 millions d'ouvrages, de quelque 15 000 périodiques. Tous les domaines du savoir sont couverts.

    Le rôle de la Bibliothèque royale de Belgique

    Il est évident que dans le contexte de politique fédérale où les communautés ont la gestion de leur patrimoine culturel, les institutions fédérales culturelles et scientifiques ne peuvent compter que sur des « subsidiations » fédérales restreintes par la force des choses.

    Or dans la conjoncture économique actuelle ne pas accroître les budgets de fonctionnement et de développement est synonyme de stagnation à court ou à moyen terme pour une institution de service public comme la bibliothèque et de choix dans ses activités.

    D'ailleurs, les pouvoirs communautaires, néerlandophone et francophone, ont des projets de création de centre régional d'information, véritable organisation proche des citoyens, répondant aux demandes quelles qu'elles soient et de toute origine.

    Cette situation pourrait à long terme diminuer le rayon d'action de la bibliothèque fédérale sauf si elle devient réellement la bibliothèque d'orientation vers les sources disponibles où qu'elles se trouvent, sans en disposer elle-même.

    La politique éditoriale

    La mission de la bibliothèque qu'elle soit publique, privée, scientifique ou autre, est de faciliter l'accès à ses collections, de les conserver et de les protéger de toutes altérations qui empêcheraient leur transmission aux générations futures.

    Conserver et diffuser sont parfois des activités qui s'opposent notamment dans le cas de collections précieuses. Ces oeuvres précieuses doivent-elles dès lors être mises en coffres, protégées du public, accessibles seulement à une élite scientifique ? C'est toute la problématique des bibliothèques historiques devant composer entre préservation et exploitation.

    Or il apparaît que ces antagonismes peuvent s'accorder et la mise en valeur des richesses peut à la fois répondre au double impératif de protection et de diffusion du patrimoine et en plus présenter de sérieux avantages pour la bibliothèque :

    • reproductions uniques dans de bonnes conditions des sources cachées (sans altération des documents comme c'est souvent le cas par des photographies réitérées et à la demande) ;
    • diffusion de ces publications dans le public indépendamment du niveau de l'audience ;
    • protection de sources fragiles ;
    • utilisation des retombées commerciales pour restaurer, protéger ou conserver ces sources.

    L'exploitation des richesses cachées ou réputées telles doit bien entendu se faire en respectant l'éthique de la reproduction d'oeuvres uniques et historiques. Je ne reviendrai pas sur cette importante facette de la profession de bibliothécaire que j'ai largement présentée dans Éthique et qualité en bibliothéconomie (2) ».

    La situation actuelle

    La Bibliothèque royale est éditeur de la Bibliographie de Belgique, sur papier, sur CD-ROM, elle en a confié l'édition à la firme Odis. Elle est également responsable de publication d'inventaires, de catalogues d'exposition et de quelques publications de nature purement scientifique réservées à une audience restreinte de spécialistes.

    Dans un petit nombre de cas, des événements culturels majeurs ont permis la publication de documents exceptionnels (ce fut spécialement le cas d'expositions Europalia : « Los Beatos », « La Librairie de Marguerite d'Autriche et d'« Isabelle de Portugal »). Actuellement le nombre de titres disponibles est d'environ 195 (3) .

    En l'absence de promotion éditoriale, il n'y a véritablement pas eu de retombée significative vers la bibliothèque de ces événements majeurs. L'explication de cet état de chose est que l'édition et le marketing ne font pas partie des motivations essentielles professionnelles de la bibliothèque. De plus il n'existe une section de promotion et de valorisation que depuis 1991, celle-ci s'occupant essentiellement des visites guidées et de l'organisation d'expositions.

    Toutefois les autorités laissent au personnel la liberté de publier en approuvant les efforts individuels. Néanmoins beaucoup de publications scientifiques de la Bibliothèque restent en stock dans les réserves de l'institution. Cette situation peut s'expliquer par :

    • la difficulté d'évaluation de l'impact d'une exposition et de son catalogue, souvent tributaire d'une diffusion et d'une promotion trop académiques ;
    • l'obligation légale d'éditer, à tirage égal, les catalogues dans les deux langues nationales, alors que, dans certains cas, l'intérêt peut différer au Nord et au Sud du pays ;
    • l'emplacement trop discret des comptoirs de vente au public ;
    • le prix des catalogues, proportionnellement trop élevé, en raison du tirage limité.

    Tous ces critères font partie de l'absence d'une approche marketing des services des bibliothèques en général.

    L'association Les Amis de la Bibliothèque » se consacre prioritairement à l'acquisition de documents précieux et non à des éditions de textes. Mais pour accroître ses moyens, elle publie des calendriers, du papier à lettres personnalisé et des cartes postales constitués à partir de documents des collections de la Bibliothèque.

    En 1990, un audit demandé par le ministre responsable des Institutions fédérales a souligné l'importance d'un effort spécifique de promotion : il suggérait que la direction envisage sérieusement une exploitation systématique de ses collections courantes et muséologiques. C'est dans cette optique que des actions ont été entreprises :

    • publication sur CD-ROM du catalogue collectif belge des monographies et périodiques ;
    • réalisation de microfilms des collections FETIS et hébraïques ;
    • microfilmage des journaux belges du XLXe siècle ;
    • rétroconversion de la Bibliographie nationale depuis sa création.

    La problématique de l'édition de bibliothèque touche plusieurs aspects : déontologie, compétence et adéquation à une politique d'ensemble de la bibliothèque d'ouverture au maximum de public.

    La collaboration avec des entreprises privées me semble une bonne répartition des compétences. Toutefois, j'ai constaté que les éditeurs ont beaucoup de difficultés à valoriser des publications très spécialisées, réservées à un public restreint d'initiés et sont plutôt tentés par des contenus plus « large public Il Il faut faire la part des choses et tenter d'équilibrer les domaines traités. Alterner les expositions et surtout les faire voyager pour toucher le plus de public même peut-être au prix d'expositions moins précieuses, copies, fac-similés des documents rares pour lesquels une assurance grèverait sérieusement le budget d'exposition.

    Éthique

    Il est indispensable de doter notre travail en bibliothèque d'une charte de déontologie, de code d'éthique. Certains pays l'ont déjà fait mais je pense que la démarche devrait se faire sur le plan européen.

    Ainsi lorsque je parle de l'exploitation des collections, je pense qu'il faut l'aborder dans le respect d'une rigueur scientifique d'édition. Le rôle du bibliothécaire connaissant son patrimoine doit être irréprochable et se conformer aux règles de l'art de sa profession. Ainsi, la situation évoquée dans Éthique et qualité en bibliothéconomie (4) , à savoir la connaissance de certaines publications ou de catalogues d'expositions épuisés, amène le bibliothécaire à refaire une publication sans mentionner l'auteur précédent et donc sachant l'ouvrage épuisé en librairie à tenter de bénéficier de l'originalité du précédent tirage à peu de frais. Ceci n'est qu'un exemple vécu parmi d'autres. Il est clair que nous ne serons jamais à l'abri d'escroquerie de ce type.

    L'édition de textes, de catalogues, de facsimilés de publications scientifiques doit se faire suivant des principes de protection du droit de l'auteur, de respect de l'éthique de la profession et plus simplement d'honnêteté scientifique pure.

    De plus, le choix de textes à convertir doit se faire suivant de strictes modalités scientifiques et non pas sur la base d'opinions philosophique, politique ou religieuse ! La qualité scientifique de la publication doit être le seul impératif de choix de texte.

    Conclusion

    Les bibliothèques qu'elles soient nationale, publique, privée ou autre ont la mission de donner accès à leurs collections et à les préserver.

    La politique éditoriale des bibliothèques n'est pas encore entrée dans les habitudes de mise à disposition des collections. Elle fait encore partie du volet commercial d'exploitation des ressources patrimoniales. Or de plus en plus - et les exemples se multiplient en Europe et aux États-Unis - les bibliothèques vont exploiter elles-mêmes leurs fonds, avec toutes les garanties de rigueur scientifique et de protection des oeuvres reproduites.

    L'édition remplit ainsi un double objectif : diffusion de l'information et retombée financière pour l'institution. Les réglementations publiques, le code de déontologie professionnelle et l'opportunité scientifique seront des garde-fous incontournables d'une politique éditoriale conscientisée.

    1. Bibliothèque royale: mémorial 1559-1969. - Bruxelles: Bibliothèque royale Albert Ier, 1969. - 467 p. retour au texte

    2. Éthique et qualité en bibliothéconomie Josiane Roelants. - Libri, vol. 43, n° 3 (1993), pp. 198-209. retour au texte

    3. Catalogue des catalogues d'expositions organisées par la Bibliothèque royale Albert f. - Bruxelles: BR, [s. d.]. - 38 p. retour au texte

    4. Cf. note 3. retour au texte