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Droit à l'information et politique culturelle des villes

1997
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    Droit à l'information et politique culturelle des villes

    L'exemple de Périgueux

    Par Xavier Darcos, Maire de Périgueux

    La bibliothèque municipale est l'un des services les plus visibles dans une commune, parce qu'elle est en contact direct avec le public et que la qualité de ses prestations est directement perçue par les usagers. C'est aussi un service qui génère des coûts et produit peu de recettes sans que les nécessités et les besoins auxquels il répond ne soient toujours bien définis ni perçus, ce qui, paradoxalement, n'induit pas toujours la démarche d'évaluer la bibliothèque et son efficacité réelle.

    Ces considérations peuvent susciter plusieurs questions du point de vue d'un élu :

    • Quels services la bibliothèque doit-elle rendre aux usagers? Qui sont, d'ailleurs, ces usagers et quelles sont leurs attentes?
    • Quel doit être le rôle de la bibliothèque dans la politique de la ville, notamment dans le domaine de l'éducation ?
    • Quels coûts est-il prêt à consentir pour la bibliothèque et quels retours en attend-il?
    • Quelles relations souhaite-t-il avec sa bibliothèque? Comment la situe-t-il dans l'organigramme de la mairie?

    Ces questions se posent à Périgueux, comme certainement dans d'autres communes et ne laissent pas d'être complexes. Plusieurs éléments de réponse peuvent être distingués, qui sont d'ordre très divers et qui tiennent largement au contexte local de Périgueux.

    Deux obligations s'imposent. En premier lieu, celle de la lecture publique ; une bibliothèque publique est un droit pour les citoyens, et une commune de la taille de Périgueux doit entretenir une bibliothèque de prêt pour favoriser et développer la lecture et plus largement la culture auprès de ses administrés, tant par le prêt et la consultation sur place de documents de tous supports que par le développement d'animations variées qui ont trait à la lecture dans son acception la plus étendue.

    En second lieu, celle du patrimoine. La bibliothèque de Périgueux, dont l'histoire débute avant la Révolution, est héritière d'un fonds ancien qui s'est progressivement constitué; loin de pouvoir s'en affranchir, la ville doit au contraire l'accroître et l'enrichir. La bibliothèque municipale est d'ailleurs classée, ce qui induit une coopération avec l'Etat en matière de conservation et d'accroissement du patrimoine écrit de la commune.

    Lecture publique et patrimoine

    Pour tendre vers ces deux buts, la bibliothèque doit :

    • offrir un fonds varié et de qualité convenant à des lecteurs ayant des motivations très différentes ;
    • disposer d'une section jeunesse en rapport avec la forte proportion de celle-ci dans la population urbaine et avec la volonté d'une politique scolaire dynamique ;
    • développer des animations (expositions, conférences, etc.) de façon à donner à la lecture une dimension plus large, en concertation avec les actions des autres établissements culturels de la ville (théâtre, conservatoire, musée, etc.) ;
    • essayer de connaître les caractéristiques et les attentes de ses usagers, y compris les publics empêchés, afin d'ajuster au mieux ses efforts et ses prestations.

    Tous ces objectifs doivent être recherchés dans le cadre de budgets qui connaissent des limites, ce qui implique, de la part de la bibliothèque, des choix souvent difficiles et une gestion rigoureuse.

    Il est certain que, pour tendre vers ces objectifs exigeants, une relation de confiance doit exister entre l'élu et le bibliothécaire. A la confiance accordée par celui-là répondent les propositions et les actions de celui-ci. C'est de ce dialogue suivi que se dégage une politique cohérente du livre et de la lecture qui peut s'insérer de façon harmonieuse dans la politique culturelle de la ville.

    L'exemple de la ville de Périgueux, cas particulier certainement, permet d'illustrer toutes ces réflexions, qui résultent d'ailleurs plus de tentatives d'approche que de certitudes absolues.

    Périgueux compte environ 32 000 habitants, dans une agglomération qui avoisine les 65 000 habitants. La pyramide des âges se caractérise par une population active en recul, au profit des autres communes de l'agglomération, un nombre croissant de retraités et une forte population d'âge scolaire (de l'école maternelle aux premières années d'études supérieures).

    Le contexte éducatif est très important : 3 lycées classiques, un lycée technique et un lycée agricole, plusieurs institutions privées, une annexe de la faculté de droit de Bordeaux, et bientôt le Centre international de préhistoire, pour ne citer que l'enseignement secondaire et supérieur.

    Le livre est très présent à Périgueux avec plusieurs grands libraires et libraires de livres anciens, que la ville associe étroitement, avec la bibliothèque, au Salon du livre gourmand, oui se tient tous les deux ans.

    De par sa position de ville-centre, Périgueux concentre un certains nombre d'atouts et d'équipements qui profitent à l'ensemble de l'agglomération et dont elle assume seule la charge. Cela est particulièrement vrai dans le domaine culturel.

    En effet, les équipements culturels sont variés : conservatoire, école Britten, musée, bibliothèque, centre culturel de la Visitation, école de dessin, nouveau Théâtre de Périgueux, prolongés par de multiples manifestations culturelles (expositions artistiques, festivals de musique et d'art lyrique, animations liées au livre,...). Un grand projet est en cours, celui du musée gallo-romain.

    Tous ces équipements et les activités qu'ils supportent ont un coût non négligeable. Alors que les villes de sa taille consentent en moyenne entre 7,8% et 9% de leur budget à la culture, Périgueux y consacre plus de 11% de son budget de fonctionnement. C'est donc une politique culturelle de grande échelle qui est désormais menée à Périgueux, et dans laquelle la bibliothèque occupe une large place.

    Avec 6,1 millions de francs en 1996, dont plus de 650 000 francs pour les acquisitions, la bibliothèque représente le 1er budget culturel de la ville.

    Le fonds comprend 168 738 ouvrages imprimés, 335 titres de périodiques et 11 665 phonogrammes. Quoique important, il s'accroît et se renouvelle de plus en plus difficilement, avec 3 695 ouvrages et 793 phonogrammes entrés en 1996, mais 3 656 livres et 693 phonogrammes éliminés pour la même année.

    La bibliothèque est ouverte 39 heures par semaine ; l'inscription est payante, à la fois pour responsabiliser les usagers et pour couvrir les frais d'établissement des cartes de lecteurs. La bibliothèque centrale, installée en centre-ville, est relayée par trois annexes dans les quartiers les plus éloignés.

    Les lecteurs inscrits (au nombre de 7 907) couvrent 24,7% des habitants de la commune, quand la moyenne nationale, pour des villes comparables, est de l'ordre de 18% pour l'année 1995. La fréquentation du bâtiment a été de 127 106 personnes en 1996, soit une moyenne mensuelle de 10 562 personnes par mois (avec des écarts allant du simple au double : de 6 603 à 12 795). Le nombre de documents prêtés en 1996 s'est élevé à 183 376 documents (dont 31 948 phonogrammes), soit un ratio considérable de plus de 23 livres par emprunteur.

    Soulignons que, outre les activités fondamentales de prêt et de consultation sur place, la bibliothèque a développé de nombreuses activités en faveur du livre et de la lecture : accueil de classes et séances de travail dans les écoles, accueil de conférences et d'expositions, rencontres avec des auteurs et des éditeurs, etc. ; toutes actions évidemment souhaitables, mais dont les retombées sur la fréquentation de la bibliothèque ne sont pas bien évaluées.

    L'ouverture vers les publics empêchés est un complément important, puisque la bibliothèque, en liaison avec la Coopération des bibliothèques en Aquitaine (CBA), a signé une convention avec la maison d'arrêt de Périgueux en septembre 1996 et a entamé une réflexion sur la lecture chez les handicapés.

    Pour conclure, quelques caractéristiques doivent être soulignées, qui résument le contexte assez favorable dont bénéficient la lecture et le patrimoine écrit à Périgueux.

    Avant tout, la bibliothèque dispose de l'entière confiance de la mairie pour mener à bien ses missions : les acquisitions et le désherbage des collections relèvent uniquement de la compétence des bibliothécaires, qui informent régulièrement le conseil municipal du développement de leurs travaux. Ceux-ci tiennent compte notamment des suggestions et remarques que les usagers expriment de vive voix ou par écrit, sur un registre ad hoc.

    Un effort de plus grande ouverture a été accompli; entre 1996 et 1997, la plage d'ouverture est passée de 29 h 30 hebdomadaires à 39 heures.

    D'excellentes relations sont entretenues avec les libraires de la ville, qui fournissent l'essentiel des acquisitions et avec lesquels des animations littéraires sont régulièrement organisées.

    La bibliothèque travaille en partenariat, en toute indépendance, avec plusieurs organismes professionnels (Coopération des bibliothèques en Aquitaine, Centre régional des Lettres, Archives départementales, associations, écoles, etc.) et son programme d'activités culturelles est élaboré en liaison avec celui des autres institutions culturelles de la ville : il est bien une partie d'un tout.

    Certes, des lacunes existent. Ainsi, dans le domaine des nouvelles technologies et des nouveaux supports, nous offrons à nos usagers une palette encore restreinte de CD-Rom et nous ne sommes pas encore raccordés à l'Internet.

    Nous sentons bien, également, la difficulté que nous rencontrons à assurer le renouvellement et l'accroissement d'un fonds qui intéresse une population qui dépasse largement le cadre de Périgueux intra muros et nécessite d'être considérée à l'échelle de l'agglomération.

    Il conviendrait, par ailleurs, que nous nous interrogions sur les publics qui fréquentent la bibliothèque et sur les services qu'ils attendent de cet établissement. Ainsi, nous savons que la population active et retraitée du centre ville est sous-représentée par rapport à la jeunesse et par rapport aux lecteurs des autres communes de l'agglomération. Dans le même ordre d'idée, il ne serait certainement pas inutile de reconsidérer l'articulation des rôles et des services assumés par la bibliothèque centrale et les annexes.

    A Périgueux, toutes ces pistes de réflexion, sans doute conditionnées par une limite budgétaire, relèvent plus d'un problème d'évaluation des besoins et d'adaptation à la demande que d'un manque de moyens ou de volonté politique. En effet, l'équipement culturel est là, il bénéficie de l'attention de ses élus, il participe activement à la vie de la cité et il manifeste un sens certain du service public. Mais la recherche d'une meilleure adéquation dépend avant tout d'un dialogue étroit entre l'équipe municipale, celle de la bibliothèque et les usagers, dont les attentes et les réactions donnent tout leur sens aux efforts menés jusqu'à présent.