Moyen de communication entre personnes partageant un même centre d'intérêt, la liste biblio-fr constitue un outil de formation pour les abonnés. Ensemble et grâce au courrier électronique, des professionnels mettent en commun leurs expériences, s'informent et s'alertent rapidement sur des thèmes fédérateurs (monopole de la presse spécialisée, droit d'auteur...) et s'interrogent sur le devenir des bibliothèques. La liste ménage aussi, comme le voulaient les membres fondateurs, une place au français sur l'Internet. De plus, les archives des dis-eussions consultables sur le site informent un plus large public. Loin d'isoler les individus, un réseau de discussion les rapproche et les fait même se rencontrer.
À partir de deux exemples (l'IUT de Tours et la Bibliothèque départementale du Val-d'Oise (3) ) ont été abordées les questions que posent la création et la maintenance d'un site Web : le rôle du maître de toile comme architecte et coordinateur ; la nécessité d'éviter les textes trop longs ou trop personnalisés ; la banalisation de la production sur le Web (au besoin conjointement au support papier) par la diffusion jusqu'au personnel de secrétariat des règles et outils de structuration des documents. Même si l'accent fut mis sur l'information primaire, on aborda la question des catalogues interrogeables sur le Web, où la convivialité de l'interface ne saurait régler la question linguistique.
Le réseau national des bibliothèques de mathématiques (4) , la cellule MathDoc (5) et la bibliothèque médicale du CHU de Rouen (6) montrent comment on peut rassembler, autour de ressources thématiques, plusieurs bibliothèques et voir collaborer des informaticiens, des chercheurs, des ingénieurs, des bibliothécaires. La cellule Mathdoc est aussi tournée vers l'Europe et pilote le projet EULER (7) d'intégration des ressources documentaires européennes de mathématiques.
Les exemples de Gallica (8) , de l'ABU (9) et de la Bibliothèque électronique de Lisieux (10) montrent qu'associations et bibliothèques peuvent réaliser par Internet une meilleure diffusion des documents, tout en assurant leur conservation. Le cas de Bibliopolis est différent puisqu'il s'agit de la mise en place d'une véritable politique éditoriale sur cédérom, visant à présenter des corpus de textes pour lesquels la version électronique assure des possibilités de recherche totalement nouvelles.
(11) La diffusion des périodiques scientifiques a subi de nombreuses modifications ces dernières années. La première est la souscription d'abonnement à des journaux électroniques en ligne, proposée dès 1996 par Elsevier. En 1997, apparaît la notion d'abonnement à des regroupements alliant 75 revues du même éditeur. La baisse attendue par les bibliothécaires suite au changement de support n'a pas eu lieu, bien au contraire. Les grands ont répercuté leurs lourds investissements sur les tarifs d'abonnement, certaines revues subissant des augmentations de 130 % en dix ans. Une journée nationale à l'intention des chercheurs les sensibiliserait à une séparation des organes de publication et de validation des contenus.
C'est un concept né dans les années 70 qui facilite le travail de l'étudiant. Deux types de formation coexistent. Instrumentale d'abord, elle apprend aux lecteurs à se repérer dans les locaux, dans les services de la bibliothèque ; elle lui apprend à utiliser des techniques telles que l'OPAC, l'interrogation de bases de données et aujourd'hui Internet. Cette formation n'est pas suffisante pour assurer une égalité des chances. Il est essentiel de former aussi à la recherche et à l'exploitation de l'information, pour aider les professionnels des bibliothèques dont le métier est de plus en plus complexe. L'URFIST de Paris a créé un réservoir de formations documentaires (FOURMIS : formation universitaire réseau méthodologie de l'information, devenue FORMIST (12) ).
Jean-Michel Salaün, de l'ENSSIB, et Claudine Belayche, présidente de l'ABF, ont présenté le projet de coopération inauguré le 16 février 1998 par 16 sites (13) . Il s'agit de coordonner et en partie partager les efforts de signalement des ressources dans le domaine des bibliothèques, de la bibliothéconomie et des sciences de l'information. Le débat a montré l'intérêt de l'utilisation de bases de données, ainsi que le besoin de coopération sur une bien plus vaste échelle, en matière de signalement général des ressources d'Internet.
Ce ne furent pas des rencontres technicistes. Pourtant, quelques ateliers permirent à chacun, selon ses activités et centres d'intérêt, d'approfondir certains points.
Un logiciel libre est distribué librement avec ses codes sources ; il est donc modifiable et redistribuable (14) . Il est protégé par une licence pour assurer son statut. Le logiciel libre n'est pas un sous-logiciel : il peut être concurrent de produits commerciaux. On le trouve sur plusieurs marchés (application, serveur Web ou système d'exploitation tel que Linux). Leur développement est dû à des informaticiens professionnels financés par des fonds publics ou privés. La possession des codes sources garantit à l'utilisateur que l'information n'est pas dépendante d'un seul logiciel. Le responsable assure alors la pérennité de ses données face au constructeur. Pourquoi informaticiens et bibliothécaires n'explore-raient-ils pas davantage cette piste ?
(15) « Données sur des données », elles ne sont rien d'autre que la nouvelle figure du catalogage dans la publication électronique. Dans la perspective de SGML ou de ses applications simplifiées HTML et XML (16) , on cherche à marquer le document lui-même d'éléments de description et d'accès qui existent en HTML, mais dont le DublinCore (17) a dressé une liste systématique de 15 éléments. Des expériences visant à rendre possible des interrogations multibases ont été présentées, comme MedExplore, qui peut permettre la génération de métadonnées, ou EULER (18) , projet européen relatif aux mathématiques, qui utilise Z39.50. Mais d'autres réalisations consistent à lier la notice bibliographique au document. Il existe pour cela une solution USMARC et UNIMARC : la zone 856 (19) .
Les expériences en cours de numérisation ou d'édition numérique ont révélé des partis pris différents. Si l'on veut faire du vrai multimédia avec une forte utilisation de l'image animée, de hauts débits sont indispensables. C'est le parti pris par la Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette pour son Coeur de réseau qui repose sur une plate-forme locale ATM (20) , cette solution étant aujourd'hui incompatible avec une diffusion large sur Internet, faute d'infrastructure suffisante. D'autres expériences, comme celle de l'université de Lyon 3, tenant compte de l'état actuel du réseau mondial ou fonctionnant sur des réseaux locaux plus modestes, ont été présentées, reposant sur le texte et l'image fixe. Pour ce type de données, les solutions immédiatement opérationnelles sur le Web s'imposent : d'un côté HTML (en attendant peut-être la diffusion des solutions SGML), de l'autre JPEG,format d'image allégé de bonne qualité.
Deux expériences, en réalité assez semblables bien qu'elles s'adressent à des publics différents, ont été présentées. À Gravelines (Nord), la municipalité a souhaité mettre un nouvel outil à la portée de tous et répondre aux attentes du grand public, avec la diffusion d'informations (bibliographiques, culturelles, messagerie) et l'accès direct à Internet. À la BIU de Montpellier, il s'agit d'un accès libre et gratuit à Internet et à un réseau de cédéroms pour les étudiants, avec séances de formation et charte d'utilisation. Un fichier d'adresses est régulièrement mis à jour, il comprend des adresses en médecine et en culture générale. Enfin à la BPI, les postes d'accès libre à Internet ont été inaugurés de 1995 à septembre 97 et récemment transférés dans les locaux provisoires (21) , où les problèmes de sécurité ont entraîné la suspension de ce service pour quelques mois.
Les dispositifs de formation initiale ou continue et les modes de recrutement ne répondent pas aux nécessités de l'évolution des métiers des bibliothèques. Les nouvelles technologies se développent dans les établissements mais les professionnels sont rarement formés, tandis que l'offre de formation apparaît insuffisante et dispersée, et que l'on observe une pénurie de formateurs de qualité. Face à la globalisation de l'économie, il est permis d'envisager l'accréditation des diplômes au niveau international, une meilleure intégration de la formation continue tout au long de la carrière et des procédures de recrutement davantage fondées sur les compétences réelles. Il y eut la matière à bien des débats, qui se poursuivront certainement sur biblio-fr et ailleurs.
Un des grands moments de ces rencontres fut l'intervention d'Ann Okerson (22) , de l'université de Yale, traduite avec pétulance par Jean-Claude Guédon, de l'université de Montréal. Rappelant que le copyright anglo-américain accordait traditionnellement davantage de droits à l'utilisateur que le droit d'auteur européen, elle a montré qu'en matière de journaux électroniques (23) dominait aujourd'hui en Amérique du Nord une autre logique : celle de la licence négociée au coup par coup entre une bibliothèque et un éditeur. Ces licences, qui accordent au souscripteur des droits de jouissance sans cession de propriété, peuvent décrire avec beaucoup de détail les conditions d'utilisation, introduisant des notions floues comme celle de site (24) . La logique de la licence oblige la bibliothèque à engager un énorme travail de négociation et seules les grandes institutions en ont les moyens. C'est pourquoi Ann Okerson a défendu la pratique des consortiums, aujourd'hui au nombre d'une cinquantaine aux États-Unis. Négociant pour le compte d'un ensemble d'universités avec les éditeurs, ils économisent leur peine et permettent des baisses de prix de 10 à 20 o/o.
Les enjeux de la redéfinition des droits d'auteur dans le cadre européen ont été présentés par Dominique Arot, Françoise Danset, Jean-Claude Guédon et Jean-Pierre Sakoun. Après l'adoption par la France de la directive européenne sur les bases de données (25) , qui accorde de fortes protections à leurs éditeurs, l'attention se porte maintenant sur le projet de directive européenne sur le droit d'auteur dans la société de l'information, qui assimile sans ambiguïté tout acte de transmission et de simple visualisation d'un document électronique à un acte de copie (26) . Les exceptions prévues doivent permettre plus clairement de garantir le droit à l'information du public des bibliothèques : c'est tout le sens des efforts engagés par les associations françaises de bibliothécaires et documentalistes et la fédération européenne EBLIDA.
La question posée était : comment éviter un fossé entre pays info-riches et pays info-pauvres, comment la coopération entre professionnels peut-elle corriger les inégalités?
Nicoleta Marinescu (Roumanie) a indiqué que la chute du rideau de fer a fait affluer dans les universités et les établissements scolaires de son pays une aide très importante : matériels, logiciels, stages, documents. Les progrès ont été réalisés à pas de géant et la remise à niveau fut extraordinairement rapide. Les professionnels doivent maintenant se répartir les outils qui leur ont été donnés et qu'il faut considérer comme des investissements, définir leur propre politique documentaire, établir leurs réseaux et choisir leurs partenaires. Ils en ont les compétences.
Olivier Sagna (Sénégal) a fait remarquer que le flot de l'aide Nord-Sud avait été dérivé vers l'Est, et que le retard d'équipement reste très important, en particulier à l'université de Dakar. Cependant des compétences existent, et des projets de site miroir seraient les bienvenus. Leur fonction serait d'offrir une visibilité mondiale aux travaux africains, en profitant d'une bonne infrastructure de télécommunications.
Accessoirement, c'est un vrai projet pour des bibliothèques : rendre accessible la documentation qui l'est difficilement. Olivier Sagna a enfin plaidé pour une réflexion sur les formations dans les pays en développement, sur la qualité de leurs informaticiens et sur la nécessité d'utiliser du matériel d'origine locale pour faciliter la maintenance. 27
Jean-Claude Guédon (université de Montréal) a proposé en guise de conclusion à ces trois jours un certain nombre de pistes de réflexion :
Dans un brassage original, différent de celui de bien des colloques et congrès, entre représentants de bibliothèques et centres de documentation de tous types (la lecture publique représentant environ 10 % des participants), entre professions (il y avait aussi des enseignants, des chercheurs, des informaticiens), entre pays (la France très majoritaire accueillait la Belgique, la Suisse, le Sénégal, la Roumanie, le Canada), les rencontres de biblio-fr ont démontré s'il en était besoin la puissance, l'efficacité, l'humanité d'Internet comme outil d'intelligence collective. Elles nous permettent de garder les yeux ouverts : sur les promesses techniques de recherche et de diffusion de l'information, mais aussi sur les dangers que font courir à l'accès à l'information les stratégies de certains groupes d'éditeurs. Internet est aussi le lieu d'un combat, où bibliothécaires et documentalistes ont un rôle à jouer.