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Une compagnie théâtrale et l'équipe d'une médiathèque

1996
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    Une compagnie théâtrale et l'équipe d'une médiathèque

    Une fraternité d'action culturelle, d'imagination et de création à Corbeil-Essonnes

    Par Évelyne Loew, Assistante de fean-Claude Penchenat Metteur en scène et directeur du Théâtre du Campagnol

    En 1992, le Théâtre du Campagnol décide de quitter la piscine de Châtenay-Malabry (lieu que nous avons petit à petit transformé en théâtre). Le ministère de la Culture et la municipalité de Corbeil-Essonnes nous proposent alors une installation à Corbeil-Essonnes, ville située à la lisière de la banlieue parisienne et de la zone rurale. Nous y transporterions notre Centre dramatique national, ce serait la première expérience de ce type en grande banlieue. Parmi les premières rencontres, une, décisive, celle de l'équipe de la Médiathèque et de son directeur, Jean-Claude Van Dam. Leur accueil enthousiaste a compté au moment de décider du lancement de cette nouvelle aventure. Notre théâtre a toujours eu pour objectif d'élargir le public, de faire découvrir un répertoire classique et contemporain à ceux qui ne prennent pas naturellement le chemin des lieux culturels (1) . Savoir que l'on peut compter dans cette mission sur l'appui de ceux qui, depuis longtemps, connaissent une ville, une région, y diffusent les oeuvres littéraires et musicales, y organisent des lectures, est essentiel. Un réseau culturel fort et complémentaire (MJC, conservatoire, maisons de quartier, services culturels très dynamiques) nous a convaincu de choisir Corbeil-Essonnes pour y poursuivre une aventure théâtrale quelque peu exceptionnelle...

    La Médiathèque accueille la compagnie : se connaître

    Dans une première phase - le théâtre étant fermé pour travaux pendant un an - la Médiathèque accepte d'être l'un des lieux de représentations du Centre dramatique national et son petit auditorium (2) est investi - envahi ! - par l'équipe technique du théâtre qui le transforme en véritable salle de spectacle. Vingt comédiens, des techniciens, metteurs en scène, habilleuses, décorateur, maquilleur, régisseur de plateau débarquent. Nous donnerons à la Médiathèque, avec grand succès, deux séries de représentations, une création, Non le théâtre ne remplacera jamais la télévision, une reprise, Le Voyage à Rome, et une pièce en lecture. Les multiples difficultés qui auraient pu apparaître et être la cause de tensions sont surmontées dans la bonne humeur et le plaisir de la découverte réciproque : des loges sont aménagées, l'accueil du public est organisé, les horaires sont décalés... En conjuguant nos forces nous touchons réellement un nouveau public ravi du rapport très convivial qu'offre cette petite salle. Par ailleurs, en se côtoyant journellement les deux équipes amorcent une collaboration basée sur une connaissance très concrète de nos métiers. Des liens de confiance, d'amitié, se nouent entre les deux équipes, on échange points de vue, livres, découvertes, on partage le « trac »...

    Le théâtre revenu « dans ses murs » : continuer la collaboration

    Après avoir célébré le "mariage » du théâtre et de la ville par une semaine de manifestations diverses pendant laquelle des personnages de théâtre ont fait irruption partout - dans les cafés, les commerces, les marchés, les supermarchés et bien sûr dans leur lieu de prédilection : au milieu des rayonnages de livres -, le Théâtre du Campagnol inaugure le nouveau théâtre, la salle de 500 places et se consacre essentiellement à donner vie à ce nouvel équipement. Mais nous n'avons pas abandonné pour autant la Médiathèque.

    Les bibliothécaires : Valérie Rouxel, Annick Le Guen et Marie-Anne Nègre imaginent avec nous d'autres formes de partenariat. À la direction de la Médiathèque Claudine Belayche prend le relais de Jean-Claude Van Dam nommé à la Direction du livre et de la lecture. Rencontres avec le public, lectures, création de fonds théâtre, soirées « aventures théâtrales », autant de jalons de notre fraternité qui ne s'est jamais démentie durant ces trois premières années.

    Dès l'ouverture du nouveau théâtre s'organisent à la Médiathèque des rencontres avec le public qui suivent ou précèdent les créations. Par exemple l'invitation de plusieurs auteurs contemporains hongrois à l'occasion de la création de la pièce de Pal Békès Sous les yeux des femmes garde-côtes.

    Le projet d'un fonds théâtre se développe et prend forme en 1993. Fonds de ressource très important et très complet de textes de théâtres classique et contemporain, histoire du théâtre, textes critiques, revues, vidéo, il est installé dans une salle aménagée de manière à pouvoir tranquillement travailler sur place. Il est le seul de cette envergure sur toute l'Ile-de-France et s'adresse aux amateurs et professionnels, étudiants, troupes régionales, élèves d'options A3, etc. Une bibliothécaire a rejoint l'équipe pour s'en occuper tout particulièrement : Marianne Segaud.

    Les aventures théâtrales : transmettre et garder une mémoire

    Ces soirées, préparées en commun, ont pour but de faire connaître la mémoire du théâtre sans la « raideur » qu'il peut y avoir dans une conférence ou un colloque. Un metteur en scène, un comédien, un décorateur, vient raconter dans un récit libre son choix, ses débuts, le contexte dans lequel il s'est inscrit, son parcours, en un mot son aventure. Il s'agit de transmettre aux nouvelles générations l'expérience de ceux qui n'écriront certainement jamais. Ces soirées ont toutes eu lieu à la Médiathèque. Nous avons ainsi accueilli Marie-Hélène Dasté, comédienne et créatrice de costumes, Isabelle Sadoyan, comédienne qui a raconté les débuts de l'aventure de Roger Planchon, Simone Valère et Jean Desailly pour l'aventure Renaud-Barrault, Sonia Debeauvais responsable des relations avec le public au TNP, Jean-Claude Grumberg, auteur pour le théâtre, le cinéma et la télévision. Les soirées sont enregistrées en vidéo. Une copie est transmise à la maison Jean Vilar - centre de mémoire du théâtre en Avignon - une autre copie reste à disposition à la Médiathèque, consultable sur place dans le cadre du fonds théâtre qui s'enrichit ainsi de documents uniques et précieux.

    Les lectures, découverte de textes, découverte d'auteurs

    Le croisement le plus évident du théâtre et du livre est celui de la lecture à haute voix, première étape d'un travail théâtral, premier exercice d'un comédien, et pour le spectateur introduction à un texte littéraire ou dramatique. Nous avons imaginé plusieurs cycles de lectures : des lectures à deux voix sur des thèmes. Les propositions de textes sont faites par les bibliothécaires, le montage final et la lecture sont assurés par deux comédiens de la compagnie. Les thèmes : l'étrange, le polar et la banlieue, la gourmandise, histoires de bouche... Ou encore la découverte de l'univers d'un auteur, par exemple Maupassant ou Pirandello à travers la lecture de courtes nouvelles. Nous avons également sur proposition de la Médiathèque ou sur proposition du Campagnol fait entendre des textes d'auteurs contemporains, en lecture à plusieurs voix, par exemple tout récemment un texte de Suzanne Lebeau Salvador, la montagne et la mangue. Cette saison une collaboration a été amorcée avec Théâtrales » pour la découverte de nouveaux auteurs.

    « Avoir 20 ans ! » 20 auteurs, 20 acteurs, 20 personnages « héros » de notre temps, 20 lectures d'une heure

    Cette saison à l'occasion des vingt ans du Campagnol nous proposons un grand cycle : 20 ans 20 lectures, financé par le Conseil général du 91, la Direction du théâtre et la Direction du livre. Six de ces lectures se déroulent à la Médiathèque de Corbeil, les autres ont lieu dans la ville et le département dans des lieux variés : médiathèques mais aussi cafés, appartements, prisons, foyers ruraux, maisons de quartier, MJC, locaux associatifs...

    Les textes choisis dans de grandes oeuvres de la littérature de récit et d'initiation des XIXe et XX siècles sont ces passages écrits à la première personne dans lesquels se concentre la destinée d'un héros, moment de « précipité au sens chimique du terme, précipité du récit et des moyens d'expression. Bien souvent c'est l'auteur lui-même qui, au coeur de sa fiction, s'oublie ou plutôt se retrouve, prend la parole, s'adressant directement au lecteur pour lui transmettre une « révélation fondamentale.

    De l'auteur à ce personnage porte-parole, du personnage à l'acteur qui va l'incarner, de l'acteur au spectateur et du spectateur au lecteur nous voulons faire passer le courant, transmettre des interrogations sur notre temps, donner le goût de lire ou de relire des chefs-d'oeuvre. Ce cycle est aussi l'occasion pour vingt comédiens de jouer en solo, c'est un moment de rencontre très particulier avec le public qui consacre la présence d'une troupe dans une ville. Les spectateurs ont souvent plaisir à retrouver plus personnellement un comédien qu'ils ont pu voir jouer par ailleurs dans la compagnie. Le plaisir d'une lecture c'est aussi celui de laisser libre cours à l'imagination de chacun. À partir de quelques éléments de costumes, accessoires, lumières, d'une voix, d'une présence, d'un beau texte, chaque spectateur se fait « sa propre mise en scène »...

    Il serait trop long de citer tous les textes présentés, quelques-uns à titre indicatif : John Fante L'hiver 33 fut difficile, Albert Cohen 0 vous frères humains, Gustave Flaubert Mémoires d'un fou, Charles Dickens Les Ordonnances du docteur Mari-gold, Joseph Conrad Le Compagnon secret, Marguerite Duras Loi V. Stein, Théophile Gautier Mademoiselle de Maupin, Marcel Proust À la recherche du temps perdu, Jean Giono Le Grand Troupeau...

    Ces lectures se reprendront et pourront tourner dans d'autres médiathèques et bibliothèques la saison prochaine (3) .

    Une belle histoire menacée

    À l'heure où j'écris cet article, fin avril 1996, l'avenir du Centre dramatique national de Corbeil est très incertain. L'annonce de la réduction par la municipalité de 50 % des crédits alloués au CDN remet en cause son existence. Le Conseil général de l'Essonne se propose comme partenaire, mais les sommes qu'il pourrait avancer ne compensent pas la réduction drastique de la municipalité. Si aucune solution n'était trouvée, le Centre dramatique national devrait chercher un autre lieu d'implantation et d'autres partenaires à court ou moyen terme. Quel que soit son avenir il gardera une relation privilégiée avec la Médiathèque de Corbeil, mais elle ne peut être de même nature si la troupe est investie ailleurs car la plupart de ces actions de partenariat sont rendues possibles financièrement par la présence constante de la compagnie, des acteurs, d'une équipe technique, d'un fonds de costumes, bref par l'infrastructure du CDN.

    Lecteurs, spectateurs, futurs lecteurs, futurs spectateurs, le public compte sur nous. Espérons que nous aurons les moyens de ne pas le décevoir et de continuer, fraternellement, Médiathèque et Théâtre, à transmettre nos passions et à donner vie ensemble à de nombreux auteurs...

    1. Le Théâtre du Campagnol existe depuis 1975, un livre d'Évelyne Ertel vient de sortir aux Éditions Nizet racontant notre itinéraire. retour au texte

    2. Il comprend 128 places. retour au texte

    3. Renseignements au Théâtre du Campagnol, 20-22, rue Marcel-Cachin, 91100 Corbeil-Essonnes. retour au texte