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    La censure, version 1986

    Par Yves Sartiaux, Bibliothécaire, membre du collectif Renvoyons la censure!

    Quand jeme tourne vers mes souvenirs professionnels, je pense à cette croisade menée par "ces chevaliers de l'ordre moral».

    Celle qui est à l'initiative de ce mouvement, accusant sans détours les éditeurs, les auteurs et les bibliothécaires d'avoir fomenté un complot pour pervertir la jeunesse de France se nomme Marie-Claude Monchaux. En 1985, elle publie à l'UNI (Union nationale inter-universitaire), syndicat proche de l'extrême droite, une brochure de 120 pages intitulée Ecrits pour nuire: littérature enfantine et subversion. La même année, Louis Pauwels du Figaro-Magazine lui consacre son édito, elle gagne en quelque sorte « ses lettres de noblesse ».

    «Les livres pour enfants véhiculent le fumier... Un certain nombre de livres attrayants (...) sont des ouvrages corrompus... Ils étalent une véritable pourriture morale.» Ainsi débute la thèse de cette dame qui s'insurge à propos des livres qui interrogent. Marie-Claude Monchaux excelle dans l'art de la citation tronquée : sortie de son contexte, la moindre petite phrase peut devenir ambiguë, perverse ou scandaleuse pour le besoin de sa démonstration.

    Connue pour avoir rédigé et illustré des manuels édifiants d'éducation sexuelle pour enfants, elle développe ses idées, sillonne la France depuis déjà plusieurs années et remet à ceux qui lui demandent son catalogue d'ouvrages à mettre à l'index. A titre d'exemple : le livre de Hans Peter Rich-ter, Mon ami Frédéric, l'un des plus beaux textes pour enfants sur le nazisme, jugé trop cru, trop triste »... Son relais parisien tant attendu se dessine sous les traits de Solange Marchai, conseillère de Paris du XVIe arrondissement...

    Le 10 juillet 1986, une commission composée pour moitié de bibliothécaires, pour moitié de représentants de la Mairie de Paris et de personnalités désignées par arrêté municipal, est désignée. Sa présidente, Françoise de Panafieu, maire-adjointe chargée de la Culture, a voix prépondérante. Cette commission peut désormais se charger de l'acquisition des documents pour la jeunesse en établissant des listes limitatives.

    Soucieux de ne pas laisser s'installer la censure, les bibliothécaires de la ville de Paris réagissent et s'organisent : journée de grève les jours de la réunion de la commission,... La campagne de presse, le collectif « Renvoyons la censure! » et son manifeste, qui rassemble plus de 10 000 signatures au Salon du Livre, contribuent à l'arrêt du fonctionnement de cette commission.

    Cependant, n'ayons pas la mémoire courte, restons vigilants.

    RENVOYONS LA CENSURE !

    « Des auteurs sont calomniés, des éditeurs attaqués, des bibliothécaires, des enseignants, des libraires sont discrédités. A Montfermeil et ailleurs, des livres sont retirés des biblothéques. A Paris, plus subtilement, les livres n'entreront plus dans les bibliothéques sans l'avis des élus. Ils participent de façon prépondérante à l'établissement des listes d'autorité.

    A l'origine de ce phénomène inquiétant: des responsables municipaux, diverses associations brandissent la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse pour exercer la censure sur tout ce qui est supposé perturbant, y compris l'évocation de la pauvreté ou même... de la tristesse ! Le premier respect des adultes à l'égard des enfants n'est-il donc pas de leur faire découvrir tout la diversité de la vie avec ses langages et ses situations multiples? Si cela exige des précautions, en aucun cas cela ne tolère le mensonge.

    Nous défendons ce qui est attaqué: la littérature, la lecture, la circulation des idées, les libertés. »

    Manifeste du Collectif